Intervention de Jacques Delpla

Mission commune d'information Agences de notation — Réunion du 27 mars 2012 : 1ère réunion
Table ronde sur la pertinence du modèle et de la méthodologie des agences de notation

Jacques Delpla :

Je suis très honoré de venir devant le Sénat. La crise des subprimes de 2007-2008 a représenté un Fukushima pour les agences de notation. Après ce test ultime, complet et systémique, pourquoi ne pas les avoir fermées ?

Après cette introduction, j'en viens au sujet de notre débat : les agences se sont-elles trompées concernant les dettes souveraines ? N'en déplaisent à nos hommes politiques, il faut leur reprocher d'avoir été en retard sur la crise, non de l'avoir précipitée. En somme, elles regardent dans le rétroviseur plutôt que vers l'avenir ; il faut donc les remplacer. L'exemple grec est éclairant : avec deux ans de recul, la crise apparaît liée à une trop forte dette publique, à une explosion des dépenses publiques et à une augmentation massive et déraisonnable de leur PIB nominal en décrochage avec la production réelle. Comme l'Irlande et la Grèce, et dans une moindre mesure le Portugal, la Grèce semblait avoir pris des anabolisants... Dès 2009, leur niveau de dette, nous le savions, était devenu insoutenable ; l'Union européenne aurait alors dû racheter l'intégralité de la dette grecque. La France était sur cette ligne, l'Allemagne s'y opposait au nom de l'aléa moral ; outre-Rhin, cette solution était également considérée contraire à la lettre et à l'esprit des traités européens, ce qui n'est pas tout à fait faux. En bref, la réaction des agences de notation a été trop lente. Dans ce cas, et contrairement aux phénomènes observés pour la crise des subprimes, nul conflit d'intérêt n'était à déplorer : les Etats ne paie pas les agences de notation pour noter leur dette souveraine.

Pourquoi le défaut souverain sera-t-il plus important que prévu dans la zone euro ? Reprenons le triangle d'impossibilité de Mundell : on ne peut avoir à la fois autonomie de la politique monétaire, taux de change fixes et liberté de circulation des capitaux. Raison pour laquelle nous avons renoncé à la liberté monétaire lors de la création de la zone euro. D'où un nouveau triangle des impossibilités en cas de dette excessive et de perte de compétitivité dans la zone euro : interdiction des dévaluations, prohibition de l'inflation et restructuration de la dette. En fait, pour résorber une dette publique excessive en situation de perte de compétitivité, il n'y a que les solutions suivantes : l'inflation et la dévaluation, solution adoptée par la France dans les années 1970 ; la répression financière que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis de Truman ont utilisée après 1945 pour sortir de la crise ; une forte croissance nominale - impossible en Grèce, en Espagne et au Portugal ; ajustement budgétaire pour faire baisser les taux d'intérêt - idée défendue par M. Trichet, qui est en réalité une histoire pour les petits enfants : le cas de la Suède dans les années 1990 n'est pas reproductible aujourd'hui dans les pays d'Europe du sud.

La diminution massive des déficits primaires constitue la solution mais le risque est d'en faire trop et trop brutalement, au point de contracter les bases fiscales sans réduire la dette. Il faut aussi prendre en compte le risque démocratique en se rappelant qu'Hitler n'est pas venu au pouvoir du fait de l'hyper-inflation de 1923 mais de la politique déflationniste de Brüning entre 1930 et 1932. En conséquence, c'est le défaut ou la restructuration. C'est déjà le cas pour la Grèce, cela devrait venir pour le Portugal, c'est de plus en plus pressant pour l'Espagne, une interrogation demeurant pour l'Italie. Or les agences de notation n'ont pas compris que cela était indispensable pour éviter un effondrement de l'euro ou la montée des extrémismes.

Je recommanderais, outre de balayer les agences actuelles, de créer une agence européenne non pas publique mais indépendante, sur le modèle des fondations universitaires ; ce qui, compte tenu des barrières à l'entrée, exige au départ une dotation des autorités de Bruxelles et nationales, les Etats s'abstenant ensuite de toute intervention. Il conviendrait surtout que soient placées à la tête de cette agence des personnes réellement compétentes, le capital humain des agences de notation étant globalement de mauvaise qualité ; on n'y trouve par exemple aucun économiste de renom. Il faudrait moins de diplômés des écoles de commerce et davantage d'experts, notamment titulaires de doctorats. Il conviendrait aussi d'élargir l'éventail des notes, à la fois en créant une note supérieure au triple A et en instituant plus de dégradés dans les notes de défaut.

Pour sortir de ces problèmes, je propose aussi de mettre en place en Europe un système reposant sur la distinction entre dette bleue et dette rouge.

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