La commission procède, tout d'abord, à l'examen, en application de l'article 73 quinquies, alinéa 3, du Règlement du Sénat, du rapport de Mme Nicole Bricq, rapporteure, et à l'élaboration du texte de la commission sur la proposition de résolution européenne n° 278 (2011-2012), présentée par M. Richard Yung, au nom de la commission des affaires européennes, sur la régulation des marchés financiers (E 5645, E 6748 et E 6759).
EXAMEN DU RAPPORT
La première partie de notre réunion de ce matin est consacrée à l'examen de la proposition de résolution européenne (PPRE) déposée par notre collègue Richard Yung sur la régulation des marchés financiers.
Avec cette proposition de résolution, nous nous concentrons sur les deux principaux textes de régulation financière : le règlement EMIR et la proposition de révision de la directive « marchés d'instruments financiers », dite proposition MIF II.
Tout à l'heure, nous aurons une table-ronde sur la régulation bancaire et je vous présenterai un autre rapport également sur une PPRE de Richard Yung le 7 mars. Nous avons distingué les deux sujets - peut-être de manière un peu artificielle, mais nous suivons les textes en cours d'élaboration à Bruxelles. Je précise, à ce titre, que j'ai effectué, jeudi dernier, un déplacement à Bruxelles.
J'en viens tout d'abord au règlement EMIR. Il vise à encadrer le marché des produits dérivés négociés de gré à gré, c'est-à-dire échangés de manière bilatérale. Il s'agit d'un engagement fort du G 20. En effet, la chute de Lehman Brothers a montré que tant le marché que les régulateurs ignoraient totalement les expositions sur produits dérivés de la banque. Plus généralement, les acteurs de marché ignorent les positions respectives des uns et des autres. Il est donc impossible de savoir quelles vont être les conséquences de la faillite de l'un d'eux. C'est ce qui a créé de vives tensions lors de la chute de Lehman Brothers.
Il fallait donc traiter deux enjeux fondamentaux : d'abord, réduire le risque inhérent à ce réseau très dense de produits dérivés, dont le notionnel dépassait 700 000 milliards de dollars au premier semestre 2011. Ensuite, il fallait absolument introduire de la transparence : savoir qui a signé un contrat, avec quelle contrepartie, sur quel type de dérivé, pour quel montant.
Le G 20 a pris ses deux engagements - transparence et maîtrise du risque - que le règlement EMIR doit traduire en Europe - de même que le Dodd-Franck Act aux Etats-Unis.
Je précise à ce point de ma présentation que le texte définitif du règlement EMIR a été arrêté la semaine dernière - le jour même où j'étais à Bruxelles. Notre proposition de résolution ne saurait donc être prescriptive mais il serait pour moi impensable que le Sénat ignore un texte aussi structurant.
Et pourtant, la France n'a pas vraiment de point de vue à faire valoir sur ce texte puisque nous avons abandonné tout notre post-marché aux anglo-saxons et aux Allemands. Autant dire que la Commission européenne, le Parlement ont surtout entendu les points de vue de ces deux pays...
Pour rentrer dans le détail, le texte prévoit que les dérivés négociés de gré à gré feront l'objet d'une compensation. Une telle mesure permet de réduire les risques inhérents à ces contrats puisque la chambre de compensation est une entité spécialisée dans la gestion du risque. Elle établit aussi des positions nettes entre les différents acteurs : en quelque sorte, elle « dégonfle » le montant des contrats.
La compensation sera obligatoire pour tous les dérivés dits « standardisés ». Il reviendra à l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) de définir les dérivés standardisés. Ceux qui n'obéiraient pas à cette définition feraient l'objet d'un surplus de fonds propres dans les règles prudentielles des banques.
Le problème fondamental de ce système est que la chambre de compensation concentrera désormais le risque. Elle devient systémique. Théoriquement, elle est conçue pour gérer le risque, c'est-à-dire la défaillance d'un de ses membres. Elle doit disposer de suffisamment de capital et d'appels de marge pour absorber le choc. Mais, comme le souligne un observateur, « tout l'édifice repose sur l'hypothèse qu'elles ne feront jamais défaut ». La question que nous pouvons alors nous poser est de savoir si elles ne vont pas devenir « trop systémiques pour chuter ». Ne sont-elles pas les prochaines Dexia ou Northern Rock que la puissance publique sera contrainte de sauver ?
Lors de la présentation de mes amendements, je reviendrai notamment sur un autre point crucial de leur robustesse financière, à savoir l'accès à la liquidité.
Néanmoins, je tiens à souligner que, si nous n'avons pas résolu le problème du risque systémique, la compensation des produits dérivés et leur standardisation constituent un progrès indéniable par rapport au système actuel. D'abord, parce que le système, dans son ensemble, sera moins risqué. Par exemple, la récente faillite du courtier MF Global a pu être gérée sans dommage excessif et sans panique car une grande partie de ses contrats dérivés faisaient l'objet d'une compensation.
Ensuite, parce que cette évolution réglementaire devrait conduire de plus en plus de contrats à être traités non plus de gré à gré mais directement sur un marché. Aujourd'hui, seulement 10 % des produits dérivés sont dits « listés », c'est-à-dire négociés sur un marché ouvert et transparent. L'ambition du règlement EMIR est de faire bouger les lignes.
D'ailleurs, en matière de transparence, le règlement impose que tous les contrats dérivés qu'ils soient listés ou négociés de gré à gré feront l'objet d'une déclaration auprès d'un référentiel central. Le référentiel central est, en quelque sorte, une grande base de données qui répertorie les contrats dérivés ainsi que leurs caractéristiques principales (contreparties, montant, date de dénouement, sous-jacent, etc.). Ainsi, le régulateur pourra, à tout moment, avoir une vision globale des positions d'un acteur de marché. Il pourra également, par analyse sur chacun des produits, détecter la formation de risques, de bulles ou de tout événement susceptible de déstabiliser les marchés.
Là encore, je crois que le texte constitue un réel progrès par rapport à la situation précédente. Nous devons encore essayer d'être le plus en accord avec les Etats-Unis pour avoir une législation cohérente et compatible de part et d'autre de l'Atlantique.
S'agissant maintenant de la proposition MIF II. Le calendrier est tout différent puisque la Commission européenne a publié son texte le 20 octobre dernier. Il est donc peu probable que le déroulé de la négociation permette de publier le texte définitif avant la fin de l'année.
L'exercice est un peu différent puisqu'il s'agit de refondre entièrement une importante directive de 2004 sur les « marchés d'instruments financiers », dite directive « MIF I ».
Un des apports principaux de MIF I est d'avoir mis fin au principe de concentration des ordres sur les marchés des actions. Concrètement, pour acheter ou vendre une action française, il n'est plus nécessaire de réaliser la transaction à la Bourse de Paris. Avant 2004, la Bourse était constituée en monopole. Comme dans bien d'autres secteurs, MIF I a procédé à une ouverture à la concurrence.
Il est désormais possible d'acquérir une action Renault à Stockholm, Budapest ou Londres aussi bien qu'à Paris. MIF I a créé deux types de marchés régulés : tout d'abord les marchés dits réglementés, qui sont les marchés traditionnels. En France, NYSE-Euronext a ce statut. Et ensuite, les systèmes multilatéraux de négociation, plus connus sous leur acronyme anglais de MTF (Multilateral Trading Facilities).
Alors, qu'attendait-on de cette mise en concurrence ? Tout d'abord, elle devait apporter une plus grande liquidité sur les marchés, c'est-à-dire une plus grande fluidité dans les échanges sans volatilité excessive des cours. Ensuite, elle devait conduire à une baisse des coûts de transaction pour les investisseurs.
Quatre ans après son entrée en vigueur, le constat est plus que mitigé. En ce qui concerne la liquidité, les différentes études réalisées ici et là ne permettent pas de conclure à un effet déterminant de la nouvelle législation. En réalité, la MIF a fragmenté les marchés. Le bassin d'investisseurs est certainement plus important mais comme il n'est plus concentré sur une seule place de négociation, son impact est moins fort.
S'agissant des coûts, deux constats sont indéniables. Le premier est que les coûts ont effectivement baissé. Le second est que cette baisse n'a été que très mal répercutée sur les investisseurs finaux : la baisse des coûts a surtout profité aux intermédiaires.
Le modèle conceptuel sur lequel reposait la directive MIF I est loin d'avoir prouvé sa pertinence. C'est un échec ou, du moins, un semi-échec. Sa révision était donc hautement souhaitable.
MIF II est en réalité un ensemble de deux textes : un règlement et une directive représentant la somme de 300 pages ! Je vais donc me concentrer sur trois points.
Tout d'abord, la transparence. Il s'agissait d'un point fondamental de MIF I. A partir du moment où une action est cotée en même temps sur plusieurs lieux de négociation, l'investisseur doit connaître le prix et les volumes proposés sur chacun d'entre eux. C'est que l'on appelle la transparence pré-négociation. Or il est apparu que MIF I permettait de faire des exemptions à cette transparence pré-négociation. L'exemption la plus légitime concerne les échanges de gros blocs de titres qui pourraient perturber (à la hausse ou à la baisse) le marché. Il n'est pas inutile, pour la stabilité du marché, qu'il existe des exemptions. Seulement, en pratique, ces exemptions ont largement prospéré, souvent avec la complaisance des régulateurs nationaux. Lors de son audition, le 18 janvier dernier, Jean-Pierre Jouyet a appelé notre attention sur ce point : MIF II laisse encore prospérer trop d'exemptions.
Je dirai un mot sur la transparence post-négociation lors de la présentation des amendements.
Second point que je voudrais évoquer : la création d'une nouvelle catégorie de plates-formes, les systèmes organisés de négociation, également désignés par leur acronyme anglais OTF (organized trading facilities). Je vous l'ai dit, il existe aujourd'hui deux types de marchés régulés : les marchés réglementés et les MTF. En théorie, les négociations qui n'ont pas lieu sur ces marchés se traitent sur une base bilatérale, de gré à gré. Or, en pratique, MIF I a laissé un « trou noir » qui a permis de créer un mode de transaction entre marchés régulés et marchés de gré à gré : ce sont les « crossing networks ». Or, comme l'a dit un des mes interlocuteurs, il est urgent de remettre en cohérence la lettre et l'esprit de MIF I.
Pour ce faire, la Commission européenne propose d'aligner le droit sur la pratique. Il aurait pu en être différemment. Ainsi, une nouvelle catégorie de plateforme serait créée, à savoir les OTF. A la différence des marchés régulés, les OTF seraient autorisés à choisir leurs clients mais ne pourraient pas faire du trading pour compte propre.
Ces nouvelles plateformes causent quelques inquiétudes tant à notre régulateur national qu'à plusieurs personnes que j'ai rencontrées. Ne s'agit-il pas d'une fausse bonne idée ?
Le véritable problème tient au fait que le gré à gré n'est pas défini par la directive. Or il faudrait une telle définition de sorte que les négociations ne répondant pas à ces critères soient obligatoirement traitées sur un marché régulé. Ainsi, il ne serait plus nécessaire de créer les OTF pour les marchés actions.
En revanche, cette idée pourrait se révéler opportune pour les marchés des obligations et des dérivés, aujourd'hui très majoritairement traités de gré à gré. Si nous attirons une partie de ces transactions sur les OTF, nous aurons déjà gagné en transparence par rapport au gré à gré. Au pire, ce sera le statu quo.
