Intervention de Nicole Bricq

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 15 février 2012 : 1ère réunion
Régulation des marchés financiers — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Nicole BricqNicole Bricq, rapporteure :

La première partie de notre réunion de ce matin est consacrée à l'examen de la proposition de résolution européenne (PPRE) déposée par notre collègue Richard Yung sur la régulation des marchés financiers.

Avec cette proposition de résolution, nous nous concentrons sur les deux principaux textes de régulation financière : le règlement EMIR et la proposition de révision de la directive « marchés d'instruments financiers », dite proposition MIF II.

Tout à l'heure, nous aurons une table-ronde sur la régulation bancaire et je vous présenterai un autre rapport également sur une PPRE de Richard Yung le 7 mars. Nous avons distingué les deux sujets - peut-être de manière un peu artificielle, mais nous suivons les textes en cours d'élaboration à Bruxelles. Je précise, à ce titre, que j'ai effectué, jeudi dernier, un déplacement à Bruxelles.

J'en viens tout d'abord au règlement EMIR. Il vise à encadrer le marché des produits dérivés négociés de gré à gré, c'est-à-dire échangés de manière bilatérale. Il s'agit d'un engagement fort du G 20. En effet, la chute de Lehman Brothers a montré que tant le marché que les régulateurs ignoraient totalement les expositions sur produits dérivés de la banque. Plus généralement, les acteurs de marché ignorent les positions respectives des uns et des autres. Il est donc impossible de savoir quelles vont être les conséquences de la faillite de l'un d'eux. C'est ce qui a créé de vives tensions lors de la chute de Lehman Brothers.

Il fallait donc traiter deux enjeux fondamentaux : d'abord, réduire le risque inhérent à ce réseau très dense de produits dérivés, dont le notionnel dépassait 700 000 milliards de dollars au premier semestre 2011. Ensuite, il fallait absolument introduire de la transparence : savoir qui a signé un contrat, avec quelle contrepartie, sur quel type de dérivé, pour quel montant.

Le G 20 a pris ses deux engagements - transparence et maîtrise du risque - que le règlement EMIR doit traduire en Europe - de même que le Dodd-Franck Act aux Etats-Unis.

Je précise à ce point de ma présentation que le texte définitif du règlement EMIR a été arrêté la semaine dernière - le jour même où j'étais à Bruxelles. Notre proposition de résolution ne saurait donc être prescriptive mais il serait pour moi impensable que le Sénat ignore un texte aussi structurant.

Et pourtant, la France n'a pas vraiment de point de vue à faire valoir sur ce texte puisque nous avons abandonné tout notre post-marché aux anglo-saxons et aux Allemands. Autant dire que la Commission européenne, le Parlement ont surtout entendu les points de vue de ces deux pays...

Pour rentrer dans le détail, le texte prévoit que les dérivés négociés de gré à gré feront l'objet d'une compensation. Une telle mesure permet de réduire les risques inhérents à ces contrats puisque la chambre de compensation est une entité spécialisée dans la gestion du risque. Elle établit aussi des positions nettes entre les différents acteurs : en quelque sorte, elle « dégonfle » le montant des contrats.

La compensation sera obligatoire pour tous les dérivés dits « standardisés ». Il reviendra à l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) de définir les dérivés standardisés. Ceux qui n'obéiraient pas à cette définition feraient l'objet d'un surplus de fonds propres dans les règles prudentielles des banques.

Le problème fondamental de ce système est que la chambre de compensation concentrera désormais le risque. Elle devient systémique. Théoriquement, elle est conçue pour gérer le risque, c'est-à-dire la défaillance d'un de ses membres. Elle doit disposer de suffisamment de capital et d'appels de marge pour absorber le choc. Mais, comme le souligne un observateur, « tout l'édifice repose sur l'hypothèse qu'elles ne feront jamais défaut ». La question que nous pouvons alors nous poser est de savoir si elles ne vont pas devenir « trop systémiques pour chuter ». Ne sont-elles pas les prochaines Dexia ou Northern Rock que la puissance publique sera contrainte de sauver ?

Lors de la présentation de mes amendements, je reviendrai notamment sur un autre point crucial de leur robustesse financière, à savoir l'accès à la liquidité.

Néanmoins, je tiens à souligner que, si nous n'avons pas résolu le problème du risque systémique, la compensation des produits dérivés et leur standardisation constituent un progrès indéniable par rapport au système actuel. D'abord, parce que le système, dans son ensemble, sera moins risqué. Par exemple, la récente faillite du courtier MF Global a pu être gérée sans dommage excessif et sans panique car une grande partie de ses contrats dérivés faisaient l'objet d'une compensation.

