Intervention de Yves Daudigny

Commission des affaires sociales — Réunion du 22 février 2012 : 1ère réunion
Loi de finances rectificative pour 2012 — Examen du rapport pour avis

Photo de Yves DaudignyYves Daudigny, rapporteur général :

Deux articles du projet de loi de finances rectificative pour 2012 intéressent directement notre commission des affaires sociales qui s'en est donc saisie pour avis : l'article 1er, intitulé « dispositions fiscales améliorant la compétitivité des entreprises », qui comporte la mesure dite « TVA sociale » et tous les ajustements qui lui sont liés ; l'article 8, relatif à la contribution supplémentaire à l'apprentissage, dont le barème est augmenté pour les entreprises de plus de 250 salariés qui ne respectent pas un quota d'alternants, lui-même en augmentation.

Avant de vous présenter le dispositif détaillé de ces deux articles et de vous livrer mes principales observations sur leur contenu, je voudrais d'abord insister sur la méthode employée par le Gouvernement.

Nous sommes le 22 février, à deux mois exactement d'une échéance politique majeure pour notre pays, et le Gouvernement nous demande de voter - en urgence - une réforme de grande ampleur, qu'il dit déterminante pour l'avenir de notre économie et la compétitivité de nos entreprises, touchant à la fois la structure de nos prélèvements obligatoires et le mode de financement de notre système de protection sociale. Est-ce bien le moment ?

De deux choses l'une en effet : soit il fallait faire cette réforme avant, et je vous renvoie alors aux rapports Besson et Lagarde de la fin 2007 qui n'étaient clairement pas favorables à la mise en place d'une telle mesure ; soit il faut en faire l'un des éléments phares et prioritaires du programme présidentiel et en prévoir la mise en place après les échéances électorales du printemps. Je note d'ailleurs qu'à l'Assemblée nationale, tant Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales, que Gilles Carrez, rapporteur général du budget, ont vigoureusement soutenu à la tribune que, selon eux, il s'agit là d'une réforme de début de législature. Jean Arthuis ne nous a pas dit autre chose hier.

Deux autres points encore me paraissent contestables dans la méthode :

- premièrement, l'urgence dans laquelle nous débattons. Le projet de collectif a été adopté en Conseil des ministres il y a tout juste deux semaines. La commission des finances de l'Assemblée nationale l'a examiné le jour même - une performance à mettre au crédit de cette commission et de son rapporteur général, mais qui laisse planer un doute sur la nature suffisamment approfondie du travail effectué. Enfin, après le vote hier après-midi par l'Assemblée nationale, notre commission des finances a examiné le texte dès hier soir et notre commission des affaires sociales ce matin, avant d'entamer la discussion en séance publique cet après-midi... La suite du calendrier est elle aussi déjà acquise. Au total, le Parlement aura donc adopté en à peine trois semaines un texte aux conséquences très loin d'être négligeables pour l'ensemble de nos concitoyens. Quel parlementaire, quelle que soit son appartenance politique, peut décemment accepter un tel passage en force ? Et qui plus est, sur des sujets aussi importants ? Ce sont les fondements même de notre démocratie que l'on remet en question : les Parlements n'ont-ils pas été créés précisément pour examiner et voter en toute indépendance et sérénité les lois budgétaires des Etats ?

- deuxième source d'interrogation : les dates d'entrée en vigueur des réformes qu'on nous demande d'adopter. La mesure « TVA sociale » est prévue pour s'appliquer à compter du 1er octobre prochain : comment dès lors justifier l'urgence d'un vote avant les élections ? Sauf bien sûr à croire son promoteur qui attend un rebond de consommation du seul fait de l'annonce de la mesure... alors que, dans le même temps, il se dit persuadé qu'aucune hausse des prix n'interviendra après l'augmentation de la TVA ! Il en va de même pour la mesure apprentissage : l'article 8 prévoit de relever à 5 % le quota d'alternants dans l'effectif de l'entreprise à compter des rémunérations versées en 2015, c'est-à-dire pour le calcul de la taxe payée en 2016 ! Qui peut comprendre, là encore, l'urgence de la réforme ?

Ces motifs pourraient à eux seuls justifier le rejet du collectif et le dépôt d'une question préalable, ce qu'a fait hier soir la commission des finances. Je ne m'en tiendrai toutefois pas à ces seuls arguments et voudrai donc maintenant vous parler du contenu des deux articles qui nous concernent.

L'article « TVA sociale » tout d'abord.

Il s'agit d'une mesure à plusieurs facettes :

- le premier volet est une baisse des cotisations sociales patronales affectées à la branche famille. Actuellement, celles-ci s'élèvent à 5,4 % de la totalité des salaires versés par les entreprises. Le dispositif proposé tend à les supprimer complètement jusqu'à 2,1 Smic, puis à prévoir leur diminution progressive jusqu'à 2,4 Smic. Ce faisant, la mesure étend le dispositif d'allégement général dit « Fillon » sur les bas salaires. Elle vise en particulier l'emploi industriel. Au total, la baisse de cotisations envisagée atteindrait 13,2 milliards d'euros ;

