Intervention de Nicole Bricq

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 6 mars 2012 : 1ère réunion
Réglementation bancaire — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Nicole BricqNicole Bricq, rapporteure :

Nous concluons notre cycle sur la régulation bancaire et financière avec l'examen d'une proposition de résolution européenne de notre collègue Richard Yung sur la régulation bancaire.

Tout comme pour les marchés financiers il y a quelques jours, nous avons organisé une table-ronde sur le sujet le 15 février, je me suis rendue à Bruxelles hier et nous avons eu l'occasion d'entendre le commissaire Barnier il y a quelques minutes.

Au niveau européen, l'actualité en matière de régulation bancaire est dominée par la transposition du nouveau cadre de régulation dit de « Bâle III ».

Comme vous le savez, après les faillites ou les quasi-faillites de Lehman Brothers, de Northern Rock, Dexia et d'autres encore, il est apparu que la régulation bancaire était insuffisante pour maintenir la confiance en cas de choc. Plus encore, elle était inadaptée, notamment parce qu'elle se concentrait sur les questions de solvabilité alors que toutes ces banques ont d'abord fait face à des problèmes de liquidité. Les tests de résistance européens avaient d'ailleurs été critiqués parce qu'ils ne prenaient pas suffisamment en compte le risque de liquidité.

Les travaux de Bâle III ont été lancés sous l'égide des G 20 de Londres et de Pittsburgh en 2009 et ont abouti à des recommandations formelles en décembre 2010. Autant dire que le calendrier a été considérablement accéléré puisque pour négocier Bâle II, il avait fallu près de huit ans.

Le comité de Bâle n'a aucun pouvoir propre, ses recommandations sont négociées entre les gouverneurs des banques centrales et les responsables des autorités de supervision de vingt-sept pays. Je précise d'ailleurs que les « anglo-saxons » sont bien représentés au sein du comité alors qu'ils se dispensent d'appliquer de manière exhaustive ses recommandations. Chacun d'entre eux doit ensuite transposer ces recommandations dans son droit national pour qu'elles acquièrent une force juridique.

L'Union européenne effectue traditionnellement cette transposition de manière harmonisée à travers des directives : les CRD, Capital Requirements Directive. La dernière en date, la directive « CRD III », a été adoptée en novembre 2010 et constitue ce que l'on appelle « Bâle 2,5 ».

Le Parlement européen et le Conseil sont désormais en train d'examiner la proposition « CRD IV » qui transpose Bâle III. Je précise cependant que « CRD IV » est constituée de deux textes : une proposition de règlement - le texte principal - et une proposition de directive.

En effet, conformément aux conclusions du Conseil européen des 18 et 19 juin 2009, la Commission européenne a estimé que le recours à un règlement, qui est directement applicable, permettait de constituer une régulation uniforme dans toute l'Union européenne. La transposition en droit interne des précédentes directives a pu donner lieu à des controverses et des divergences entre les Etats membres.

La Commission espère que le texte « CRD IV » pourra être adopté avant la fin de l'année.

J'en viens plus précisément au contenu du texte lui-même.

La proposition de règlement comporte les principales exigences prudentielles, et notamment les différents ratios. Elle remodèle un ratio déjà existant et bien connu, le ratio de fonds propres, et elle crée deux nouvelles catégories : un ratio de levier et deux ratios de liquidité.

Le ratio de fonds propres, en premier lieu, doit assurer la solvabilité des établissements bancaires. La solvabilité, c'est la capacité à rembourser ses créanciers malgré les défauts de ses débiteurs.

Un établissement est d'autant plus solvable qu'il dispose de fonds propres - de capital - pour éponger ses pertes.

L'une des recommandations majeures de Bâle III consiste ainsi à exiger des ratios de fonds propres plus élevés et composés de capital de meilleure qualité.

Les fonds propres imposés par la réglementation dépendent des risques pris par la banque. Par exemple, un prêt immobilier classique est une opération globalement peu risquée. La banque devra par conséquent inscrire un minimum de fonds propres en face de cette opération. En revanche, dès lors que la banque prend plus de risques, elle devra disposer de plus de fonds propres.

Pour calculer les fonds propres obligatoires, il faut donc pondérer, en fonction des risques pris, chacun des actifs que possède la banque.

Bâle III joue, si je puis dire, sur plusieurs tableaux. Il est exigé des fonds propres de meilleure qualité et en plus grande quantité. Sans entrer dans les détails, les fonds propres les plus solides sont constitués par le capital émis (les actions) et les mises en réserve. La part de ces fonds propres durs passe de 2 % des actifs pondérés par les risques actuellement à 7 % et pourra être porté jusqu'à 9,5 %.

Si l'on ajoute les fonds propres de qualité moindre, on atteint 13 % contre 8 % auparavant.