Dernier point sur lequel je voudrais insister, le trading haute fréquence. Cette évolution technologique est une conséquence directe de MIF I et de la fragmentation des marchés. En effet, la cotation en temps réel sur plusieurs places est une incitation forte à l'arbitrage. Or, en matière financière, l'arbitrage n'est rentable qu'à la condition d'être rapide. Nous avons donc assisté à une course à la rapidité au moyen d'algorithmes informatiques capables de passer des ordres dans un laps de temps de la microseconde.
Vous connaissez ma position sur cette technique financière. Je peux d'ailleurs constater que nombre de mes interlocuteurs se sont déclarés très sceptiques quant à son intérêt économique.
Néanmoins, la Commission européenne, faute de disposer de tous les éléments probants, n'a pas sauté le pas d'une interdiction pure et simple. Elle propose tout d'abord de mieux connaître le THF. Elle a également proposé que les traders à haute fréquence apportent en permanence de la liquidité. En effet, pour justifier de leur utilité économique, ils avancent régulièrement l'argument selon lequel ils contribuent à la liquidité du marché. Mais, comme le souligne Jean-Pierre Jouyet, cette liquidité est artificielle, fugace, elle se retire au moindre coup de semonce.
La Commission européenne entend éviter cet écueil et veut que les traders à haute fréquence propose en permanence un prix à l'achat et à la vente ; en bref, qu'ils soient vraiment apporteurs de liquidité. Cette proposition mérite certainement d'être retravaillée pour devenir véritablement opérationnelle mais elle a le mérite d'exister. Elle n'est d'ailleurs pas exclusive d'autres modalités d'encadrement, dont je reparlerai tout à l'heure.
Enfin, MIF II aborde des questions importantes telles que le marché des quotas de CO2, qui seraient désormais considérés comme des instruments financiers, ou celui des matières premières ainsi que le financement des PME par le marché. Je ne voudrais pas être trop longue à ce stade et j'y reviendrai dans la présentation de mes amendements.
Je vous remercie de votre attention.
Je remercie la rapporteure générale pour cet exposé pédagogique, sur une matière très technique.
Je me bornerai à formuler quatre remarques ou questions.
Tout d'abord, je me réjouis de la qualification des quotas de CO2 en tant qu'instruments financiers. Cela répond à une demande exprimée de longue date par notre commission, notamment par notre collègue Fabienne Keller. Il devrait en résulter un encadrement pertinent du marché au comptant des quotas.
Ensuite, à propos des contrats standardisés, j'aimerais savoir si la proposition de règlement définit les critères de standardisation. Sinon, n'y a-t-il pas un risque que l'International swaps and derivatives association (ISDA), émanation des grands cabinets anglo-saxons actifs en la matière, continue de dicter, en pratique, sa propre « régulation privée » ?
J'en arrive au recours systématique aux chambres de compensation, en rappelant que, pour ceux d'entre nous qui y ont participé, notre visite au Chicago Board of trade, en avril 2009, s'était révélée très utile pour toucher du doigt l'activité de telles chambres. Il s'agit bien d'un élément de cohérence et de réduction des risques au sein du système financier. Simplement, quel sera le statut de ces chambres ? Seront-elles des infrastructures d'intérêt général ou bien des structures privées se livrant au jeu de la concurrence ?
Enfin, même s'il a été mis fin au principe de concentration des places boursières, ne pensez-vous pas, Madame la rapporteure générale, qu'il serait utile que nous faisions part de notre point de vue sur l'évolution de la société NYSE-Euronext - quand bien même sa fusion-absorption par Deutsche Börse a été bloquée par la Commission européenne ?
Je me réjouis de la discussion de ce texte car nous sommes au coeur des transactions internationales. Là se nouent des relations étonnantes entre des personnes ayant besoin de couvertures pour leur activités et d'autres se livrant à la spéculation, chacun étant d'ailleurs nécessaire à la bonne marche de l'ensemble...
A mes yeux, il est clair que les marchés à terme ne peuvent fonctionner correctement qu'en s'appuyant sur des chambres de compensation solides. Souvenons-nous qu'il y avait en France des marchés à terme très vigoureux, qui ont disparu précisément en raison de la défaillance des chambres de compensation. Ceux d'entre nous qui se souviennent de l'actualité des années 1970 se remémoreront la grave crise du sucre : après une forte hausse du prix du sucre en 1974, de nombreux opérateurs sont entrés sur ce marché, mais, au bout du compte, cette spéculation a abouti à la disparition du marché à terme de Paris car la chambre de compensation n'était pas assez solide d'un point de vue financier et juridique.
Aujourd'hui, les marchés sont encore bien plus sophistiqués, ce qui renforce la nécessité de s'appuyer sur des chambres parfaitement crédibles.
Je suis heureux que le Sénat se saisisse de ce dossier. Nous sommes dans notre rôle, tout en étant un peu pionniers en la matière.
A mes yeux, la proposition de résolution de Richard Yung va dans le bon sens, mais pourrait être parfois un peu « musclée ». A cet égard, je rappelle que j'étais le porte-parole de mon groupe sur la directive MIF I mais que mes amendements avaient alors été rejetés au nom de l'autorégulation et de la concurrence. Depuis, les dérives du monde de la finance ont fait évoluer les esprits...
S'agissant du texte que nous examinons, je soutiens les amendements de Nicole Bricq, en formulant juste quelques remarques pour, peut-être, aller au-delà :
- la protection des investisseurs me semble peu prise en considération dans les projets d'actes communautaires. Il conviendrait sans doute d'améliorer tant les règles de conduite que les règles d'organisation ;
- nous devrions nous montrer fermes sur l'encadrement du trading à haute fréquence, source de dérive. Un amendement va en ce sens, que nous pourrions peut-être encore « durcir » afin de tenir compte des pas de cotation, des structures tarifaires, des ratios d'ordres afin que MIF II donne à l'AEMF le pouvoir de dicter des standards pertinents en la matière ;
- je me demande si la création des OTF constitue réellement un progrès. Nous devrions sans doute préconiser leur suppression ;
- s'agissant des marchés de matières premières, faut-il vraiment les confier aux banques d'investissements ? MIF II devrait se montrer plus contraignante vis-à-vis de ces acteurs et permettre de mieux apprécier la position de chacun. Si, parfois, des évolutions de cours spectaculaires proviennent vraiment des fondamentaux d'un marché donné, il peut aussi arriver que certains créent des « bulles » artificielles ;
- enfin, en m'appuyant sur ce que nous a dit le professeur Aglietta le 18 janvier dernier, je considère que nous effectuons trop peu de « tests de dangerosité » sur les produits issus de l'innovation financière. Or celle-ci risque de s'activer afin de contourner les nouvelles règles prudentielles édictées par le Comité de Bâle. Nous devrions donc préconiser que MIF II prévoie de tels tests.
A titre personnel, je me félicite de l'organisation de tables rondes sur la régulation financière par notre commission, celles-ci nous permettant d'accroître nos connaissances sur des sujets à la fois techniques et importants.
Pour en venir au sujet du jour, je voudrais remarquer, d'une part, qu'en matière d'organisation de la sécurité financière de la zone euro, nous avons, en Europe, une pluralité des chambres de compensation, à l'inverse de ce qui prévaut aux Etats-Unis, et je me demande même si les règles que les propositions d'actes établiraient pour la zone euro s'appliqueraient dans des pays comme le Royaume-Uni. Aussi appuierai-je les propositions de la rapporteure générale visant à renforcer l'harmonisation de leurs pratiques au travers d'une réglementation adéquate.
D'autre part, sur le sujet complexe de la fixation de la valeur des actifs, j'observe qu'il n'y a pas de consensus. Faut-il que le marché fixe la valeur, auquel cas quels seraient les rôles respectifs des marchés organisés et des transactions de gré à gré ? Mais certains estiment qu'il faudrait également que des instruments hors marché permettent de déterminer la valeur des actifs, tout en fustigeant d'ailleurs parfois les agences de notation...
Cela n'est donc pas simple et j'espère que d'autres rendez-vous nous permettront de progresser encore dans notre maîtrise technique de ces questions.
Tel est aussi mon sentiment et, d'ailleurs, nous tiendrons une table ronde sur la régulation bancaire et le financement de l'économie dès ce matin.
S'agissant de la standardisation, c'est un « vrai sujet », l'AEMF pouvant soit jouer un rôle de décideur en la matière, soit se contenter d'approuver la décision des chambres de compensation. A ce stade, on peut raisonnablement estimer que les chambres de compensation vont se coordonner et que l'AEMF y veillera. Bien entendu, les opérateurs privés joueront un rôle et il sera difficile d'ignorer les pratiques américaines.
A propos du statut des chambres de compensation, la Commission européenne veut clairement faire jouer la concurrence, mais la proposition de règlement EMIR prévoit des règles strictes en matière d'organisation et de lutte contre les conflits d'intérêts. Le sujet récurrent lors de mes discussions à Bruxelles était l'accès non discriminatoire de toutes les parties à la chambre de compensation, surtout en raison du système allemand dit du « silo », non ouvert à tout le monde.
Bien sûr. Je dois également relever une faiblesse d'EMIR qui accorde trop d'importance aux régulateurs nationaux, sous forte pression britannique, alors qu'il est évident que l'activité d'une chambre de compensation dépasse son cadre national.
Pour ce qui concerne NYSE-Euronext et sa fusion avortée avec Deutsche Börse, le droit communautaire de la concurrence a prévalu, comme vous le savez. Les dirigeants de cette entreprise, que j'ai récemment rencontrés, essaient d'établir un autre modèle économique, ce qui n'est pas simple, et devraient communiquer à ce sujet début avril. Il s'agit notamment de déterminer si NYSE-Euronext disposera d'une chambre de compensation, mais nous en saurons plus dans quelques semaines.
Je remercie Joël Bourdin pour son éclairage historique, fort utile, ainsi que François Marc, qui s'intéresse, lui aussi, de longue date à ces sujets et qui avait notamment porté la parole du groupe socialiste sur MIF I. Il est d'ailleurs dommage que l'intérêt que porte la commission des finances du Sénat à la régulation financière soit relativement peu partagé, tant au sein du Parlement français qu'au Parlement européen.
Sur le fond, François Marc a raison sur les OTF. Il ne s'agit probablement pas d'une évolution positive pour les marchés actions. En revanche, les OTF pourraient constituer un premier pas vers davantage de transparence pour les dérivés ou les obligations.
Je précise également que MIF II ne prévoit pas de tests de dangerosité, mais les régulateurs nationaux et l'AEMF auront le pouvoir d'interdire des produits potentiellement déstabilisateurs.
Je dirai enfin à Jean Germain, d'une part, que les actes communautaires ont vocation à s'appliquer dans l'ensemble de l'Union européenne et pas dans la seule zone euro, et, d'autre part, que sa question sur la détermination de la valeur est très délicate. Les travaux des normalisateurs comptables sont actuellement enlisés, avec un désaccord très net entre l'IASB, responsable de l'élaboration des normes internationales IFRS, et le régulateur américain.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
L'amendement n° 1 est rédactionnel.
L'amendement n° 1 est adopté.
