Intervention de Éric Besson

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 25 janvier 2012 : 2ème réunion
Aménagement numérique du territoire — Audition de M. éric Besson ministre auprès du ministre de l'économie des finances et de l'industrie chargé de l'industrie l'énergie et de l'économie numérique

Éric Besson, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique :

ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique. - Le déploiement des réseaux numériques constitue un enjeu majeur pour la compétitivité de notre économie et l'attractivité de nos territoires. L'accès à internet haut-débit fixe et mobile est devenu une condition d'intégration dans notre société, notre démocratie, notre économie et notre culture. Comme l'eau ou l'électricité, il est devenu ce que les économistes appellent une commodité essentielle.

MM. Hervé Maurey et Philippe Leroy ont déposé une proposition de loi, le 17 novembre 2011, visant à assurer l'aménagement numérique du territoire. Ce texte participe à un objectif de première importance, celui d'un déploiement équilibré des réseaux dans nos territoires. Avant d'aborder cette proposition de loi, je veux tout d'abord rappeler le contexte dans lequel elle s'inscrit.

La France est très bien placée en matière de numérique : ce secteur a créé 700 000 emplois nets en 15 ans. D'ici à 2015, 450 000 emplois supplémentaires seront créés. Très peu de pays dans le monde, à part les États-Unis, ont réussi à développer des entreprises comme Dailymotion, PriceMinister ou Deezer, qui sont devenues des géants mondiaux de l'internet. La France compte aussi des géants des services informatiques, avec Capgemini et Atos Origin, qui remportent des marchés partout dans le monde. Notre industrie du logiciel compte des références mondiales comme le Cegid, Dassault Systèmes ou Ingenico. Enfin, notre industrie du jeu vidéo est la plus performante au monde, avec le numéro un mondial, Vivendi Games, le numéro quatre mondial Ubisoft, et le numéro un mondial des accessoires pour jeux, Bigben.

Depuis cinq ans, le Gouvernement a accompli des efforts sans précédent pour développer ce secteur. Jamais sans doute, une politique aussi ambitieuse n'avait été engagée en faveur du numérique. Elle se traduit tout d'abord par un soutien aux usages : rien ne sert d'installer des tuyaux s'il n'y a pas de contenus et de services pour nos concitoyens et nos entreprises. Le Gouvernement consacre 2,5 milliards d'euros des investissements d'avenir au développement des nouveaux usages. Numérisation des contenus culturels, services mobiles sans contact et e-éducation sont des exemples d'innovations, développées en partenariat entre l'État et les collectivités territoriales.

Cette politique se traduit ensuite par un soutien puissant au déploiement des réseaux. Grâce au plan France numérique 2012, nous nous sommes dotés d'un des réseaux numériques les plus performants et les plus étendus en Europe.

S'agissant de la télévision numérique terrestre (TNT), nous avons réussi, en moins de quatre ans, une des principales révolutions audiovisuelles depuis le passage à la télévision couleur, puisque 100 % de la population la reçoit désormais. Tous les Français reçoivent ainsi 19 chaines gratuites en qualité numérique pour l'image et pour le son. Six nouvelles chaînes en haute définition complèteront prochainement cette offre. C'est un succès majeur pour l'aménagement numérique du territoire.

S'agissant des réseaux mobiles, 99,8 % des Français bénéficient d'une couverture en téléphonie mobile. Le taux de pénétration a dépassé les 100 %. Pour autant, il reste, comme dans tous les pays du monde, des zones blanches. Même dans les grandes villes, même à Paris, la couverture de certaines zones n'est pas satisfaisante. C'est pourquoi, nous poursuivons nos efforts pour parachever cette couverture.

D'abord, nous avons mis en oeuvre depuis 2003 le programme « zones blanches ». Avec la coopération des opérateurs et des collectivités, il a permis l'installation d'environ 2 000 antennes relais couvrant plus de 3 000 centre-bourgs. L'investissement engagé par les opérateurs, par l'État et par les collectivités territoriales dépasse déjà 600 millions.

Ensuite, nous veillons à faire appliquer les obligations de couverture du territoire en technologie 3G, c'est-à-dire en haut débit mobile. Depuis la fin de l'année 2011, les opérateurs doivent avoir couvert 98 % de la population. C'est largement supérieur à la moyenne européenne, qui est de 90 %.

