Sur l'aspect psychologique : penser et modifier son apparence est le propre de l'homme. Pouvoir ne plus être comme on est né est une grande liberté individuelle. Toutefois, comme toujours, des processus sains coexistent avec des mécaniques qui s'emballent dans le mauvais sens.
Il nous est impossible de ne pas juger quelqu'un sur son visage, mais qu'est-ce que la beauté ? Je dis toujours qu'il faut demander aux patients de raconter leur corps, car ce que nous observons s'éloigne parfois beaucoup de ce qu'ils ressentent. Une personne voulant modifier son corps est en malaise. Nous devons réfléchir sur ce terme de malaise. Traditionnellement, le médecin doit guérir ou, au moins, soulager. La chirurgie esthétique soulage une souffrance dans un nombre de cas non négligeable, mais on nous demande parfois d'obtenir du bien-être. La médecine moderne va être une médecine du mieux-être. La différence de principe est substantielle, bien que la limite soit parfois délicate à déterminer : la pose d'une prothèse de hanche permettra de ne plus boiter mais aussi à l'ancien boiteux de ne plus être montré du doigt. Le fonctionnel rejoint ici l'esthétique. La chirurgie de la myopie est également ambivalente.
Il y a aussi des patients dont le malaise est difficile à cerner, où les parts de l'intime et les parts du rapport à la société ou à la culture sont difficiles à distinguer. Le patient lui-même prend parfois le prétexte de sa difficulté à l'autre et à être intégré dans le groupe pour se faire pratiquer une intervention. Il faut alors décrypter les choses. Dans L'impossible limite, je parle de « corps écran » pour dire que la souffrance exprimée en relation avec l'apparence physique peut avoir une cause distincte, un déplacement au sens psychanalytique ou freudien du terme. Lorsque nous avons mal, nous avons besoin de savoir pourquoi nous avons mal. Parfois, la cause véritable est enfouie mais la douleur est là et elle est rattachée à un aspect physique. Je vais vous citer un exemple : un jeune homme de 25 ans est venu me consulter parce qu'il voulait supprimer une bosse sur son nez. Après trois quarts d'heure d'une discussion pendant laquelle il m'a notamment dit avoir le nez de son père, je lui ai suggéré de rencontrer le psychiatre avec lequel je travaille ordinairement, ce que le patient a tout de suite accepté. Un rendez-vous opératoire a été pris et, quelques jours avant la date prévue, ce patient est revenu me voir, car ses parents lui avaient appris qu'il était un enfant adopté. Le malaise de ce jeune homme n'était pas celui qu'il avait spontanément exprimé. Il faut savoir ce que le patient vient véritablement chercher. Les ratés de la chirurgie esthétique sont rarement aujourd'hui des ratés physiques mais souvent psychologiques.