L'amendement n° 2 traite de la question de la concentration du risque au sein des chambres de compensation.
Comme je l'ai déjà dit, il est regrettable que le texte de compromis n'ait pas permis de donner plus de pouvoirs à l'AEMF pour contrôler leur supervision, qui reste largement aux mains des régulateurs nationaux.
De même, la défaillance d'un membre de la chambre de compensation peut entraîner une instabilité du système financier dans son ensemble si la chambre n'est pas en mesure d'absorber le choc. C'est pourquoi, il est vital qu'elle puisse accéder à la liquidité offerte par une banque centrale, qui demeure la seule liquidité disponible en cas de tensions sur les marchés. Or le texte n'est pas contraignant sur ce point.
Enfin, les chambres de compensation sont des prestataires privés. Il convient donc de s'assurer que l'accès à la compensation, désormais obligatoire, s'effectue de manière non biaisée, à l'inverse de la pratique allemande du « silo ».
Tel est l'objet de cet amendement.
Votre proposition est très claire et les principes qu'elle définit me semblent incontestables.
L'amendement n° 2 est adopté.
L'amendement n° 3 part du semi-échec de la directive MIF I. Je pense qu'il est important que nous rappelions dans la résolution du Sénat quels étaient les objectifs de cette directive et que nous constations qu'ils n'ont pas été atteints. C'est en quelque sorte un bilan de la régulation passée.
Je pense que vous avez raison d'introduire cette perspective dans le texte du Sénat.
Je voudrais aussi m'inscrire en faux contre l'idée répandue selon laquelle « le G 20 ne sert à rien ». Certes, les marchés sont souvent plus rapides que la démocratie. Mais le texte que nous étudions traduit les orientations du G 20 de Pittsburgh. Prenons garde à ne pas colporter des idées fausses dont certains savent se saisir...
L'amendement n° 3 est adopté.
L'amendement n° 4 traite des exemptions.
En effet, la directive MIF I prévoit une obligation de transparence pré-négociation. Concrètement, les plateformes de négociation doivent afficher en permanence le prix et les volumes des ordres qu'elles reçoivent. Toutefois, la directive définit également des exemptions, notamment lorsqu'un ordre de grande taille serait susceptible de perturber le marché.
Le texte de MIF II n'entend pas fondamentalement revenir sur les exemptions prévues dans MIF I. Or, comme le fait remarquer l'Autorité des marchés financiers, les exemptions à la transparence pré-négociation se sont multipliées ces dernières années, ce qui a constitué une dérive dans l'application de MIF I.
La révision doit constituer une opportunité pour limiter drastiquement ces exemptions, qui ne devraient être autorisées que par l'AEMF.
L'amendement n° 4 est adopté.
L'amendement n° 5 répond, je l'espère, aux inquiétudes de François Marc relatives aux OTF.
Comme nous l'avons vu, ces plateformes obéiraient à des règles plus légères que celles actuellement applicables aux marchés régulés. Il y a donc un risque qu'une partie des transactions régulées migrent vers les nouvelles plateformes. C'est pourquoi, il est préférable que la directive MIF II définisse précisément les opérations traitées de gré à gré - qui constituent le fameux « trou noir » de la directive MIF I, de sorte que celles ne répondant pas à cette définition soient traitées sur un marché régulé. A mes yeux, la France devrait vraiment appuyer cette position, ce qu'elle ne fait peut-être pas assez.
Pour autant, je rappelle que les « systèmes organisés de négociation » pourraient représenter un intérêt pour les négociations des obligations et des produits dérivés, qui sont actuellement très majoritairement traitées de gré à gré. Par leur souplesse, les OTF seraient susceptibles d'attirer une partie de ces transactions qui feraient ainsi l'objet d'une plus grande transparence.
En quoi les règles encadrant les OTF sont-elles plus souples que celles qui s'appliquent aux marchés réglementés ?
C'est donc un outil contractuel entre le marché et ses membres, qui acceptent donc de ne pas disposer de toute l'information disponible sur un marché réglementé.
Le pari de la Commission européenne est d'obtenir plus de transparence sur certaines opérations au travers des OTF, mais le risque inverse existe aussi, si l'on observe des migrations de marchés réglementés vers ces nouvelles plateformes.
Sur les OTF, je pense que nous devons expliciter les choses, notamment tant pour ce qui concerne leurs caractéristiques, par exemple les règles d'exécution des ordres, que pour leur encadrement.
Par ailleurs, je suis satisfait de voir qu'on préconise d'exclure les actions des OTF dès lors qu'il existe déjà trois lieux de négociation.
Nous pourrions sans doute muscler la formule du dernier alinéa de l'amendement afin de ne plus seulement « souhaiter » mais de « juger indispensable » cette exclusion des actions.
L'amendement n° 5 ainsi rectifié est adopté.
L'amendement n° 6 fait référence au label de « marché de croissance des PME » que, selon MIF II, certains marchés pourraient obtenir. Je constate qu'en l'état actuel, il ne s'agit que d'une simple appellation et non de la création d'un véritable corpus juridique adapté aux contraintes des PME qui souhaiteraient se financer par le marché.
A l'instar des obligations imposées en France par l'AMF au marché Alternext, il serait souhaitable que la réglementation sur les abus de marché soit applicable aux « marchés de croissance des PME ».
Pour l'heure, ce n'est que du « bla bla PMisant », un effet d'annonce qui ne marchera jamais car on dit d'un côté qu'il faut que les PME accèdent au marché et y lèvent des capitaux, mais on veut les dispenser d'apporter la transparence nécessaire. Dans le contexte actuel, qui apportera des fonds dans de telles conditions ? Ce n'est donc qu'un slogan politiquement correct !
Dans l'absolu, de tels marchés peuvent se révéler utiles.
L'amendement n° 6 est adopté.
L'amendement n° 7 porte sur le trading à haute fréquence.
Je vous rappelle que le développement du trading par ordinateur est une conséquence directe de la fragmentation des marchés résultant de la directive MIF.
Avec MIF II, la Commission européenne propose de limiter cette pratique en obligeant les entreprises d'investissement pratiquant le trading à haute fréquence à apporter, en permanence, de la liquidité, c'est-à-dire à rester présentes sur le marché alors que leur stratégie actuelle consiste à faire des allers-retours incessants. Cette proposition éviterait également que le trading par ordinateur aille constamment dans le sens du marché, ce qui accentue et accélère les tendances haussières et baissières.
D'autres méthodes méritent également d'être encouragées pour encadrer le trading haute fréquence : temps de latence minimal pour les ordres, limitation de la décimalisation (qui accroît les possibilités d'arbitrage et donc la volatilité des cours), limitation du nombre d'ordres annulés, application de taxations ou de tarifs spécifiques qui seraient désincitatifs.
J'approuve cette proposition, mais je pense que nous en restons à un niveau très général alors qu'il conviendrait de rentrer dans l'opérationnel. Par exemple, nous pourrions évoquer la méthode de la variation du depôt.
Nous sommes vraiment au début du processus. Pour le moment, la Commission européenne souhaite, par sa proposition, marquer un coup de semonce et créer un rapport de forces. Les éléments opérationnels apparaîtront donc sans doute plus tard.
Je pense que nous devrions faire explicitement référence à la taille des pas de cotation dans notre proposition.
Cela est déjà inclus dans la proposition de Richard Yung, quand il évoque « la limitation de la décimalisation ».
Nous pourrions, si vous le souhaitez, rectifier l'amendement afin d'indiquer plus clairement ce point dans le texte.
L'amendement n° 7 ainsi rectifié est adopté.
L'amendement n° 8 propose que le Sénat se félicite de ce que MIF II pose les prémices d'une régulation européenne sur le marché des matières premières, ce qui marque un réel progrès.
Ainsi, les intervenants devraient dévoiler leurs positions et, surtout, des limites de position devraient être imposées sur les contrats de dérivés sur matières premières, ce qui interdirait donc la détention d'un nombre de contrats supérieur à celui prévu par la réglementation.
Cela est très important et a des conséquences concrètes sur l'avenir de NYSE-Euronext, et de sa filiale MATIF SA - le marché français de négociation des contrats sur matières premières, qui s'est beaucoup développé ces dernières années et qui fonctionne sous régulation française. Le projet de fusion avec Deutsche Börse n'en disait d'ailleurs rien.
Il y a donc là un fort enjeu en termes de régulation et d'influence du droit français, auquel il convient de sensibiliser le Gouvernement.
De manière générale, les négociations sur MIF II doivent aboutir d'ici à la fin de l'année. Il faudra que nous y revenions...
L'amendement n° 8 est adopté.
L'amendement n° 9 a pour objet de prendre position quant à la qualification des quotas de CO2 en tant qu'instruments financiers par le projet de directive MIF II.
Il propose d'approuver cette qualification qui aurait pour conséquence heureuse d'harmoniser enfin la définition des quotas au niveau communautaire et de soumettre le marché des quotas au comptant à une régulation robuste ainsi qu'à la surveillance de l'AEMF. Il est néanmoins souhaitable de conditionner cette classification à l'adoption de mesures d'adaptation de la réglementation financière à la spécificité des quotas.
L'amendement n° 9 est adopté.
L'amendement n° 10 est de précision.
L'amendement n° 10 est adopté.
La proposition de résolution est alors adoptée, à l'unanimité des membres présents, dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La commission désigne ensuite Mme Nicole Bricq rapporteure :
sur le projet de loi n° 4337 (AN - XIIIème législature) autorisant la ratification de la décision du Conseil européen modifiant l'article 136 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) en ce qui concerne un mécanisme de stabilité pour les Etats membres dont la monnaie est l'euro, en cours d'examen par l'Assemblée nationale ;
et sur le projet de loi n° 4336 (AN - XIIIème législature) autorisant la ratification du traité instituant le mécanisme européen de stabilité (MES), en cours d'examen par l'Assemblée nationale.
La commission organise enfin, conjointement avec la commission des affaires européennes, une table ronde intitulée « Régulation bancaire et financement de l'économie », à laquelle participent M. Andrea Enria, président de l'Autorité bancaire européenne (ABE), Mme Danièle Nouy, secrétaire générale de l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP), MM. François Pérol, président du directoire de BPCE, et Dominique Plihon, professeur d'économie financière à l'université de Paris-Nord (Paris XIII).
La commission des affaires européennes et la commission des finances poursuivent leur réflexion sur la régulation en abordant aujourd'hui plus spécifiquement la régulation bancaire.
Nos deux commissions vont être prochainement amenées à examiner des textes qui visent notamment à appliquer en Europe les recommandations du comité de Bâle.
Je remercie particulièrement nos quatre invités qui vont nous faire part de leur analyse de la situation et de leur appréciation sur le projet de la Commission européenne. Nous entendons de nombreuses réactions sur l'opportunité et le juste calibrage des nombreux ratios prudentiels proposés. J'aimerais pour ma part que nos invités nous éclairent sur quelques points particuliers.
Le premier concerne la gouvernance des banques, car c'est largement une mauvaise gouvernance qui a suscité la crise financière : certaines activités étaient hors de contrôle.
Le deuxième point, d'ailleurs lié au premier, concerne la réflexion maintenant engagée en Europe sur la séparation entre les différentes activités bancaires, et donc sur l'avenir du modèle de nos banques françaises « généralistes ». Finalement, la question est de savoir quel degré de liberté on peut laisser aux banques dans le contexte si particulier d'une activité qui bénéficie du soutien implicite des Etats.
