Intervention de Bernard Piras

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 22 février 2012 : 1ère réunion
Accord de coopération en matière de lutte contre la criminalité entre la france et le kazakhstan — Accord de coopération entre la france et le kazakhstan en matière de protection civile prévention et élimination des situations d'urgence - examen du rapport et des textes de la commission

Photo de Bernard PirasBernard Piras, rapporteur :

La France a conclu avec le Kazakhstan, le 6 octobre 2009, deux accords de coopération en matière de lutte contre la criminalité et dans le domaine de la protection civile, et la prévention des situations d'urgence. Ces accords s'ajoutent à celui, signé le même jour, de coopération en matière militaire, que nous avions adopté le 11 mai 2011 sur la proposition de notre collègue Jean Besson.

Après vous avoir brièvement présenté la situation du Kazakhstan, je vous décrirai le contenu de ces deux accords « civils ». Je vous précise qu'après avoir constitué un ferme soutien de la communauté des Etats indépendants (CEI), le Président du Kazakhstan, Nursultan Nazarbaïev, tout en maintenant des rapports étroits avec la Russie, a entrepris de diversifier ses appuis. Son pays a ainsi conclu des accords en matière de sécurité intérieure avec les Etats-Unis, la Chine, ainsi que différents pays européens dont l'Allemagne, en 1995, l'Italie en 2009 et l'Espagne en 2011.

La volonté de se différencier de ceux de ses voisins issus, comme lui, de l'empire soviétique, comme le Kirghizistan, l'Ouzbékistan et le Turkménistan, traduit l'aspiration du Président Nazarbaïev à voir son pays considéré comme une puissance en devenir.

Ce dessein politique s'appuie sur la position-clé du Kazakhstan, situé au coeur de l'Asie centrale, avec une imposante superficie de 2,725 millions de km² et de considérables ressources naturelles : uranium, zinc, argent et bauxite, cuivre, fer et phosphates, et des réserves de gaz et de pétrole considérables dont l'ampleur exacte reste à évaluer.

Le Kazakhstan, cinq fois grand comme la France et peuplé de 16 millions d'habitants, est indépendant depuis 1991. Pays le plus ouvert de l'Asie centrale sur le plan économique, il représente près des 2/3 du PIB de cette zone et prévoit de faire partie, en 2030, des 50 économies les plus concurrentielles au monde. Il est notre principal partenaire économique en Asie centrale, et la France a noué avec lui, dès 2008, un partenariat stratégique fondé sur un dialogue politique au plus haut niveau, avec des rencontres annuelles des chefs d'Etat et des relations économiques très dynamiques, impliquant de grandes entreprises françaises comme Areva, Total, Thales, Alstom et Eurocopter.

La situation intérieure est caractérisée, jusqu'à présent, par une grande stabilité.

Le Président Nazarbaev, âgé de 72 ans, dirige le pays depuis son indépendance. Son mandat a été prolongé en 1995 et il a été réélu deux fois pour sept ans, en janvier 1999 et décembre 2005, puis pour cinq ans le 3 avril 2011. La question de sa succession n'est pas publiquement évoquée, mais est porteuse de risques pour la stabilité du régime. En effet, le seul parti vraiment dans l'opposition est le Parti Communiste du Kazakhstan, et les libertés publiques tendent à être restreintes, avec des condamnations en justice de journalistes ou de syndicalistes, l'interdiction de sites internet dits « extrémistes », une loi sur les « communautés religieuses » critiquée par l'OSCE car limitant la liberté religieuse.

Ces mesures interviennent dans un contexte de tensions sociales et de développement d'actes extrémistes, surtout dans l'ouest du pays, qui inquiètent particulièrement les autorités au vu des récentes révolutions arabes.

Les élections législatives du 15 janvier 2012 ont consacré la suprématie du parti présidentiel avec 80 % de voix. Je déplore, sur ce point, qu'aucune mention de ces élections ne figurent sur le site électronique du ministère des affaires étrangères, dont la dernière mise à jour remonte au... 12 avril 2011.

Je ferme cette parenthèse et en reviens au Kazakhstan, neuvième pays du monde par la superficie et dont les immenses frontières sont extrêmement difficiles à contrôler.

Bien que cela se ressente assez peu dans le pays, les menaces sécuritaires qui pèsent sur le Kazakhstan sont réelles, diverses et nombreuses. Elles touchent essentiellement le terrorisme, le trafic de drogue, la corruption et le trafic d'êtres humains.

En matière de risques naturels, les plus importants sont les tremblements de terre (Almaty a été totalement détruite par des séismes en 1887 et 1921), les feux de forêts en montagne et les inondations. Les risques technologiques découlent essentiellement des nombreuses industries chimiques, de l'exploitation pétrolière, et des retombées des activités nucléaires qui y ont été menées par l'URSS.

Pour y faire face, le Kazakhstan dispose de plusieurs forces de sécurité.

Le Kazakhstan a ainsi hérité de l'ex Union Soviétique une organisation des services de sécurité intérieure comparable à celle des autres républiques d'Asie Centrale, mais, malgré plusieurs réformes, la répartition des tâches et la coordination entre les divers ministères et services sont, encore aujourd'hui, largement perfectibles.

Le ministère de l'Intérieur est le principal service de répression des infractions. Il compte environ 100 000 agents et est chargé de tous les problèmes de police générale et de maintien de l'ordre, de la police de la route et du service d'immigration.

L'organisation de ces services est de type pyramidal : les directions centrales sont subdivisées en services territoriaux. Chacune des quatorze régions et les villes d'Astana et d'Almaty, disposent ainsi d'un service spécialisé.

En 1998, ont été créés des services interrégionaux de lutte contre la criminalité organisée, regroupant plusieurs régions et domaines d'action. Les personnels sont désormais en mesure de suivre et de combattre la criminalité organisée sous toutes ses formes, y compris le trafic de stupéfiants.

