La délégation entend Mme Chantal Jouanno, chargée d'une mission temporaire auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale sur les dispositifs d'observation et de régulation des médias concernant le phénomène de l'hypersexualisation des enfants, sur les premières conclusions de son étude.
J'ai le plaisir de saluer notre collègue Bernadette Bourzai, qui vient de rejoindre notre délégation en remplacement de Renée Nicoux. Nous allons entendre Chantal Jouanno qui va nous présenter les grandes lignes du rapport qu'elle doit prochainement rendre.
En effet, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale m'a confié cette mission, parce qu'elle avait été choquée par la publication, dans le magasine « Vogue », de la photo d'une petite fille de huit ans, habillée, maquillée et posant dans une posture suggestive, particulièrement choquante.
La lettre de mission de la ministre me demandait d'étudier les contours de ce phénomène de l'hypersexualisation des petites-filles, de l'analyser et de proposer des recommandations. Le rapport que je rendrai public le 5 mars 2012 est, par conséquent, construit en trois grandes parties consacrées, respectivement, à l'observation du phénomène, à la définition des enjeux et à la formulation d'un certain nombre de recommandations.
Aujourd'hui, le volume des deux premières parties, d'environ cent pages, montre l'ampleur de la tâche, « l'hypersexualisation » des enfants n'étant, en réalité, que le reflet de celle de la société toute entière.
Il convenait, en préambule, de commencer par définir cette notion d'hypersexualisation. Mais il n'existe quasiment aucune étude en ce domaine en France. En revanche, il existe des travaux sur ce sujet au Canada, et en particulier au Québec, en Belgique et au Royaume-Uni. Ceux-ci aboutissent à une définition reposant sur deux éléments constitutifs : une sexualisation de l'apparence « inappropriée » et son apparition précoce au regard de l'âge des enfants.
L'un comme l'autre renvoient donc à une forme de consensus social et à une appréciation portée par la société.
Le terme d'hypersexualisation pourrait laisser entendre que ces enfants sont eux-mêmes actifs sexuellement. Ceci n'est pas le cas. Pour éviter cette confusion, il serait donc peut-être plus indiqué de parler d'hyper-érotisation ou de sexualisation de l'apparence. Ce problème doit être clairement distingué de celui de la sexualité précoce des adolescents : ces deux sujets ne sont pas liés et les petites filles dont l'apparence est hypersexualisée ne sont pas du tout des petites filles qui ont une sexualité précoce.
La seconde classification tenait au fait que cette notion d'hypersexualisation renvoie généralement aux petites filles, alors que les petits garçons, par un effet miroir en quelque sorte, sont aussi concernés par les phénomènes et tombent dans une forme d'hyper-virilité, qu'il s'agisse de leur tenue vestimentaire ou de leur comportement. Mais nous avons cependant décidé de garder le terme d'« hypersexualisation des petites filles », car c'est sous cette dénomination que le phénomène est identifié par les médias et par l'opinion publique, que ce soit en France ou dans les autres pays.
Pour en définir plus précisément le champ, notre étude porte donc sur les enfants dans la période qui précède la puberté, cette période psychologique de latence qui s'étend entre 6 et 12 ans, et au cours de laquelle les problématiques de sexualité sont en quelque sorte mises de côté pour leur permettre de progresser dans leur construction psychologique et identitaire. Même si les pédopsychiatres nous ont confirmé que le coeur du problème se situait à cet âge-là, nous nous sommes également intéressés aux adolescents et préadolescents et au problème de leurs tenues, parfois trop « sexy ».
Le contexte dans lequel se déploie le phénomène de l'hypersexualisation des enfants est celui d'une société hypersexualisée, qui est passée - comme l'ont analysé certains sociologues - de la liberté sexuelle à la dictature sexuelle. Comme l'ont montré ceux-ci, les codes de la pornographie ont d'abord été utilisés par l'industrie du luxe, puis se sont banalisés dans les médias et dans un grand nombre de produits disponibles sur le marché. Cela peut paraître paradoxal, mais une analyse fouillée des clips vidéo, des émissions de téléréalité et de certaines publicités montre que ces codes se sont diffusés un peu partout et, en particulier, dans les magazines destinés aux adolescents : des enquêtes ont montré que les personnes interrogées dans le cadre de ces études ne parvenaient pas à différencier les photos publiées dans ces publications de celles publiées dans les revues pornographiques, tant les postures adoptées étaient proches.
