Intervention de Christiane Demontès

Commission des affaires sociales — Réunion du 29 février 2012 : 1ère réunion
Reconnaissance des qualifications professionnelles — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Christiane DemontèsChristiane Demontès, rapporteure :

La procédure comme le sujet de cette proposition de résolution peuvent paraître hermétiques, mais je vais tâcher d'être aussi claire que possible... Le 19 décembre, la Commission européenne a adopté une proposition de directive relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, qui doit être adoptée selon la procédure législative ordinaire, c'est-à-dire par décision conjointe du Parlement européen et du Conseil. Elle a été envoyée pour avis aux autres institutions européennes et aux Parlements nationaux, dont les pouvoirs ont été notablement renforcés par le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009. Ceux-ci procèdent désormais à deux examens successifs de chaque texte communautaire : d'abord au contrôle du respect du principe de subsidiarité, dans un délai de huit semaines après la publication du texte dans toutes les langues officielles ; puis à l'examen au fond, que nous pratiquons depuis de nombreuses années et qui découle en France de l'article 88-4 de la Constitution. Mon intervention d'aujourd'hui s'inscrit dans le cadre du contrôle de la subsidiarité : c'est la première fois que notre commission s'y livre. La commission des affaires européennes a déjà examiné ce texte et a adopté à l'unanimité, à l'initiative de Jean-Louis Lorrain, la proposition de résolution qui nous est soumise.

Le principe de subsidiarité a été inscrit dans les traités européens dès Maastricht en 1992, à la demande des Länder allemands, concomitamment à l'augmentation des compétences transférées au niveau européen. Aujourd'hui, l'article 5 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit que « dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les Etats membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union ». Il s'agit donc de définir le niveau adéquat où doivent être adoptées les décisions publiques. Le traité de Lisbonne comprend également en annexe un long protocole qui organise la procédure d'examen et de contrôle de la subsidiarité.

L'article 12 du traité sur l'Union européenne prévoit que les Parlements nationaux contribuent activement au bon fonctionnement de l'Union, notamment en veillant au respect du principe de subsidiarité. A cette fin, ils peuvent adopter des « avis motivés », qui prennent en France la forme de résolutions. Plus le nombre de Parlements nationaux adoptant un avis motivé sur un même projet d'acte législatif est élevé, plus les obligations incombant à la Commission européenne sont importantes : s'ils représentent un tiers des Etats, le texte doit être réexaminé, ce qui ne préjuge pas de la suite donnée à ce réexamen ; s'ils en représentent la moitié, la Commission doit réexaminer son texte puis, si elle le maintient, le Parlement européen et le Conseil doivent eux-mêmes vérifier sa conformité au principe de subsidiarité. En France, la Constitution a été révisée en février 2008 pour permettre la ratification du traité de Lisbonne, notamment en ce qui concerne le nouveau rôle du Parlement ; la procédure du contrôle de la subsidiarité figure désormais à l'article 88-6. Ce n'est qu'en janvier 2011 que le Sénat a modifié son Règlement en conséquence. Selon le nouvel article 73 octies, tout sénateur peut déposer une proposition de résolution relative à la subsidiarité ; elle est alors renvoyée à la commission des affaires européennes, qui peut également en adopter une de sa propre initiative - c'est le cas ici. La proposition est ensuite transmise à la commission permanente compétente au fond, qui peut soit s'en saisir formellement pour statuer définitivement, dans le même sens ou dans un sens différent, soit considérer qu'elle lui convient en l'état et ne pas s'en saisir, ce qui la rend définitive après un certain délai et la transforme en résolution du Sénat. A tout moment de la procédure, le président d'un groupe politique peut demander l'examen de la proposition en séance publique. Une fois adoptée, la résolution est envoyée par le Président du Sénat aux institutions européennes : procédure atypique car, traditionnellement, le Parlement national interagit avec son propre gouvernement et non avec les instances communautaires.

J'en viens maintenant à la proposition de directive. La libre circulation des travailleurs est l'un des fondements de la construction européenne depuis le traité de Rome de 1957. De nombreux obstacles s'y sont opposés, comme la réglementation de certaines professions dans les différents Etats. Pour les surmonter, les institutions européennes ont adopté au fil des ans de nombreuses directives assurant la reconnaissance des qualifications professionnelles entre les Etats membres, par le biais d'équivalences entre formations et diplômes.

Pour certaines professions, notamment médicales et paramédicales, des directives sectorielles ont même approuvé le principe d'une reconnaissance automatique d'une liste de diplômes moyennant des conditions minimales de formation. Puis, en 2005, une directive est venue consolider cet ensemble de textes épars ; la proposition de directive qui nous est soumise vise, quant à elle, à « moderniser » et à « simplifier » les mécanismes actuels.

Celle-ci prévoit de créer une carte professionnelle européenne, distincte des modes de reconnaissance actuels, dématérialisée et délivrée dans des délais extrêmement courts, permettant de prouver que le demandeur remplit toutes les conditions pour s'installer dans un autre Etat ou y travailler temporairement. Ce dispositif tend à renforcer le rôle de l'Etat d'origine du demandeur par rapport à celui d'accueil, qui ne serait, dans un certain nombre de cas, qu'informé de la validation de cette carte.

