Voici un peu plus d'un an, j'ai suggéré à notre commission de demander à la Cour des comptes une étude sur le régime local d'assurance maladie complémentaire d'Alsace-Moselle. Je ne me doutais pas alors que tant de responsables politiques s'intéresseraient également à notre droit local, ce dont je ne peux que me féliciter... La Cour nous a présenté son rapport le 14 décembre dernier. Je résumerai aujourd'hui brièvement le fonctionnement de ce régime pour que nous puissions débattre des enseignements à en tirer au plan national.
Le régime local est l'héritage des lois de Bismarck sur les assurances sociales, adoptées alors que les trois départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle étaient intégrés à l'Empire allemand. A la suite des deux guerres mondiales, les autorités françaises ont sagement décidé de ne pas faire table rase ; le droit local a été préservé dans différents domaines, en particulier lorsqu'il était plus protecteur. C'est le cas du régime de couverture du risque maladie : en 1945, au moment de la création de la sécurité sociale en France, le régime local est devenu complémentaire au nouveau régime de base et est resté obligatoire, contrairement aux autres organismes complémentaires.
Aujourd'hui, 2,1 millions de personnes bénéficient de ce régime fondé sur un principe contributif : ceux qui cotisent ou ont suffisamment cotisé y sont affiliés. Il couvre principalement les salariés du secteur privé, les retraités et les titulaires d'autres revenus de remplacement, principalement les chômeurs. En sont exclus les fonctionnaires, les exploitants agricoles et les professions indépendantes. Le taux de cotisation est identique pour tous les revenus, mais des exonérations semblables à celles qui valent pour la CSG sont accordées aux retraités et aux chômeurs ; seule existe la part salariale, sans contribution de l'employeur. Le taux a été ramené de 1,6 % à 1,5 % le 1er janvier dernier, par décision du conseil d'administration. Cette cotisation est déplafonnée, ce qui contribue au caractère très solidaire du régime et l'éloigne encore davantage des autres organismes complémentaires.
Les prestations reposent, depuis 1946, sur trois principes. Le premier est la gratuité de l'hospitalisation, avec une prise en charge du ticket modérateur hospitalier (20 % du tarif), du forfait journalier (18 euros aujourd'hui en médecine, chirurgie, obstétrique) et de la participation forfaitaire pour les actes médicaux coûteux (18 euros également). Deuxième principe : un ticket modérateur limité à 10 % en médecine de ville. Les participations et autres franchises ne sont pas remboursées, comme le prévoient les contrats responsables et solidaires pour les complémentaires santé. Pour les médicaments, le régime module sa participation : ceux que la sécurité sociale rembourse à 30 % et 65 % sont finalement pris en charge à 80 % et 90 % ; en revanche, le régime a décidé de ne pas contribuer à la prise en charge des médicaments à vignette orange, remboursés à 15 % par le régime général, et dont le service médical rendu est faible ou insuffisant. Les prestations se cantonnent dans la limite du tarif opposable de la sécurité sociale, ce qui exclut les dépassements d'honoraires et limite la prise en charge des frais dentaires ou d'optique, ainsi que des dispositifs médicaux.
Le régime n'assure directement aucune opération financière auprès de ses assurés. Les Urssaf et les organismes qui versent des revenus de remplacement, par exemple l'Agirc-Arrco, prélèvent les cotisations et les caisses primaires d'assurance maladie affilient les assurés et leur versent les prestations en même temps que les remboursements au titre du régime de base. De ce fait, les charges de fonctionnement, forfaitaires, sont très faibles : environ 1 % des dépenses.
Cela explique en partie la situation financière favorable du régime. Il s'agit d'un « petit » régime en termes budgétaires : en 2010, ses charges se sont élevées à 453 millions d'euros, ses produits à 461 millions ; l'excédent de 8 millions représente 1,7 % des dépenses. Dans le courant des années 80, ce régime était plutôt en déficit et a failli disparaître. Son nouveau statut, mis en place en 1994-1995 en partie grâce à un rapport de 1992 de notre commission, lui a donné une large autonomie de gestion mais a fixé un cadre prudentiel strict, garantissant des réserves minimales et organisant sa régulation. Le fonds de réserve doit être au moins égal à 8 % des prestations versées. Les capitaux propres accumulés grâce à une gestion prudente, 270 millions d'euros fin 2010, permettent au régime de mener une politique contracyclique : le récent abaissement du taux de cotisation a allégé en pleine crise les prélèvements sur les salariés et retraités. Or, le rapport de la Cour des comptes montre clairement que le régime général n'est pas moins déficitaire en Alsace-Moselle qu'ailleurs en France : les consommations de soins y sont comparables, même s'il existe quelques différences dans l'offre et l'état de santé de la population. L'excédent du régime complémentaire tient à l'équilibre entre les prestations versées et les produits perçus à moyen terme.
