Intervention de Claude Jeannerot

Commission mixte paritaire — Réunion du 21 février 2012 : 1ère réunion
Commission mixte paritaire relative à l'organisation du service dans les entreprises de transport aérien de passagers

Photo de Claude JeannerotClaude Jeannerot, rapporteur pour le Sénat :

Concilier les intérêts des salariés, qui font usage d'un droit fondamental pour une revendication professionnelle, et ceux des usagers, qui peuvent subir les conséquences d'une grève, est un exercice délicat qui mérite une vraie réflexion. Je ne pense pas, et la majorité sénatoriale avec moi, que la période actuelle soit le moment approprié pour la mener. N'y voyez pas là une marque d'immobilisme : convenez plutôt qu'à moins de trois mois de l'élection présidentielle, le temps des réformes sociales est passé.

C'est la raison pour laquelle le Sénat a choisi d'opposer la question préalable à cette proposition de loi qui, si elle ne le dit pas explicitement dans son titre, a pour conséquence d'encadrer l'exercice du droit de grève dans les entreprises du secteur du transport aérien. Ce n'est pas dans un climat serein que le texte a été examiné : celui-ci a contribué à exacerber les tensions dans les aéroports, dans un contexte médiatique simplificateur. L'objectif est bien de faire adopter - coûte que coûte - un texte avant la fin de la session parlementaire, afin de conforter une certaine opinion publique, sans se soucier des conséquences sur des salariés dont la situation est souvent précaire.

Pour autant, je ne veux pas verser dans la caricature : certains ont pu le faire en annonçant que cette proposition de loi vise à mettre en place un service minimum ou garanti. Mais elle ne constitue pas une réponse adaptée au problème qu'elle prétend résoudre. Il faut cesser d'opposer systématiquement les salariés aux voyageurs. Une telle attitude est un facteur lourd de division au sein de notre société.

Compte tenu de la divergence de nos positions, il n'est pas utile de revenir sur chaque article, mais j'aimerais simplement souligner les deux points qui ont semblé les moins acceptables au Sénat.

D'abord, la transposition au secteur aérien, quasiment telle quelle, de la loi du 21 août 2007 relative au dialogue social dans les transports terrestres n'est pas réalisable compte tenu des différences majeures qui existent entre ces secteurs. Imposer aux salariés de déclarer à leur employeur leur intention de faire grève quarante-huit heures à l'avance aura pour principal effet de rendre l'exercice de ce droit plus malaisé. C'est tout particulièrement vrai pour les dizaines de milliers de salariés de l'assistance en escale dont la situation, souvent précaire, ne permet pas d'obtenir par la négociation une amélioration de leurs conditions de travail. Leur voix risque de devenir inaudible si, du fait de pressions de leur employeur, ils ne peuvent plus défendre leurs droits par la grève.

Ensuite, le second délai imposé aux salariés grévistes - ou qui ont fait part de leur intention de grève - aurait des effets plus néfastes encore. Les obliger à informer leur employeur, vingt-quatre heures à l'avance, qu'ils renoncent à la grève ou qu'ils veulent reprendre le travail, sous peine de sanction disciplinaire, constitue une atteinte à leur capacité de libre détermination. C'est d'autant plus injustifié que cette contrainte serait inopérante dans le secteur aérien, où il serait impossible de rétablir l'activité dans un si court délai. En poussant cette logique à son terme, on pourrait conduire à prolonger la grève une journée de plus : un salarié qui renonce à faire grève un soir ne pourrait pas reprendre son service le lendemain matin. Singulière conception des intérêts des passagers...

Je vois donc mal comment ce texte apaisera les tensions observées sur les plateformes aéroportuaires. Il risque d'entraîner un effet inverse. Je crois davantage aux efforts entrepris par tous les acteurs - pouvoirs publics, donneurs d'ordres et employeurs - pour revaloriser le statut et améliorer les conditions de travail de tous ceux dont l'action est invisible ou mal comprise du passager.

Faut-il rappeler que ce n'est jamais par plaisir qu'un salarié fait grève ? C'est son dernier recours en cas de désaccord profond au sein de l'entreprise. Et il faut cesser de croire que ce texte n'affectera que les pilotes. Ce sont les dizaines de milliers d'employés qui exercent des tâches de manutention et d'entretien, souvent peu qualifiés, qui en seraient les principales victimes.

Avant de conclure, permettez-moi un mot sur la méthode employée. Nous sommes à trois semaines de la clôture de l'ultime session parlementaire d'un quinquennat marqué par l'hyperactivité législative et par une sensibilité aiguë aux soubresauts de l'actualité. Sans remettre en cause le travail d'Eric Diard dans l'élaboration de cette proposition de loi, je regrette qu'elle soit le moyen de faire voter le Parlement sans se soumettre aux obligations d'un projet de loi. Il n'y a pas eu de concertation formelle avec les partenaires sociaux, alors que ce texte encadre le droit de grève. Le Conseil d'Etat n'a pas été sollicité alors qu'il soulève de sérieuses questions de constitutionnalité. Nous ne disposons pas d'une étude d'impact. La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale ne s'est même pas saisie du texte pour avis et n'a pas engagé le processus de concertation avec les partenaires sociaux prévu par son protocole de consultation.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je ne peux qu'exprimer devant vous le rejet de cette proposition de loi par le Sénat. Je suis convaincu qu'il n'appartient pas au législateur de supplanter les partenaires sociaux : il doit les inviter au dialogue, ce qui aurait pu être le cas s'ils avaient été préalablement consultés. Je ne doute pas de leur capacité d'aboutir, par voie conventionnelle, à des accords généralisant un mécanisme d'alerte sociale qui satisferont les intérêts des salariés comme des voyageurs.

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