Intervention de Jacques Berthou

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 février 2012 : 1ère réunion
Partenariat de défense entre la france et les comores — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jacques BerthouJacques Berthou, rapporteur :

L'accord signé avec les Comores fait suite aux quatre accords précédents approuvés en 2011 par le Parlement français, illustrant l'évolution de notre politique africaine en matière de défense annoncée par le président de la République au Cap en février 2008 ; l'importance de l'Afrique dans la stratégie de défense de la France a été rappelée par le Livre blanc publié la même année et confirmée, dans le cadre de la révision de celui-ci, tant par notre commission dans son rapport d'information que par le document préparatoire publié par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).

Comme rappelé dans les différents rapports de notre collègue Philippe Paul, notre présence militaire sur ce continent s'articule aujourd'hui autour de trois axes, le premier d'entre eux étant la réduction de celle-ci. En application de la réorganisation recommandée par le Livre blanc, le dispositif permanent consiste en effet aujourd'hui en deux bases opérationnelles avancées, situées à Djibouti et à Libreville, un pôle de coopération à vocation régionale au Sénégal et une implantation à Abou Dhabi. Comptant 4 300 militaires, ce dispositif devrait être ramené à 4 100 postes en 2014 dont environ 3 500 en Afrique et pourrait être complété par un pôle de coopération à vocation régionale localisé au Tchad. Dans un rapport d'information en février 2011, notre commission a estimé que ce format était pertinent mais que, compte tenu du contexte, sa réduction devrait sans doute être repensée.

Le deuxième axe de notre politique africaine de défense est le développement de sa dimension multilatérale. Comme l'a souligné récemment M. Alain Juppé, il s'agit, d'une part, d'aider les Africains à construire leur propre architecture de défense et de sécurité au travers de l'Union africaine et les organisations sous-régionales et, d'autre part, de faire de l'Union européenne un partenaire majeur en faveur de la paix et de la sécurité du continent, mettant ainsi en oeuvre la stratégie conjointe adoptée à Lisbonne en décembre 2007.

La présence militaire française en Afrique aide en priorité l'Union africaine et les organisations sous-régionales en accompagnant la montée en puissance de la force africaine en attente (FAA) et en préparant et soutenant les unités africaines engagées dans les opérations de maintien de la paix. Cette force, composée de troupes d'intervention, devrait être opérationnelle à l'horizon 2015 mais, malgré d'indéniables progrès, sa constitution se heurte à des obstacles politiques et financiers, ainsi qu'à des difficultés en matière de ressources humaines et d'interopérabilité.

Enfin, troisième axe de notre politique, la rénovation des relations bilatérales, les accords de défense signés lors des indépendances étant aujourd'hui dépassés. Le Livre blanc avait proposé l'abrogation des clauses ou conventions relatives aux possibilités d'intervention de la France en vue du maintien de l'ordre intérieur et le vote de ces accords par le Parlement. C'est ainsi que sept ayant été renégociés, quatre d'entre eux - relatifs au Cameroun, au Gabon, à la République centrafricaine et au Togo - ont été approuvés par le Parlement et publiés, les accords avec ces deux derniers étant entrés en vigueur.

L'accord avec les Comores, signé le 27 septembre 2010, a été approuvé par l'Assemblée nationale le 24 novembre 2011, deux accords - avec Djibouti et avec la Côte d'Ivoire - ayant en outre été signés depuis. Des négociations sont en cours avec le Sénégal, qui pourraient aboutir rapidement et enfin la question se pose d'un nouvel accord de partenariat de défense avec le Tchad. Deux types d'accords existent selon que la France dispose ou non d'une présence militaire. Lorsque c'est le cas, comme à Djibouti, au Gabon et au Sénégal, l'accord comporte, outre la définition des coopérations techniques et des actions de formation, une annexe précisant les facilités accordées par le pays hôte pour la vie courante et l'entraînement des troupes mais ne prévoit plus, sauf pour Djibouti, d'assistance de la France en cas d'agression extérieure.

Tout en s'inscrivant dans ce cadre, les Comores présentent la particularité d'être limitrophes de la France d'outre-mer et de posséder des liens étroits avec notre pays, illustrés par l'importance des communautés comoriennes qui y vivent.

Rappelons que l'Union des Comores, située dans le Canal du Mozambique, est un Etat indépendant depuis 1974 composé de trois îles, la quatrième île de l'archipel étant devenue le département français de Mayotte. D'une population estimée à 700 000 habitants qui pourrait atteindre 1,5 million en 2050, il s'agit de l'un des pays les moins avancés ; 45 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Il est structurellement dépendant des financements extérieurs provenant essentiellement des transferts des quelque 300 000 émigrés résidant majoritairement en France et de l'aide des principaux bailleurs tels que notre pays, l'Union européenne et la Chine. Dans ce contexte, les départs vers la France se poursuivent, une importante immigration irrégulière notamment, vers Mayotte, s'ajoutant aux 6 000 autorisations délivrées en 2011.