Parallèlement, on assiste à un retour des stéréotypes dès le plus jeune âge, qu'on a identifiés dans les vêtements, les jouets, mais aussi les messages destinés aux jeunes enfants.
A cet égard, l'histoire de la presse à destination des fillettes est très emblématique. Disparue à la fin des années 1970, à une époque qui s'efforçait d'estomper les clivages garçons/filles, elle est réapparue à la fin des années 1990, avec des titres tels que « Julie » ou « Fan 2 », dont l'essentiel des contenus renvoie à des jeux de rôles et à des problématiques d'apparence, extrêmement stéréotypés.
La rédactrice en chef de « Fan 2 » me confiait que l'utilisation du terme « sexy » dans un article provoquait automatiquement une augmentation considérable de sa consultation.
L'analyse des jouets proposés aux enfants reflète ce retour insidieux des stéréotypes de genre qu'on peut également tenir pour responsables de l'augmentation des clivages entre groupes de filles et groupes de garçons, observée par certains chefs d'établissements dès l'école primaire.
Pour autant, on ne peut pas dire que nous soyons aujourd'hui confrontés à un raz-de-marée du phénomène de l'hypersexualisation en France. L'ensemble de nos interlocuteurs était d'accord sur ce constat. Les enquêtes menées auprès des parents - notamment par le biais des sites « au feminin.com » ou « magicmaman.com », qui ont interrogé en ligne plus de mille mamans - le confirment. Mais s'il existe des exceptions, et par exemple des concours de « mini-miss » dans certaines régions, le phénomène n'a pas pris, en France, l'ampleur qu'il peut connaître, en particulier au Royaume-Uni.
Un parlementaire britannique qui a consacré un rapport d'information au même sujet m'a transmis une étude de l'UNICEF qui abordait, dans une perspective comparative, la situation des enfants au Royaume-Uni, en Suède et en Espagne.
Il ressort des conclusions de son enquête, que la perte des repères familiaux au Royaume-Uni expliquerait en grande partie le comportement des parents qui, soumis à une pression sociale, compensent une présence insuffisante par des actes d'achat. Il semble que ces comportements de compensation n'ont pas encore gagné les autres pays étudiés, ni la France.
Nous avons cependant identifié en France deux brèches : l'une qui touche à la petite enfance, avec le retour des stéréotypes, et l'autre, à travers l'invention, par le marketing, du concept de préadolescence qui n'a aucune réalité psychologique ou médicale, mais a permis de créer un segment de marché dont on estime le chiffre d'affaires à près de 26 milliards d'euros au Royaume-Uni.
Les très jeunes stars américaines, qui ont 17 ou 18 ans, sont en passe de devenir, sans aucun filtrage, un modèle identitaire pour les adolescents en France. Parmi ces « modèles » bien connus des adolescents, on peut citer le chanteur Justin Bibber, mais aussi les stars féminines, créées par Anna Montana ou Walt Disney, comme Miley Cyrus, actrice, auteure-compositrice-interprète américaine dont les médias montrent des images prises dans des mises en scènes hyper-érotisées et qui circulent abondamment sur les réseaux sociaux. Tout ceci peut contribuer à faire de l'hypersexualisation des jeunes enfants un vrai sujet collectif en France d'ici peu.
Les enjeux qui s'y rattachent relèvent de deux grandes catégories :
- un enjeu collectif majeur : la fragilisation de la notion d'égalité entre les sexes ;
- un enjeu individuel : la mise en danger psychologique des enfants et, en particulier, des très jeunes filles qui en sont la cible.
Même si l'on ne dispose pas d'études longitudinales sur le devenir de ces petites « lolitas », les pédopsychiatres s'accordent à considérer qu'une intrusion trop précoce de la sexualité, c'est-à-dire avant la puberté, entraîne des dégâts psychologiques irréversibles dans 80 % des cas. La vision par un jeune garçon d'une image pornographique violente peut entraîner un traumatisme psychologique identique à celui d'un abus sexuel.