Ensuite, parce que cette évolution réglementaire devrait conduire de plus en plus de contrats à être traités non plus de gré à gré mais directement sur un marché. Aujourd'hui, seulement 10 % des produits dérivés sont dits « listés », c'est-à-dire négociés sur un marché ouvert et transparent. L'ambition du règlement EMIR est de faire bouger les lignes.

D'ailleurs, en matière de transparence, le règlement impose que tous les contrats dérivés qu'ils soient listés ou négociés de gré à gré feront l'objet d'une déclaration auprès d'un référentiel central. Le référentiel central est, en quelque sorte, une grande base de données qui répertorie les contrats dérivés ainsi que leurs caractéristiques principales (contreparties, montant, date de dénouement, sous-jacent, etc.). Ainsi, le régulateur pourra, à tout moment, avoir une vision globale des positions d'un acteur de marché. Il pourra également, par analyse sur chacun des produits, détecter la formation de risques, de bulles ou de tout événement susceptible de déstabiliser les marchés.

Là encore, je crois que le texte constitue un réel progrès par rapport à la situation précédente. Nous devons encore essayer d'être le plus en accord avec les Etats-Unis pour avoir une législation cohérente et compatible de part et d'autre de l'Atlantique.

S'agissant maintenant de la proposition MIF II. Le calendrier est tout différent puisque la Commission européenne a publié son texte le 20 octobre dernier. Il est donc peu probable que le déroulé de la négociation permette de publier le texte définitif avant la fin de l'année.

L'exercice est un peu différent puisqu'il s'agit de refondre entièrement une importante directive de 2004 sur les « marchés d'instruments financiers », dite directive « MIF I ».

Un des apports principaux de MIF I est d'avoir mis fin au principe de concentration des ordres sur les marchés des actions. Concrètement, pour acheter ou vendre une action française, il n'est plus nécessaire de réaliser la transaction à la Bourse de Paris. Avant 2004, la Bourse était constituée en monopole. Comme dans bien d'autres secteurs, MIF I a procédé à une ouverture à la concurrence.

Il est désormais possible d'acquérir une action Renault à Stockholm, Budapest ou Londres aussi bien qu'à Paris. MIF I a créé deux types de marchés régulés : tout d'abord les marchés dits réglementés, qui sont les marchés traditionnels. En France, NYSE-Euronext a ce statut. Et ensuite, les systèmes multilatéraux de négociation, plus connus sous leur acronyme anglais de MTF (Multilateral Trading Facilities).

Alors, qu'attendait-on de cette mise en concurrence ? Tout d'abord, elle devait apporter une plus grande liquidité sur les marchés, c'est-à-dire une plus grande fluidité dans les échanges sans volatilité excessive des cours. Ensuite, elle devait conduire à une baisse des coûts de transaction pour les investisseurs.

Quatre ans après son entrée en vigueur, le constat est plus que mitigé. En ce qui concerne la liquidité, les différentes études réalisées ici et là ne permettent pas de conclure à un effet déterminant de la nouvelle législation. En réalité, la MIF a fragmenté les marchés. Le bassin d'investisseurs est certainement plus important mais comme il n'est plus concentré sur une seule place de négociation, son impact est moins fort.

S'agissant des coûts, deux constats sont indéniables. Le premier est que les coûts ont effectivement baissé. Le second est que cette baisse n'a été que très mal répercutée sur les investisseurs finaux : la baisse des coûts a surtout profité aux intermédiaires.

Le modèle conceptuel sur lequel reposait la directive MIF I est loin d'avoir prouvé sa pertinence. C'est un échec ou, du moins, un semi-échec. Sa révision était donc hautement souhaitable.

MIF II est en réalité un ensemble de deux textes : un règlement et une directive représentant la somme de 300 pages ! Je vais donc me concentrer sur trois points.