L'Union, membre de la Ligue arabe, a développé des relations avec les pays arabes, notamment avec le Qatar mais, hormis des coopérations ponctuelles, les projets d'envergure peinent à se concrétiser.

En outre, ce pays a longtemps souffert d'une instabilité politique chronique, liée notamment aux velléités de sécession de l'île d'Anjouan qui a été résolue, en 2008, par une intervention militaire de l'Union africaine.

Si la France est un partenaire de leur développement, les relations des Comores avec notre pays restent marquées par leur refus de reconnaître l'appartenance de Mayotte à la République française, cette revendication étant toutefois soutenue de façon moins offensive dans les enceintes internationales. L'aide de la France, de l'ordre de 13 millions d'euros en 2011, est importante et de nombreux projets sont à l'étude mais ils butent sur une faible capacité de mise en oeuvre locale en raison de l'instabilité politique, des conflits de compétences entre l'Union et les îles autonomes qui la composent, ainsi que du manque de qualification de la population. Quant à l'intérêt stratégique de l'archipel des Comores, il demeure relatif, le canal du Mozambique n'étant qu'une route commerciale secondaire. La région n'est marquée par aucun conflit et se trouve à plus de 1 000 kilomètres des principaux théâtres d'action des pirates somaliens, même si celle-ci s'étend occasionnellement vers le Sud.

En fait, l'enjeu essentiel des Comores pour la France réside dans la proximité de deux départements français de l'océan Indien, les difficultés de l'archipel se traduisant quasi-mécaniquement par un afflux de réfugiés à Mayotte et, dans une moindre mesure, à La Réunion, dont les capacités d'accueil sont limitées.

Les deux pays ont donc un intérêt mutuel à la ratification du présent accord. Pour la France, outre qu'il s'agit d'une nouvelle étape dans la rénovation de ses partenariats de défense, l'aide au développement doit constituer un moyen de stabiliser cet État et ses relations de proximité territoriale avec Mayotte. Quant à l'Union, après avoir été tentée par un rapprochement avec certains pays musulmans, elle considère aujourd'hui Paris comme un partenaire fiable cherchant à renforcer la stabilité de l'archipel, sans y poser de condition politique. Cet accord est en outre le gage de la modernisation de son appareil de défense et d'une meilleure formation des personnels d'une armée nationale modeste, composée de 800 militaires et d'une composante de garde-côtes de seulement 20 personnes.

Afin de moderniser le cadre juridique de notre relation de défense, l'accord fixe en son article 2, les principes du partenariat centré sur une coopération militaire, elle-même inscrite dans le partenariat stratégique entre l'Union africaine et l'Union européenne, son article 4 détaillant les domaines couverts par l'accord allant des échanges d'informations relatifs aux risques et aux menaces au conseil et à la formation des forces, avec la mise à disposition de coopérants militaires français. En outre, il prévoit un conseil spécifique en matière de sécurité maritime et l'accueil de personnels comoriens dans les écoles militaires françaises.

L'article 5 relatif aux facilités opérationnelles et au soutien logistique renvoie à des accords ou arrangements techniques spécifiques.

Quant au titre II relatif au statut des membres du personnel en poste sur le territoire de l'autre pays, il détermine, dans ses articles 7 à 14, les formalités d'entrée et les conditions de séjour des personnels et personnes à charge et introduit, par l'article 15, une clause de compétence juridictionnelle prévoyant la non application de la peine de mort à l'encontre d'un ressortissant de l'une des deux parties, alors que celle-ci est inscrite dans le droit pénal comorien.

L'article 16 procède au règlement d'éventuels dommages humains et matériels résultant de l'application de l'accord et l'article 17 précise les règles d'accès aux informations et matériels classifiés, les articles 18 à 23 fixant, pour leur part, les conditions dans lesquelles les forces françaises peuvent évoluer sur le territoire des Comores, après autorisation préalable de Moroni.

Enfin, l'article 25 abroge les accords de défense antérieurs, notamment la clause prévoyant un engagement quasi automatique de la France en cas d'agression à l'encontre des Comores, le texte indiquant dans son exposé des motifs que la France n'a pas non plus vocation à intervenir dans l'archipel en cas de crise intérieure.

En conclusion, le projet d'accord répondant aux mêmes principes que les quatre accords précédemment approuvés par le Sénat, rien ne me semble s'opposer à leur ratification. Toutefois, en cohérence avec la position de mon groupe lors de l'examen de ces accords, je m'en remettrai à la sagesse de notre commission, précisant qu'il pourrait être examiné selon la procédure simplifiée dans la mesure où il ne prévoit pas d'engagement ou de stationnement permanent de militaires français.

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