Par ailleurs, les petites filles touchées par le phénomène se définissent par leur apparence et par le clivage qu'il entraîne au sein du groupe « social » dans lequel elles évoluent ; elles souffrent dans la plupart des cas d'un manque de confiance en elles.
Enfin, d'après le Pr. Xavier Pommereau, spécialiste du traitement des adolescents qui adoptent des conduites à risques extrêmes, les cas d'anorexie pré-pubère se multiplient, au point que ces pathologies deviennent un véritable problème de société.
Les réponses que nous avons tenté d'apporter à ce constat doivent éviter un double écueil : celui qu'a révélé le débat sur la théorie des genres et celui qui s'attache à toute tentative d'exercer un contrôle social ou une tentative de moralisation par la loi.
J'ai souvent été interrogée au cours de mes travaux sur la légitimité de l'intervention du législateur dans un domaine qui relève de la sphère privée. A mon sens, l'importance des deux enjeux que j'évoquais - l'enjeu individuel et l'enjeu collectif - justifie pleinement que nous nous y intéressions.
Il est légitime de légiférer sur les conduites à risques et nous disposons d'ailleurs, aujourd'hui, en ce domaine, d'un arsenal juridique complet mais peu appliqué par le juge : des principes, comme l'intérêt supérieur de l'enfant, sont utilisés par exemple dans les cas de reconduite à la frontière mais pas dans les phénomènes dont nous parlons.
On peut se demander dans quelle mesure le principe du respect de la dignité et du respect de la personne humaine, posé par le Conseil d'État dans un arrêt d'assemblée rendu le 27 octobre 1995 - commune de Morsang-sur-Orge - à propos de l'interdiction du « lancer de nain », ne pourrait pas aussi s'appliquer, par exemple à l'organisation de concours de « mini-miss ».
Un autre principe juridique, celui de l'atteinte aux bonnes moeurs, pourrait également fournir un levier juridique : un arrêt de la cour de cassation a en effet montré que celle-ci ne se limitait pas à assurer un respect de la norme sociale définie par la loi, mais englobait ce qui était acceptable dans une société à un moment donné. Cette notion a déjà utilisée pour encadrer certaines marques, mais pas dans le domaine qui nous intéresse.
Les principes juridiques existent. Il faudrait en renforcer l'application. Cela permettrait d'interdire les concours de « mini-miss » ou la promotion de la pornographie. Sur ce dernier point, il faut savoir que si l'accès aux films pornographiques est contrôlé, leur promotion est libre et les adolescents peuvent accéder par Internet à de courtes séquences gratuites de trois minutes.
Mais, plus globalement, il me semble nécessaire de travailler aujourd'hui à la rédaction d'une « charte de l'enfant », à l'instar de celle que nous avons rédigée pour la protection de l'environnement. Cette charte déclinerait concrètement ce qu'implique le principe d'intérêt supérieur de l'enfant, et le principe du respect de la dignité de la personne humaine ainsi que celui d'atteinte aux bonnes moeurs pour l'enfant.
D'après Bernard Stirn, la rédaction d'une telle charte serait très utile et guiderait le juge dans l'application de ces principes, en particulier dans des affaires où ceux-ci doivent se combiner avec le respect d'autres principes, comme celui de la liberté de création.
La rédaction de cette charte, à portée juridique, sera donc une des recommandations principales de mon rapport.
Parallèlement, je demanderai que l'on puisse disposer de plus de données chiffrées sur la question et, à ce titre, je souhaite que soient réalisées des études sur les facteurs de l'hypersexualisation, comme les jouets par exemple, sur l'hyper-virilité des garçons, sur le devenir des petites « lolitas » ou sur l'impact psychologique de relations sexuelles trop précoces.
Au-delà des études, nous avons besoin d'observations. A l'heure actuelle, nous pouvons croiser des indicateurs sur le sujet, issus de l'Éducation nationale, des professionnels en pédopsychiatrie mais aussi du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) ou de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), mais aucune instance d'observation n'est missionnée spécifiquement.
Parce que nous sommes confrontés à des problématiques transversales concernant tant la protection de l'enfance que la protection du principe d'égalité des sexes, la question se pose de savoir s'il faut confier une telle mission à l'Observatoire de la parité ou à l'Observatoire national de l'enfance en danger (ONED), voire à ces deux instances, mais en indiquant clairement laquelle des deux doit en assurer le pilotage.