Troisièmement, le Gouvernement a attribué les meilleures fréquences jamais affectées aux télécommunications dans l'histoire de notre pays, celles du dividende numérique. Conformément à la loi relative à la lutte contre la fracture numérique, nous avons retenu les critères les plus favorables à l'aménagement du territoire. En effet, 99,6 % de la population devra être couvert par l'ensemble des opérateurs d'ici à 15 ans. Pour la première fois, une obligation de couverture départementale a été fixée, à 90 % de la population, dans le même délai. Les opérateurs, dans le cadre de l'appel à candidature, sont allés encore plus loin en s'engageant à couvrir 95 % de la population de chaque département. Pour la première fois également, une zone de couverture prioritaire a été définie, représentant 18 % de la population, mais 60 % des territoires les plus ruraux de notre pays. La 4G sera le premier réseau à être déployé simultanément dans les villes et dans les campagnes. Avec l'attribution des licences 4G, la France sera l'une des premières nations au monde, avec la Suède, l'Allemagne et les États-Unis, à lancer le très haut débit mobile.

De plus, comme le prévoit l'article 5 de la proposition de loi, et ainsi que je m'y étais engagé, nous avons créé un groupe de travail sur la couverture mobile : il réunira État, collectivités locales, opérateurs, associations de consommateurs et parlementaires. Il a pour objectif de préparer un nouveau programme « zones blanches » et de clarifier les critères appliqués pour évaluer la couverture du territoire. Nous devons sortir du débat récurrent sur les méthodes d'évaluation de ces zones. Les travaux techniques ont déjà démarré et la réunion de lancement officiel aura lieu le 8 février.

A cet égard, l'article 6 de cette proposition de loi est problématique : il crée en effet de nouvelles obligations de couverture du territoire pour les opérateurs titulaires des licences. Je souhaite vous alerter sur ce point : modifier les obligations des licences engage la responsabilité de l'État, qui a vendu des licences assorties d'obligations précises en matière de couverture du territoire, et change leur valeur. Les prix auxquels elles ont été vendues seront donc contestés par les opérateurs. Si l'État doit rembourser une partie des licences de la téléphonie mobile, où trouver les crédits correspondants ?

S'agissant des réseaux fixes, le Gouvernement a mis en place un programme national très haut débit (PNTHD) très ambitieux qui repose sur quatre piliers. Le premier a trait aux investissements privés et à la mutualisation. Le Gouvernement a défini le cadre règlementaire de la mutualisation des réseaux, avec la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 et ses décrets d'application du 15 janvier 2009, mais aussi les arrêtés du 15 janvier 2010 et du 10 janvier 2011 homologuant les décisions de l'ARCEP. Grâce à ce cadre, les opérateurs se sont engagés à couvrir 57 % de la population en fibre optique dans les dix prochaines années.

Je connais vos interrogations sur ce point. Le Gouvernement veillera tous les ans à ce que ces engagements soient respectés. Ainsi, nous allons interroger à la fin du mois, avec René Ricol, le commissaire général à l'investissement, l'ensemble des opérateurs sur l'avancement de leurs déploiements. Le Gouvernement veillera au respect des engagements de déploiement dès la première année. Si leur engagement d'investissement n'était pas respecté, la zone d'investissement privé serait réduite pour laisser place aux projets des collectivités territoriales. Cette menace n'est pas prise à la légère : être propriétaire d'un réseau constitue le coeur du modèle économique des opérateurs.

Le deuxième pilier traite des initiatives publiques qui seront soutenues partout où l'initiative privée sera absente. Nous avons ouvert le 27 juillet 2011 un guichet de 900 millions d'euros pour aider les projets des collectivités territoriales. Le PNTHD a été validé par l'ARCEP le 18 février 2010, par l'Autorité de la concurrence le 17 mars 2010 et par la Commission européenne le 19 octobre 2011. Il s'agit du premier programme public de soutien au très haut débit en Europe. Il constitue désormais une référence pour les autres États membres. La Commission européenne a apporté son soutien à la démarche française reposant sur la complémentarité entre investissements privés et publics.