Le ministère dispose également d'un département des passeports et des visas, d'un centre informatique et d'un département des moyens techniques et des armes.

La police de la route, est un service fédéral, relayé par des directions dans chaque province. Elle est divisée en deux départements : l'un chargé de l'inspection des véhicules, et l'autre assurant des services de patrouilles et de surveillance. Dans les grandes villes comme la capitale les fonctionnaires disposent d'une salle de commandement avec des plans de régulation de la circulation.

Enfin, la direction des transmissions et de l'informatique gère l'ensemble des fichiers utilisés par le ministère de l'Intérieur du Kazakhstan et l'informatisation des services.

La police kazakhstanaise recourt à de nombreux fichiers récapitulant les personnes retenues, condamnées ou emprisonnées, les délits administratifs réprimés par des amendes, les personnes et véhicules recherchés, les personnes en liberté surveillée, les récidivistes, les personnes disparues et les armes volées. Par ailleurs, il existe un système de traitement des empreintes digitales.

Le comité national de sécurité (KNB) est l'héritier du KGB soviétique. S'il garde sa vocation première de défense de la sécurité de l'Etat, il a orienté ses activités dans d'autres domaines comme la lutte contre le terrorisme, la grande criminalité, le trafic des stupéfiants ou la corruption.

Cette dernière est très fréquente au Kazakhstan et touche tous les échelons de l'administration.

Disposant d'une bonne technicité dans le domaine du renseignement, c'est le seul service qui, véritablement, dispose d'unités centrales et régionales d'analyse du renseignement opérationnel.

La coordination avec le ministère de l'Intérieure reste perfectible même si son monopole en matière de renseignement n'est pas contesté, et que son activité dans le domaine des enquêtes reste limitée aux dossiers particulièrement importants ou ayant un caractère international.

Les garde-frontières sont rattachés au KNB. Ils ont pour tâche d'assurer l'intégrité du territoire national et n'ont aucune compétence dans les affaires intérieures de l'Etat.

Les informations dont ils peuvent avoir connaissance sur les trafics transfrontaliers sont, naturellement, transmises au KNB.

Enfin, le comité des douanes est rattaché au ministère des Finances. Il dispose d'un effectif limité de 6 000 agents, pour un pays couvrant la superficie de l'Europe, dont 350 sont chargés des problèmes de contrebande et de trafic illicite.

En matière de sécurité civile, c'est le ministère des Situations d'urgence, sous l'autorité directe du Premier ministre, qui regroupe les différentes composantes de la protection civile : services de sapeurs-pompiers, médecine de catastrophe, sauvetage, lutte contre les incendies, planification et prévention. Il possède une organisation structurée avec des directions fonctionnelles chargées des nouvelles technologies, de la sécurité industrielle et de la sécurité des bâtiments, et des directions opérationnelles chargées des opérations de secours, de la coordination des organisations publiques et de la de gestion de crise. Le service d'incendie dispose de 17 000 sapeurs-pompiers militaires et civils et de 100 000 volontaires répartis dans les 19 régions du pays.

L'essentiel des forces d'intervention est constitué par les sapeurs-pompiers qui représentent 80 % des effectifs.

L'organisation est très hiérarchisée et d'un fonctionnement rigoureux. De nombreux cadres sont issus de formations militaires et ont une expérience de commandement dans des périodes de conflit.

Ce ministère dispose donc de moyens adaptés pour faire face à des problématiques très diverses. La structuration est issue de la politique de protection des populations telle qu'elle était mise en oeuvre par l'Union Soviétique dans un contexte de guerre froide. Les matériels sont rustiques mais fonctionnels dans un environnement hostile où les écarts de température et les contraintes d'utilisation sont sévères.

Une importante culture de protection des populations et de maintien de la continuité nationale existe donc, en particulier dans les villes d'Astana et d'Almaty, avec une chaîne continue depuis les autorités chargées de la protection des populations jusqu'au citoyen.

Notre coopération technique se focalise sur des actions de formation. Ainsi, les quatre actions réalisées en 2010 ont porté sur la formation de maîtres-chiens, la lutte contre les produits dopants, la lutte contre les incendies en milieu urbain et rural, et la négociation en matière de prise d'otages.

La poursuite de la coopération en 2012 devrait porter sur la lutte contre la corruption, l'amélioration de la formation policière en matière de respect des droits de l'homme, la lutte contre le trafic de drogue et des techniques de négociation en matière de prise d'otage.

En matière de sécurité civile, les autorités kazakhstanaises manifestent leur souhait de développer les actions de coopération avec la France dont ils souhaiteraient s'inspirer des compétences techniques et humaines.

Cette coopération peut apporter des améliorations notables dans les domaines suivants :

- la prévention des risques bâtimentaires (sécurité dans les immeubles de grande hauteur et les établissements industriels), avec l'évolution des villes importantes vers des constructions verticales ;

- la formation des sauveteurs dans le domaine des feux de forêt (notamment concernant la coordination entre moyens aériens et terrestres) et des feux urbains ;

- la formation des sauveteurs dans des domaines spécialisés, comme en milieu aquatique et en montagne ;

- les équipements de désincarcération et de dégagement de personnes ensevelies, qui sont peu développés au sein des services de secours kazakhstanais ;

- la prévision, avec l'établissement de plans de secours.

Nous ne pouvons que nous féliciter que notre savoir faire en matière policière et de sécurité civile soit sollicité par ce grand pays qui souhaite améliorer ses capacités en ce domaine. Je vous engage donc à adopter ces deux accords de 2009, déjà ratifiés par l'Assemblée nationale, et vous propose que leur examen s'effectue sous forme simplifiée.

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