Ensuite, le rapport mettra l'accent sur la nécessité d'informer et de sensibiliser, notamment les parents, aux dangers du phénomène.
Beaucoup de parents voient comme un déguisement temporaire ce qui, en réalité, s'apparente à l'intégration d'une norme d'apparence et ont tendance à trouver « mignon » le comportement de leurs petites filles.
Les réseaux existants des caisses d'allocations familiales (CAF), des associations de parents d'élèves et des associations d'aide à la parentalité peuvent contribuer à cet effort de sensibilisation, mais je pense que nous devons aussi passer par le réseau des mères « bloggeuses » qui s'est beaucoup développé. Les professionnels de l'enfance, et en particulier ceux de l'Éducation nationale, ont pris conscience de l'importance du problème.
Reste à trancher la question de l'uniforme à l'école. Celui-ci peut contribuer à estomper les clivages sociaux, mais je crois qu'il ne serait pas d'un grand secours dans la lutte contre l'hypersexualisation. Les pays dans lesquels l'uniforme est obligatoire, l'Angleterre notamment, sont aussi ceux où ce phénomène a pris de l'ampleur.
En France, les tenues des élèves sont soumises à l'appréciation des chefs d'établissements. D'après les enquêtes menées, notamment par la radio Skyrock, les élèves ne semblent pas opposés à ce qu'on leur impose une tenue « convenable », à condition qu'ils soient tous traités de manière égalitaire, y compris d'un établissement à l'autre.
Par conséquent, il me semble qu'il serait bon d'engager une réflexion collective pour définir les normes minimales de ce que serait une « tenue convenable » à l'école.
A l'heure où l'on peut voir sur tous les panneaux publicitaires dans nos villes des femmes dénudées affichées au regard de tous, il est vrai que le débat va s'avérer délicat...
Enfin, ce sont les adolescents eux-mêmes que l'on doit informer en promouvant une éducation à la sexualité dès le plus jeune âge qui s'efforce d'apprendre aux jeunes le respect de l'autre et ne se limite pas à parler, si j'ose dire, de la « tuyauterie ». Une circulaire publiée en décembre dernier va dans ce sens.
Il me semble par ailleurs essentiel d'introduire un volet d'éducation à l'image.
A l'heure actuelle, un tel enseignement existe à l'école, à partir de la classe de 3ème mais par un biais historique. Or, face à la société de l'image dans laquelle nous évoluons, c'est un regard critique qu'il faut développer, dès le plus jeune âge. Non seulement il est essentiel de prendre un certain recul par rapport à la norme que l'image tend à nous imposer, mais il faut également savoir que les photos sont généralement retouchées et ne reflètent pas la réalité. Nombre d'associations travaillent sur ce sujet et pourraient apporter leur concours à l'Éducation nationale.
Enfin, il faudrait dispenser, dès la classe de 6ème une éducation au numérique, à travers une charte du numérique, pour faire prendre conscience aux élèves que les réseaux sociaux, et notamment Facebook, sont des espaces publics. On ne compte plus les cas de jeunes filles qui, sur l'instigation d'un proche, mettent sur le réseau des photos d'elles dénudées, photos qui se répandent ensuite auprès de l'ensemble de leurs connaissances.
Certaines pratiques douteuses sont moins fréquentes aujourd'hui qu' hier, ce qui témoigne, chez les adolescents, d'une véritable prise de conscience des risques du numérique. Mais l'on assiste, en revanche, à une forte augmentation de la publication d'images chez les plus jeunes, les huit/dix ans. La France demeure très en retard quant à l'implication des parents sur cette question.
J'aborde maintenant la question de la régulation de la question de l'hypersexualisation.
Je pense que l'on ne peut définir par voie législative ce que sont les produits convenables à mettre sur le marché. On s'exposerait d'autant plus à être contesté que le sens que l'on attribue à ce qualificatif évolue dans l'espace, le temps et selon les classes sociales.
