La commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports, s'est réunie le mardi 21 février 2012 à l'Assemblée nationale.
Après que le président Serge Grouard eut procédé à l'appel des membres de la commission mixte paritaire, le Bureau de celle-ci a été ainsi constitué :
Serge Grouard, député, président,
Annie David, sénatrice, vice-présidente.
Puis ont été désignés :
Eric Diard, député,
Claude Jeannerot, sénateur,
respectivement rapporteurs pour l'Assemblée nationale et pour le Sénat.
Je rappelle que l'Assemblée nationale a adopté la proposition de loi le 24 janvier tandis que le Sénat l'a rejeté par une question préalable le 15 février. En l'absence d'accord entre les deux assemblées et comme nous discutons dans le cadre de la procédure accélérée, le Gouvernement a convoqué cette commission mixte paritaire en application de l'article 45 de la Constitution. L'objectif de cette commission consiste à rédiger un texte commun sur les dispositions restant en discussion ce qui concerne, pour le cas présent, la totalité du texte. J'ai le sentiment qu'il sera délicat de réunir les points de vue, mais je remercie chacun d'être présent pour tenter d'y parvenir.
Je partage la crainte énoncée par le président Serge Grouard : il sera difficile de construire un consensus. Je profite aussi de l'occasion pour saluer la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, avec laquelle la commission des affaires sociales du Sénat n'a que rarement l'occasion de travailler dans le cadre d'une commission mixte paritaire.
C'est effectivement un plaisir rare et partagé. Je suggère que nous écoutions maintenant nos deux rapporteurs.
Concilier les intérêts des salariés, qui font usage d'un droit fondamental pour une revendication professionnelle, et ceux des usagers, qui peuvent subir les conséquences d'une grève, est un exercice délicat qui mérite une vraie réflexion. Je ne pense pas, et la majorité sénatoriale avec moi, que la période actuelle soit le moment approprié pour la mener. N'y voyez pas là une marque d'immobilisme : convenez plutôt qu'à moins de trois mois de l'élection présidentielle, le temps des réformes sociales est passé.
C'est la raison pour laquelle le Sénat a choisi d'opposer la question préalable à cette proposition de loi qui, si elle ne le dit pas explicitement dans son titre, a pour conséquence d'encadrer l'exercice du droit de grève dans les entreprises du secteur du transport aérien. Ce n'est pas dans un climat serein que le texte a été examiné : celui-ci a contribué à exacerber les tensions dans les aéroports, dans un contexte médiatique simplificateur. L'objectif est bien de faire adopter - coûte que coûte - un texte avant la fin de la session parlementaire, afin de conforter une certaine opinion publique, sans se soucier des conséquences sur des salariés dont la situation est souvent précaire.
Pour autant, je ne veux pas verser dans la caricature : certains ont pu le faire en annonçant que cette proposition de loi vise à mettre en place un service minimum ou garanti. Mais elle ne constitue pas une réponse adaptée au problème qu'elle prétend résoudre. Il faut cesser d'opposer systématiquement les salariés aux voyageurs. Une telle attitude est un facteur lourd de division au sein de notre société.
Compte tenu de la divergence de nos positions, il n'est pas utile de revenir sur chaque article, mais j'aimerais simplement souligner les deux points qui ont semblé les moins acceptables au Sénat.
D'abord, la transposition au secteur aérien, quasiment telle quelle, de la loi du 21 août 2007 relative au dialogue social dans les transports terrestres n'est pas réalisable compte tenu des différences majeures qui existent entre ces secteurs. Imposer aux salariés de déclarer à leur employeur leur intention de faire grève quarante-huit heures à l'avance aura pour principal effet de rendre l'exercice de ce droit plus malaisé. C'est tout particulièrement vrai pour les dizaines de milliers de salariés de l'assistance en escale dont la situation, souvent précaire, ne permet pas d'obtenir par la négociation une amélioration de leurs conditions de travail. Leur voix risque de devenir inaudible si, du fait de pressions de leur employeur, ils ne peuvent plus défendre leurs droits par la grève.
Ensuite, le second délai imposé aux salariés grévistes - ou qui ont fait part de leur intention de grève - aurait des effets plus néfastes encore. Les obliger à informer leur employeur, vingt-quatre heures à l'avance, qu'ils renoncent à la grève ou qu'ils veulent reprendre le travail, sous peine de sanction disciplinaire, constitue une atteinte à leur capacité de libre détermination. C'est d'autant plus injustifié que cette contrainte serait inopérante dans le secteur aérien, où il serait impossible de rétablir l'activité dans un si court délai. En poussant cette logique à son terme, on pourrait conduire à prolonger la grève une journée de plus : un salarié qui renonce à faire grève un soir ne pourrait pas reprendre son service le lendemain matin. Singulière conception des intérêts des passagers...
Je vois donc mal comment ce texte apaisera les tensions observées sur les plateformes aéroportuaires. Il risque d'entraîner un effet inverse. Je crois davantage aux efforts entrepris par tous les acteurs - pouvoirs publics, donneurs d'ordres et employeurs - pour revaloriser le statut et améliorer les conditions de travail de tous ceux dont l'action est invisible ou mal comprise du passager.
Faut-il rappeler que ce n'est jamais par plaisir qu'un salarié fait grève ? C'est son dernier recours en cas de désaccord profond au sein de l'entreprise. Et il faut cesser de croire que ce texte n'affectera que les pilotes. Ce sont les dizaines de milliers d'employés qui exercent des tâches de manutention et d'entretien, souvent peu qualifiés, qui en seraient les principales victimes.
