Intervention de Thomas Piketty

Commission des affaires sociales — Réunion du 15 février 2012 : 1ère réunion
Loi de finances rectificative pour 2012 — Audition de M. Thomas Piketty

Thomas Piketty, économiste, professeur à l'école d'économie de Paris :

Sur la part patronale, bien sûr, puisqu'il n'y a plus de cotisations maladie et famille sur la part salariale, ou presque.

Il y a deux façons d'élargir l'assiette des cotisations patronales, si l'on écarte la TVA sociale : la CPG, que vous avez mentionnée, et la CSG. Je penche pour la seconde. Dans la contribution patronale généralisée, on conserve la cotisation patronale : elle est assise non plus sur les salaires mais sur la masse salariale et les bénéfices. Ce qui revient à augmenter l'impôt sur les sociétés. Cela a du sens, je ne le nie pas. Le basculement vers une CSG des ménages revient au même dans l'absolu, puisque les bénéfices, via les dividendes, sont taxés également... à cela près qu'une partie du capital des sociétés françaises est détenue par des résidents étrangers et qu'une part des placements des résidents français se fait à l'étranger. L'assiette continue à reposer sur les salaires (qui représentent déjà 70 % de l'assiette de la CSG) mais celle-ci est étendue aux revenus du patrimoine, aux bénéfices, aux profits.

La CSG présente l'avantage d'autoriser une gradation du taux en fonction du niveau de revenu individuel ; c'est la façon la plus transparente et la plus efficace d'appliquer un barème progressif pour financer la protection sociale. La CSG est montée de 0 % à 8 % en dix ans ; le processus peut se poursuivre.

Tout impôt peut être critiqué, mais on peut aussi trouver pire ! Au final, chaque prélèvement repose sur les richesses créées par le travail et l'investissement. C'est pourquoi il n'y a pas de miracle à attendre de la réforme en termes de compétitivité : une grosse part du prélèvement, TVA ou CSG, reposera sur les salaires, qui constituent la majorité des richesses créées. La prévision de cent mille emplois nouveaux me semble des plus optimistes. Personne en réalité ne peut prédire le résultat. L'écart de compétitivité avec l'Allemagne est phénoménal désormais. La France connaît aujourd'hui le plus lourd déficit commercial depuis que l'Insee calcule ce solde, c'est-à-dire depuis 1949 : 3 % du PIB. Inversement, l'Allemagne connaît son plus gros excédent, 6 % du PIB. Le coût du travail n'est qu'une composante - pas si importante - de la compétitivité. Sont plus fondamentaux le positionnement des secteurs, la qualité des produits, l'innovation, la formation. A long terme, notre rang mondial ne dépend guère de bidouillages sur les cotisations.

Cependant, inutile de charger la barque et si le transfert des cotisations patronales vers une CSG légèrement progressive allégeait un peu le coût du travail, ce ne serait pas un mal. Une sortie par le haut de la trappe à bas salaires deviendrait possible. A l'inverse, réduire le seuil d'exonération à 1,5 ou 1,4 Smic accentuerait cette trappe : il suffirait que l'entreprise augmente de 100 euros un salaire faible et elle retomberait dans le taux plein des cotisations... Il n'est pas sain de concentrer les allègements de charges autour du Smic. Etendre au contraire cette exonération jusqu'à 2,1 Smic puis, demain, sur l'ensemble des salaires, serait une bonne chose.

Je le répète, la TVA sociale est une mauvaise réponse à une vraie question. Un point de cotisations patronales rapporte 6 milliards d'euros, un point de CSG, 12 milliards, car cette dernière porte aussi sur les salaires du secteur public, les revenus de remplacement, les revenus du patrimoine. Pour cette raison, elle doit être progressive et mise en place petit à petit. Bricoler des taux réduits pour les pensions de retraite, verser une prime pour l'emploi, cela ne me semble pas bon, si l'on veut utiliser plus largement la CSG. Après l'impôt du XXe siècle, progressif et prélevé à la source, l'impôt du XXIe siècle serait-il indirect et assis sur la consommation ? Je n'y suis pas favorable.

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