Le dispositif mis en place par le Gouvernement donne aujourd'hui ses premiers résultats. Les aides à cinq premiers projets départementaux -la Manche, l'Allier, le Cantal, la Haute-Loire et le Puy-de-Dôme- viennent d'être engagées pour un montant de 53 millions. Le comité des réseaux d'initiative publique, qui se réunira le 2 février, examinera les demandes d'aide de trois nouveaux départements. L'objectif de vingt départements soutenus d'ici la fin de l'année 2012 semble raisonnable.

Afin de suivre la mise en oeuvre de ces projets, le Gouvernement a mis en place les commissions régionales pour l'aménagement numérique du territoire, qui réunissent collectivités locales et opérateurs privés sous l'égide des préfets. Les services de l'État, centraux et déconcentrés, sont mobilisés pour accompagner les collectivités dans la mise en place de leurs schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique (SDTAN) : 79 départements ou régions les ont d'ores et déjà adoptés. Afin de faciliter la mise en place des projets des collectivités locales, le Gouvernement a préparé par ailleurs une nouvelle version du décret sur la connaissance des réseaux. Ce texte est très important pour les collectivités car il leur permet de recueillir les informations sur les réseaux déployés par les opérateurs. Le nouveau décret est encore plus ambitieux que ne l'était le précédent. Dès le 1er janvier 2014, toutes les données devront être fournies aux collectivités sur simple demande, gratuitement et sous format vectoriel, c'est-à-dire le meilleur format possible pour planifier le déploiement d'un réseau. Nous n'attendons plus que l'avis de la commission consultative à l'élaboration des normes pour adopter ce nouveau décret.

Le troisième pilier a pour objectif de mobiliser les promoteurs et les constructeurs de logements neufs. Les immeubles collectifs neufs devront être équipés en fibre optique. Le décret d'application et l'arrêté ont été publiés les 14 et 16 décembre 2011. À partir du 1er avril 2012, 200 000 logements neufs seront ainsi équipés chaque année par les promoteurs.

Le quatrième pilier concerne l'offre spécifique de très haut débit pour les zones les plus reculées de notre territoire, difficilement accessibles par la fibre optique : 40 millions permettront de développer une nouvelle offre de très haut débit par satellite. Cet engagement permettra de dépasser les performances du satellite Ka-Sat, qui offre d'ores et déjà 10 Mbit par seconde sur l'ensemble de notre territoire.

J'en viens à la proposition de loi. Le deuxième alinéa de l'article 2 rend obligatoire pour les collectivités territoriales l'élaboration de schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique (SDTAN). Cette disposition est intéressante et pourrait même accélérer l'élaboration des schémas. Vous êtes mieux à même de juger de son acceptabilité politique par les collectivités.

De même, l'article 9 inclut la montée en débit dans les dépenses éligibles au fonds d'aménagement numérique du territoire (FANT). Cet article pose d'autant moins de difficultés que la montée en débit est déjà éligible aux aides du PNTHD.

En revanche, l'article 10 est plus problématique : il crée un droit pour les collectivités territoriales à intervenir dans les zones rentables. Personne ne conteste cette possibilité juridique. L'Autorité de la concurrence, dans son avis du 19 janvier, a confirmé qu'une collectivité territoriale pouvait intervenir dans les zones rentables. Toutefois, dans ce cas, il ne peut y avoir d'aide du Gouvernement sur ces zones. En outre, déployer un réseau d'initiative publique dans les zones rentables est économiquement risqué. Cela revient à dupliquer inutilement des réseaux publics et privés et à mettre en péril l'équilibre économique du réseau d'initiative publique car, lorsque les opérateurs privés ont le choix, ils préfèrent systématiquement se raccorder au réseau privé plutôt qu'au réseau public.

Bref, une telle disposition est juridiquement possible mais économiquement peu judicieuse.

L'articulation entre investissements publics et privés, prévue dans le PNTHD, vise à protéger les réseaux d'initiative publique en leur évitant de faire de mauvais choix économiques. Le Gouvernement demande aux collectivités territoriales de se concentrer sur les zones où les besoins se font sentir : les zones les plus isolées, où l'appétence des Français pour le très haut débit est la plus forte. C'est la meilleure solution pour couvrir les citoyens situés en zones rurales tout en économisant l'argent public.

Contrairement à ce qu'on a pu entendre sur la péréquation, le fait que les opérateurs couvrent la majorité de la population diminue le besoin d'argent public. En Auvergne, les déploiements des opérateurs ont permis de réduire de 20 % l'investissement public.