Outre la solvabilité, Bâle III introduit un ratio de levier. Concrètement, l'effet de levier mesure la capacité d'acquérir des actifs par l'endettement avec un minimum de fonds propres. Le levier est un mode de fonctionnement normal des banques. En revanche, un levier excessif traduit une prise de risque qui peut être fatale en cas de retournement des marchés.

Le ratio de levier consiste donc à encadrer l'effet de levier : il consiste à dire qu'une banque ne peut pas avoir un bilan qui soit x fois le montant de ses fonds propres durs. Contrairement aux ratios de solvabilité, le ratio de levier ne mesure pas les risques des actifs : il les prend à leur valeur nominale. Son introduction ne fait pas l'unanimité, notamment au sein du milieu bancaire. Cependant, nos recherches et nos entretiens m'ont convaincue de la puissance de cet instrument simple, qui échappe aux mille et un calculs de risque des ratios de fonds propres, et aux possibilités de contournement ou d'erreur qu'ils recèlent. Il fournit un indicateur de la solidité des banques qui est à lui seul insuffisant, mais qui, en complément des ratios de fonds propres, donne une information claire, lisible et malgré tout juste de la taille du bilan bancaire.

Le réel enjeu tient surtout à son calibrage. Aujourd'hui, il est fixé à 3 %, c'est-à-dire que la valeur des actifs d'une banque ne pourrait pas dépasser plus de 33 fois le montant de ses fonds propres.

De manière prudente, « CRD IV » prévoit que le ratio de levier relève d'abord de la supervision nationale et sera dans ce cadre publié en 2015. Il entrera en vigueur de façon contraignante en 2018. D'ici là, nous aurons le temps de mesurer ses effets précis et de déterminer son calibrage le plus adéquat.

Enfin, Bâle III et « CRD IV » introduisent des ratios de liquidité. La liquidité, c'est la capacité à céder rapidement un actif sans perte substantielle. Elle désigne donc les ressources disponibles ou facilement mobilisables pour honorer ses dépenses.

Entre 2007 et 2008, le système bancaire est passé d'une période où la liquidité était abondante à un assèchement durable.

Pour répondre à ce nouveau contexte, Bâle III crée un ratio de liquidité de court terme qui doit permettre de faire face à un choc de liquidité majeur et soudain ; et un ratio de liquidité de long terme qui a pour but d'encadrer l'activité de transformation, c'est-à-dire le fait d'accorder des financements longs grâce à des ressources courtes.

Sur le fond, les ratios de liquidité constituent une avancée importante de Bâle III. Ils sont eux aussi soumis à des périodes d'observation, jusqu'en 2015 et 2018. Je crois cependant que des progrès peuvent encore être réalisés quant au calibrage et à la définition des actifs liquides. Nous y reviendrons dans le cadre de la discussion des amendements.

Au-delà des trois ratios que je viens de vous présenter, la proposition « CRD IV » contient d'autres innovations qui, elles, ne constituent pas une transposition de Bâle III. Je citerai tout d'abord les nouvelles règles en matière de gouvernance d'entreprise, notamment en ce qui concerne la diversification des conseils d'administration et la surveillance des risques pris par l'établissement. Dans ce cadre, la proposition cherche notamment à inciter les établissements à recourir davantage à leurs propres systèmes d'analyse des risques et moins aux notations émises par les agences de notation.

La proposition contient également des mesures d'harmonisation des supervisions nationales.

Avant d'en venir aux amendements, je voudrais préciser deux points qui sont, selon moi, les deux enjeux essentiels de ce texte.

Le premier enjeu est d'ordre économique : il s'agit des conséquences des différents ratios sur le financement de l'économie, notamment le financement de long terme.

Par quel biais le financement de l'économie est-il impacté ? Il l'est d'abord par le relèvement des ratios de fonds propres : moins par le niveau en lui-même que par le relèvement et la période transitoire au cours de laquelle les banques sont contraintes de se recapitaliser. Pour se recapitaliser, les banques peuvent supprimer certaines activités et réduire certains encours de crédit. Ces craintes sur les prêts bancaires ont été d'autant plus vives, en particulier à la fin de l'année 2011, que le superviseur européen, l'Autorité bancaire européenne, a accéléré le calendrier en obligeant les banques à détenir 9 % de fonds propres durs (en définition « CRD III ») d'ici juin 2012.

C'est pourquoi il convient que la supervision surveille très étroitement les méthodes de recapitalisation des banques : pour atteindre le niveau requis de fonds propres, les banques doivent, selon les recommandations de l'Autorité bancaire européenne, jouer notamment sur les mises en réserve de bénéfices, et non pas sur les actifs. Du reste, les banques peuvent à l'heure actuelle d'autant plus renoncer à certains bénéfices que ces derniers sont partiellement assis sur une forme de rente publique : la rente publique de la liquidité à bas coût assurée par les opérations de la BCE, qui leur permet, en empruntant à 1 %, de dégager une marge plus importante que celle qu'elles auraient réalisée en se refinançant dans des conditions normales. Je constate d'ailleurs que les banques françaises sont moins « bavardes » que leurs consoeurs italiennes ou espagnoles quant à l'utilisation de la facilité de la BCE. Nous savons que celles-ci ont acheté des obligations d'Etat de leurs pays. Il serait intéressant que nous en sachions un peu plus à propos des banques françaises.

