Même si le phénomène de l'hypersexualisation n'a pas pris en France l'ampleur qu'on observe dans certains pays, les facteurs que j'ai cités dans mon intervention, hypersexualisation de la société, retour des stéréotypes dès le plus jeune âge, construction du concept de « préadolescent » et « starisation » des adolescents, sont réunis pour aller dans le mauvais sens.
L'intérêt de ce rapport est de se situer en amont et de permettre une prise de conscience collective qui permette de prévenir le développement du phénomène en France.
Or, il y a encore beaucoup d'efforts à faire concernant la prise de conscience collective. Le magazine « Vogue », à l'origine de cette mission, a circulé en France pendant deux mois sans que personne ne réagisse ! Les professionnels de l'ONED, et ceux de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) m'ont indiqué qu'ils n'avaient pas identifié cette question comme un sujet à risque.
Et je pourrais multiplier les exemples. La France est notamment réputée pour être beaucoup plus tolérante concernant le classement de la dangerosité des films à destination des enfants. A cet égard, le rôle des parents est essentiel. Une enquête menée auprès de 1 600 mères par le site « magicmaman.com » montre que 80 % des mères interrogées considèrent que l'image des petites filles se dégrade et que 95 % d'entre elles estiment que c'est le laxisme des parents qui contribue à l'hypersexualisation des enfants.
Une étude sociologique menée par une étudiante qui a consacré sa thèse au sujet montre que les mères cèdent à la pression des petites filles - notamment pour l'achat de certains accessoires - pour ne pas les « exclure » du groupe auquel elles appartiennent.
Nous avons un gros effort à faire pour responsabiliser les parents. Certaines brochures canadiennes peuvent nous servir d'exemple. Elles proposent aux parents des outils face aux pressions des enfants : pourquoi et comment dire non.
Au-delà des parents, c'est sur le « village social », comme l'appelle Boris Cyrulnik, qu'il faut agir, c'est-à-dire sur les processus de socialisation des enfants.
Les chiffres concernant l'anorexie mentale sont très inquiétants, comme j'ai pu vous le dire, puisqu'on estime au Royaume-Uni que 5 à 7 % des enfants pré-pubères en souffrent.
Il faut trouver des leviers d'action pour lutter contre sa propagation :
- tout d'abord, on pourrait relever à 18 ans l'âge légal du mannequinat ;
- ensuite, comme en Suède, on pourrait interdire aux enfants d'être des égéries de marques ; j'y suis très favorable ;
- enfin, on peut mener des campagnes à destination des jeunes filles pour contrer les messages envoyés par l'industrie du luxe, en proposant, comme au Québec, des modèles de contre-culture, sur le thème « Osez le naturel ».
Concernant le pilotage des études, je vous rejoins sur le choix de l'ONED, même si je crains qu'on ne nous objecte que le champ de la mission de cet organisme est souvent plus restreint, sur le champ familial en particulier.
Concernant les manuels scolaires, je retiens la suggestion de relancer l'évaluation des contenus des manuels scolaires pour en analyser, notamment, les stéréotypes sexistes.
Sur la tenue vestimentaire à l'école, je propose de retenir le terme de « tenue respectueuse » au lieu de « tenue convenable », et cela doit concerner tant les filles que les garçons.
La question des dégâts psychologiques commis par une intrusion précoce de la sexualité chez les enfants a été traitée par Didier Lauru dans son livre intitulé « La sexualité des enfants n'est pas l'affaire des grands ». Ce pédopsychiatre a montré que cette intrusion pouvait avoir le même effet qu'un viol et se traduire, chez l'enfant, par un repli sur soi ou des conduites à risque. Or, des études nombreuses ont montré que la simple vision d'une scène pornographique violente pouvait avoir cet effet. Il voit également un lien entre l'hyperactivité des enfants et le fait qu'ils auraient été confrontés à une liberté sexuelle trop visible des adultes.
Je reconnais que la notion d'hypersexualisation n'est pas la plus adéquate, mais nous prenons soin, dans le rapport, de clarifier les choses à travers une série de définitions.
La question de la légitimité d'une forme de contrôle social en ce domaine est un « vrai faux débat ». Le droit est toujours une forme de contrôle social, comme le montre la théorie du droit. Mais cette forme de contrôle social, édictée par les pouvoirs publics, répond à une logique égalitaire. Il en va autrement de l'autre forme de contrôle social, celle qui est intériorisée par les individus et qui est inégalitaire. La vraie question tient à la difficulté de définir aujourd'hui ce que serait une norme intangible pour distinguer ce qui est convenable et ce qui ne l'est pas.