- pour compenser cette perte de recettes pour la branche famille, deux ressources sont mobilisées : la TVA et la CSG. Le taux normal de la TVA serait ainsi relevé de 1,6 point, passant de 19,6 % à 21,2 %, ce qui rapporterait 10,6 milliards d'euros. Le taux de la CSG sur les revenus du capital serait relevé de deux points, passant de 8,2 % à 10,2 %, pour un produit attendu de 2,6 milliards d'euros ;

- un compte de concours financiers est créé pour permettre le suivi des versements de l'Etat aux caisses de sécurité sociale. En effet, outre l'affectation d'une fraction de 6,7 % de la TVA à la branche famille, il est prévu de supprimer les affectations de TVA particulières, sur les produits pharmaceutiques, le tabac ou l'alcool, qui alimentent aujourd'hui les comptes de la Cnam et de l'ensemble des caisses au titre des exonérations de charges sur les heures supplémentaires, et de les remplacer par deux nouvelles fractions de la TVA nette.

Je passe sur les autres mesures de moindre importance contenues dans cet article. Vous en trouverez l'analyse dans le rapport écrit.

L'Assemblée nationale a adopté plusieurs amendements dont deux me paraissent devoir être mentionnés : la substitution de la hausse du prélèvement social portant sur les revenus du patrimoine et de placement à l'augmentation de la CSG sur ces mêmes revenus ; la répercussion de la modification du taux normal de TVA sur le taux de remboursement forfaitaire du FCTVA, deux compléments judicieux.

Cela étant, la mesure en elle-même, c'est-à-dire la mise en place d'une TVA curieusement dite « sociale », ne me paraît pas acceptable. En effet, malgré tous les démentis du Gouvernement, il est clair que la hausse de la TVA aura un effet inflationniste, au moins partiel, - cela a toujours été le cas, en France comme dans les autres pays lorsqu'on a augmenté les taux - et donc un impact sur la consommation des ménages et, par voie de conséquence, sur la croissance. N'est-ce pas l'inverse de l'effet recherché ?

Par ailleurs, comme nous l'avons toujours dit, la TVA est un impôt injuste qui touche particulièrement les plus modestes dont la totalité du revenu est consommée. Tous ceux qui aujourd'hui ont des fins de mois difficiles auront, dès la rentrée, des fins de mois impossibles !

L'effet attendu en termes de compétitivité semble aussi devoir être relativisé. Thomas Piketty nous a dit qu'il n'aurait qu'un temps limité car nos partenaires et voisins européens s'adapteront vite au nouveau contexte. Jean Arthuis a, de son côté, assimilé la mesure à une dévaluation ; or, chacun sait que les dévaluations n'ont qu'un effet à court terme. Notre problème de compétitivité est en effet d'une tout autre nature : il résulte d'un retard en termes de création, de recherche, d'innovation. C'est d'une vraie politique industrielle dont notre pays a besoin aujourd'hui !

Enfin, que dire de l'objectif affiché par le Gouvernement qui attend de la mesure 100 000 créations d'emplois ! Même dans les rapports de 2007, rédigés par deux membres du Gouvernement de l'époque, Eric Besson et Christine Lagarde, on ne tablait pas sur plus de 30 000 à 40 000 emplois créés et cela dans un délai de plusieurs années.

Vous le voyez, mes chers collègues, quel que soit l'angle sous lequel on examine la réforme proposée - qui, je ne le conteste pas, peut avoir des aspects, en théorie, séduisants - on est conduit à douter fortement de son efficacité. Il me paraît donc impossible de l'adopter aujourd'hui en l'état et d'imposer à nos concitoyens une hausse aveugle de la TVA.

J'ajouterai encore un mot pour dire qu'aucune garantie réelle n'est apportée pour une compensation à l'euro près à la branche famille de la perte d'une partie de ses recettes. Certes un rapport au Parlement, faisant le bilan des comptes, est prévu. Mais notre commission a déjà connu de telles situations dans le passé. On en revient toujours au fait que la sécurité sociale est une variable d'ajustement commode pour le budget de l'Etat ! Dans la situation dégradée des comptes de la branche famille, nous ne pouvons cautionner une telle légèreté.

J'en viens à l'article 8 sur la réforme de la contribution supplémentaire à l'apprentissage.

Cet article, d'une moindre ampleur, n'en est pas moins surprenant car il entrera pleinement en vigueur en 2016 seulement... Une fois de plus, il s'agit avant tout d'affichage ! Or, je vous le rappelle, nous avons réformé ce mécanisme de soutien à l'apprentissage il y a quelques mois à peine, en juillet dernier, lorsque nous avons décidé de le rendre progressif afin de récompenser les entreprises qui augmentent leur nombre d'alternants ou dépassent l'obligation légale, soit actuellement 4 % de salariés en alternance.

La mesure proposée relève à 5 % ce quota d'alternants à compter de 2015. Elle prévoit également une modification des taux de la contribution, en fonction de l'écart des entreprises au seuil fixé par la loi.

N'aurait-il pas été plus pertinent d'attendre quelques mois la complète application de la loi de juillet dernier et d'en effectuer une évaluation sérieuse avant de modifier ses dispositions ? Tout cela milite en faveur du rejet de cet article. C'est pourquoi, je vous propose de nous rallier à la motion adoptée hier soir par la commission des finances et de nous associer au vote de la question préalable qu'elle a décidé de présenter cet après-midi au Sénat.

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