Il est amusant de constater que la contribution de l'énergie nucléaire à la lutte contre le réchauffement climatique constitue un argument supplémentaire qui vient renforcer l'arsenal d'arguments plus anciens en faveur de l'énergie nucléaire en France. Pour autant, lier le nucléaire et la lutte contre le réchauffement climatique n'est pas totalement pertinent, car la question du réchauffement climatique se joue au niveau mondial. À ce niveau, l'énergie nucléaire représente moins de 5 % de l'énergie finale et 13 % de l'électricité mondiale. Or, personne n'imagine que la part du nucléaire dans l'énergie mondiale puisse croître, en tout cas en allant au-delà de l'accompagnement de la croissance de la consommation d'électricité. Il est certain que le nucléaire ne pourra pas croître à proportion de la réduction nécessaire des énergies fossiles au niveau mondial. Il existe deux raisons à cela. La première tient à ce que la technologie nucléaire se heurte aux limites des réserves d'uranium. La seconde tient à ce que cette technologie ne peut pas être vendue à n'importe qui : elle n'est acceptable que s'il y a transparence, indépendance d'une autorité de sûreté nucléaire - ce qui n'est pas le cas de l'Inde aujourd'hui - et s'il existe un haut niveau de protection civile, supposant un niveau de développement élevé.
En deuxième lieu, j'estime qu'il est réducteur de réduire le monde à deux catégories : les pro-nucléaire et les anti-nucléaire. Le débat est plus subtil. Il repose sur une question fondamentale : le nucléaire est-il une énergie d'avenir ou une énergie de transition ? Si c'est une énergie de transition, ce qui est le cas de pratiquement de toutes les énergies, à l'exception des énergies renouvelables, il faut alors penser l'après-nucléaire. Ce débat revêt une dimension technique mais aussi une dimension idéologique et économique. En effet, la spécificité française du nucléaire correspond à un modèle économique peu favorable aux énergies renouvelables. En France, depuis les années 1970, c'est l'offre d'énergie qui a déterminé la demande : ainsi, on a installé partout du chauffage électrique car on avait besoin de produire de l'électricité pour faire tourner l'appareil industriel. Les opérateurs qui ont un modèle économique fondé sur une consommation et une production élevées sont-ils les mieux à même de nous conduire vers la sobriété énergétique ? Par ailleurs, pour développer l'énergie renouvelable, nous avons besoin d'un modèle déconcentré et diversifié. Là encore, ce modèle est-il compatible avec les intérêts des opérateurs et constructeurs qui ont aujourd'hui la mainmise sur la politique énergétique de la France ?