Notre table ronde d'aujourd'hui s'intitule « Régulation bancaire et financement de l'économie ». C'est la seconde rencontre que nos deux commissions organisent depuis le début de cette année 2012 sur le thème de la régulation, après celle du 18 janvier sur la régulation des marchés financiers.
La commission vient, par ailleurs, ce matin d'examiner le rapport de Nicole Bricq sur la proposition de résolution européenne, présentée par la commission des affaires européennes du Sénat et qui porte sur deux textes : le règlement EMIR (Réglementation sur les infrastructures de marchés européennes) et la proposition de révision de la directive « marchés d'instruments financiers », dite proposition MIF II. Ce sujet est en lien direct avec le thème de notre table ronde, à savoir la solidité et la solvabilité du système financier.
Tout cela résulte de la crise de 2008-2009 qui a révélé les inadaptations des établissements bancaires européens. Lors de l'audition organisée par notre commission la semaine dernière, les économistes invités ont rappelé que le suivi des valeurs d'actifs par les banques centrales européennes était une question cruciale.
Un pays comme l'Irlande est là pour nous rappeler qu'un système apparemment prudent peut exploser quasiment d'un jour à l'autre avec des conséquences systémiques importantes « seulement » parce que l'on n'a pas prêté attention aux risques pris par certains acteurs de l'économie, notamment ceux représentant le marché de l'immobilier.
Cela doit nous conduire à méditer sur la régulation à mettre en oeuvre et les règles à respecter dans l'élaboration des bilans des établissements bancaires. Il s'agit là de problèmes de fonds propres et de liquidité, questions familières au comité de Bâle.
Tout notre environnement est aujourd'hui façonné par ce comité qui n'a pourtant pas de réalité organisationnelle de droit public et dans lequel aucun élu national n'est représenté. Pourtant, sa « normalisation » s'impose aux autorités communautaires et nationales, ce qui alimente de nombreuses frustrations et tensions.
D'autres initiatives se superposent à l'ordre du jour européen. Je pense en particulier aux exigences fixées de concert par le Conseil européen et l'Autorité bancaire européenne, demandant aux banques de détenir 9 % de fonds propres à horizon de juin 2012.
Or ces contraintes, pour nécessaires qu'elles soient, ne font-elles pas courir le risque, non pas d'un « credit crunch » qui serait l'effondrement du crédit, mais d'un resserrement du crédit ?
Il y a eu cependant un élément très positif : l'opération de refinancement à 36 mois de la Banque centrale européenne (BCE) qui semble avoir permis de limiter ce phénomène. Cependant, il y a un équilibre qui reste à trouver entre, d'un côté, la nécessité de réguler le secteur bancaire, de s'assurer de sa solidité en cas de crise, et d'éviter que le contribuable ne soit à nouveau appelé à la rescousse des banques et, de l'autre côté, le besoin de financement de l'économie, des entreprises mais aussi des collectivités territoriales qui jouent un rôle essentiel.
C'est dans ce contexte que nous vous accueillons, sans oublier la question de la place des banques dans la souscription et l'animation du marché des titres représentatifs des dettes souveraines.
Je souhaite aborder deux principaux sujets : d'une part, les travaux menés par l'Autorité bancaire européenne (ABE) afin de renforcer les capitaux propres des banques à partir des tests de résistances réalisés en 2011 ; d'autre part, l'élaboration en cours par l'ABE d'un ensemble unique de règles harmonisées sur le marché bancaire européen, notamment s'agissant de la définition des fonds propres et des ratios de liquidité.
En 2011, nous avons réalisé des tests de résistance des banques européennes. Les acteurs du marché ont accueilli favorablement cet exercice. Etant donné l'explosion de la crise des dettes souveraines, il y avait un manque criant de confiance vis-à-vis des banques.
Nous avons fait des recommandations, notamment la fixation d'une cible de fonds propres de 9 %. Nous avons examiné, la semaine dernière, les plans de recapitalisation des différentes banques afin de vérifier qu'ils respectent nos recommandations.
Notre préoccupation a été de renforcer les fonds propres des banques sans réduire les prêts à l'économie réelle. Les banques ont pris très sérieux nos recommandations. La recapitalisation est actuellement en bonne voie. Mais il est vrai que les banques ont eu à gérer des problèmes de financement. Nous surveillons cela de très près.
L'ABE est en train d'élaborer des normes harmonisées et uniques au niveau européen. Il s'agit d'une des propositions faites par le groupe de haut niveau sur la supervision financière présidé par Jacques de Larosière. La priorité sera la question de la quantité et de la qualité des fonds propres et les risques de liquidité. Nous avons engagé à ce sujet un dialogue avec le Conseil européen, le Parlement européen et les parlements nationaux. Compte tenu de ce qui s'est passé avant, pendant et après la crise, il y a un besoin criant de normes harmonisées même si certaines autorités tendent à émettre aujourd'hui des doutes sur ce projet. Une centaine de normes sont concernées, quarante seront élaborées d'ici la fin de cette année.
Deux axes de travail seront privilégiés : la définition des fonds propres et les normes de liquidité. S'agissant des normes de liquidité, c'est la première fois que nous adopterons des règles communes en la matière. Certaines propositions du comité de Bâle ont suscité des inquiétudes dans le secteur bancaire en raison de leurs éventuelles conséquences imprévues sur le fonctionnement du marché monétaire. Les principes de Bâle sont sains. Nous avons besoin de coussins en fonds propres et de réserves de liquidités pour résister aux crises.
Cela étant dit, certains critères techniques doivent être soigneusement calibrés afin que l'on soit assuré d'atteindre les objectifs souhaités.
Pour cela, l'ABE va recueillir des informations auprès des banques et analyser ces données afin ensuite de pouvoir, le cas échéant, proposer des mesures précises d'ajustement. Il faut tenir compte des spécificités des banques européennes et proposer des mesures proportionnées à la taille des établissements.
L'ABE est une jeune entité qui a été confrontée à un défi majeur et à de fortes pressions. Elle a prouvé qu'elle était capable de prendre les mesures nécessaires. Son action ne pourra néanmoins fonctionner que si elle travaille main dans la main avec les superviseurs nationaux.
La réforme Bâle III, nécessaire, comporte des enjeux importants pour le financement de l'économie. Sa mise en oeuvre doit donc se faire en tenant compte des impacts qu'elle peut avoir sur l'activité économique. Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de faire un point d'étape sur cette réforme et de présenter les principaux points d'attention de l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP). Après un bref rappel du dispositif Bâle III lui-même, je reviendrai sur le « calibrage » de la réforme ainsi que les conséquences possibles de cette dernière sur l'économie, avant de terminer par les questions liées au « deleveraging », c'est-à-dire à la réduction par les banques de leurs engagements financiers et au « shadow banking », c'est-à-dire la finance non régulée, dite « de l'ombre ».
Bâle III est une réponse indispensable à la crise financière. Celle-ci, qui a été déclenchée en 2007 par l'effondrement de la pyramide des subprimes aux Etats-Unis, a mis en péril le système financier mondial. Un renforcement en profondeur de la réglementation était indispensable. Sous l'impulsion du G 20, le comité de Bâle a rapidement proposé un large éventail de mesures à la fois quantitatives et qualitatives.
En 2009, il a développé une première série de mesures visant à assurer une surveillance plus étroite et une meilleure couverture en fonds propres des activités de marché des banques. Ce dispositif, appelé « Bâle 2,5 », est entré en vigueur en Europe et en France depuis la fin de l'année 2011, comme s'y étaient engagés les chefs d'Etat et de Gouvernement au G 20.
A la fin de l'année 2010, le Comité de Bâle a finalisé un ensemble de nouvelles mesures constituant le dispositif Bâle III. Je rappelle en quelques mots que, sur le plan quantitatif, Bâle III va d'abord se traduire par un relèvement des exigences de solvabilité des banques, qui - sous la forme d'un ratio - rapportent les fonds propres qu'elles détiennent aux risques qu'elles prennent :
- au numérateur de ce ratio, la quantité ainsi que la qualité des fonds propres qu'elles devront détenir seront renforcées ;
- au dénominateur, les exigences de fonds propres relatives à leurs activités de marché, de titrisation et sur instruments dérivés seront nettement accrues.
Par ailleurs, les banques les plus importantes, c'est-à-dire celles jugées d'importance systémique, seront soumises à une charge en capital supplémentaire.
Outre un ratio de capital renforcé, Bâle III imposera aux banques de respecter des ratios de liquidité et de levier :
- deux ratios de liquidité, l'un à un mois (le liquidity coverage ratio - LCR) et visant à assurer que chaque banque puisse faire face à un choc de liquidité soudain ; l'autre à un an (le net stable funding ratio - NSFR) et visant à s'assurer que son activité de transformation est maîtrisée ;
- un ratio de levier (ou leverage ratio), destiné à limiter le total des engagements financiers globaux d'une banque, indépendamment de leur nature, au regard de ses fonds propres.
Bâle III ne se limite pas au renforcement ou à l'introduction de normes quantitatives de gestion. La réforme comporte des exigences accrues en matière de gouvernance, notamment une implication plus forte des organes dirigeants dans le dispositif de contrôle interne des banques, de mesure et de gestion des risques ainsi que de transparence financière.
En Europe, la mise en oeuvre de Bâle III sera effectuée via un règlement, d'application directe dans les Etats-membres, et via une directive dont l'entrée en vigueur est fixée au 1er janvier 2013. Ces deux textes permettront de renforcer encore l'harmonisation du marché unique des services financiers, grâce à la mise en place d'un corpus de règles unique. Par ailleurs, ils confient à l'ABE la charge de rédiger des standards techniques qui faciliteront une mise en oeuvre totalement homogène des nouvelles règles.
Le « calibrage » de la réforme doit être compatible avec le financement de l'économie.
La mise en oeuvre de Bâle III a été voulue progressive, s'échelonnant jusqu'en 2019, afin de renforcer la solidité des banques tout en continuant d'assurer le financement de l'économie.
Mais l'histoire s'est rapidement accélérée. Les incertitudes sur la capacité de certains Etats à maîtriser leurs équilibres budgétaires se sont, par effet de contagion, diffusées au système bancaire, notamment en Europe. Restaurer la croissance impose un pilotage fin, auquel le Système européen des banques centrales prend une part importante, en coordination étroite avec les superviseurs bancaires nationaux et les organismes européens et internationaux. Je pense à cet égard aux mesures de soutien décidées en décembre 2011 par le Conseil des gouverneurs de la BCE : opérations de refinancement d'une durée de 36 mois, réduction du taux des réserves obligatoires et mesures visant à accroître la disponibilité des garanties.
Si ces actions ont permis de relativement dégripper le marché interbancaire, quelques points de Bâle III méritent d'être revus compte tenu de leurs conséquences inattendues et/ou indésirables. Il en est ainsi de certains aspects du ratio de liquidité à court terme (le LCR). Avant de les évoquer, je souhaite d'abord souligner que la mise en oeuvre de standards quantitatifs de liquidité harmonisés au niveau international constitue une avancée incontestable. J'ajouterais même, pour ne parler que du LCR, qu'il réaffirme quelques évidences que certains établissements ont pu oublier, la première étant que le métier d'une banque est avant tout de collecter des dépôts et d'octroyer des crédits. Le LCR présente encore néanmoins, dans son calibrage, des imperfections tant au niveau de la définition, trop étroite, des actifs liquides qu'il retient, que dans son traitement, parfois trop conservateur, des flux de trésorerie des banques. Il est donc important de revoir ce calibrage car les conséquences de ce ratio sont considérables sur certains financements comme celui des entreprises et des collectivités locales. Les discussions internationales se poursuivent en la matière.
