Le degré de maturation des technologies d'exploitation des énergies renouvelables ne permet aujourd'hui d'envisager qu'une substitution limitée à l'énergie nucléaire. La substituabilité de ces deux types d'énergie pourrait toutefois s'accroître, à l'avenir, à condition de progresser dans deux directions : d'une part, la mise en place de réseaux intelligents ; d'autre part, le stockage de l'énergie.
Tout d'abord, les énergies renouvelables rencontrent plusieurs freins à leur développement.
Malgré un effort de recherche important, elles rencontrent toujours des obstacles technologiques, et connaissent des degrés de maturité divers. Les filières matures (hydroélectricité, éolien terrestre) ont un coût moins élevé que les technologies en développement (telles que le solaire photovoltaïque, la géothermie, l'éolien en mer). Même si certaines technologies progressent et que leur coût décroît très rapidement, il n'en faudra pas moins quelques décennies pour développer de véritables filières industrielles.
Par ailleurs, l'approvisionnement en matières premières, notamment en métaux rares, peut représenter à terme une contrainte.
Les infrastructures posent aussi des questions d'acceptabilité sociale et de conflits d'usage de la ressource. On le voit par exemple dans le cas des éoliennes marines, en raison de la proximité d'activités de pêche et de tourisme. Le déploiement des énergies renouvelables passe par une large concertation avec les acteurs locaux.
Ensuite, la déconnexion entre lieux de production et lieux de consommation rendrait problématique un développement massif et rapide des infrastructures d'exploitation d'énergies renouvelables. Celles-ci sont en effet implantées en fonction de la géographie et du climat. C'est le cas des énergies de la mer, de la géothermie, de la ressource hydroélectrique, qui satisfont des besoins de proximité. Bien que le vent et le soleil soient plus répandus, leurs moyens de production demeurent très concentrés et largement déconnectés des lieux de consommation. Cette situation implique de développer les réseaux, pour améliorer l'acheminement de l'électricité. La question n'est pas accessoire, car les délais de construction de lignes à très haute tension sont d'environ dix ans, très supérieurs aux délais de mise en route des infrastructures, qui sont de trois à quatre ans.
Au problème de l'acheminement s'ajoute celui de l'intermittence, qui entraîne une production fluctuante, c'est-à-dire un risque de pénurie ou, au contraire, de congestion. Certes, une compensation partielle peut être assurée à l'échelle d'un territoire, par un effet de moyenne qui permet de lisser la production globale. Mais ce mécanisme, dit de « foisonnement », est insuffisant car il est lui-même aléatoire. La production demeure difficilement prévisible, même au niveau agrégé d'un pays. Quand bien même la prévisibilité serait accrue, cela ne résoudrait pas complètement le problème du décalage entre production et consommation. Le risque est de devoir interrompre l'approvisionnement électrique, ou, au contraire, d'être dans l'obligation d'arrêter les moyens de production. L'Allemagne et le Royaume-Uni ont ainsi fait l'expérience d'arrêts forcés de leurs éoliennes. Le risque de décalage est encore plus évident dans le cas de l'utilisation d'énergie solaire puisque celle-ci fonctionne mieux l'été et le jour, alors qu'en France, le pic de consommation se situe l'hiver en soirée.
L'intégration des énergies éolienne et solaire dans le système électrique suppose donc l'existence de sources de secours rapidement mobilisables, pour compenser les fluctuations de production.
Or les centrales à énergies fossiles sont les équipements susceptibles de monter le plus rapidement en charge et sont utilisées en priorité pour compléter l'apport des énergies renouvelables. C'est le cas en Allemagne, où l'on constate un effort d'investissement dans des centrales au gaz à cycle combiné de dernière génération, caractérisées par un fort rendement et une grande flexibilité. On le voit, l'essor des énergies renouvelables est susceptible de s'accompagner paradoxalement d'un surcroît d'émission de gaz à effet de serre.
Dans un pays qui tire l'essentiel de son électricité de l'énergie nucléaire, comme la France, l'intérêt de développer les technologies de gestion de l'intermittence est grand, si l'on veut éviter que le développement des énergies renouvelables ne s'accompagne d'un recours à des capacités supplémentaires de centrales thermiques à flamme.
Quelles sont donc ces technologies de gestion de l'intermittence ?
En premier lieu, grâce aux technologies de l'information et de la communication, les réseaux « intelligents » peuvent contribuer à compenser les fluctuations dans la fourniture d'électricité. De nombreuses expérimentations sont en cours. En France, elles s'appuient sur le compteur Linky, qui dote les réseaux d'une capacité de pilotage très fin ; le Gouvernement en a d'ores et déjà décidé la généralisation.
Les réseaux « intelligents » visent à une optimisation des flux électriques entre clients et producteurs, avec des modulations possibles en fonction des besoins et de la tarification. Les expérimentations en cours permettront d'évaluer jusqu'à quel point ces dispositifs sont susceptibles d'absorber l'intermittence des sources décentralisées d'énergies renouvelables. Il ne faut toutefois pas en attendre de miracle : les réseaux « intelligents » permettront certes d'étendre, à production centralisée constante, la capacité d'adaptation à des fluctuations d'approvisionnement d'ampleur limitée, mais pas de s'affranchir d'un appel à des centrales thermiques à flamme ou à des dispositifs de stockage massifs, lorsque les variations d'ampleur deviennent plus importantes.
C'est pourquoi il faut engager dès à présent un effort de recherche et développement soutenu dans le domaine des dispositifs de stockage d'énergie. Les auditions réalisées ont permis de faire le point sur deux pistes qui paraissent bien adaptées pour répondre à des besoins de stockage massif d'énergie.
D'une part, les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), qui retiennent l'eau dans des réservoirs pour la déverser le moment voulu dans des turbines. Elles sont capables de délivrer des puissances de plusieurs gigawatts. Ce type d'infrastructure est particulièrement utile dans des contextes insulaires, non interconnectés, où le taux d'insertion des énergies renouvelables est volontairement limité, malgré un potentiel parfois considérable, afin d'assurer la sécurité d'approvisionnement. L'utilisation du dénivelé des falaises permettrait de développer le stockage et donc d'insérer davantage d'énergies renouvelables dans le bouquet électrique de ces zones. Il n'existe aujourd'hui qu'une seule STEP marine au monde, à Okinawa (Japon), mais un consortium français piloté par EDF étudie un projet de même nature en Guadeloupe, dans le cadre des investissements d'avenir.
D'autre part, le stockage d'énergie dans des hydrocarbures de synthèse est une piste qui présenterait le triple avantage de résoudre la question de l'intermittence, de permettre un recyclage du carbone, et de sécuriser l'approvisionnement énergétique des pays qui en maîtriseront la technologie. Plusieurs procédés sont à l'étude, notamment celui dit de « méthanation », qui consiste à produire du méthane par un mélange d'hydrogène et de gaz carbonique en présence d'un catalyseur. Le gaz obtenu peut être stocké ou distribué sur le réseau. La France doit s'engager, comme le fait l'Allemagne, dans cette voie d'avenir qui intéressera aussi les pays émergents fortement émetteurs de CO2.
Christian Bataille va maintenant vous présenter les différents scénarios évoqués dans le rapport.