Tout d'abord, la transparence. Il s'agissait d'un point fondamental de MIF I. A partir du moment où une action est cotée en même temps sur plusieurs lieux de négociation, l'investisseur doit connaître le prix et les volumes proposés sur chacun d'entre eux. C'est que l'on appelle la transparence pré-négociation. Or il est apparu que MIF I permettait de faire des exemptions à cette transparence pré-négociation. L'exemption la plus légitime concerne les échanges de gros blocs de titres qui pourraient perturber (à la hausse ou à la baisse) le marché. Il n'est pas inutile, pour la stabilité du marché, qu'il existe des exemptions. Seulement, en pratique, ces exemptions ont largement prospéré, souvent avec la complaisance des régulateurs nationaux. Lors de son audition, le 18 janvier dernier, Jean-Pierre Jouyet a appelé notre attention sur ce point : MIF II laisse encore prospérer trop d'exemptions.

Je dirai un mot sur la transparence post-négociation lors de la présentation des amendements.

Second point que je voudrais évoquer : la création d'une nouvelle catégorie de plates-formes, les systèmes organisés de négociation, également désignés par leur acronyme anglais OTF (organized trading facilities). Je vous l'ai dit, il existe aujourd'hui deux types de marchés régulés : les marchés réglementés et les MTF. En théorie, les négociations qui n'ont pas lieu sur ces marchés se traitent sur une base bilatérale, de gré à gré. Or, en pratique, MIF I a laissé un « trou noir » qui a permis de créer un mode de transaction entre marchés régulés et marchés de gré à gré : ce sont les « crossing networks ». Or, comme l'a dit un des mes interlocuteurs, il est urgent de remettre en cohérence la lettre et l'esprit de MIF I.

Pour ce faire, la Commission européenne propose d'aligner le droit sur la pratique. Il aurait pu en être différemment. Ainsi, une nouvelle catégorie de plateforme serait créée, à savoir les OTF. A la différence des marchés régulés, les OTF seraient autorisés à choisir leurs clients mais ne pourraient pas faire du trading pour compte propre.

Ces nouvelles plateformes causent quelques inquiétudes tant à notre régulateur national qu'à plusieurs personnes que j'ai rencontrées. Ne s'agit-il pas d'une fausse bonne idée ?

Le véritable problème tient au fait que le gré à gré n'est pas défini par la directive. Or il faudrait une telle définition de sorte que les négociations ne répondant pas à ces critères soient obligatoirement traitées sur un marché régulé. Ainsi, il ne serait plus nécessaire de créer les OTF pour les marchés actions.

En revanche, cette idée pourrait se révéler opportune pour les marchés des obligations et des dérivés, aujourd'hui très majoritairement traités de gré à gré. Si nous attirons une partie de ces transactions sur les OTF, nous aurons déjà gagné en transparence par rapport au gré à gré. Au pire, ce sera le statu quo.

Dernier point sur lequel je voudrais insister, le trading haute fréquence. Cette évolution technologique est une conséquence directe de MIF I et de la fragmentation des marchés. En effet, la cotation en temps réel sur plusieurs places est une incitation forte à l'arbitrage. Or, en matière financière, l'arbitrage n'est rentable qu'à la condition d'être rapide. Nous avons donc assisté à une course à la rapidité au moyen d'algorithmes informatiques capables de passer des ordres dans un laps de temps de la microseconde.

Vous connaissez ma position sur cette technique financière. Je peux d'ailleurs constater que nombre de mes interlocuteurs se sont déclarés très sceptiques quant à son intérêt économique.

Néanmoins, la Commission européenne, faute de disposer de tous les éléments probants, n'a pas sauté le pas d'une interdiction pure et simple. Elle propose tout d'abord de mieux connaître le THF. Elle a également proposé que les traders à haute fréquence apportent en permanence de la liquidité. En effet, pour justifier de leur utilité économique, ils avancent régulièrement l'argument selon lequel ils contribuent à la liquidité du marché. Mais, comme le souligne Jean-Pierre Jouyet, cette liquidité est artificielle, fugace, elle se retire au moindre coup de semonce.

La Commission européenne entend éviter cet écueil et veut que les traders à haute fréquence propose en permanence un prix à l'achat et à la vente ; en bref, qu'ils soient vraiment apporteurs de liquidité. Cette proposition mérite certainement d'être retravaillée pour devenir véritablement opérationnelle mais elle a le mérite d'exister. Elle n'est d'ailleurs pas exclusive d'autres modalités d'encadrement, dont je reparlerai tout à l'heure.

Enfin, MIF II aborde des questions importantes telles que le marché des quotas de CO2, qui seraient désormais considérés comme des instruments financiers, ou celui des matières premières ainsi que le financement des PME par le marché. Je ne voudrais pas être trop longue à ce stade et j'y reviendrai dans la présentation de mes amendements.

Je vous remercie de votre attention.

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