Néanmoins, cela n'empêche pas de proposer un système de régulation à l'instar de celui mis en oeuvre au Royaume-Uni. Dans ce pays, les grandes entreprises de production et de distribution de prêt-à-porter ont signé une charte avec la ministre en charge des enfants et de la famille. Elles y prennent des engagements très clairs quant aux caractéristiques des produits qu'elles mettent sur le marché.
Cette charte est assez précise pour prohiber, par exemple, la mise sur le marché de sous-vêtements pour enfants dont la matière ou la couleur serait inappropriée. Elle prend aussi en compte la question du genre en déconseillant de différencier la coupe des pantalons en fonction du sexe de l'enfant, dans la mesure où l'anatomie des enfants ne justifie pas ces distinctions. Elle privilégie, dans la conception de ces vêtements, la recherche de confort dans la vie de l'enfant et non une logique d'apparence.
Cette charte a été signée par un consortium qui représente 80 % des ventes de vêtements au Royaume-Uni et une réunion d'évaluation de sa mise en oeuvre est organisée tous les semestres sous l'égide du Premier ministre avec les parties intéressées.
Pour en contrôler la bonne application, un site public permet aux consommateurs de signaler tout produit qui leur paraîtrait contraire aux engagements pris, soit qu'il soit hypersexualisé, soit qu'il renvoie à des stéréotypes de genre. Les entreprises sont tenues de prendre en compte ces observations et risquent, si elles sont trop souvent mises en cause, de se voir décerner le qualificatif de « no family friend » sur les chaînes de télévision publique. C'est un dispositif simple mais très efficace, davantage que ne le serait un dispositif répressif reposant sur des amendes.
Le président de la Fédération française du prêt-à-porter serait disposé à s'engager dans cette voie car ce secteur s'intéresse à la recherche d'une convenance moyenne. Seul le secteur du luxe pourrait être tenté d'en prendre le contrepied car il privilégie souvent la transgression. Mais il ne concerne que peu de consommateurs.
L'adoption d'une charte qui devrait englober aussi les jouets, les médias ou encore les cosmétiques pourrait donc s'avérer une solution très efficace.
Je remercie Mme Chantal Jouanno pour la qualité de sa présentation qui montre l'utilité d'approfondir cette question et qui nous ouvre de nombreuses pistes de réflexion.
C'est un sujet nouveau mais si notre pays est encore peu touché par ce phénomène d'hypersexualisation, cela ne signifie pas qu'il ne prenne pas d'ampleur à l'avenir. On ne parle pas assez du rôle que jouent les adultes en ce domaine, soit qu'ils poussent leurs enfants dans ces comportements, soit qu'ils ne les en dissuadent pas si les enfants s'y portent d'eux-mêmes.
Il faut s'interroger aussi sur les modèles que la société offre aux jeunes : l'extrême maigreur des mannequins alimente le culte de la minceur et peut contribuer au développement de l'anorexie mentale. Il faudrait aussi, à travers la charte, expliquer que les photographies des mannequins, présentés comme les modèles, sont le plus souvent retouchées et ne correspondent pas à la réalité.
Il faut s'inspirer des expériences étrangères. En ce domaine, les Québécois sont en avance sur nous et nous avons à apprendre d'eux en matière de protection de l'enfance.
Je pense qu'il serait préférable d'attribuer le pilotage du dispositif à l'ONED plutôt qu'à l'Observatoire de la parité car j'ai constaté, en qualité de rapporteure générale de ce dernier, qu'il était souvent difficile de mobiliser ses membres sur des sujets qui s'éloignent de celui de la parité proprement dite.
Les personnels de l'Éducation nationale sont très mobilisés sur tout un ensemble de questions, mais il faut reconnaître que même si les femmes y sont très majoritaires, les stéréotypes sexués y sont encore très prégnants. Un effort de sensibilisation me paraît nécessaire sur ce thème.
Enfin, je partage vos analyses quant à l'impact du physique des mannequins sur le développement de l'anorexie mentale, qui me paraît un sujet très grave.
Comme vous le constatez dans votre excellent rapport, ce n'est pas un hasard si les stéréotypes sexués ont reflué dans les années 1970 qui ont été des années de lutte féministe, et s'ils ont réapparu dans le contexte des années 1980 où les acquis sont remis en cause, notamment en matière de contraception.