Le rôle joué par le conseil d'administration, qui est loin d'être une chambre d'enregistrement, constitue l'une des particularités du régime. Dans la limite des tarifs de la sécurité sociale, il fixe la liste des prestations prises en charge et le taux de leur remboursement : il a par exemple décidé de ne pas prendre en charge les médicaments à service médical rendu faible ou insuffisant. Il fixe le taux des cotisations, dans une fourchette comprise entre 0,75 % et 2,5 %. Il a baissé le taux cette année, après avoir décidé en 2002 d'appliquer un taux unique, quelle que soit la nature des revenus. Il détermine même la nature des avantages vieillesse et des autres revenus de remplacement à soumettre à cotisations et les exonérations éventuelles. Il peut aussi décider de financer des programmes de santé publique et des expérimentations relatives aux réseaux de soins. Il participe donc à la gestion du risque et a su tirer partie de son autonomie pour lancer des expériences.
Ne nous leurrons pas sur la possibilité de transposer tel quel, au niveau national, ce régime, héritier d'une culture et d'une histoire particulières. Toutes choses égales par ailleurs, cela impliquerait d'augmenter de 1,5 % les cotisations salariales, pour des prestations qui correspondent grosso modo aux tarifs de la sécurité sociale. En outre, l'imbrication complète dans le régime de base permet de réduire les coûts de fonctionnement. Les autres organismes complémentaires affichent des frais plus élevés parce qu'ils gèrent les remboursements et doivent nécessairement développer une politique commerciale. Les prestations varient selon les organismes et les contrats : le régime de base ne pourrait donc assurer le versement des prestations complémentaires facultatives.
Cependant, je crois utile de lancer un débat peut-être iconoclaste : pourquoi ne pas envisager de créer un régime complémentaire obligatoire d'assurance maladie géré par les partenaires sociaux dans un cadre prudentiel strict, comme cela existe pour la vieillesse ? L'impact d'une telle réforme devrait être pleinement mesuré : elle réduirait les compétences des organismes complémentaires ; elle supposerait une hausse des prélèvements obligatoires, éventuellement compensée par une baisse des cotisations aux complémentaires santé ; elle ne règlerait pas à elle seule, sauf à dégager des financements importants, la question de l'optique et du dentaire. Cette solution présenterait toutefois un avantage par rapport à l'élargissement du régime de base : l'instance de gestion aurait pour obligation, comme l'Agirc-Arrco, d'équilibrer les comptes en s'appuyant éventuellement sur un fonds de réserve. Un tel régime à l'échelle nationale n'aurait-il pas nécessairement un impact positif sur la régulation des dépenses de santé ?
Enfin, un régime de ce type est plus redistributif qu'une protection facultative. L'étude de la Cour des comptes montre clairement que le régime local d'Alsace-Moselle est plus intéressant pour les salariés aux revenus les plus faibles, les familles avec des enfants et les retraités, et plus onéreux qu'un système complémentaire facultatif intégral pour les célibataires et les salariés aux revenus élevés.
Comme l'a rappelé notre rapporteure, les frais de gestion du régime local sont très bas, de l'ordre de 1 %. Par comparaison, ceux des mutuelles s'élèvent à 22 %, soit 7 milliards sur 33 milliards d'euros de dépenses ! C'est l'équivalent de l'une des niches signalées par la Cour des comptes.
Soyons objectifs. Comme c'est le cas pour tous les régimes particuliers, les bénéficiaires du régime local d'Alsace-Moselle y sont attachés, mais je note que certains habitants en sont exclus, comme les fonctionnaires, les exploitants agricoles et les indépendants. Le total des cotisations au régime général et au régime local est supérieur à ce que paie un assuré bénéficiant d'une complémentaire, à couverture égale. Sans doute les frais de gestion sont-ils faibles. Mais les Français sont attachés à l'existence de diverses couvertures complémentaires et la concurrence est salutaire. Il faudrait aussi veiller à introduire plus d'équité entre les salariés des grandes entreprises, qui bénéficient des conventions collectives et des régimes complémentaires « de groupe », et ceux des petites entreprises qui doivent souscrire à leurs frais un contrat auprès d'une complémentaire - et qui sont imposés sur la totalité de leur salaire, alors que les cotisations aux régimes « de groupe » sont défiscalisées.
Vous avez dressé un tableau très flatteur du régime alsacien-mosellan, mais la conjoncture est exceptionnelle : c'est la première fois en vingt ans, à ce que je sais, que le taux de cotisation diminue. Permettez-moi d'être dubitatif sur cette prétendue politique « contracylique »... Si la consommation de soins augmente de nouveau, pour reconstituer ses réserves, le régime devra relever le niveau des cotisations.
Certaines questions restent sans réponse. Pour ceux qui ne bénéficient pas du régime local, les résultats comptables de l'assurance maladie ne sont pas meilleurs que dans le reste du pays. On ne sait pas non plus dans quelle mesure l'offre de soins - importante à Strasbourg - contribue à l'augmentation des dépenses. Rien n'est fait pour lutter contre les dépassements d'honoraires.
Il faut certes rappeler les atouts de ce régime et examiner dans quelle mesure ils peuvent ou non être transposés sur le plan national. La rapporteure a rappelé certains faits qui peuvent alimenter notre réflexion en vue d'une refonte globale de notre protection sociale, dont on ne sait encore si elle sera le fait d'un référendum ou d'une nouvelle majorité...
La rapporteure a expliqué pourquoi les frais de gestion du régime local sont si faibles. Les mutuelles ne fonctionnent pas dans les mêmes conditions.
J'ai entendu que si le régime local était transposé sur le plan national, cela impliquerait une hausse de 1,5 % des cotisations pour des prestations correspondant peu ou prou aux tarifs de la sécurité sociale. N'est-ce pas paradoxal ?
Il faut tenir compte du ticket modérateur. Pour les bénéficiaires du régime local, l'hospitalisation est remboursée à 100 %, les soins de ville à 90 %.
C'est juste. Mais que diraient les Français si les vignettes orange à 15 % n'étaient plus remboursées, comme l'a décidé le régime d'Alsace-Moselle ?
Comme je vous le disais, elles sont remboursées par le régime général mais le régime local n'apporte aucun complément.
Quant aux mutuelles, il est normal que leurs frais de gestion soient supérieurs, car elles versent elles-mêmes des prestations, d'ailleurs variables. Les primes sont calculées différemment. On voit donc bien que la concurrence a aussi un coût.
La cotisation au régime local avait déjà baissé en 2000 et 2007, monsieur Husson.
Si les dépassements sont plus élevés que la moyenne en Alsace, cela s'explique par des raisons historiques. La présence d'une faculté de médecine à Strasbourg conduit de nombreux spécialistes à s'installer dans la région. C'est moins vrai en Moselle.
La rapporteure a parlé de créer un régime complémentaire obligatoire au niveau national. Pourrait-elle nous en dire davantage ?
Il suffit de lire la presse pour constater que c'est l'une des solutions envisagées pour continuer à financer la protection sociale.
Je voulais lancer ce débat et je donne des éléments de réflexion dans mon rapport, mais ce n'est pas le moment d'entrer dans le détail. La campagne présidentielle est l'occasion pour les candidats de faire des propositions pour que les plus modestes bénéficient de la solidarité nationale.
Ne perdons pas de vue le sujet du rapport d'information. Ce débat pourra avoir lieu dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss).
La commission adopte le rapport d'information de Mme Patricia Schillinger et en autorise la publication.
La commission examine ensuite le rapport de Mme Patricia Schillinger sur la proposition de loi n° 3977 (AN, XIIIe législature) relative à la gouvernance de la sécurité sociale et à la mutualité.
Cette proposition de loi, pompeusement intitulée « relative à la gouvernance de la sécurité sociale et à la mutualité », traite en fait de quatre sujets relativement techniques. Elle a été adoptée avant-hier à l'Assemblée nationale, mais ses dispositions sont connues depuis assez longtemps déjà.
Il s'agit d'abord de créer en Alsace-Moselle une caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat). Entre 1960 et 2009, les caisses régionales d'assurance maladie (Cram) comportaient en France métropolitaine une branche vieillesse, qui prenait en charge ce risque pour le compte de la caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav). Cette dénomination pouvait d'ailleurs prêter à confusion. Pour des raisons historiques, 1'Alsace-Moselle est le seul territoire à disposer d'une caisse régionale d'assurance vieillesse (Crav) en plus d'une Cram spécifiquement dédiée à l'assurance maladie. L'Ile-de-France fait également figure d'exception, puisque c'est la Cnav elle-même qui y est responsable de la prise en charge des bénéficiaires.
En décembre 2008, les conseils d'administration de la Cram et de la Crav d'Alsace-Moselle ont amorcé un rapprochement et adopté le principe d'une direction commune ; en mars 2010, ils ont voté le principe d'une fusion complète. Entre-temps, la loi HPST a transféré certaines compétences des Cram vers les nouvelles agences régionales de santé et les a remplacées par des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat). Je ne reviens pas sur les débats parfois agités que nous avons eus alors, y compris sur le nom des nouvelles caisses.
En conséquence, l'article 1er de la proposition de loi organise la fusion entre la Cram et la Crav, ainsi que la création d'une Carsat. Cette mesure de simplification renforcera l'identité du territoire et du droit local, améliorera le fonctionnement des structures et évitera toute concurrence au détriment des assurés, notamment en ce qui concerne l'action sociale et la santé au travail. Comme pour les autres Carsat, le conseil d'administration sera composé de vingt et un membres, soit huit représentants des salariés, huit représentants des employeurs, un représentant de la mutualité française et quatre personnalités qualifiées. La seule différence réside dans le fait que l'une de ces personnalités qualifiées devra représenter l'instance de gestion du régime local d'assurance maladie complémentaire.
S'agissant ensuite du champ territorial des bénéficiaires du régime local d'assurance maladie complémentaire d'Alsace-Moselle, la proposition de loi accorde la théorie avec la pratique. Le code de la sécurité sociale autorise en effet l'affiliation au régime local des salariés travaillant hors d'Alsace-Moselle pour une entreprise qui y a son siège ; mais cette mesure est trop complexe pour avoir jamais été mise en oeuvre. A l'initiative des instances du régime local, il est donc proposé de la supprimer. Toutefois, le régime local agricole a souhaité la conserver, car il a un nombre d'assurés très faible : un peu plus de 40 000. La proposition de loi préserve donc le droit en vigueur pour les salariés agricoles et forestiers.
Troisième sujet : le conseil d'administration du régime social des indépendants (RSI). Créé en 2006, le RSI regroupe les artisans, les commerçants et les professions libérales. Les membres des conseils d'administration des trente caisses de base élisent les cinquante membres du conseil d'administration de la caisse nationale, qui fédère le réseau. Dans sa version initiale, la proposition de loi prévoyait que le conseil d'administration de la caisse centrale serait dorénavant composé par les présidents des caisses de base, eux-mêmes élus, et par des personnalités qualifiées désignées par l'Etat. Cette mesure aurait certainement rendu plus efficace la gestion de la caisse centrale, mais elle aurait réduit la représentation des professions libérales. En outre, la rédaction renvoyait au pouvoir réglementaire le soin de déterminer le nombre et le type des personnalités qualifiées. Finalement, à l'initiative de son rapporteur Yves Bur qui était pourtant l'auteur de la proposition de loi, l'Assemblée nationale a supprimé cette disposition. Elle a toutefois conservé la prorogation du mandat des administrateurs des caisses de base jusqu'au 30 novembre 2012, pour éviter tout « télescopage » avec les élections présidentielle et législatives.
Dernier point : les comités régionaux de coordination de la mutualité (CRCM) et le conseil supérieur de la mutualité. Les CRCM sont des instances consultatives du secteur de la mutualité, élues pour six ans par les mutuelles. La partie réglementaire du code de la mutualité leur accorde de très nombreuses compétences mais, étrangement, le ministère de la santé m'a indiqué qu'ils ne se sont pas réunis depuis plusieurs années et que leur activité est très faible. La restructuration du secteur mutualiste et l'ordonnance de janvier 2010, qui a créé l'autorité de contrôle prudentiel, ont ôté tout sens à leur existence, et la proposition de loi les supprime.
Les comités régionaux élisaient les membres du conseil supérieur de la mutualité, instance consultative nationale dont le fonctionnement laisse lui aussi à désirer : selon les informations qui m'ont été fournies, il ne s'est plus réuni en formation plénière depuis 2006 ! Or le secteur de la mutualité est très organisé au niveau professionnel et la fédération nationale de la mutualité française (FNMF) y est très majoritaire : elle regroupe six cents mutuelles de santé qui couvrent trente-huit millions de personnes, et représenterait ainsi 95 % des mutuelles. Il existe un dialogue permanent avec les autorités publiques, ce qui est le rôle de ces instances de consultation. Voilà pourquoi le texte prévoit que les membres du conseil ne seront plus élus mais désignés par les organisations professionnelles ; les critères de représentativité seront fixés par décret en Conseil d'Etat. Cette mesure de simplification, soutenue tant par le ministère de la santé que par la mutualité française, allégera en outre les coûts administratifs. Dans ce secteur, les organisations professionnelles sont de toute façon très représentatives. Cependant, je ne méconnais pas la nécessité de faire vivre la démocratie dans le secteur mutualiste, pour préserver cette forme d'organisation économique et sociale qui repose sur une finalité non lucrative.
Les trois articles de cette proposition de loi ont déjà été adoptés par le Parlement à l'occasion de la loi « Fourcade », puis censurés par le Conseil constitutionnel pour des raisons de forme. L'article 1er a été une seconde fois approuvé par les deux assemblées dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, à l'initiative de plusieurs sénateurs socialistes, mais censuré derechef par le Conseil qui a estimé qu'il n'entrait pas dans le champ d'une loi de financement. Nous sommes plusieurs à avoir déposé une proposition de loi reprenant cette réforme consensuelle, que tous les parlementaires alsaciens-mosellans souhaitent voir aboutir aussi tôt que possible. Je vous propose donc d'adopter la proposition de loi sans modification.
Il est étonnant qu'il failler revenir trois fois à la charge pour faire quelques économies !
Cette proposition de loi ne fait que reprendre des dispositions déjà votées, et c'est pourquoi nous avions pensé un temps l'examiner selon une procédure simplifiée. Mais il n'est pas mauvais de reprendre le débat. Ce texte sera le dernier de la session dont la commission des affaires sociales ait été saisie au fond. Le groupe CRC réserve sa position jusqu'à son examen en séance.
La proposition de loi est adoptée sans modification.
La commission examine enfin la proposition de résolution européenne n° 325 (2011-2012) portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2005/36/CE relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles et le règlement concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur (Mme Christiane Demontès, rapporteure).
La procédure comme le sujet de cette proposition de résolution peuvent paraître hermétiques, mais je vais tâcher d'être aussi claire que possible... Le 19 décembre, la Commission européenne a adopté une proposition de directive relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, qui doit être adoptée selon la procédure législative ordinaire, c'est-à-dire par décision conjointe du Parlement européen et du Conseil. Elle a été envoyée pour avis aux autres institutions européennes et aux Parlements nationaux, dont les pouvoirs ont été notablement renforcés par le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009. Ceux-ci procèdent désormais à deux examens successifs de chaque texte communautaire : d'abord au contrôle du respect du principe de subsidiarité, dans un délai de huit semaines après la publication du texte dans toutes les langues officielles ; puis à l'examen au fond, que nous pratiquons depuis de nombreuses années et qui découle en France de l'article 88-4 de la Constitution. Mon intervention d'aujourd'hui s'inscrit dans le cadre du contrôle de la subsidiarité : c'est la première fois que notre commission s'y livre. La commission des affaires européennes a déjà examiné ce texte et a adopté à l'unanimité, à l'initiative de Jean-Louis Lorrain, la proposition de résolution qui nous est soumise.
