Voici un peu plus d'un an, j'ai suggéré à notre commission de demander à la Cour des comptes une étude sur le régime local d'assurance maladie complémentaire d'Alsace-Moselle. Je ne me doutais pas alors que tant de responsables politiques s'intéresseraient également à notre droit local, ce dont je ne peux que me féliciter... La Cour nous a présenté son rapport le 14 décembre dernier. Je résumerai aujourd'hui brièvement le fonctionnement de ce régime pour que nous puissions débattre des enseignements à en tirer au plan national.
Le régime local est l'héritage des lois de Bismarck sur les assurances sociales, adoptées alors que les trois départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle étaient intégrés à l'Empire allemand. A la suite des deux guerres mondiales, les autorités françaises ont sagement décidé de ne pas faire table rase ; le droit local a été préservé dans différents domaines, en particulier lorsqu'il était plus protecteur. C'est le cas du régime de couverture du risque maladie : en 1945, au moment de la création de la sécurité sociale en France, le régime local est devenu complémentaire au nouveau régime de base et est resté obligatoire, contrairement aux autres organismes complémentaires.
Aujourd'hui, 2,1 millions de personnes bénéficient de ce régime fondé sur un principe contributif : ceux qui cotisent ou ont suffisamment cotisé y sont affiliés. Il couvre principalement les salariés du secteur privé, les retraités et les titulaires d'autres revenus de remplacement, principalement les chômeurs. En sont exclus les fonctionnaires, les exploitants agricoles et les professions indépendantes. Le taux de cotisation est identique pour tous les revenus, mais des exonérations semblables à celles qui valent pour la CSG sont accordées aux retraités et aux chômeurs ; seule existe la part salariale, sans contribution de l'employeur. Le taux a été ramené de 1,6 % à 1,5 % le 1er janvier dernier, par décision du conseil d'administration. Cette cotisation est déplafonnée, ce qui contribue au caractère très solidaire du régime et l'éloigne encore davantage des autres organismes complémentaires.
Les prestations reposent, depuis 1946, sur trois principes. Le premier est la gratuité de l'hospitalisation, avec une prise en charge du ticket modérateur hospitalier (20 % du tarif), du forfait journalier (18 euros aujourd'hui en médecine, chirurgie, obstétrique) et de la participation forfaitaire pour les actes médicaux coûteux (18 euros également). Deuxième principe : un ticket modérateur limité à 10 % en médecine de ville. Les participations et autres franchises ne sont pas remboursées, comme le prévoient les contrats responsables et solidaires pour les complémentaires santé. Pour les médicaments, le régime module sa participation : ceux que la sécurité sociale rembourse à 30 % et 65 % sont finalement pris en charge à 80 % et 90 % ; en revanche, le régime a décidé de ne pas contribuer à la prise en charge des médicaments à vignette orange, remboursés à 15 % par le régime général, et dont le service médical rendu est faible ou insuffisant. Les prestations se cantonnent dans la limite du tarif opposable de la sécurité sociale, ce qui exclut les dépassements d'honoraires et limite la prise en charge des frais dentaires ou d'optique, ainsi que des dispositifs médicaux.
Le régime n'assure directement aucune opération financière auprès de ses assurés. Les Urssaf et les organismes qui versent des revenus de remplacement, par exemple l'Agirc-Arrco, prélèvent les cotisations et les caisses primaires d'assurance maladie affilient les assurés et leur versent les prestations en même temps que les remboursements au titre du régime de base. De ce fait, les charges de fonctionnement, forfaitaires, sont très faibles : environ 1 % des dépenses.