Il est intéressant de situer ces évolutions dans leur contexte, car les progrès enregistrés en matière de droits des femmes résultent de la convergence des combats qui sont menés au sein de la société et des lois qui sont ensuite adoptées.
Je trouve très intéressant aussi le développement que vous consacrez à l'éducation à l'image. L'exercice et le développement de l'esprit critique présuppose une formation pour les enfants, comme pour les adultes d'ailleurs. Il faut mettre en place des dispositifs qui prennent en compte l'état des mentalités. L'Éducation nationale fait déjà beaucoup mais elle ne peut tout faire, et ce d'autant que les moyens dont elle dispose ont été réduits au fil du temps.
S'agissant des tenues vestimentaires des enfants, je ne pense pas que l'on puisse revenir aux blouses d'antan, même si celles-ci avaient le mérite de masquer les différences sociales. Qu'est-ce aujourd'hui qu'une tenue jugée convenable ? Elle est jugée à l'aune de nos stéréotypes culturels, une discrimination sexiste s'opérant inconsciemment qui ne met pas au même plan l'hypersexualisation des filles et l'hyper-virilité des garçons. Cette discrimination doit nous inviter à poursuivre la lutte contre le patriarcat.
Le principe de la charte, dont le pilotage devrait être dévolu à l'ONED, me paraît intéressant pour autant que l'on adopte une démarche préventive et que l'on dispose de moyens pour former les personnels de l'Éducation nationale et les parents. Il faudrait aussi réfléchir à la question des manuels scolaires car ils sont un vecteur des stéréotypes.
C'est un rapport particulièrement intéressant qui aborde un sujet dont les enjeux sont bien, en effet, à la fois individuels et collectifs. Le principe d'une charte me paraît positif. J'aimerais que vous nous en disiez davantage sur la nature des dégâts psychologiques irréversibles qui résultent de l'intrusion trop précoce de la sexualité.
Le problème de l'hypersexualisation des enfants n'est pas nouveau pour moi, dans la mesure où j'y ai déjà été sensibilisée en qualité de mère d'adolescents.
Le terme d'hypersexualisation ne me paraît pas approprié, dans la mesure où le phénomène qu'il désigne ne renvoie pas à l'identité des individus mais à la société dans laquelle nous vivons, aux idées et aux valeurs qu'elle véhicule et au regard qu'elle porte sur les préadolescents. Je lui préférerai donc, pour ma part, le terme d'hyper-érotisation.
Les vêtements que l'on propose aux petites filles tendent de plus en plus à n'être que des répliques de ceux des femmes adultes. Il y a, dans ce phénomène, quelque chose qui va manifestement à l'encontre du respect de la dignité et de l'égalité entre les hommes et les femmes, mais la frontière est difficile à tracer avec ce qui relève du respect de la liberté.
L'idée d'une charte est intéressante : dès lors que celle-ci sera adoptée à un haut niveau politique, elle permettra de fixer un cadre et des repères qui pourront guider à la fois les personnels de l'Éducation nationale et ceux des associations qui, comme le Mouvement français pour le Planning familial par exemple, ont pour mission d'informer les jeunes sur la sexualité et le rapport à l'autre. Ces associations nous indiquent que les filles et les garçons qu'ils reçoivent ont envie et besoin de discuter des relations sexuelles. Elles jouent, en ce domaine, un rôle essentiel et une réduction de leurs moyens, déjà très limités, me paraîtrait inquiétante. Je crois, au contraire, qu'en ce domaine, il faut renforcer la volonté et les moyens d'intervention de l'Etat.
Même si le phénomène de l'hypersexualisation n'a pas pris en France l'ampleur qu'on observe dans certains pays, les facteurs que j'ai cités dans mon intervention, hypersexualisation de la société, retour des stéréotypes dès le plus jeune âge, construction du concept de « préadolescent » et « starisation » des adolescents, sont réunis pour aller dans le mauvais sens.
L'intérêt de ce rapport est de se situer en amont et de permettre une prise de conscience collective qui permette de prévenir le développement du phénomène en France.
Or, il y a encore beaucoup d'efforts à faire concernant la prise de conscience collective. Le magazine « Vogue », à l'origine de cette mission, a circulé en France pendant deux mois sans que personne ne réagisse ! Les professionnels de l'ONED, et ceux de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) m'ont indiqué qu'ils n'avaient pas identifié cette question comme un sujet à risque.
