Intervention de Rémy Pflimlin

Commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois — Réunion du 4 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Rémy Pflimlin président de france télévisions

Rémy Pflimlin :

La loi du 5 mars 2009 a modifié en profondeur notre organisation, notre modèle économique, nos programmes de soirée. Le service public repose sur un rapport de confiance avec les citoyens. Porteur des valeurs républicaines, sa responsabilité est grande dans l'information. Il doit être le reflet de la société et parler à chacun, pour parler à tous.

A l'heure de la TNT, dont beaucoup s'accordent à dire qu'elle n'a pas enrichi qualitativement le paysage, l'identité du service public doit s'affirmer dans l'exigence d'une offre différente : une alternative qui informe, enrichit, divertit. Notre mission fondamentale, la première dans le triptyque que promurent nos fondateurs, l'information, se porte bien. La direction unique nous a apporté, sur France 2, une audience inédite au 20 heures, et permis de renouer, avec Des paroles et des actes, avec la tradition des grandes émissions politiques, lieux de débat. France 3 remplit son rôle central d'information de proximité. Hors Ile-de-France, elle est la première chaîne sur la tranche du 19/20, pour l'audience, qui atteint 20 à 30 % dans certaines régions.

L'information a donc retrouvé un rôle central, la télévision publique offre une alternative crédible, indépendante, pluraliste ; France 3 emprunte un chemin résolument régional, sans comparaison avec les chaînes commerciales ; France 5 s'adresse aux citoyens anxieux de partager connaissance, savoir, culture. Guerre d'Algérie, la déchirure, diffusé en première partie de soirée, a reçu un formidable accueil ; France 2 propose une offre exceptionnelle qui témoigne de la singularité du service public ; France 4 se pose en concurrent crédible de M6, ainsi que le reconnaît Isabelle Morini-Bosc dans Télé Magazine, le plus lu des magazines de programmes télé.

La nouvelle saison de la fiction Un village français sur France 3 a rencontré un succès critique et public considérable, sur le thème de l'Occupation allemande. Il s'agit, en somme, de raconter la Grande Histoire, d'expliquer le monde, à travers la vie et l'histoire des hommes. L'émission Fais pas ci, fais pas ça a été un succès, au même titre que Les hommes de l'ombre, emblématique de la ligne éditoriale contemporaine de France 2. Depuis deux vendredi et encore vendredi prochain, la série en six épisodes Antigone 34 montre l'engagement de France 2 dans de nouvelles écritures, cap que l'arrêt de la publicité après 20h nous permet de prendre en privilégiant clairement certains soirs l'innovation sur l'audience. Cela montre aussi le chemin à parcourir pour conquérir de plus jeunes publics sur ces nouvelles formes de création et l'opiniâtreté dont les équipes de programmes doivent faire preuve face aux attaques des commentateurs au moindre revers d'audience. Pour le sport, nous avons sécurisé sans surenchères tous les droits, de Roland-Garros au Tour de France et aux Jeux olympiques. Le service public devient, avec l'arrivée des Qatari, le seul véritable garant d'une offre de sport gratuite

Dans toute l'Europe, à l'heure de la TNT et son audience fragmentée, les groupes cherchent à conquérir les publics. Nous avons su, à France 4, jouer cette partition, pour rencontrer les téléspectateurs.

La télévision publique peut encore progresser mais déjà, pour la seule fiction, le court métrage, l'art et essai, nous dépassons les obligations.

Depuis fin 2010, la TNT est réalité outre-mer. Je salue le travail de l'équipe qui a réalisé ce saut vers la démocratie citoyenne. Nous résistons outre-mer, dans un contexte de concurrence élargie France Ô entre dans une nouvelle étape et se repositionne en s'ouvrant aux cultures du monde.

Avec une audience de 30 % au 1er janvier 2012, nous sommes au-dessus de la moyenne européenne des audiovisuels publics, inférieure à 29 %. France 2, grande chaîne généraliste, résiste mieux que TF1 dans la TNT : entre 1992 et 2011, elle n'a perdu que 9 points, quand TF1 en perdait 12. France 3 n'en a perdu que 4.

Dans un secteur en mutation, France Télévisions résiste, et assume ses missions citoyennes. La révolution numérique montre plus que jamais combien il est utile de porter les valeurs, d'être, comme disait Rossellini, une « grande encyclopédie des temps modernes », de placer au centre la création.

Car le contexte a changé. Les droits sur les manifestations sportives ne cessent d'enfler ; les grandes sociétés américaines, comme Google, nous enjoignent à une révision de nos modèles, vers de nouveaux usages, délinéarisés, de nouvelles pratiques, qui démonétisent la force de prescription des chaines de naguère et les contraignent à renforcer leur rôle d'éditeurs, ce que tous les producteurs ne comprennent pas.

Nous sommes, Européens, soumis à un contexte commun, celui de la concurrence. C'est pourquoi je vous appelle à aider le groupe, à défendre le patrimoine commun des Français, pour relever le défi. Nous avons besoin de nous projeter dans un cade stabilisé. Le contrat d'objectifs et de moyens 2011-2015 que j'ai négocié a déjà été contredit par deux arbitrages correctifs. Comprenez notre inquiétude, d'autant plus grande que les perspectives de recettes publicitaires sont moroses, et affectées par l'arrivée de la TNT. L'échéance sur la publicité de journée, prévue par la loi, au 1er janvier 2016, se complique des nouveaux objectifs assignés par l'Etat sur la création et l'outre-mer. La réponse vous appartient.

Notre stratégie repose sur trois axes. L'offensive sur le numérique, plus de 100 millions sur les trois ans à venir, avec une plate forme de l'information, puis du sport. La poursuite de la construction de l'entreprise unique et de la réforme des structures, mise à mal par une marche forcée à un an vers l'intégration, qui manquait de réalisme : fusionner huit sociétés, cinq chaines - quatorze avec l'outre-mer - plus de 10 000 collaborateurs, pour construire une offre nouvelle, demande du temps. Il faut négocier les statuts collectifs, exposer les enjeux, rapprocher les cultures. Nous ne pourrons construire un groupe uni qu'avec une trajectoire pluriannuelle qui tienne compte du corps social, surtout si les effectifs doivent se resserrer. La télévision n'est forte que du travail des hommes et des femmes qui la composent. J'ai proposé une feuille de route pour l'achèvement de l'entreprise unique fin 2013, dans le respect des personnes et des étapes sociales, comme la négociation d'une convention sur le temps de travail.

La réforme de France 3 est au coeur de notre stratégie. Il s'est agi de mobiliser tout le potentiel de nos équipes, pour passer à une nouvelle étape, inspirée de la chaîne de télévision allemande ARD. Des pôles régionaux d'excellence doivent associer tous les acteurs, la réforme des structures étant mise au service de la création.

Alors que l'audience se morcelle, l'heure est à la synergie de bouquet : renforcer tout à la fois l'identité des chaines et leur socle fondateur commun. L'apparition des chaines de la TNT a transformé l'information de soirée. La logique des plages n'a plus de sens. Les chaines commerciales programment des émissions de trois heures, ou diffusent des séries bord à bord, pour capter le téléspectateur. Le report en deuxième partie de soirée, qui faisait le fond du service public, n'est plus de mise. D'où se pose la question de la pertinence de l'horaire de captation de début de soirée. Animer un travail de création devient une révolution culturelle, qui exige du temps et de l'engagement.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion