Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 19 janvier 2012 : 1ère réunion
Organisation des travaux de la délégation

Photo de Brigitte Gonthier-MaurinBrigitte Gonthier-Maurin, présidente :

Pour cette première réunion de travail, je vous propose de procéder à un échange de vues sur nos travaux à venir.

Un mot, tout d'abord, de leur organisation. Nos réunions pourraient se poursuivre le jeudi matin, créneau de principe qui doit faciliter la gestion de nos agendas et présente l'avantage de n'empiéter ni sur les réunions de groupe, ni sur celles des commissions permanentes et a donné satisfaction dans le passé. Ce qui ne nous interdit pas d'y déroger, ainsi que ce pourrait être le cas pour l'audition de Mme Roselyne Bachelot, à qui j'ai demandé de venir nous exposer la politique de son ministère en faveur des femmes, en particulier en matière d'égalité professionnelle et salariale et de lutte contre les violences à leur encontre, et qui devrait avoir lieu courant février, en fonction de ses disponibilités. L'urgence législative pourra également nous conduire à déroger à la règle du jeudi matin.

Quant à la périodicité de nos réunions, elle gagnerait, pour plus de prévisibilité, à être régulière - hebdomadaire ou tous les quinze jours - étant entendu que durant la période préélectorale qui verra la suspension de nos travaux en séance publique, elle saura s'adapter à vos disponibilités.

J'en viens au choix de notre thème annuel de travail. Vous savez que notre délégation s'attache, depuis sa création, à approfondir chaque année un sujet d'étude lié aux droits des femmes et à l'égalité entre les genres. Ce rapport d'information qui dresse des constats et formule des recommandations est intégré à notre rapport d'activité.

Après en avoir parlé avec les membres de notre bureau représentant nos différentes sensibilités politiques, je vous propose de retenir un thème sur « les femmes et le travail ». Le mouvement d'émancipation des femmes est un des faits majeurs de ces cinquante dernières années et leur entrée dans le monde du travail y a puissamment contribué en leur permettant d'accéder à l'autonomie financière. A ce titre, le travail est aujourd'hui, me semble-t-il, au coeur des préoccupations de nos concitoyennes et il me paraît légitime d'aborder ce thème de façon globale, y compris dans sa dimension anthropologique.

L'accès des femmes au travail s'est considérablement développé au cours des cinquante dernières années, mais on peut se demander si cette dynamique ne marque pas, aujourd'hui, le pas. Même s'il a beaucoup progressé, le taux d'activité des femmes, de 84 %, reste inférieur à celui des hommes, qui atteint 95 %. L'écart se creuse encore si l'on s'attache à mesurer le taux d'activité des parents de trois enfants ou plus dont un de moins de trois ans : il est alors de 96 % pour les hommes et de 40 % seulement pour les femmes.

Surtout, les femmes sont beaucoup plus touchées que les hommes par le sous-emploi. D'après l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), elles représentaient, en 2009, 82 % des salariés à temps partiel et cette situation est plus souvent subie que choisie.

La crise économique que nous traversons a accentué ces distorsions. On a pu avoir l'impression, dans un premier temps, qu'elle affectait davantage l'emploi masculin. Mais des économistes, comme Françoise Milewski, ont montré que l'emploi féminin n'avait mieux résisté qu'en apparence car, pour les femmes, la crise s'est surtout traduite par une forte augmentation du taux d'emploi à temps partiel, par une réduction du nombre d'heures travaillées et par le développement des horaires flexibles avec, pour conséquence, une montée de la précarité et de la pauvreté. Ces femmes en sous-emploi sont celles qui sont le moins qualifiées, souvent employées dans le nettoyage, l'entretien-ménage, le gardiennage, la grande distribution. Elles ont souvent des horaires courts, atypiques, pas toujours maîtrisés, cumulent plusieurs emplois et lieux de travail. Les conditions de travail et de recherche d'emploi sont telles que l'on peut à bon droit parler d'un processus déshumanisant. Le livre de Florence Aubenas, Le quai de Ouistreham, que vous avez peut-être lu, me paraît, de ce point de vue, très éclairant : le monde de la précarité qu'elle décrit est très largement féminin.

Bien sûr, à l'autre extrémité du spectre social, certaines femmes, encore trop peu nombreuses, parviennent à briser le « plafond de verre » et à accéder à des responsabilités de direction. La loi du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des conseils d'administration devrait y contribuer. Mais ces réussites individuelles ne se diffusent pas nécessairement au reste de la société. Les rémunérations des femmes restent inférieures de 27 % en moyenne à celles des hommes. Leurs carrières ne progressent pas comme celles des hommes, et sont souvent incomplètes.

De surcroît, alors que nos compatriotes restent très attachées au travail et aux valeurs qu'il représente - toutes les enquêtes d'opinion le confirment - de nouvelles normes apparaissent, qui suscitent bien des interrogations. La volonté des entreprises de se doter d'une organisation du travail plus flexible et plus diversifiée se traduit par le développement d'horaires atypiques d'autant plus défavorables à l'articulation entre vie privée et vie professionnelle qu'ils sont, dans l'ensemble, peu anticipés.

Cette organisation du travail émergente peut aussi créer une distorsion entre le goût du travail bien fait et les exigences sans cesse accrues de productivité et de rentabilité financière. Cette distorsion est au coeur de ce que le sociologue Yves Clot appelle « la qualité empêchée » et des risques psychosociaux qui l'accompagnent : stress, dépressions, voire vagues de suicides, qui en sont les manifestations les plus dramatiques. Or, comme le montre une étude récente du Centre d'analyse stratégique, les femmes, qui sont moins exposées aux cancers professionnels, le sont en revanche davantage aux risques psychosociaux.

Ces évolutions ne sont pas de simples épiphénomènes. Comment les femmes, confrontées à l'inégalité dans la société comme au travail, seraient-elles épargnées ? D'autant qu'en matière familiale et domestique, le partage et la « déspécialisation » des tâches entre conjoints est loin d'avoir significativement avancé.

Vue de l'extérieur, la situation des femmes au travail peut revêtir les apparences d'un accomplissement, mais à y regarder de près, on constate qu'elles ont à supporter un lourd et contraignant cumul de charges quotidiennes. Quant aux moins qualifiées, à celles qui sont au chômage, à celles qui sont exclues du marché du travail, elles sont confrontées à une grande précarité, exposées à la pauvreté.

La question de leur indépendance financière résonne bien de ce fait comme une question sociale.

Réduire significativement les inégalités et les discriminations, relancer la dynamique d'émancipation conduit à s'interroger sur la place des femmes dans l'emploi, la nature, la place, le rôle du travail dans la reprise forte d'un mouvement d'émancipation, mais aussi sur ce que peut faire la société pour rendre possible ce mouvement.

C'est ce à quoi je vous propose de travailler.

Ce thème est, il est vrai, très large, et j'ai bien conscience qu'un rapport parlementaire doit, pour être utile et constructif, déboucher sur des propositions concrètes. C'est pourquoi, après avoir pris l'attache de quelques universitaires référents pour identifier les lignes de force de cette problématique, je demanderai au bureau de la délégation de délimiter le champ et la visée de notre étude.

Ce travail de l'année ne doit pas nous faire oublier les autres thématiques sur lesquelles nous devons rester mobilisés, en particulier lorsque l'actualité législative le requiert.

C'est ainsi que, la semaine dernière, nous avons consacré notre première réunion de l'année à une table ronde avec une quinzaine d'associations dans la perspective de l'examen, cet après-midi, de la proposition de loi de notre collègue Muguette Dini, tendant à allonger les délais de prescription pour les agressions sexuelles autres que le viol. Les arguments que les responsables de ces associations ont évoqués en faveur de l'adoption de la proposition de loi ont contribué à faire évoluer ma réflexion sur ce sujet et j'espère qu'un certain nombre d'entre nous pourront s'en faire l'écho dans les débats. Il me paraît important que nous puissions relayer la parole de ces associations car, vous le savez, la commission des lois, suivant son rapporteur, a donné un avis défavorable à l'adoption de la proposition de loi.

D'autres textes devraient solliciter notre attention dans les jours et les semaines qui viennent. Je vous ai déjà alertés sur l'article 41 du projet de loi relatif à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, qui impose au Gouvernement de présenter devant le Conseil commun de la fonction publique un rapport sur les mesures mises en oeuvre pour assurer l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ce doit nous être l'occasion, les 25 et 26 janvier, en séance publique, d'exprimer notre volonté de voir progresser l'égalité professionnelle réelle dans la fonction publique.

La Conférence des présidents a décidé hier soir d'inscrire à l'ordre du jour du 16 février la discussion de la proposition de loi déposée par nos collègues du groupe socialiste relative à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes. Ce sujet est au coeur de nos préoccupations, et si vous en êtes d'accord, je vais demander à la commission des affaires sociales de nous saisir. Nous devrons alors rapidement nous réunir pour désigner un rapporteur.

Notre délégation doit également se montrer attentive au suivi et à l'application des lois que nous avons votées. Je pense plus particulièrement à la loi du 9 juillet 2010 contre les violences faites spécifiquement aux femmes au sein du couple, ainsi qu'à l'article 99 de la réforme des retraites qui a institué une pénalité financière à l'encontre des employeurs qui ne s'acquitteraient pas de leurs obligations en matière d'égalité professionnelle et salariale. Ce sont deux sujets importants que nous devrons aborder lors de l'audition de Mme Bachelot.

La problématique de l'égalité professionnelle est, en quelque sorte, connexe à notre thème de travail. Nous aurons en outre l'occasion de l'évoquer à l'occasion de la proposition de loi déposée par nos collègues socialistes. Faut-il aller plus loin et nous engager dans une évaluation de l'application des différentes lois, parfois anciennes, qui ont été adoptées en ce domaine ? Certes, la nécessité d'un tel bilan se fait aujourd'hui sentir. La délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale a d'ailleurs déjà réalisé un tel travail, qui a fait l'objet d'un rapport publié en juillet 2011. La délégation du Conseil économique, social et environnemental envisage à son tour d'en faire son thème de travail en 2012. Devons-nous, à notre tour, apporter notre contribution, en nous appuyant le cas échéant sur la nouvelle commission chargée de l'application des lois ? Je n'y suis pas hostile, sous réserve que ces travaux ne viennent pas trop grever les moyens humains limités dont nous disposons pour la conduite de notre thème d'étude et à condition que nous ayons au préalable bien identifié les aspects qui n'auraient pas été suffisamment approfondis ailleurs.

Sur l'application de la loi contre les violences, j'ai noté que notre collègue Roland Courteau, vice-président de notre délégation, avait déposé avec ses collègues du groupe socialiste, une proposition de résolution. Si vous en êtes d'accord, je me propose d'adresser un courrier à M. le Président du Sénat pour lui demander d'inscrire la discussion de cette proposition de résolution à l'ordre du jour du Sénat dans les meilleurs délais.

Je terminerai par une dernière information. Le Parlement européen organise, à l'occasion de la Journée internationale de la femme, une réunion interparlementaire à laquelle sont conviées toutes les délégations et commissions chargées des droits des femmes des parlements de l'Union européenne sur le thème « à travail égal, rémunération égale ». Il me paraît important que nous puissions répondre à cette invitation et y envoyer deux de nos membres, représentant respectivement la majorité et l'opposition sénatoriale. Comme je pense y participer, je souhaiterais que l'opposition sénatoriale désigne un candidat pour la représenter à cette manifestation qui aura lieu dans l'hémicycle du Parlement européen, à Bruxelles, le jeudi 8 mars 2012, de 9 heures à 12 h 30.

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