Le principe de subsidiarité a été inscrit dans les traités européens dès Maastricht en 1992, à la demande des Länder allemands, concomitamment à l'augmentation des compétences transférées au niveau européen. Aujourd'hui, l'article 5 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit que « dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les Etats membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union ». Il s'agit donc de définir le niveau adéquat où doivent être adoptées les décisions publiques. Le traité de Lisbonne comprend également en annexe un long protocole qui organise la procédure d'examen et de contrôle de la subsidiarité.
L'article 12 du traité sur l'Union européenne prévoit que les Parlements nationaux contribuent activement au bon fonctionnement de l'Union, notamment en veillant au respect du principe de subsidiarité. A cette fin, ils peuvent adopter des « avis motivés », qui prennent en France la forme de résolutions. Plus le nombre de Parlements nationaux adoptant un avis motivé sur un même projet d'acte législatif est élevé, plus les obligations incombant à la Commission européenne sont importantes : s'ils représentent un tiers des Etats, le texte doit être réexaminé, ce qui ne préjuge pas de la suite donnée à ce réexamen ; s'ils en représentent la moitié, la Commission doit réexaminer son texte puis, si elle le maintient, le Parlement européen et le Conseil doivent eux-mêmes vérifier sa conformité au principe de subsidiarité. En France, la Constitution a été révisée en février 2008 pour permettre la ratification du traité de Lisbonne, notamment en ce qui concerne le nouveau rôle du Parlement ; la procédure du contrôle de la subsidiarité figure désormais à l'article 88-6. Ce n'est qu'en janvier 2011 que le Sénat a modifié son Règlement en conséquence. Selon le nouvel article 73 octies, tout sénateur peut déposer une proposition de résolution relative à la subsidiarité ; elle est alors renvoyée à la commission des affaires européennes, qui peut également en adopter une de sa propre initiative - c'est le cas ici. La proposition est ensuite transmise à la commission permanente compétente au fond, qui peut soit s'en saisir formellement pour statuer définitivement, dans le même sens ou dans un sens différent, soit considérer qu'elle lui convient en l'état et ne pas s'en saisir, ce qui la rend définitive après un certain délai et la transforme en résolution du Sénat. A tout moment de la procédure, le président d'un groupe politique peut demander l'examen de la proposition en séance publique. Une fois adoptée, la résolution est envoyée par le Président du Sénat aux institutions européennes : procédure atypique car, traditionnellement, le Parlement national interagit avec son propre gouvernement et non avec les instances communautaires.
J'en viens maintenant à la proposition de directive. La libre circulation des travailleurs est l'un des fondements de la construction européenne depuis le traité de Rome de 1957. De nombreux obstacles s'y sont opposés, comme la réglementation de certaines professions dans les différents Etats. Pour les surmonter, les institutions européennes ont adopté au fil des ans de nombreuses directives assurant la reconnaissance des qualifications professionnelles entre les Etats membres, par le biais d'équivalences entre formations et diplômes.
Pour certaines professions, notamment médicales et paramédicales, des directives sectorielles ont même approuvé le principe d'une reconnaissance automatique d'une liste de diplômes moyennant des conditions minimales de formation. Puis, en 2005, une directive est venue consolider cet ensemble de textes épars ; la proposition de directive qui nous est soumise vise, quant à elle, à « moderniser » et à « simplifier » les mécanismes actuels.
Celle-ci prévoit de créer une carte professionnelle européenne, distincte des modes de reconnaissance actuels, dématérialisée et délivrée dans des délais extrêmement courts, permettant de prouver que le demandeur remplit toutes les conditions pour s'installer dans un autre Etat ou y travailler temporairement. Ce dispositif tend à renforcer le rôle de l'Etat d'origine du demandeur par rapport à celui d'accueil, qui ne serait, dans un certain nombre de cas, qu'informé de la validation de cette carte.
Outre les difficultés de fond soulevées par ce dispositif, la commission des affaires européennes a estimé que l'ensemble du texte manquait de clarté, ce qui constitue en soi une atteinte au principe de subsidiarité.
De plus, l'accès partiel à une profession, notion introduite par le texte, serait possible : si une activité peut être « objectivement » séparée au sein d'une profession réglementée, l'Etat d'accueil devra autoriser l'installation d'une personne pour qu'elle pratique cette seule activité. Une mesure de sauvegarde « pour une raison impérieuse d'intérêt général telle que la santé publique » est prévue, mais les termes employés laissent la place à bien des interprétations.
