Intervention de Christian Bataille

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 15 février 2012 : 1ère réunion
L'avenir de la filière nucléaire en france — Présentation du rapport de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Christian Bataille, député :

Les déplacements que nous avons effectués en Allemagne, avec Marcel Deneux, et au Japon, avec Catherine Procaccia, nous ont permis de confirmer que les choix énergétiques dépendent avant tout des spécificités nationales et des processus historiques.

L'Allemagne n'est pas l'eldorado des énergies renouvelables. C'est le charbon qui domine, moitié pour la houille et moitié pour le lignite, ce dernier produisant près d'un quart de l'électricité allemande. Les Allemands nous ont dit qu'ils avaient 350 ans de réserves de lignite. Ils importent également du gaz de Russie. Quant à la part d'énergie renouvelable, elle est limitée à seulement 16 %. Ils connaissent une certaine réussite sur l'éolien et expérimentent les énergies vertes.

Le Japon, pour sa part, est sur la voie de l'arrêt de toutes ses centrales nucléaires : certaines ont été arrêtées pour des raisons de sécurité après l'accident de Fukushima, tandis que les autres, stoppées pour révision ou investissements, n'ont pas pu redémarrer parce que les autorités n'ont pas voulu en prendre la responsabilité.

La situation est donc très tendue dans ce pays : nous avons constaté sur place de fortes tensions sur l'approvisionnement en électricité. Le Japon va devoir s'approvisionner massivement en gaz et en pétrole sur les marchés mondiaux.

Plus généralement, l'audition du 27 octobre 2011 sur les politiques énergétiques a montré que les choix énergétiques sont aussi déterminés par la progression de la demande, notamment dans les pays émergents. Malgré le rôle croissant des énergies renouvelables, l'alternative sera pour eux pendant encore de nombreuses années, entre les énergies fossiles et l'énergie nucléaire. On ne peut donc pas éluder le débat sur les coûts économiques, écologiques et sanitaires respectifs de ces deux formes d'énergie, ce qui ne doit pas empêcher de préparer le long terme par le développement de technologies et de filières encore plus performantes.

Pour notre pays, le recours à l'industrie nucléaire s'est inscrit dans un contexte national spécifique. Elle nous a permis de répondre, malgré l'épuisement des réserves d'énergie fossile de notre sous-sol, à quatre priorités stratégiques.

La première priorité est de disposer d'une production électrique suffisante et adaptée, en énergie et en puissance. En effet, au cours des trente dernières années, notre consommation intérieure d'électricité, tirée par une démographie et une économie orientées à la hausse, s'est accrue deux fois plus vite que la consommation d'énergie, en passant d'un peu plus de 150 térawattheures (TWh) au début des années 1970 à près de 500 TWh aujourd'hui. Les besoins en électricité se sont multipliés, par exemple en matière de santé, avec le développement de technologies toujours plus performantes dans les hôpitaux, les usages industriels, le chauffage résidentiel avec aujourd'hui les pompes à chaleur, le maintien de la chaîne du froid dans l'agro-alimentaire, les outils de signalisation ou la démocratisation des matériels électroniques et de l'informatique. Ces besoins iront croissants avec le déploiement des automobiles électriques. Le choix de l'électricité nucléaire a permis de disposer d'un outil assez puissant pour couvrir en quantité suffisante les besoins d'électricité liés à ces évolutions des modes de consommation, tout en permettant une forte réduction de la production thermique à flamme.

La deuxième priorité est l'indépendance énergétique, tant dans l'approvisionnement que dans le savoir-faire. À cet égard, il faut rappeler que notre pays importe la quasi-totalité des énergies fossiles qu'il consomme, pour un montant supérieur à 45 milliards d'euros, à peu près égal, en 2010, au déficit de notre balance des paiements. Pourtant, grâce à la production électronucléaire, notre taux d'indépendance énergétique est proche de 50 %. Nos approvisionnements en uranium, limités annuellement à 8 000 tonnes et à un coût de 200 millions d'euros, sont sécurisés par leur provenance depuis plusieurs régions du monde. De plus, le retraitement des combustibles usés à La Hague permet d'assurer près du cinquième de l'approvisionnement annuel de nos réacteurs. Notre indépendance énergétique se trouve donc confortée par l'autonomie technologique de notre industrie nucléaire, qui maîtrise tous les procédés qu'elle utilise.

