Je vous remercie de l'attention que vous portez à l'agence.
J'ai soixante-trois ans, je suis médecin, professeur à l'université de la Méditerranée, dans le domaine de l'hématologie et de la cancérologie. J'ai exercé des responsabilités de recherches à l'Inserm. J'ai dirigé l'institut Paoli-Calmettes à Marseille, deuxième centre anti-cancer de France, qui a un grand potentiel de recherche. J'ai assuré la présidence, dans une situation de crise, de l'institut national du cancer, jusqu'à l'an dernier, lorsque l'on m'a demandé de prendre la responsabilité de l'Afssaps.
Ma motivation et mon travail consistent à offrir la meilleure prise en charge médicale possible, à l'échelle individuelle dans la pratique de la transplantation et de l'immunologie, de façon collective par le pilotage de dispositifs de recherches et de soins, et nationale en essayant de peser pour la prise en charge du cancer dans notre pays.
La crise du Mediator nous a tous interpellés. Elle était à son paroxysme lorsque j'ai pris la responsabilité de l'Afssaps. Bien sûr nous connaissons nos limites, mais je suis mobilisé autour de cet objectif majeur : offrir la meilleure prise en charge médicale possible à la population française. Telle est et demeure la vocation de l'Afssaps.
Nous avons connu plusieurs périodes. Lorsque je suis arrivé, en pleine crise du Mediator, un très grand débat public s'est ouvert pendant deux mois, avec les assises du médicament, qui nous ont permis d'écouter les attentes. Puis est venue une phase d'arbitrage, qui a débouché, le Gouvernement ayant décidé en août de présenter un projet de loi, sur le texte que vous avez adopté définitivement en décembre. Pendant ce temps, j'ai agi, dans la limite de mes moyens juridiques et de mes responsabilités, pour changer la vision que nous avons de nos produits de santé à la lumière de la crise du Mediator. Je suis fier que le législateur ait stabilisé certaines de ces initiatives, en matière de transparence tout d'abord : depuis mars 2011, toutes les commissions suivent un ordre du jour et sont filmées ; les opinions minoritaires s'expriment, ce qui représente un énorme changement ; la publicité sur les liens d'intérêts est effective. La transparence des débats redonne confiance en la décision.
Parmi les décisions plus ou moins spectaculaires, je citerai celle qui concerne le médicament antidiabétique Actos, à propos duquel nous avions reçu des signaux de risque accru de cancer de la vessie, relativement faible, de l'ordre d'une quinzaine sur 200 000 patients. Nous avons mis en oeuvre à cette occasion une nouvelle méthodologie, en nous adressant directement aux médecins traitants, en les mettant en garde contre ce risque et en leur annonçant l'étude que nous avons lancée sur 1,4 million de personnes. Cette prise de parole d'une agence publique et neutre a été efficace : en trois semaines, la consommation du médicament a baissé de 60 %. Avec des experts publics, nous avons mené cette étude dans la vie réelle, et l'avons rendue publique en vidéo quand elle a été présentée à la commission compétente de l'Afssaps : elle confirmait un risque statistique accru, faible mais réel.
Ensuite, cette commission a recueilli publiquement l'avis des patients ; leur principale association a défendu les médicaments permettant le traitement du diabète, tout en considérant le risque posé par Actos comme inacceptable. Les experts étaient partagés mais, devant l'importance des données, ils ont voté unanimement pour la suspension de ce médicament, de façon publique et collective.
Les médecins étaient préparés, donc il n'y a pas eu de désordre sanitaire. L'impact international a été considérable : la FDA (Food and Drug Administration) a publié l'étude française en quatre jours et mis en garde contre les risques de ce médicament. L'Europe a été moins sensible à une décision jugée un peu unilatérale, mais a traité le dossier. Des experts publics, autonomes, indépendants, ont pris une décision transparente et rapide, en quatre mois, contre dix-sept ans pour le Mediator.
Deuxième type d'action, qui n'est pas toujours apprécié : la révision des bénéfices-risques des anciens médicaments. Il faut surveiller tous les médicaments, mais les médicaments commercialisés avant 2005, dont le Mediator, sont parfois tombés dans l'oubli. Je vous l'avais dit l'an dernier, un médicament qui n'a plus de bénéfices n'a plus que des risques. Il faut réactualiser la relation bénéfices-risques des produits de santé. Cette action a débouché sur de nombreuses décisions. En un an, l'agence a décidé cinq suspensions de médicaments, au lieu de quinze dans les quinze années précédentes, et révisé les bénéfices-risques de quatorze médicaments, au lieu de quarante-six dans les quinze années précédentes, et a saisi l'Europe de révisions d'AMM pour de très nombreux médicaments. Même si nous n'avons pas toujours été suivis dans les arbitrages, nous avons marqué notre position de leader européen. Nous avons su répondre à la demande dans le cadre de la structure actuelle de l'agence, mais dans un nouvel état d'esprit : la transparence.
