Le sujet est d'une ampleur inimaginable. La chirurgie esthétique peut sembler futile, or elle pose les questions les plus profondes, jusqu'à la question du handicap. Pour montrer sa complexité, je souhaite l'illustrer par un cas dont j'ai eu à connaître. Il est difficile de fixer les limites respectives des champs de la chirurgie esthétique et de la chirurgie réparatrice : tandis que je pensais qu'une patiente paraplégique venue à la consultation en fauteuil roulant s'apprêtait à me parler d'un handicap, elle souhaitait en réalité se faire retirer une petite bosse sur le nez, opération fondamentale pour elle. Il faut donc se garder de juger les démarches individuelles.
Il existe deux manières de pratiquer le métier de chirurgien esthétique. Selon une première approche, la chirurgie esthétique viserait à homogénéiser les corps et les visages, ce qui serait une manière de rendre les stigmatisations impossibles puisque nous serions tous pareils. Ce serait une catastrophe. L'éducation doit apprendre à ne pas juger sur les apparences.
Selon la seconde approche, il faut absolument conserver une médicalisation de l'acte esthétique que nous pratiquons : la question que doivent se poser les chirurgiens esthétiques est de savoir si l'opération envisagée rendrait service au patient à titre individuel. Faut-il accéder à sa demande au plan chirurgical et cette accession lui donnera-t-elle un petit peu plus d'aise ? La relation médicale est une relation individuelle, d'un individu à un autre. En médecine, on ne guérit pas toujours mais on soulage, on atténue.
En elle-même, la beauté ne veut rien dire car les critères esthétiques sont très différents d'un individu à l'autre. Le chirurgien qui travaille selon l'idée du nombre d'or ou de symétrie a une vision désastreuse de sa profession. Il doit s'agir de tout autre chose : l'objectif est de mettre le patient en accord avec lui-même.