La troisième priorité est la préservation du développement de notre tissu économique et industriel par une énergie peu chère et de qualité. Les chocs pétroliers ont démontré que la disponibilité en énergie constitue une composante essentielle de la croissance économique. L'énergie nucléaire, avec son coût de production à la fois bas et stable, a fourni une assise de long terme à la croissance en France. Cet avantage de coût est illustré par une étude récente de l'Union française de l'électricité qui montre qu'une réduction de 75 % à 20 % du parc nucléaire aboutirait à l'horizon 2030 à un quasi doublement du prix de l'électricité pour les particuliers comme pour les entreprises. Cet avantage en termes de coût permet aussi d'éviter que nombre de nos concitoyens à faibles revenus ne tombent dans la précarité énergétique du fait des à-coups des marchés énergétiques mondiaux. Il permet enfin d'éviter les risques de délocalisation d'activités et de destruction de PME que pourrait provoquer la délivrance d'une énergie moins fiable et plus chère. Au Japon, l'organisation patronale, qui comprend des industries électro-intensives, nous a fait part de son désarroi face à la pénurie d'électricité liée à l'arrêt progressif, mais inexorable, de l'ensemble des centrales nucléaires.

La quatrième priorité est la neutralité environnementale de notre outil de production électrique. Dans le contexte international de lutte contre le changement climatique, le recours à l'énergie nucléaire présente l'atout incontestable de délivrer une puissance considérable sans émettre de gaz carbonique, sauf celui résultant de l'utilisation d'énergies fossiles dans certaines phases du cycle du combustible nucléaire (extraction de l'uranium, préparation du combustible, transports). Les données fournies par l'Agence internationale de l'énergie sur les émissions de CO2 par pays montrent que la France, avec 90 grammes par kWh, est globalement mieux placée que le Danemark avec 303 grammes par kWh, et surtout que l'Allemagne, qui émet 430 grammes par kWh. Pour produire une unité de produit intérieur brut, la France diffuse deux fois moins de CO2 que l'Allemagne.

À cet égard, il faut souligner ce que serait la situation de la France si une décision comparable à celle prise en Allemagne y était mise en oeuvre : ne disposant pas de ressources en charbon analogues dans son sous-sol, elle ne pourrait qu'accroître massivement ses importations de gaz, avec des conséquences lourdes en termes de balance des paiements et d'indépendance énergétique. Quand nous nous sommes rendus dans ce pays, les Allemands nous ont incités à ne pas arrêter nos centrales pour acheter de gros volumes de gaz, car cela ferait augmenter considérablement les prix.

Le développement à grande échelle d'énergies renouvelables intermittentes, sans percée technologique sur les moyens de stockage, impliquerait automatiquement une augmentation de la part des sources fossiles dans la production électrique. Cet accroissement de la dépendance de notre pays aux énergies fossiles étrangères serait préjudiciable pour trois raisons.

Tout d'abord pour des questions géostratégiques. En effet, un accroissement de notre approvisionnement en ressources fossiles étrangères constituerait un élément d'instabilité supplémentaire dans une période déjà particulièrement volatile. Ne disposant ni de gaz ni de charbon, nous serions alors à la merci des soubresauts des marchés énergétiques.

De plus, une telle augmentation de notre dépendance envers les ressources fossiles est, sur le moyen et long terme, un non-sens économique. Les réserves d'énergies fossiles, qu'elles soient de pétrole, de charbon, ou de gaz, sont des réserves finies alors que la croissance de la demande mondiale est exponentielle et que les réserves les plus facilement accessibles sont les premières à avoir été mises en exploitation.

Enfin, le retour à une part plus importante d'énergies fossiles est également peu souhaitable pour des raisons environnementales. La consommation d'énergies fossiles carbonées telles que le gaz ou le charbon sont à l'origine de l'augmentation de la concentration en gaz à effet de serre, les possibilités techniques de capture et de stockage du CO2 n'étant que balbutiantes et avec un impact environnemental incertain.

Nous considérons donc qu'il serait irresponsable de réorienter nos capacités de production électrique vers du thermique à flamme afin de pallier l'intermittence d'un parc renouvelable développé dans la précipitation. Le maintien du parc thermique à son niveau actuel est adéquat pour permettre un développement raisonné des énergies intermittentes, en attendant les solutions industrielles de stockage d'électricité, tout en agissant de manière déterminé pour maîtriser la pointe électrique.

Je vais à présent laisser la parole à Bruno Sido qui va justement évoquer les développements qui restent nécessaires dans le domaine du stockage et des réseaux intelligents pour permettre aux énergies renouvelables de se substituer aux énergies fossiles ou à l'énergie nucléaire pour la production d'électricité.

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