Les conséquences de Bâle III sur le financement de l'économie sont, à juste titre, surveillées.
L'analyse des conséquences possibles de Bâle III sur le financement de l'économie a fait l'objet d'études approfondies sous l'égide du comité de Bâle et de la Banque des règlements internationaux (BRI). C'est un sujet complexe que je souhaite évoquer concrètement en prenant deux exemples : le financement des petites et moyennes entreprises (PME) et celui des collectivités locales.
S'agissant des PME, il est important de souligner qu'elles reçoivent déjà actuellement, au titre du risque de crédit, un traitement plus favorable que les grandes entreprises. Ce traitement favorable est conservé dans Bâle III. En pratique d'ailleurs, les statistiques de la Banque de France montrent que les PME dans leur ensemble n'ont pas subi un resserrement de l'accès au crédit pendant la crise. À fin novembre 2011, les encours de crédits accordés aux PME avaient progressé de + 5 % par rapport à novembre 2010, soit un rythme supérieur à celui du PIB.
En ce qui concerne le financement des collectivités locales, l'impact de Bâle III est une question particulièrement prégnante. Leur traitement au titre du risque de crédit, qui leur est très favorable, restera inchangé. En revanche, la mise en oeuvre des ratios de liquidité et de levier pourrait avoir un impact négatif sur leur financement. Cependant, ces nouvelles normes, et notamment leur calibrage, sont encore en cours de discussion et il serait donc prématuré de conclure définitivement sur les conséquences de leur mise en oeuvre.
Le « deleveraging » et le « shadow banking » font l'objet d'une attention particulière.
Dans un effort pour restaurer la confiance, les banques françaises, qui ont déjà renforcé de manière considérable leurs fonds propres ces dernières années, ont annoncé, avant même la mise en oeuvre complète de Bâle III, diverses mesures destinées à accroître encore leur solvabilité, notamment en réduisant le niveau de leurs engagements financiers. Ceci a fait craindre, ou peut faire craindre, un rationnement du crédit. Les plans présentés par les établissements français montrent à cet égard que ce sont principalement les activités de marché et le financement des activités en dollars qui supporteront le plus gros de cet effort de réduction.
L'ACP est en contact permanent avec les dirigeants des établissements de crédit et suit naturellement avec vigilance leur activité de crédit. Sur le marché des entreprises, globalement, c'est plutôt une baisse de la demande qui paraît être observée, les décisions d'investissement étant parfois repoussées par manque de visibilité sur les perspectives de l'activité économique. S'agissant des crédits immobiliers aux ménages, un tassement de la production peut être observé en raison notamment du niveau élevé des prix. Les activités de financement spécialisés, tels que le crédit à la consommation ou le crédit-bail, font quant à eux l'objet d'une revue stratégique par certains groupes, notamment dans les implantations à l'étranger où ceux-ci n'ont pas la taille critique nécessaire.
A cette occasion, il convient également de noter que la règlementation européenne transposant Bâle III en Europe devrait avoir des conséquences importantes pour les sociétés financières, qui exercent notamment des activités d'affacturage ou de financement de l'équipement des entreprises. Le règlement européen, d'application directe, devrait en effet modifier en profondeur la réglementation française existante en remettant en cause leur statut et donc en partie leur modèle économique. L'ACP les accompagne dans les réflexions qu'ils ont à mener à ce sujet.
La mise en oeuvre de Bâle III conduira à une distribution plus attentive du crédit et peut-être à un relèvement de son coût, mais elle permettra surtout à l'économie, française notamment, de pouvoir compter sur des banques solides, à même de résister à des chocs violents tout en continuant de financer les ménages et les entreprises. Cet objectif d'un secteur bancaire toujours plus robuste, notamment via une réglementation renforcée, ne doit cependant pas conduire à se désintéresser d'autres acteurs peu ou non régulés. Il est essentiel que la mise en oeuvre des nouvelles normes n'ait pas pour effet secondaire un développement des activités de la finance de l'ombre qui pourrait se faire au détriment de la stabilité financière et des consommateurs.
Merci, madame la Secrétaire générale, de nous avoir présenté les conséquences concrètes de cette régulation en cours de mise en place. A présent, je me tourne vers François Pérol, qui, en tant que président d'un grand groupe bancaire, connaît bien la situation du tissu économique, dans ses fragilités comme dans ses forces. Vous êtes l'un des utilisateurs de ce système normatif, et vous allez pouvoir nous dire ce que Bâle III change en termes de stratégie et de système de décision pour les grandes banques. Cette réglementation est-elle incontournable, fixée par un comité central inaccessible, ou bien est-elle, au contraire, plus souple qu'il n'y paraît, autorisant certains arbitrages ?
Je vais tenter de répondre à votre question à travers trois réflexions principales, fondées sur mon expérience à la tête de la BPCE.
Premièrement, les banques françaises partagent intégralement les objectifs poursuivis par cette nouvelle réglementation, dont le but est d'éviter la survenance d'une nouvelle crise financière systémique, pour des raisons financières et politiques. Il n'est en effet pas envisageable qu'une nouvelle crise financière sollicite nos finances publiques, donc les contribuables, comme cela a été le cas en 2008. Je relève cependant que le contribuable français a été moins touché que celui des autres pays. De surcroît, il faut veiller parallèlement à ce que les banques soient en capacité de financer l'économie, pour éviter que la raréfaction du crédit ne provoque ou n'aggrave une crise.
Comme l'ont dit les interlocuteurs précédents, les principes de la nouvelle réglementation bancaire et prudentielle se traduiront, pour les banques, par plus de capital afin de couvrir leurs pertes potentielles sur les engagements pris, par un financement à plus long terme, fondé davantage sur les dépôts des clients que sur les marchés, ainsi que par un allongement de la durée de leurs ressources. Au final, les banques disposeront en conséquence de moins de levier, c'est-à-dire de plus de capital et de moins de dettes pour leurs activités.
Concrètement, quelles ont été les implications, pour un groupe comme le nôtre, depuis 2008 ? Beaucoup de choses ont changé depuis 2009, année de la création de la BPCE. Premier choix stratégique, conséquence directe de la crise, nous avons recentré notre coeur de métier sur nos clients. Autrement dit, nous avons mis fin à nos activités pour compte propre. Deuxième choix stratégique, nous nous sommes recentrés aussi sur nos activités de banque et d'assurance.
Pouvez-vous nous dire, ce que représentent, actuellement, dans votre groupe, les activités pour compte propre ?
Elles sont désormais résiduelles, en gestion extinctive, et ne correspondent plus à une orientation stratégique.
Troisième choix stratégique, un allongement de la durée de financement du groupe, qui ne peut se faire que progressivement, en fonction des capacités des investisseurs et du marché. Cela signifie un accroissement des ressources collectées dans nos bilans par rapport aux ressources collectées hors de notre bilan. Nous avons donc initié un programme de désendettement de notre groupe, fondé sur la protection de nos clients, qu'il s'agisse de particuliers ou de PME. Nous développons ainsi, pour les grandes entreprises et pour celles où il existe des ressources de substitution, des financements de marché, en les aidant à accéder aux marchés financiers. En effet, l'une des conséquences de la réduction de l'effet de levier dans les banques est de rendre le crédit moins disponible pour ces acteurs économiques.
Si je comprends bien, on peut dire que l'économie rhénane, telle que Michel Albert l'avait théorisée en son temps, est révolue ? On se dirige donc vers une économie désintermédiée où les financements des entreprises dépendront beaucoup plus de l'accès aux marchés.
Ce sera en effet l'une des conséquences mécaniques de Bâle III, notamment pour les grandes entreprises.
En ce qui concerne les collectivités locales, nous maintenons nos encours, dans un marché où l'acteur prépondérant a aujourd'hui disparu. Toutefois, nous sommes incapables de prendre sa place.
Enfin, dernière orientation stratégique, nous avons réduit nos activités de marché et les financements accordés aux clients non français.
A travers ces évolutions, notre capital dur, celui que regardent les régulateurs, a augmenté d'un tiers - entre 33 % et 40 % -, ce qui implique une gestion du financement beaucoup plus resserrée qu'auparavant. Au total, nous sommes engagés dans un mouvement considérable de transformation de nos banques.
Deuxièmement, il est vital, pour l'économie européenne comme pour l'économie française, que l'application de Bâle III prenne en compte trois réalités. D'abord, la faiblesse de l'économie européenne. Cette situation implique des politiques budgétaires durablement restrictives dans tous les Etats de la zone euro et une politique monétaire qui ne pourra être plus accommodante qu'aujourd'hui - menée d'ailleurs avec courage et pragmatisme par le Conseil des gouverneurs de la BCE, sous la houlette de Mario Draghi. Dans ce contexte, il est essentiel pour l'économie européenne que la politique de crédit des banques ne soit pas rationnée.
Vous avez parlé de stratégie de métier et je constate que, à la différence de vos concurrents, malgré toutes ces contraintes, vous êtes le seul groupe bancaire à maintenir vos encours aux collectivités locales. Comment y parvenez-vous ?
Pour répondre à votre question, je rappellerai que les collectivités locales sont nos clients historiques, en tout cas pour ce qui concerne les Caisses d'épargne et le Crédit foncier de France. Le point de départ de notre réflexion est que nous ne pouvons pas exister sans nos clients. Il faut donc envisager une relation durable. Un acteur de ce marché a réduit son activité. Nous ne pouvons pas le remplacer, dans la mesure où les nouvelles règles de gestion de la liquidité empêchent les banques de financer des emplois très longs - et les collectivités locales empruntent à très long terme - sans avoir en face des ressources très longues, telles que les dépôts et les ressources de marché, qui manquent précisément. C'est pourquoi nous avons décidé de conserver nos encours aux collectivités, sans les augmenter, pour un total de nouveaux crédits estimé à quatre milliards d'euros en 2012, soit environ 20 % de part de marché. Nous avons également décidé de renforcer nos marges, car on ne peut plus prétendre que notre coût de financement est nul, contrairement à ce que nous avons fait entre 2000 et 2007.
Enfin, nous réfléchissons à des réponses structurelles, telle que la mise en place d'enveloppes de financement via la Caisse des dépôts et consignations, sur le modèle de l'ancienne Caisse d'équipement des collectivités locales, qui finançait des emplois à long terme avec des ressources longues levées grâce à une notation d'excellente qualité, sans la garantie de l'Etat. En outre, pour les plus grandes collectivités locales, qui ont déjà accès au marché, il faudrait encore renforcer cet accès. Nous avons ainsi accompagné un certain nombre de régions, telles que les Pays de la Loire, le Limousin ou l'Auvergne, dans des opérations de collecte réalisées directement auprès des particuliers. Si elles le souhaitent, nous pourrions envisager de mettre en oeuvre ce qui existe dans d'autres pays, à savoir des agences de financement qui, sans la garantie de l'Etat, mutualisent leurs crédits, pour aller chercher de la ressource. Toutefois, de telles structures nécessitent une gouvernance très solide, dans la mesure où elles impliquent une mutualisation des risques, comme dans la zone euro...