Outre les difficultés de fond soulevées par ce dispositif, la commission des affaires européennes a estimé que l'ensemble du texte manquait de clarté, ce qui constitue en soi une atteinte au principe de subsidiarité.

De plus, l'accès partiel à une profession, notion introduite par le texte, serait possible : si une activité peut être « objectivement » séparée au sein d'une profession réglementée, l'Etat d'accueil devra autoriser l'installation d'une personne pour qu'elle pratique cette seule activité. Une mesure de sauvegarde « pour une raison impérieuse d'intérêt général telle que la santé publique » est prévue, mais les termes employés laissent la place à bien des interprétations.

Au final, cette possible fragmentation des professions de santé pourrait porter atteinte à la continuité et à la qualité des soins, ainsi qu'à l'organisation même de notre système sanitaire, les activités des professionnels pouvant être très différentes selon les Etats membres.

Troisième modification sensible, le texte propose de restreindre le contrôle des compétences linguistiques, qui n'interviendrait qu'après la reconnaissance des qualifications, ce qui menacerait la sécurité des patients. Cependant, il est en principe possible de le conserver pour tous les professionnels de santé, mais dans un cadre limité.

Il ressort des contributions des ordres professionnels adressées à notre collègue Jean-Louis Lorrain la nécessité de veiller à l'impératif de sécurité des patients, la confiance de nos concitoyens envers le système de santé ne pouvant s'accommoder d'une moindre qualité du contrôle des connaissances de la langue française, moindre qualité qui présenterait des risques trop importants au regard du simple enjeu de la mobilité des travailleurs.

La proposition de résolution met donc en évidence ces trois atteintes portées au principe de subsidiarité : le manque de clarté et la complexité du texte, le principe de l'accès partiel aux professions et la restriction du contrôle des connaissances linguistiques. Nous pouvons souscrire à cette analyse tout en proposant de compléter la proposition de résolution sur certains points.

En effet, la proposition de la Commission européenne tend à créer deux procédures, « le cadre commun de formation » et « l'épreuve commune de formation », pour introduire une plus grande automaticité dans la reconnaissance des qualifications à partir du moment où un tiers des Etats membres le souhaitent. Cette mesure n'est pas claire et pourrait contraindre un Etat à participer à un processus de reconnaissance mutuelle de contenus de formation qu'il ne souhaite pas. Elle pourrait en particulier s'appliquer à des professions de santé non réglementées par la directive, telles que les ostéopathes, les chiropracteurs ou les psychothérapeutes.

La proposition de directive élargit aussi le champ de la directive de 2005 aux « stages rémunérés », définis comme « l'exercice d'une activité rémunérée et encadrée, dans la perspective d'accéder à une profession réglementée à la suite d'un examen », en contradiction avec l'article 165 du traité sur le fonctionnement de l'Union, aux termes duquel l'éducation est une simple politique d'appui pour l'Union. Cela touche à la distinction entre formations initiale et continue qui n'est pas identique dans tous les Etats membres.

La proposition autorise par ailleurs très largement la Commission européenne à adopter des actes de portée générale pour compléter ou modifier certains éléments non essentiels du texte. Cette procédure des actes délégués, prévue par les traités, doit être appliquée avec prudence pour respecter le principe de subsidiarité. Or, du fait de rédactions lapidaires, nous ne pouvons pas réellement mesurer la portée de certaines délégations : la Commission pourrait par exemple, selon une lecture extensive du texte, intervenir dans la définition de la formation médicale de base ou dans celle des infirmiers, sages-femmes, dentistes et pharmaciens.

Enfin, le principe de proportionnalité, partie intégrante de la subsidiarité selon l'article 5 du traité et la Cour de justice de l'Union européenne, n'est pas respecté, plusieurs dispositions du texte excédant manifestement le nécessaire, notamment en ce qu'elles demandent aux Etats membres de fournir à la Commission européenne nombre de rapports de notification et d'évaluation, y compris sur des sujets étrangers à la directive tels que la formation continue des professionnels de santé. Ce point mérite d'être précisé.

En dépit du caractère aride du sujet, nous avons bien saisi l'intérêt de la procédure et toute l'importance de ce texte, notamment pour les professions non déjà réglementées par la directive.

Au-delà de la question de subsidiarité, il est indispensable de poursuivre nos travaux sur le fond de la proposition de directive, ce qui pourrait aboutir à une résolution prise dans le cadre, cette fois, de l'article 88-4 de la Constitution.

Bien que ce texte ne devrait pas être adopté par le Parlement européen avant l'année prochaine, restons vigilants et intervenons le plus en amont possible, notamment auprès de la Commission européenne, en lien avec le SGAE et le ministère de la santé, qui ont besoin de points d'appui au Parlement. Nous ne connaissons que trop bien les difficultés posées par des textes dont nous ne prenons connaissance qu'une fois définitivement adoptés et que l'on nous demande de transposer en droit national sans pouvoir les modifier.

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