Cela explique en partie la situation financière favorable du régime. Il s'agit d'un « petit » régime en termes budgétaires : en 2010, ses charges se sont élevées à 453 millions d'euros, ses produits à 461 millions ; l'excédent de 8 millions représente 1,7 % des dépenses. Dans le courant des années 80, ce régime était plutôt en déficit et a failli disparaître. Son nouveau statut, mis en place en 1994-1995 en partie grâce à un rapport de 1992 de notre commission, lui a donné une large autonomie de gestion mais a fixé un cadre prudentiel strict, garantissant des réserves minimales et organisant sa régulation. Le fonds de réserve doit être au moins égal à 8 % des prestations versées. Les capitaux propres accumulés grâce à une gestion prudente, 270 millions d'euros fin 2010, permettent au régime de mener une politique contracyclique : le récent abaissement du taux de cotisation a allégé en pleine crise les prélèvements sur les salariés et retraités. Or, le rapport de la Cour des comptes montre clairement que le régime général n'est pas moins déficitaire en Alsace-Moselle qu'ailleurs en France : les consommations de soins y sont comparables, même s'il existe quelques différences dans l'offre et l'état de santé de la population. L'excédent du régime complémentaire tient à l'équilibre entre les prestations versées et les produits perçus à moyen terme.
Le rôle joué par le conseil d'administration, qui est loin d'être une chambre d'enregistrement, constitue l'une des particularités du régime. Dans la limite des tarifs de la sécurité sociale, il fixe la liste des prestations prises en charge et le taux de leur remboursement : il a par exemple décidé de ne pas prendre en charge les médicaments à service médical rendu faible ou insuffisant. Il fixe le taux des cotisations, dans une fourchette comprise entre 0,75 % et 2,5 %. Il a baissé le taux cette année, après avoir décidé en 2002 d'appliquer un taux unique, quelle que soit la nature des revenus. Il détermine même la nature des avantages vieillesse et des autres revenus de remplacement à soumettre à cotisations et les exonérations éventuelles. Il peut aussi décider de financer des programmes de santé publique et des expérimentations relatives aux réseaux de soins. Il participe donc à la gestion du risque et a su tirer partie de son autonomie pour lancer des expériences.
Ne nous leurrons pas sur la possibilité de transposer tel quel, au niveau national, ce régime, héritier d'une culture et d'une histoire particulières. Toutes choses égales par ailleurs, cela impliquerait d'augmenter de 1,5 % les cotisations salariales, pour des prestations qui correspondent grosso modo aux tarifs de la sécurité sociale. En outre, l'imbrication complète dans le régime de base permet de réduire les coûts de fonctionnement. Les autres organismes complémentaires affichent des frais plus élevés parce qu'ils gèrent les remboursements et doivent nécessairement développer une politique commerciale. Les prestations varient selon les organismes et les contrats : le régime de base ne pourrait donc assurer le versement des prestations complémentaires facultatives.
Cependant, je crois utile de lancer un débat peut-être iconoclaste : pourquoi ne pas envisager de créer un régime complémentaire obligatoire d'assurance maladie géré par les partenaires sociaux dans un cadre prudentiel strict, comme cela existe pour la vieillesse ? L'impact d'une telle réforme devrait être pleinement mesuré : elle réduirait les compétences des organismes complémentaires ; elle supposerait une hausse des prélèvements obligatoires, éventuellement compensée par une baisse des cotisations aux complémentaires santé ; elle ne règlerait pas à elle seule, sauf à dégager des financements importants, la question de l'optique et du dentaire. Cette solution présenterait toutefois un avantage par rapport à l'élargissement du régime de base : l'instance de gestion aurait pour obligation, comme l'Agirc-Arrco, d'équilibrer les comptes en s'appuyant éventuellement sur un fonds de réserve. Un tel régime à l'échelle nationale n'aurait-il pas nécessairement un impact positif sur la régulation des dépenses de santé ?
Enfin, un régime de ce type est plus redistributif qu'une protection facultative. L'étude de la Cour des comptes montre clairement que le régime local d'Alsace-Moselle est plus intéressant pour les salariés aux revenus les plus faibles, les familles avec des enfants et les retraités, et plus onéreux qu'un système complémentaire facultatif intégral pour les célibataires et les salariés aux revenus élevés.