Malgré tout, je ne suis pas certain que nous serons en mesure de rester présents sur ce marché à très long terme.
Pour en revenir à mon propos initial, j'ajoute que c'est la première fois que l'on s'efforce d'élaborer des normes internationales uniques sur la gestion de la liquidité de tous les établissements bancaires au monde. Cet exercice est particulièrement difficile. C'est pourquoi, je pense que l'Europe doit tenir compte des différences existant dans ses structures de marché. En effet, il faut être conscient que, de ce point de vue, l'Europe continentale ne peut se comparer aux États-Unis. Le financement y est d'abord intermédié, à travers les banques, plutôt que fondé sur l'accès au marché. De même, il faut tenir compte de la réalité de la structure de nos marchés nationaux. Ainsi, la France présente une spécificité par rapport à ses voisins européens. L'épargne y est moins présente dans le bilan des banques que dans d'autres pays, car nous avons beaucoup développé la gestion d'actifs et l'assurance-vie, produit particulièrement apprécié de nos clients, du fait de son régime fiscal attractif.
Enfin, il ne faut jamais oublier que le calendrier des marchés n'est pas celui des régulateurs, et que c'est bien celui-ci qui compte dans la pratique. Ainsi, alors que la période de transition prévue par le régulateur s'échelonnait jusqu'à 2019, les nouvelles règles s'appliqueront, de fait, dès 2012-2013, pour répondre aux exigences des marchés et à la crise. Il faut donc que la mise en oeuvre de la réglementation de Bâle III soit bien calibrée. A cet égard, je terminerai mon propos par des propositions précises.
Tout d'abord, en ce qui concerne les coussins de liquidité, qui reposent essentiellement sur le numéraire et la dette souveraine, au vu du retour d'expérience, il faut impérativement élargir le champ des actifs liquides admis. Ensuite, il faut faire en sorte que les règles relatives aux ressources des entreprises soient moins sévères dans les faits que sur le papier, telles qu'elles sont formulées dans les projets de règlementation. Troisièmement, il ne faut surtout pas supprimer le rôle de transformation des banques, sous peine de réduire à néant leur rôle macroéconomique. Quatrièmement, dans l'application et le calendrier, je pense qu'il vaut mieux avoir des dates plus proches, avec des règles un peu moins sévères, que l'inverse, quitte à les revoir ensuite. Cela permettrait de maîtriser davantage la réaction des marchés à ces règles. Enfin, en Europe, il convient de viser une harmonisation maximale, sans surenchère réglementaire de la part des différents régulateurs. En effet, les marchés financiers suivent, du moins dans la période actuelle, le mieux-disant en la matière. Cela a par exemple pour conséquence que notre pays se retrouve à appliquer la règlementation suisse, alors que cet Etat est plus petit et qu'il n'a ni les mêmes caractéristiques, ni les mêmes besoins que la France.
M. le Professeur Plihon, pour lancer votre intervention et rebondir sur les propos de M. Pérol, je voudrais vous demander s'il n'y a pas un paradoxe, en apparence du moins, dans ce que nous annoncent les banquiers, entre la renationalisation des activités du crédit d'un côté, et l'harmonisation maximale à l'échelle de l'Europe de l'autre.
Mon propos n'ira pas autant dans le détail, mais aura pour objectif de donner une perspective plus critique et sans doute moins optimiste que celle des interventions qui viennent d'être faites.
Je commencerai par dire que l'inadaptation, voire certains effets pervers de la régulation ont une part de responsabilité dans la crise que nous connaissons depuis 2007. Or les régulateurs n'ont que partiellement tiré les leçons de ces carences : les réformes en cours montrent des progrès évidents, mais ils sont insuffisants, et parfois même contreproductifs.
Ainsi, il y a eu des avancées en matière de régulation macroprudentielle. Alors que la régulation était essentiellement microprudentielle et que plusieurs économistes, notamment M. de Larosière, s'en émouvaient, il y a eu progrès au niveau européen à travers la mise en place du Conseil européen du risque systémique. Mais ses prérogatives demeurent floues, à la différence de celles de son homologue américain.
De même, la procyclicité des banques et des régulations, terme qui était encore tabou il y a quelques années, est aujourd'hui prise en compte, en particulier à travers le coussin contracyclique. L'idée est bonne, même s'il constituera sans doute une usine à gaz.
On a également introduit deux outils essentiels avec les ratios de liquidité. C'était une grande carence dans le système, et le vide est désormais comblé, et harmonisé à l'échelle internationale.
Enfin, on introduit à juste titre un ratio pour limiter l'effet de levier des établissements bancaires. Cependant, on peut penser que ce ratio, qui est un ratio de fonds propres durs sur actifs, fixé à seulement 3 %, est trop limité.
De façon générale, je voudrais insister sur trois points concernant la régulation bancaire.
Tout d'abord, l'accent mis par Bâle III sur les ratios de fonds propres constitue selon moi un problème fondamental. En effet, la recherche de fonds propres à laquelle les banques sont ainsi contraintes les met encore davantage sous la dépendance des marchés, et encore davantage dans une logique actionnariale de recherche de bénéfices. De plus, cela induit une désintermédiation, ainsi que l'a souligné M. Pérol, c'est-à-dire que cela distend les relations entre les prêteurs et les emprunteurs ; je ne suis pas certain que cela soit bon pour une économie.
Il faut donc voir plus loin que les dispositifs mis en place. J'ai participé à un rapport pour le Conseil d'analyse économique, intitulé « Banques centrales et stabilité financière », avec Jean-Paul Betbèze et Jézabel Couppey-Soubeyran. Nous y avons écrit que la régulation devrait être davantage centrée sur le crédit des banques. En effet, comme l'a rappelé M. Pérol, le crédit est le principal canal du financement de notre économie ; mais c'est aussi un canal du risque, car c'est par l'emballement du crédit que se forment les bulles et l'instabilité financière.
Notre proposition est que, pour réguler le crédit des banques, il faut repenser les modalités de refinancement par les banques centrales. Il faudrait passer d'un refinancement global à un refinancement individualisé, évalué, groupe bancaire par groupe bancaire, selon que les banques se conforment aux règles, ou selon qu'elles financent les secteurs considérés comme stratégiques. En un mot, il s'agirait d'un refinancement sélectif. J'ajoute qu'il faut que la sélectivité soit aussi géographique : il était évident, avant la crise, qu'il fallait limiter la distribution de crédit en Irlande et en Espagne.
Pour que fonctionne un tel refinancement, il faut un système de réserve obligatoire de crédit. Lorsque le crédit progresse, les réserves augmenteraient à due proportion. Ainsi, on aurait un véritable frein à l'emballement du crédit.
J'ai conscience qu'il s'agit là d'une proposition iconoclaste, d'autant plus qu'elle remet en cause le principe du « level playing field », principe selon lequel les acteurs européens doivent jouer à armes égales, sans différence de traitement entre les uns et les autres. Mais le marché est incapable de réaliser seul l'allocation optimale, c'est pourquoi il faut que le régulateur intervienne.
Ma deuxième observation concerne le périmètre de la régulation bancaire. Il devrait être élargi pour intégrer le « shadow banking ». C'est dans ce cadre non règlementé que se sont déroulées, aux Etats-Unis, les opérations et les prises de risque qui ont conduit à la crise. Dans le « shadow banking », il y a la banque d'investissement, les fonds spéculatifs, les opérations de hors bilan. Certes, à travers la nouvelle réglementation, il y a des avancées. Mais il est nécessaire de prendre une réglementation beaucoup plus contraignante : ainsi la directive européenne sur les fonds spéculatifs n'est pas du tout de nature à modifier le comportement de ces fonds.
Enfin, mon troisième point concerne le modèle économique des banques. Il faut en effet que les banques se recentrent sur leur coeur de métier, qui est de financer l'économie par les crédits, collecter et gérer l'épargne des ménages, et gérer le risque sans le transférer à d'autres acteurs. Or les innovations financières sont mal utilisées et éloignent les banques de leur coeur de métier. Par exemple, les banques ont eu tendance à transférer le risque à d'autres acteurs non régulés, à travers la titrisation.
Je voudrais citer deux économistes, J. M. Keynes et P. Krugman. Ils disent qu'il faut que le métier de banquier redevienne ennuyeux. Par exemple, il faut également poser la question des rémunérations. Le niveau des salaires des cadres de la finance est 40 % supérieur à celui des cadres de l'industrie. Cela explique en partie la désindustrialisation de la France.
En effet. En matière de modèle économique des banques, je regrette la timidité de l'Europe continentale, notamment par rapport aux décideurs américains et anglais. Les Etats-Unis avec la loi Dodd-Frank et le Royaume-Uni avec le rapport Vickers qui est dans les tuyaux pour une application éventuelle en 2018, sont allés plus loin que nous dans la volonté de revoir le modèle économique des banques. Nous sommes en retrait sur trois domaines. Le premier est l'utilisation de leur capital par les banques. Je me félicite que, ainsi que M. Pérol nous l'assure, BPCE renonce aux activités de compte propre : je ne mets pas en doute sa parole, mais aucune obligation ne pèse sur lui pour le faire, et il faudrait que la règle s'applique pour tous ou, à tout le moins, soit discutée. De même, il faut se poser la question de la séparation des activités de détail et des activités d'investissement. Rien ne vient en ce domaine ; il ne s'agit pas de revenir au Glass-Steagall Act, mais simplement d'assurer une séparation ou une sanctuarisation de certaines activités. La France oppose à ce débat son modèle de banques universelles, considérées comme plus solides : la crise ne remet-elle pas en cause certaines de ces certitudes ?
Enfin, je terminerai mon propos par quelques mots sur les établissements « too big to fail ». Selon moi, ce caractère systémique pose deux problèmes. Il pose d'abord un problème de concurrence, qui est assurément affectée par des acteurs qui disposent en raison de leur taille d'un véritable pouvoir de marché. Il pose ensuite un problème de démocratie, puisque ces établissements peuvent influencer les décideurs, et la timidité de la proposition européenne montre qu'ils y parviennent.
D'ailleurs, le fait que la banque irlandaise la plus en difficulté n'ait pas été soumise aux tests de résistance européens illustre sans doute votre dernier propos.
Ma première question porte précisément sur la séparation des activités de détail et des activités d'investissement, débat qui était tabou en France jusqu'à récemment. Il semble qu'au niveau européen, le choix soit fait de garantir la solidité du secteur bancaire par les exigences prudentielles ; ce choix leur permet d'éviter de poser la question de la séparation.
Ma deuxième question s'adresse à M. Enria et porte sur l'échéance du 30 juin. Que se passera-t-il si, à cette échéance, une banque n'a pas atteint son objectif de recapitalisation, et notamment si elle exerce dans un État dit périphérique incapable de la renflouer ? Quel sera alors le rôle de la BCE et celui du MES ? Comment se déroulera la restructuration bancaire ?
Par ailleurs, j'exprime moi aussi mon étonnement sur le fait qu'il n'y ait rien dans CRD IV pour renforcer les dispositions, modestes, de CRD III en matière de rémunérations dans le secteur bancaire.