Le financement à long terme est également impacté par les ratios de levier et de liquidité. C'est précisément au regard de ces difficultés que les uns et les autres sont soumis à des périodes d'observation, jusqu'en 2015, 2016 ou 2018, et que leurs niveaux et leurs critères respectifs doivent être bien calibrés.

Le second enjeu majeur de Bâle III est un enjeu politique : il s'agit de l'harmonisation maximale.

L'harmonisation maximale recouvre deux choses. La première, c'est le choix d'un règlement directement applicable dans les États membres. Cela n'est pas contesté.

Mais l'harmonisation maximale, c'est aussi le fait que les ratios fixés par ce règlement soient limitatifs et que le superviseur national ne puisse pas, de lui-même, les relever. C'est cela qui fait l'objet d'un refus, entre autres, de nos partenaires britanniques et suédois.

Or, harmonisation maximale ne veut pas dire harmonisation absolue : les autorités nationales peuvent jouer sur un coussin dit contracyclique, en fonction de la situation économique du pays. Ils peuvent également exiger des ratios supérieurs pour un établissement soumis à des risques particuliers, par exemple les établissements d'importance systémique. Ce qu'interdit l'harmonisation maximale, c'est simplement de relever les ratios de façon générale et sans justification, c'est-à-dire sans discussion par le dispositif européen de supervision, Autorité bancaire européenne et Comité européen du risque systémique.

Quel est l'enjeu pour nos partenaires britanniques ? En réalité, l'objectif semble être de remettre en cause, précisément, ce cadre européen de supervision : de le contourner, de ne pas être soumis à sa discussion et, éventuellement, à sa validation. Derrière le débat sur l'harmonisation maximale, il y a donc la volonté de permettre une renationalisation du cadre de supervision.

Cette renationalisation aurait des conséquences sur la distribution du crédit dans les Etats dont le système bancaire est surtout constitué de filiales de grandes banques étrangères puisque, pour respecter les exigences de leurs superviseurs nationaux, ces banques réduiraient la distribution de crédit non pas dans leur pays d'origine - le superviseur les en empêcherait - mais dans les pays d'implantation des filiales.

Pour les Britanniques, il est en outre important de renationaliser le cadre de supervision puisqu'ils ne souhaitent pas soumettre la mise en oeuvre de leur réforme Vickers de séparation des activités bancaires au processus européen de supervision.

La question de l'harmonisation maximale est donc liée à la réponse que l'on souhaite apporter au problème des établissements d'importance systémique. Je regrette à cet égard que la proposition européenne n'apporte pas d'autre réponse à ce problème que de permettre, en creux, l'imposition d'une surcharge systémique par les autorités nationales.

Chaque État doit rester libre d'apporter la réponse qu'il estime la meilleure à ce problème, dès lors que ce sont les contribuables qui les renfloueraient en cas de difficulté. Mais les décisions de chacun ont des conséquences sur les autres et c'est précisément pour les apprécier que les instances collégiales européennes ont été mises en place.

Pour répondre au problème systémique, la séparation des activités ne doit pas être taboue. Je ne plaide pas pour une application aveugle de la règle Volcker ou du rapport Vickers. Je souhaiterais surtout que nous cessions d'écarter le sujet d'un revers de la main, au nom du sacro-saint modèle de la « banque universelle » qui a, soi-disant, « si bien résisté à la crise ». C'est pourquoi je serai attentive non seulement aux conclusions des travaux du groupe d'experts qui a été mis en place par le commissaire Barnier en janvier 2012, mais aussi à la manière dont les Américains et les Britanniques appliquent concrètement les règles dont ils ont décidé le principe.

Un mot, enfin, de l'application internationale de Bâle III. L'Union européenne est une fois de plus en avance dans la transposition des règles de Bâle. Or, comme vous le savez, les Etats-Unis manient l'ambiguïté sur leur intention d'adopter Bâle III. Le PDG de JP Morgan déclarait encore récemment que ces règles étaient « anti-américaines ». En un mot, le chemin est encore long et le sera d'autant plus si les Européens sont les seuls à l'emprunter.

En tout état de cause, je regrette que l'harmonisation internationale ne soit pas d'abord passée par une harmonisation des normes comptables, comme l'avait recommandé le groupe de travail commun Sénat et Assemblée nationale.

J'ai bien conscience de n'avoir pas épuisé mon sujet mais je vous propose, comme la dernière fois, d'évoquer certains aspects de « CRD IV » au moment de l'examen des amendements.

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