Nous avons investi le champ de la connaissance et de la recherche, en stimulant des programmes de recherches sur la sécurité des produits de santé, afin que les experts ne puissent plus dire qu'ils sont obligés de travailler avec l'industrie. Nous avons développé les financements publics, pour qu'ils approfondissent leurs connaissances de façon indépendante. Nous avons mis à disposition 15 millions d'euros par an à cette fin. La loi que vous avez votée a créé une agence indépendante.
Une crise sanitaire ne s'arrête pas le jour où on l'a décidé. Nous l'avons vu avec le Mediator : elle laisse des victimes, dont nous devons nous occuper. Il ne suffit pas de décider de supprimer un médicament, il faut s'occuper des personnes qui en sont victimes et en souffrent. De même, pour les prothèses mammaires : la crise a éclaté un an après la décision courageuse et unique en Europe, qu'a prise l'Afssaps ; mais on a oublié qu'il y avait de nombreuses victimes à accompagner. C'est l'alerte qu'a lancée l'agence, en raison des risques potentiellement accrus de certaines formes de cancer pouvant être provoqués par certaines ruptures, qui a entraîné la crise. Il y avait un risque de morts directes ou indirectes. Nous avons répondu à la demande des ministres de présenter publiquement et de façon transparente un rapport neutre et objectif sur la chronologie de 1996 à 2010. Nous avons exposé les faiblesses, voire les défaillances, de notre système de sécurité, en termes de matériovigilance, de contrôles de mémoire, d'information des patients et de traitement des victimes. Nous espérons que les décisions qui seront prises à l'échelle mondiale empêcheront cette situation de se reproduire.
Je comprends l'émoi des personnels. Quant à la gouvernance interne, le directeur général applique la réglementation. Je n'ai pas changé cette organisation, réglementée par de nombreux décrets. Nous avons fait évoluer l'organisation interne par des groupes de travail destinés à responsabiliser les équipes en matière de gestion des produits et des métiers. Nous avons mené cette action de façon intensive pendant six mois, car elle répondait à une forte attente, tout le monde étant convaincu qu'il fallait un changement, mais cela provoquait des craintes : l'Afssaps reposait sur un socle historique de réglementations et de procédures, et la réforme n'était pas encore mise en oeuvre, ce qui a parfois été difficile pour les agents.
L'agence est réactive et une certaine impatience se manifeste parfois. La société attend de nous de nouvelles règles, sur lesquelles vous avez légiféré. Nous devons aussi faire évoluer nos procédures et la manière dont nous considérons les personnes. Au sein de l'agence, les liens ou les conflits d'intérêts n'étaient pas suffisamment pris en compte. J'ai fait délibérer le conseil d'administration en décembre afin que les règles soient très claires et très dures. Toute personne recrutée sur un poste de cadre devra avant tout répondre à des critères déontologiques, ses compétences seront examinées par une commission indépendante proposée par le conseil scientifique, elle devra faire preuve d'aptitudes managériales. Chaque direction regroupera une cinquantaine de personnes dynamiques sur tous les aspects de la gestion des produits.
Au-delà du Mediator, les crises auxquelles l'agence doit faire face ne concernent pas que le médicament mais l'ensemble des produits de santé et notre manière de les considérer. Ce n'est pas qu'une affaire de médicament et de mauvaise évaluation, c'est l'ensemble du secteur qui doit être repensé, autour d'un message clairement inscrit dans la loi que vous avez votée : notre travail, c'est la sécurité, non pas des produits, mais des patients. Cela suppose que nos équipes soient concentrées sur les produits et guidées uniquement par la relation bénéfices-risques et la santé des patients. Cela concerne également tous les dispositifs médicaux. Il en résulte une articulation. L'Afssaps exerce des fonctions d'évaluation, d'inspection et de contrôle qui doivent aboutir à des décisions. Nous avons vu qu'une inspection indépendante du contrôle peut amener des dysfonctionnements, des pertes de temps et de sécurité. Nous devons intégrer l'inspection et le contrôle autour de chaque classe de produits, non pour l'évaluation du bénéfice, mais d'une balance bénéfices-risques permanente, comme vous l'avez demandé dans le cadre de la loi.
Au terme d'une année difficile, mais accompagnée de réalisations concrètes, je suis optimiste. Nous sommes mobilisés pour la réforme que nous devons appliquer avec sagesse et efficacité. La France joue un rôle moteur. Après la France, la transparence s'imposera dans les autres pays européens, de même que l'évaluation des produits au cours du temps - j'étais il y a quelques minutes avec la directrice générale Sanco (santé et protection des consommateurs) de la Commission européenne. Des progrès tangibles sont possibles dans le domaine du médicament. Il y a beaucoup de retards pour des produits sensibles et dangereux pour la santé, comme les dispositifs médicaux. Les dispositions prises par la France interpellent et devraient aboutir à une évolution de la réglementation européenne. Si tel n'était pas le cas, nous demanderions une action prioritaire dans le cadre français afin que nos concitoyens ne soient pas exposés à des risques, en raison de procédures abstraites et aveugles.