Enfin, j'ai une question pour nos intervenants sur la législation américaine Foreign Account Tax Compliance Act, FATCA, qui oblige à déclarer automatiquement au fisc américain les données relatives aux comptes détenus par des contribuables américains. Quelles seront les conséquences pour les banques européennes ? Peut-on envisager une réciprocité de la part des banques américaines ?
Ma question s'adresse à M. Pérol. La Commission souhaite une harmonisation maximale, mais certains pays se prononcent pour des règles prudentielles plus élevées encore. Ne risque-t-on pas ainsi d'entraîner une distorsion entre les pays, et une distorsion entre les activités, entre des banques de détail plus régulées et des banques de marchés encore moins régulés qu'aujourd'hui ?
On constate que le regard porté sur les banques a récemment évolué, comme en témoigne la revalorisation du cours de leurs actions. Doit-on y voir le signe d'une confiance restaurée dans leur solidité et dans leur liquidité grâce aux dispositifs qui vont être mis en place, ou la conséquence de la facilitation quantitative de la banque centrale européenne, assimilable à une sorte de drogue qui procure une sensation de bien-être et d'argent facile ? Je pense pour ma part que la seconde explication est la plus pertinente.
Je vais répondre à la question de Mme la rapporteure générale sur la séparation des activités de détail et d'investissement, en précisant en premier lieu que je ferai mon métier de superviseur et de contrôleur bancaire dans l'un et l'autre modèles. Ce n'est pas au superviseur de choisir en la matière et comme cela fait partie de certains programmes politiques dans notre pays, je ne me positionnerai pas sur l'une ou l'autre des propositions. Je voudrais dire, en partant des exemples étrangers, qu'il ne faut pas se leurrer et se croire à l'abri en poussant les activités de marché en dehors de la sphère régulée...
La fameuse règle Volcker, qui semble pousser hors des banques les activités de marché et les activités pour compte propre, m'inspire peu confiance. Je vous rappelle qu'un hedge fund, du nom de LTCM, a failli mettre en difficulté un certain nombre de banques, alors que ce n'était pas un acteur régulé, c'était précisément du shadow banking.
Il faut que ces activités de marché soient régulées, ce qui est permis dans le cadre de Vickers, alors que c'est moins clair dans le cadre de Volcker. Il y a actuellement un débat sur ce sujet. Le commissaire européen Michel Barnier a décidé la création d'un groupe de travail de haut niveau sur cette question, afin qu'elle ne soit pas éludée.
Je voudrais revenir également sur l'harmonisation maximale qui a été évoquée par M. le Sénateur Bizet et par François Pérol. Là aussi, il ne faut pas se laisser leurrer. Avant la crise, les anti-harmonisation maximale n'étaient pas les vertueux de la classe, mais au contraire des pays, ou des superviseurs, ou des régulateurs, qui voulaient donner des avantages compétitifs à leur place et qui étaient plus flexibles que les autres. Seul un système qui n'imposait pas une harmonisation maximale permettait de faire cela. Désormais, si on est contre l'harmonisation maximale, on est présumé être plus sévère que les autres, ce qui me paraît fortement discutable. Tout d'abord, si on sort de l'harmonisation maximale, les non vertueux, qui n'ont pas disparu mais qui sont silencieux - car d'autres au nom de la vertu prêchent la même chose qu'eux - utiliseront cette flexibilité pour, éventuellement, redonner des avantages compétitifs à leur place. En ce qui concerne la vertu de ceux qui l'ont récemment adoptée, je pense qu'elle pourrait bien disparaître. J'ai noté, parmi les votes qui sont faits au sein du comité européen, que ces nouveaux vertueux sont en faveur de choses plus rigoureuses que celles prévues par l'harmonisation maximale, mais ils ne donnent pas à l'ABE le pouvoir de contrôler leur bonne application. Je suis donc très réservée sur ces bons sentiments, qui sont très nouveaux. Je voudrais également rappeler que la réglementation comporte plusieurs piliers. Le pilier 1 est réglementaire, c'est celui sur lequel porte l'harmonisation maximale. Le pilier 2, dont nous avons beaucoup fait usage en France et qui nous a permis de nous sortir, peut-être mieux que les autres, de cette crise, c'est le jugement du superviseur. Dans ce cadre, le superviseur peut demander à une banque d'aller au-delà des règles de l'harmonisation maximale. Je pense que les nouveaux vertueux pourraient à la fois utiliser l'harmonisation maximale et le pilier 2.
En ce qui concerne l'ABE, nos recommandations visent à faire respecter les règlements par les autorités nationales, ce à quoi elles se sont toutes engagées. Chaque autorité nationale disposera d'instruments adéquats pour inciter les banques à respecter les règlementations d'ici au 30 juin 2012. Si ce délai n'est pas respecté, il y a des instruments de rectification au niveau national qui interviendront. Il y a une énorme pression qui pèse sur les banques pour qu'elles soient recapitalisées. Le Conseil européen, en juillet 2011, a dit clairement que le Fonds européen de stabilité financière (FESF) pouvait également être utilisé pour recapitaliser les banques. Si dans un pays les banques ne réussissent pas à atteindre le niveau de capitaux requis d'ici à la fin du mois de juin prochain, et j'espère que cela ne sera pas le cas, les Gouvernements pourront s'engager à soutenir les banques et si elles n'ont pas les ressources suffisantes, le FESF pourra les recapitaliser et les renflouer. Je suis sûr, par ailleurs, que nous arriverons à tenir ce délai.
Je voudrais revenir sur la question de l'harmonisation. Je partage les préoccupations exprimées par M. Pérol, à propos de la renationalisation éventuelle des marchés. Cela me semble une situation paradoxale. Beaucoup de ressources ont afflué vers les banques irlandaises, portugaises, la recapitalisation des banques grecques est à présent adoptée avec 6 milliards d'euros provenant des fonds européens et nous bénéficions également d'un soutien très important de la BCE. Il y a quand même un processus de renationalisation, de rapatriement des crédits et des actifs financiers. A la fin de ce processus, nous pourrions constater que ce marché unique est segmenté, fragmenté en secteurs nationaux, bien plus qu'auparavant. C'est un véritable risque que notre autorité prend très au sérieux. Madame Nouy fait partie d'un groupe de travail de haut niveau qui s'est penché sur le problème transfrontalier. S'il y a un conflit entre le pays d'accueil et le pays d'origine, un processus de médiation peut être enclenché pour trouver une solution.
Une question intéressante concerne la confiance que l'on peut avoir dans les banques. Cette confiance peut-elle provenir de la réglementation que nous mettrons en place ou des mesures de soutien ? Je souhaiterais dire tout d'abord que les mesures qui ont été adoptées par la BCE, et qui ont été accueillies positivement par tout un chacun, ont été les bienvenues. Il nous paraît important de donner aux banques un accès illimité aux liquidités afin de supprimer le risque systémique provenant de la crise des dettes souveraines. Pour autant, les banques, qui sont maintenant soutenues grâce à cet accès illimité aux liquidités à bas coût, doivent être incitées à améliorer leur capitalisation. Les deux choses vont de pair, ce sont les deux côtés de la même médaille et ces deux éléments permettent de retrouver la confiance dans le secteur bancaire. Nous constatons que le marché du financement est quelque peu rouvert et que la situation, bien qu'elle reste très fragile, s'améliore progressivement.
Je suis tout à fait d'accord avec ce qui a été dit par Madame Nouy en ce qui concerne la séparation entre la banque de détail et la banque d'investissement. J'ai personnellement commencé ma carrière en tant que superviseur, en Italie, à une époque où nous avions essayé de supprimer les barrières entre les secteurs bancaires. La principale erreur commise dans certains pays a été que, lorsque ces barrières structurelles ont été supprimées, le contrôle prudentiel n'a pas suffisamment été renforcé. Je pense toutefois que nous devrions garder l'esprit ouvert à cet égard et je reprends ce qui a été dit par le professeur Dominique Plihon, à savoir qu'il ne faut pas éluder ces questions.
Le commissaire européen Michel Barnier a créé un groupe de travail de haut niveau présidé par un gouverneur finlandais pour traiter de ces sujets. Nous ne devrions pas permettre que cette séparation entre les secteurs bancaires aboutisse à une séparation entre une partie qui serait bien réglementée et une partie qui le serait bien moins, ce qui nous conduirait au désastre. Nous avons vu que la crise systémique concernait les secteurs de la banque d'investissement et du « shadow banking ». Nous devrions mettre en place une supervision pour tous ces secteurs.
Je voudrais aborder un dernier point. Je suis partisan d'une harmonisation maximale. Nous avons récemment identifié quatre secteurs dans lesquels existent des différences de traitement concernant l'application de la même législation communautaire dans les pays européens. Pour une même banque, pour un même bilan, si on calcule le ratio de capitalisation suivant les différents traitements bancaires, on peut avoir, pour la même banque, un ratio qui varie de 7 % dans un pays à 10 % dans un autre pays. Il faut « accorder les violons » en ce qui concerne le mode de calcul pour éviter d'aboutir à des modes de réglementation et de ratio différents. Si on compare des poires et des pommes, nous n'arriverons pas à déterminer le bon niveau de capitalisation.
Je reprends ce que disait le professeur Plihon, nous devons avoir les mêmes règles, avec une certaine souplesse. Remontons quelques années en arrière, avant la crise. J'aurais bien aimé que certaines banques irlandaises ou portugaises soient confrontées à des exigences de capitalisation plus élevées, nous aurions ainsi évité la bulle. Actuellement, dans la proposition CRD IV, il y a des règlements qui permettent aux pays de remonter le niveau de fonds propre au-delà du niveau réglementaire. Si un pays respecte les règlements alors qu'un autre ne les respecte pas, il ne faut pas que tout le marché européen en subisse les conséquences. Nous devons donc avoir des règles harmonisées, avec une certaine marge de manoeuvre, une certaine souplesse, qui doivent s'exercer dans un cadre réglementaire européen.
Je constate que nous avons des points de convergence, mais je ne parlais pas des fonds propres. J'ai une critique de fond sur le fait de miser essentiellement sur ces ratios de fonds propres pour atteindre les objectifs fixés. Je dis qu'il faut des instruments complémentaires qui pourraient être les réserves obligatoires sur les crédits, car je pense que tout miser sur les fonds propres a des effets pervers - à l'oeuvre pendant la crise -, qui ont poussé les banques à la désintermédiation, à une logique actionnariale, à une recherche de rentabilité des fonds propres qui les a contraintes à prendre des risques plus importants. Il faut une modulation selon les pays, selon les instruments et éventuellement selon les secteurs et non pas avoir des règles uniformes sur l'ensemble de l'espace de la zone euro car les pays sont très hétérogènes. La crise de l'euro vient de l'hétérogénéité forte de la zone euro, il faut la prendre en compte dans les politiques qui sont menées et dans les instruments que l'on met en oeuvre.
Les ratios de coussins anticycliques qui sont intégrés dans Bâle III me semblent très intéressants, mais tels qu'ils sont proposés, je ne vois pas comment ils peuvent être mis en oeuvre facilement tant ils me semblent être une « usine à gaz », alors que le processus des réserves obligatoires est extrêmement simple.