Et je pourrais multiplier les exemples. La France est notamment réputée pour être beaucoup plus tolérante concernant le classement de la dangerosité des films à destination des enfants. A cet égard, le rôle des parents est essentiel. Une enquête menée auprès de 1 600 mères par le site « magicmaman.com » montre que 80 % des mères interrogées considèrent que l'image des petites filles se dégrade et que 95 % d'entre elles estiment que c'est le laxisme des parents qui contribue à l'hypersexualisation des enfants.
Une étude sociologique menée par une étudiante qui a consacré sa thèse au sujet montre que les mères cèdent à la pression des petites filles - notamment pour l'achat de certains accessoires - pour ne pas les « exclure » du groupe auquel elles appartiennent.
Nous avons un gros effort à faire pour responsabiliser les parents. Certaines brochures canadiennes peuvent nous servir d'exemple. Elles proposent aux parents des outils face aux pressions des enfants : pourquoi et comment dire non.
Au-delà des parents, c'est sur le « village social », comme l'appelle Boris Cyrulnik, qu'il faut agir, c'est-à-dire sur les processus de socialisation des enfants.
Les chiffres concernant l'anorexie mentale sont très inquiétants, comme j'ai pu vous le dire, puisqu'on estime au Royaume-Uni que 5 à 7 % des enfants pré-pubères en souffrent.
Il faut trouver des leviers d'action pour lutter contre sa propagation :
- tout d'abord, on pourrait relever à 18 ans l'âge légal du mannequinat ;
- ensuite, comme en Suède, on pourrait interdire aux enfants d'être des égéries de marques ; j'y suis très favorable ;
- enfin, on peut mener des campagnes à destination des jeunes filles pour contrer les messages envoyés par l'industrie du luxe, en proposant, comme au Québec, des modèles de contre-culture, sur le thème « Osez le naturel ».
Concernant le pilotage des études, je vous rejoins sur le choix de l'ONED, même si je crains qu'on ne nous objecte que le champ de la mission de cet organisme est souvent plus restreint, sur le champ familial en particulier.
Concernant les manuels scolaires, je retiens la suggestion de relancer l'évaluation des contenus des manuels scolaires pour en analyser, notamment, les stéréotypes sexistes.
Sur la tenue vestimentaire à l'école, je propose de retenir le terme de « tenue respectueuse » au lieu de « tenue convenable », et cela doit concerner tant les filles que les garçons.
La question des dégâts psychologiques commis par une intrusion précoce de la sexualité chez les enfants a été traitée par Didier Lauru dans son livre intitulé « La sexualité des enfants n'est pas l'affaire des grands ». Ce pédopsychiatre a montré que cette intrusion pouvait avoir le même effet qu'un viol et se traduire, chez l'enfant, par un repli sur soi ou des conduites à risque. Or, des études nombreuses ont montré que la simple vision d'une scène pornographique violente pouvait avoir cet effet. Il voit également un lien entre l'hyperactivité des enfants et le fait qu'ils auraient été confrontés à une liberté sexuelle trop visible des adultes.
Je reconnais que la notion d'hypersexualisation n'est pas la plus adéquate, mais nous prenons soin, dans le rapport, de clarifier les choses à travers une série de définitions.
La question de la légitimité d'une forme de contrôle social en ce domaine est un « vrai faux débat ». Le droit est toujours une forme de contrôle social, comme le montre la théorie du droit. Mais cette forme de contrôle social, édictée par les pouvoirs publics, répond à une logique égalitaire. Il en va autrement de l'autre forme de contrôle social, celle qui est intériorisée par les individus et qui est inégalitaire. La vraie question tient à la difficulté de définir aujourd'hui ce que serait une norme intangible pour distinguer ce qui est convenable et ce qui ne l'est pas.
Cette séance de travail a été particulièrement intéressante et utile. Je remercie Mme Chantal Jouanno de nous avoir permis de prendre la mesure des débats et des enjeux inhérents à cette question.
Le Conseil d'analyse stratégique a également engagé un travail de réflexion sur ce sujet et devrait rendre ses conclusions le même jour.