Au final, cette possible fragmentation des professions de santé pourrait porter atteinte à la continuité et à la qualité des soins, ainsi qu'à l'organisation même de notre système sanitaire, les activités des professionnels pouvant être très différentes selon les Etats membres.
Troisième modification sensible, le texte propose de restreindre le contrôle des compétences linguistiques, qui n'interviendrait qu'après la reconnaissance des qualifications, ce qui menacerait la sécurité des patients. Cependant, il est en principe possible de le conserver pour tous les professionnels de santé, mais dans un cadre limité.
Il ressort des contributions des ordres professionnels adressées à notre collègue Jean-Louis Lorrain la nécessité de veiller à l'impératif de sécurité des patients, la confiance de nos concitoyens envers le système de santé ne pouvant s'accommoder d'une moindre qualité du contrôle des connaissances de la langue française, moindre qualité qui présenterait des risques trop importants au regard du simple enjeu de la mobilité des travailleurs.
La proposition de résolution met donc en évidence ces trois atteintes portées au principe de subsidiarité : le manque de clarté et la complexité du texte, le principe de l'accès partiel aux professions et la restriction du contrôle des connaissances linguistiques. Nous pouvons souscrire à cette analyse tout en proposant de compléter la proposition de résolution sur certains points.
En effet, la proposition de la Commission européenne tend à créer deux procédures, « le cadre commun de formation » et « l'épreuve commune de formation », pour introduire une plus grande automaticité dans la reconnaissance des qualifications à partir du moment où un tiers des Etats membres le souhaitent. Cette mesure n'est pas claire et pourrait contraindre un Etat à participer à un processus de reconnaissance mutuelle de contenus de formation qu'il ne souhaite pas. Elle pourrait en particulier s'appliquer à des professions de santé non réglementées par la directive, telles que les ostéopathes, les chiropracteurs ou les psychothérapeutes.
La proposition de directive élargit aussi le champ de la directive de 2005 aux « stages rémunérés », définis comme « l'exercice d'une activité rémunérée et encadrée, dans la perspective d'accéder à une profession réglementée à la suite d'un examen », en contradiction avec l'article 165 du traité sur le fonctionnement de l'Union, aux termes duquel l'éducation est une simple politique d'appui pour l'Union. Cela touche à la distinction entre formations initiale et continue qui n'est pas identique dans tous les Etats membres.
La proposition autorise par ailleurs très largement la Commission européenne à adopter des actes de portée générale pour compléter ou modifier certains éléments non essentiels du texte. Cette procédure des actes délégués, prévue par les traités, doit être appliquée avec prudence pour respecter le principe de subsidiarité. Or, du fait de rédactions lapidaires, nous ne pouvons pas réellement mesurer la portée de certaines délégations : la Commission pourrait par exemple, selon une lecture extensive du texte, intervenir dans la définition de la formation médicale de base ou dans celle des infirmiers, sages-femmes, dentistes et pharmaciens.
Enfin, le principe de proportionnalité, partie intégrante de la subsidiarité selon l'article 5 du traité et la Cour de justice de l'Union européenne, n'est pas respecté, plusieurs dispositions du texte excédant manifestement le nécessaire, notamment en ce qu'elles demandent aux Etats membres de fournir à la Commission européenne nombre de rapports de notification et d'évaluation, y compris sur des sujets étrangers à la directive tels que la formation continue des professionnels de santé. Ce point mérite d'être précisé.
En dépit du caractère aride du sujet, nous avons bien saisi l'intérêt de la procédure et toute l'importance de ce texte, notamment pour les professions non déjà réglementées par la directive.
Au-delà de la question de subsidiarité, il est indispensable de poursuivre nos travaux sur le fond de la proposition de directive, ce qui pourrait aboutir à une résolution prise dans le cadre, cette fois, de l'article 88-4 de la Constitution.