Vous nous décrivez le système des réserves obligatoires et de l'encadrement du crédit tel qu'il a été pratiqué en France pendant une assez longue période. J'ai été le directeur financier d'un groupe public, qui avait beaucoup de trésorerie, dans les années 1980 et je faisais le maximum de mes produits financiers en désencadrant. Il y avait un marché du désencadrement, Madame Nouy s'en souvient très bien. Est-ce ce type de raisonnement que vous nous proposez de réitérer ?
Les réserves obligatoires et l'encadrement du crédit ne sont pas la même chose. Toutes les grandes crises systémiques impliquent les banques et le crédit, comme la crise actuelle, celle du Japon ou celle de 1929. La crise internet n'est pas une crise systémique car les banques ne sont pas impliquées. Comment pouvez-vous agir sur le canal du crédit par les fonds propres ? Vous ne pouvez pas. Il faut des instruments spécifiques. Les réserves obligatoires continuent d'exister à la BCE, sauf qu'elles portent sur les dépôts. Il faut les positionner sur certains types d'activités, sur certains éléments du bilan des banques et, en particulier, les crédits. Ce n'est pas être complètement rétrograde que de proposer cet instrument, qui est compatible avec le système actuel, mais qui suppose un changement de philosophie. La crise est suffisamment grave pour que nous remettions en cause une philosophie qui a échoué, notamment la philosophie néo-libérale de ces dernières années, dont on voit où elle nous a menés. Il faut changer la philosophie de la régulation.
Vos propos, Monsieur le professeur, font grand plaisir à certains membres de notre commission.
Je réagis sur les propos du professeur Plihon sur l'excès de poids qui est mis sur les fonds propres. Ce n'est pas le renforcement des fonds propres qui pèse sur le financement de l'économie, mais les ratios de liquidité qui sont mis en place. Dans le système économique qui est le nôtre, un acteur est là pour encaisser les pertes lorsqu'il y en a, ce sont les actionnaires. Si les actionnaires ou le montant du capital sont insuffisants, les pouvoirs publics et l'argent du contribuable sont mis à contribution. S'ils l'ont été lors de la crise récente, c'est parce que l'on a appelés « fonds propres » des instruments qui étaient présentés comme tels au superviseur et comme des instruments de « père de famille ». Ces instruments n'ont absorbé aucune perte, sauf aux Etats-Unis s'agissant de petites banques, mais nulle part ailleurs. Il est absolument nécessaire d'avoir des volumes importants de fonds propres pour asseoir la solvabilité des banques. Le professeur Plihon a dit que le ratio de levier était un très bon instrument, mais fait le reproche que 3 % ne sont pas suffisants. Je vous informe qu'au contraire, au moment où il a été adopté, « ça mordait pour les banques » et que, dans l'avenir, on augmentera peut-être le pourcentage. Pour l'instant, et surtout au moment où il a été adopté, il mordait. Ce ratio de levier est fait à base de fonds propres, mais il mord même plus que le ratio qui est basé sur les actifs pondérés. C'est également davantage ce ratio de levier qui pousse à la désintermédiation. Le ratio de levier est brutal. La pression à la désintermédiation, au « deliveraging » et au « credit crunch » est maximum. J'ai peut-être mal compris les propos du professeur Plihon mais nous ne sommes pas à l'ACP des supporters très enthousiastes de ce ratio de levier sur lequel nous avons un avis mesuré et réservé, mais que nous allons appliquer puisque le législateur, dans sa grande sagesse, va le mettre dans la panoplie de la réglementation bancaire.
Je vais répondre en deux mots sur FATCA. Il s'agit d'une règle extraterritoriale. Elle soulève donc des difficultés en termes de réciprocité pour les autorités nationales et européennes. C'est un point qui ne relève pas de notre compétence, mais qui me semble être très important sur le plan des principes. L'application actuelle de la règle, qui est en cours de révision par les autorités américaines, aurait des conséquences sur nos systèmes d'information très disproportionnées par rapport au nombre de nos clients qui seraient concernés. Nous préférerons nous passer de ces clients plutôt que d'appliquer la règle, si les modalités d'application ne sont pas changées. Sur la question de M. Bizet en matière d'harmonisation maximale, je maintiens que c'est une meilleure solution et que la surenchère réglementaire, dont Danièle Nouy a dit à juste titre qu'elle était parfois un peu étrange, n'est pas la bonne solution pour l'Europe.
Le regard porté par les marchés sur les banques a été extrêmement négatif, à mon avis pour trois raisons :
- les conséquences de la réglementation et l'incertitude réglementaire, point qui n'est pas forcément négatif, mais le taux de rentabilité des banques chute par rapport à une exception historique et cela a des conséquences sur la valeur des actifs ;
- la perte de confiance des Etats dans la zone euro avec des conséquences immédiates et extrêmement fortes sur les banques car les marchés établissent un lien entre les Etats et les banques ;
- pour les banques françaises, le retrait des financements en dollar.
Aujourd'hui, l'incertitude réglementaire n'a pas complètement disparu, l'incertitude sur la zone euro est un peu moins forte et le marché a constaté que les banques françaises se sont adaptées au retrait des financements en dollar.
Je souhaite faire quelques remarques sur la séparation des activités. Des banques de détail, des banques d'investissement, des banques dont les activités étaient séparées, comme Dexia, ont eu de grandes difficultés ; le risque n'est pas du tout absent de la banque de détail, contrairement à ce que l'on entend parfois. A mon sens et de mon expérience, rien ne remplacera une bonne supervision, y compris le développement de la supervision macro-prudentielle. La situation des banques françaises, que je considère comme bien meilleure que celle d'autres pays, s'explique, en partie, par une bonne supervision.
Je pense qu'il est également important de tenir compte des spécificités de notre modèle. Quand les Anglais ou les Américains réfléchissent, ils tiennent d'abord compte de l'Angleterre ou des Etats-Unis et ensuite du reste du monde. Si nous pouvions éviter de vouloir le bien du monde entier en massacrant notre industrie bancaire, j'apprécierai ! Je citerai un exemple : il y a en France des groupes coopératifs, mutualistes, qui n'existent pas en Angleterre. Filialiser la banque de détail pour ces groupes, qui représente en France environ 70 % du marché, est un grave souci. Quand les Britanniques font Vickers, ils n'interdisent aucune activité aux banques car ils soutiennent la City. Quand les Américains font Volcker, ils disposent d'un « shadow banking » extrêmement développé. En un mot, ils réfléchissent pour eux ; réfléchissons d'abord pour nous ! Nous devons veiller à ne pas avoir raison tout seuls, car pour la banque de grande clientèle, la concurrence est rude.
Les banques françaises ne refusent pas le débat. J'ai fait à titre personnel, cela n'engageait pas la Fédération bancaire Française, une proposition qui consiste à demander aux banques de développer leurs activités de clientèle et de ne pas développer leurs activités pour compte propre. Je ne crois pas au risque du développement du « shadow banking » en France, ni même en Europe continentale, car l'écosystème ne le permet pas. Je ne connais pas de hedge fund très développés en France, ni même en Europe continentale, exceptés la Suisse, le Luxembourg et le Royaume-Uni. Il faut concentrer les activités des banques de collecte et de dépôt sur les activités de clientèle - crédit et dépôt -, accepter le débat et ne pas diaboliser les activités de clientèle de marché car l'Etat et les entreprises ont besoin des marchés et en auront encore plus besoin avec la réglementation de Bâle III. Quand nous faisons une couverture de change sur EADS, quand nous travaillons avec l'Etat comme spécialiste des valeurs du Trésor, quand nous faisons une émission obligataire pour le compte d'une grande entreprise, nous faisons une activité utile. Nous avons besoin d'être « teneurs de marché », acheteurs et vendeurs, d'être présents sur le marché. Si nous n'y sommes pas, nous ne sommes pas capables de faire des bons prix, de conseiller utilement nos clients. Nous avons des positions de marché, nous les gérons avec une certaine intention de gestion et avec des limites. Il faut tenir compte de ce qui existe, que des grands clients français ont besoin d'être servis par des banques françaises. Il ne faut pas abandonner cette industrie au prétexte qu'elle serait malsaine : elle a une utilité économique. Le jour où la France, l'Etat et les grandes entreprises pourront se passer des marchés, nous réfléchirons différemment, ce n'est pas aujourd'hui le cas.
S'agissant des rémunérations, la directive CRD III impose aux autorités bancaires européennes de préparer une norme d'ici à 2013 qui deviendra la législation applicable sur la rémunération des salariés bancaires dans les vingt-sept pays membres. Nous avons déjà publié des lignes directrices en la matière, nous pensons que cela fonctionne assez bien, nous essayons de voir si nous n'avons pas besoin de « resserrer les boulons » ici ou là en ce qui concerne ces instructions et nous collectons actuellement des données sur les rémunérations dans les banques européennes. Nous avons identifié quelques secteurs où existent des différences sur les règlements communs, en ce qui concerne la prise de risque par exemple.
Sur la question de la réciprocité et de l'application transfrontalière de la règle Volcker, une lettre a été envoyée par la Commission à cet égard afin de pouvoir entamer un dialogue approfondi entre les Etats-Unis et l'Europe. Les autorités américaines ont montré qu'elles étaient tout à fait disposées à discuter de certains de ces problèmes, mais je pense qu'elles seront difficiles à convaincre. Le dialogue porte actuellement sur les détails techniques et nous espérons aboutir à des résultats positifs.
Il y a un problème en ce qui concerne les réserves et les provisions bancaires. Les normes de comptabilité ne permettent que des réserves qui correspondent à des pertes. Nous devons maintenant avoir un système prospectif pour ces provisions. En Espagne, le système de provisions dynamiques forçait les banques à accumuler les provisions, les réserves, mais lorsque la crise a éclaté, ces réserves n'ont pas été suffisantes. Nous devons avoir un autre système pour pallier ce problème.
Je n'ai pas d'avis sur FATCA. Il y a un problème d'extraterritorialité et le sujet ne me paraît pas stabilisé. Lorsque j'aurai compris ce que je dois superviser et quelle est la contrainte précise telle que définie après les réponses au commissaire européen Michel Barnier et à l'ABE, j'appliquerai sans réserves et sans états d'âmes ce qui ressortira de cette discussion.
Le banquier nous dit que ce n'est pas de sa compétence, vous nous dites que votre avis n'est pas stabilisé...
Cela fait partie des négociations entre la Commission européenne et les Etats-Unis et je pense que le commissaire Michel Barnier aura un avis très précis.
Dans ce cas, ce sera le Trésor français qui donnera son avis à la Commission européenne.
Je précise qu'il y a effectivement une réglementation européenne sur la question des rémunérations, à la fois celle des dirigeants et celle des opérateurs de marché, notamment en ce qui concerne les bonus et la part variable. Nous appliquons en France cette réglementation complètement et totalement, sans aucun état d'âme. M. Fillon a demandé à la profession bancaire, au mois de novembre dernier, d'aller au-delà de ses obligations légales, de faire preuve d'une grande modération et à l'ACP de contrôler que c'était bien le cas. Le collège de l'ACP a examiné le résultat de nos travaux récemment et son président Christian Noyer écrira prochainement au Premier ministre pour lui communiquer l'analyse de ces travaux et les conclusions qui en sont tout à fait positives sur la modération des banquiers français.