Le PNTHD fonctionne et nous bénéficions déjà des premières retombées : 4,7 millions de foyers sont couverts en très haut débit par câble, soit 20 % de la population, et 1,35 million de foyers sont raccordés à la fibre optique, ce qui représente 4 % de la population. J'ai rencontré les dirigeants de France Télécom le 10 janvier, qui se sont engagés à doubler le rythme de déploiement en 2012 : 800 000 logements seront ainsi équipés cette année. Il faut y ajouter 200 000 logements neufs qui seront équipés par les promoteurs. Il s'agit d'une réelle accélération du rythme de déploiement.

S'agissant du haut débit, 100 % des Français y ont accès par l'ADSL ou par le satellite. La France est le troisième pays européen en termes de pénétration de l'internet haut débit, devant l'Allemagne, la Suède et le Royaume-Uni : c'est le résultat d'une régulation avisée qui a incité les opérateurs à investir dans leurs propres réseaux, plutôt que de louer le réseau de France Télécom.

J'en viens aux articles 11 et 12, qui créent un régime de sanctions pour les opérateurs en retard sur leurs déploiements. Il s'agit d'une proposition dangereuse. Rien n'oblige aujourd'hui les opérateurs à déployer des réseaux de fibre optique. Instaurer de nouvelles pénalités à l'encontre de ces opérateurs va avoir l'effet inverse de celui que vous recherchez : au lieu de les inciter à déployer leurs réseaux, ces pénalités risquent de les en dissuader. Aujourd'hui 95% des lignes installées en fibre optique dans notre pays ont été déployées par les opérateurs privés. Vouloir dissuader les investissements privés qui ont déployé la quasi-totalité des lignes de très haut débit serait une erreur.

Rappelez-vous l'échec du plan câble ou du minitel, qui n'étaient ni ouverts à la concurrence, ni à l'innovation. Or, c'est précisément l'ouverture à la concurrence et une régulation avisée qui ont permis l'essor de l'internet haut débit, en France comme dans le monde.

En outre, en dissuadant l'investissement privé, l'État et les collectivités se trouveraient confrontés à un mur : comment financer 24 milliards d'investissement public ? C'est incompatible avec l'état actuel de nos finances publiques.

L'ensemble du cadre, politique, financier et règlementaire est aujourd'hui en place pour le déploiement du très haut débit en France. Sa mise en place a certes été longue : elle a fallu presque quatre ans entre l'adoption de la loi de modernisation de l'économie (LME) et le lancement effectif du PNTHD. Si cela a pris du temps, c'est qu'il s'agit d'un chantier sans précédent. Le téléphone a été déployé en France en un siècle par un opérateur public en situation de monopole. Nous sommes en train de remplacer l'intégralité de cette boucle locale par de la fibre optique, en à peine 15 ans et avec la participation de quatre opérateurs nationaux et de dizaines d'opérateurs locaux.

Cette proposition de loi modifierait le cadre financier et réglementaire mis en place par le Gouvernement et par l'ARCEP, ce qui reviendrait à réengager un nouveau processus de discussion de plusieurs années. Les investissements seraient à nouveau gelés, comme ils l'avaient été entre 2008 et 2010, en attendant que les règles soient clairement fixées. Ce n'est l'intérêt ni de notre économie ni de nos territoires.

Il y a aujourd'hui deux types de collectivités : celles qui ont décidé d'avancer et dont les habitants bénéficieront les premiers du très haut débit, et une minorité de collectivités qui semble contester encore les règles dont notre pays s'est doté. Ce sont malheureusement les citoyens de ces territoires qui en subiront les conséquences.

J'en appelle donc au sens de l'intérêt général en redisant que l'ensemble du cadre politique, financier et règlementaire est aujourd'hui en place. Les collectivités et les opérateurs avancent et fournissent le très haut débit aux Français. Les premiers chiffres sont encourageants et nous devons poursuivre nos efforts afin que la France entre de plein pied dans l'ère du très haut débit.

Cette proposition de loi nous confronte à un choix : soit nous bloquons à nouveau le déploiement du très haut débit pour plusieurs années, soit nous continuons d'avancer afin de fournir le très haut débit à tous les Français.

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