Bien que ce texte ne devrait pas être adopté par le Parlement européen avant l'année prochaine, restons vigilants et intervenons le plus en amont possible, notamment auprès de la Commission européenne, en lien avec le SGAE et le ministère de la santé, qui ont besoin de points d'appui au Parlement. Nous ne connaissons que trop bien les difficultés posées par des textes dont nous ne prenons connaissance qu'une fois définitivement adoptés et que l'on nous demande de transposer en droit national sans pouvoir les modifier.
Ayant été membre de la commission des affaires européennes, il m'avait effectivement semblé que nous pourrions nous intéresser davantage à ces questions de subsidiarité. Cette présentation nous donne envie de poursuivre le travail, y compris sur d'autres textes.
A moi aussi ! S'agissant de cette résolution, je vous propose d'adopter le texte issu de la commission des affaires européennes en le complétant sur les points indiqués.
Jean-Louis Lorrain m'ayant fait parvenir une note relative à ses travaux, allant dans le même sens que ce qui vient d'être présenté, nous ne pourrons qu'être favorables à votre proposition.
La carte professionnelle européenne existe-t-elle déjà ou est-ce une innovation du texte ?
Non, elle ne vise qu'à la mobilité des travailleurs au sein de l'Europe, ce document dématérialisé, attribué dans des délais très courts, devant favoriser l'accès à l'exercice professionnel dans le pays d'accueil.
Effectivement, si le principe d'une carte professionnelle européenne n'est pas mauvais en soi, plusieurs questions de fond se posent au-delà du problème de subsidiarité. Comment sera-t-elle délivrée ? Quel sera son contenu ? Comment sera-t-elle validée par le pays d'accueil ? Il nous faudra examiner ces questions.
D'où le projet, au-delà du complément apporté à la présente résolution relative à la subsidiarité, d'adopter une autre résolution abordant le fond.
Les personnels directement recrutés par des établissements hospitaliers pour un emploi ou pour un stage seront-ils eux aussi soumis à cette procédure de carte professionnelle ?
Oui, comme les autres professionnels, étant entendu qu'il n'est question ici que de mobilité professionnelle interne à l'Union européenne. Cette procédure complétera celles qui existent aujourd'hui, elle ne s'y substituera pas.
La clarté de l'exposé incite notre commission des affaires sociales à aller plus loin, d'autant plus que les nouveaux alinéas sur les compétences en matière d'éducation et sur les actes délégués proposés par la rapporteure mettent en évidence à quel point ce texte peut avoir des conséquences lourdes. Ce hors-d'oeuvre nous donne envie d'aborder le plat de résistance !
Si certains problèmes, notamment linguistiques, peuvent se régler sans trop de difficulté, il conviendra d'être particulièrement attentif à la question de l'homogénéité de la formation des professionnels, ainsi qu'à la situation des praticiens hospitaliers. Existe-t-il une carte professionnelle spécifique à ces derniers ou tout détenteur d'une carte pourrait-il accéder à ces emplois ?
Surtout, soyons très vigilants aux problèmes de fraudes qui pourraient survenir si nous allions trop vite.
Comment le principe, en soi acceptable, d'une carte professionnelle européenne sera-t-il mis en oeuvre ? Je sais d'expérience qu'il faudra être vigilant, notamment sur la question du contrôle des formations reçues par ces professionnels.
La poursuite de nos travaux est nécessaire, en particulier pour les professions situées hors du champ de la directive, telles que les ostéopathes, dont les formations sont extrêmement hétérogènes. Si toutes ces différences étaient fondues au sein d'une grande carte professionnelle européenne, nous exposerions notre sécurité sanitaire et la santé de nos malades à des surprises fort désagréables.
Il deviendra résolution du Sénat dans trois jours et sera ensuite transmis par le Président Bel aux institutions européennes.
Je vous communiquerai très prochainement le programme de nos travaux sur le fond de ce texte pour ceux qui souhaiteront s'y associer.
La proposition de résolution est adoptée, à l'unanimité, dans sa version issue des travaux de la commission.
Aucun amendement sur ce texte n'est venu s'ajouter à la question préalable que nous avons adoptée hier.
A propos du transport aérien, permettez-moi de vous indiquer qu'un mouvement de grève des personnels, dont j'ai été aussi victime, a bloqué l'aéroport d'Orly ce matin, ce qui a créé de très importants retards pour les passagers et suscité aussi une grande colère chez les chauffeurs de taxi.