Avant de conclure, permettez-moi un mot sur la méthode employée. Nous sommes à trois semaines de la clôture de l'ultime session parlementaire d'un quinquennat marqué par l'hyperactivité législative et par une sensibilité aiguë aux soubresauts de l'actualité. Sans remettre en cause le travail d'Eric Diard dans l'élaboration de cette proposition de loi, je regrette qu'elle soit le moyen de faire voter le Parlement sans se soumettre aux obligations d'un projet de loi. Il n'y a pas eu de concertation formelle avec les partenaires sociaux, alors que ce texte encadre le droit de grève. Le Conseil d'Etat n'a pas été sollicité alors qu'il soulève de sérieuses questions de constitutionnalité. Nous ne disposons pas d'une étude d'impact. La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale ne s'est même pas saisie du texte pour avis et n'a pas engagé le processus de concertation avec les partenaires sociaux prévu par son protocole de consultation.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je ne peux qu'exprimer devant vous le rejet de cette proposition de loi par le Sénat. Je suis convaincu qu'il n'appartient pas au législateur de supplanter les partenaires sociaux : il doit les inviter au dialogue, ce qui aurait pu être le cas s'ils avaient été préalablement consultés. Je ne doute pas de leur capacité d'aboutir, par voie conventionnelle, à des accords généralisant un mécanisme d'alerte sociale qui satisferont les intérêts des salariés comme des voyageurs.
Le 24 janvier, l'Assemblée nationale a adopté la proposition de loi que j'avais moi même déposée le 22 novembre 2011.
Ce texte vise à répondre à une exigence forte dans ce secteur du transport aérien, exigence que nous connaissons tous : la continuité de l'activité et le bien-être des passagers. Nous avons cherché à concilier cette exigence avec le respect intransigeant du droit de grève que garantit la Constitution. Nous devons tenir compte du fait que le secteur aérien est marqué depuis plusieurs années par une conflictualité forte, que c'est un domaine d'activité particulièrement fragile, mais aussi que les salariés doivent pouvoir y défendre leurs droits - le cas échéant en recourant à la grève.
Le texte que l'Assemblée nationale a adopté s'inspire de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, qui est parvenue à des résultats réels. Il est bâti sur trois éléments. On y trouve d'abord un encouragement au dialogue social et à la prévention des conflits, par des dispositions incitant les partenaires sociaux à conclure des accords-cadres en ce sens. Il contient également l'obligation, pour les compagnies aériennes, d'informer les passagers de perturbations dues à des grèves, vingt-quatre heures avant le début de ces perturbations. Il commande enfin que les salariés dont l'absence est de nature à affecter la réalisation des vols doivent informer leur employeur de leur intention de cesser le travail, quarante-huit heures au plus tard avant de participer à la grève.
Ce texte, comme le déroulement de nos débats l'a montré, a fait l'objet de plusieurs critiques que je voudrais dissiper rapidement devant vous.
Ce serait un texte de circonstance, présenté en réponse à la grève des personnels de la sûreté aérienne survenue en décembre 2011. Cela est inexact : j'avais déposé ma proposition de loi dès le 22 novembre 2011, alors que le mouvement de grève en question n'avait pas du tout commencé.
C'est donc la proposition de loi qui a déclenché la grève !
Les discussions à l'Assemblée nationale se seraient faites sans véritable concertation. Je note que M. Mariani, ministre chargé des transports, a fait remarquer lors des débats au Sénat que j'avais auditionné personnellement vingt-huit personnes.
On invoque parfois l'article L. 1 du code du travail dont les dispositions n'auraient pas été appliquées en l'espèce. Là encore, le ministre a rappelé que ce dispositif de consultation des partenaires sociaux ne paraissait pas applicable en l'espèce, puisque nous sommes en présence d'une proposition de loi et non d'un projet, et que ce texte relève de la négociation de branche et non de la négociation interprofessionnelle.
La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale porterait atteinte au droit de grève. Elle ne le limite en rien ; elle oblige simplement certains travailleurs ayant l'intention de faire grève à le faire savoir à l'employeur, pour que ce dernier organise l'activité et informe les passagers. Les déclarations individuelles des salariés sont couvertes par le secret professionnel et les employeurs sont passibles de sanctions pénales s'ils détournent ces informations.
Ce n'est pas l'avis des salariés grévistes !
Enfin, la proposition de loi serait déséquilibrée, limitant donc le droit de grève des salariés tout en favorisant les employeurs. Je rappelle qu'un important dispositif d'encouragement au dialogue social et à la prévention des conflits, tenant compte du caractère concurrentiel du secteur aérien, est prévu à l'article 2. J'ajoute que les conditions de travail de nombreux personnels du secteur de la sûreté aéroportuaire restent insatisfaisantes voire précaires, ce qui les conduit parfois à la grève.
Ce droit de grève, nous le défendons en prenant en compte d'autres principes : la liberté d'aller et venir, la sécurité publique et la défense des passagers que nous sommes tous.
Pour toutes ces raisons, je suis donc très attaché au maintien des dispositions que l'Assemblée nationale a retenues en première lecture.
Je constate une divergence complète dans les exposés de nos deux rapporteurs. Il me semble que cette opposition se retrouve parmi les membres de la commission mixte paritaire. Dans la mesure où chacun y consent, je vous propose de lever notre séance sur cet échec. Je le déplore d'autant plus qu'il s'agit du premier dans la jeune histoire de la commission du développement durable.