Vous êtes sous-gouverneur à la Banque de France après avoir été directeur général des opérations, c'est-à-dire responsable de la mise en oeuvre de la politique monétaire du pays. Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation malgré les contraintes de calendrier. Les règlementations de la Banque de France et de la BCE se réfèrent aux notations émises par les agences de notation pour juger de la qualité d'un actif. Comment, par ailleurs, dans votre activité de cotation, évaluez-vous les entreprises et quel regard la Banque de France porte-t-elle sur celle des agences de notation ? Nous nous interrogeons sur l'utilité de ces dernières ainsi que sur leur la part de responsabilité dans la situation que connaissent certains pays, certaines collectivités et entreprises. On est un peu addict des agences de notation, et nous partageons les questions de nos concitoyens.
Le rôle et la place des agences de notation affectent la stabilité financière et interpellent donc les banques centrales. Quel rôle ont-elles dans les opérations des banques centrales ? La notation a un impact sur de nombreuses opérations financières pour lesquelles des actifs doivent être apportés en garantie, en collatéral ; le périmètre des actifs éligibles à la banque centrale est déterminant. En revanche, l'éligibilité aux opérations de la banque centrale n'est plus un critère retenu dans le cadre de la future règlementation sur la liquidité des banques, ce que je regrette.
Après la crise de 2008, en partie imputable aux notations exagérément favorables des agences sur la qualité des produits financiers adossés aux prêts à l'habitat américain, le G20 a décidé de réduire la dépendance de la sphère financière aux agences de notation et a fixé parmi ses priorités la réforme de leur réglementation et de leur supervision. Le Comité de stabilité financière (FSB) a ainsi décliné en octobre 2010 une dizaine de principes pour réduire la dépendance aux agences de notation. Le FSB a invité les banques centrales à développer leur propres analyses de risque afin d'éviter la prise en compte automatique des notations des agences. Où en est-on à la Banque de France et dans l'Eurosystème ? S'agissant des titres négociables, nous utilisons largement les notations des agences, mais en les assortissant de contrôles et de correctifs. Quant aux créances privées, nous favorisons les notations internes des banques et celles des banques centrales. Naturellement, l'ampleur du recours effectif à ces notations dépend du degré de maturité des mesures des risques pratiquées par les banques et de l'implication des banques centrales dans l'activité de notation.
Pour les titres négociables, les notations d'agences restent des références incontournables : il n'y a pas et l'on ne prépare pas de notation propre aux banques centrales. Mais cette dépendance est limitée par trois éléments : seule la meilleure notation des titres non adossés à des actifs est retenue par l'Eurosystème, ce qui rend l'éligibilité moins sensible aux éventuelles dégradations décidées par l'une ou l'autre des agences de notation.
C'est pourquoi on demande alors deux notations.
En second lieu, la notation n'est pas le seul critère retenu dans notre analyse. Ainsi, les ABS à structure complexe ne sont pas éligibles, quelles que soient les notations obtenues. A l'inverse, des titres souverains des pays sous programme sont restés éligibles alors que leur notation tombait en deçà des seuils de droit commun. Nous favorisons progressivement les produits dont les acteurs de marché sont à même de juger de la qualité, sans avoir besoin de recourir mécaniquement à la notation des agences. C'est bien ce que nous visons pour les titres collatéralisés : les caractéristiques des actifs sous-jacents seront suivies par l'ensemble du marché grâce à des infrastructures dédiées ; y adhérer conditionnera l'éligibilité de ces produits aux opérations de l'Eurosystème.
Enfin, s'agissant des actifs non négociables, à savoir les créances privées, leur importance dépend de la capacité des banques centrales à évaluer les entreprises. C'est au coeur de la politique de la Banque de France, qui s'intéresse de près au financement de l'économie réelle. Elle est passée d'accords préalables de réescompte à un contrôle a posteriori et à la notation des entreprises grâce à un dispositif très important : la Banque de France est devenue une agence de notation et elle note environ 260 000 entreprises françaises. La moitié des actifs déposés en garantie à la Banque de France pour les opérations de banque centrale est d'ailleurs constituée par des créances privées. Cette proportion est inférieure à 20 % dans le reste de l'Eurosystème, ce qui traduit l'absence de mécanisme de notation banque centrale dans la plupart des autres pays de l'Union européenne, puisque seule la Bundesbank, la Banque d'Autriche et la Banque d'Espagne en disposent. Leurs outils sont cependant plus modestes que les nôtres ; ainsi la Bundesbank ne note que 30 000 entreprises.
La place des créances privées dans le refinancement a tendance à progresser car les banques peuvent également s'appuyer sur leurs outils internes d'appréciation du risque, lorsque ces outils ont été validés par les superviseurs bancaires dans le cadre de la réglementation de leur solvabilité. Il s'agit des CRD avec la CRD4 en cours de finalisation.
Indépendamment du type d'actifs mobilisés, les pratiques de l'Eurosystème évoluent afin de limiter la dépendance de nos opérations aux notations, quelles qu'elles soient : avant la crise de 2008, nous n'acceptions que les notations d'excellence avec des décotes très faibles. Depuis, nous avons descendu le seuil d'acceptabilité et augmenté les décotes associées afin de réduire les effets couperets tout en garantissant une prise de risque maîtrisée par la banque centrale en cas de non-remboursement des emprunts. Aujourd'hui, nous allons jusqu'à des signatures équivalent à un double B, évidemment avec des décotes appropriées.
Depuis 2008, l'Euro-système est passé de A à BBB. En début d'année, le Conseil des gouverneurs a accepté que les pays qui pouvaient s'appuyer sur un dispositif d'évaluation fiable élargissent encore cette gamme. Grâce à notre système Fiben, nous avons saisi cette opportunité pour aller jusqu'à BB. Les initiatives nationales sont coordonnées par la BCE. Ainsi, lorsque nous acceptons du papier en garantie des opérations que nous menons, nous estimons son risque de défaut sur un an : pour les notations de type A, cette probabilité de défaut va jusqu'à 0,10 %, pour le triple B à 0,40 % et pour le double B à 1 %.
Les opérations des banques centrales garanties par des actifs c'est d'abord le refinancement des banques. Dans l'Eurosystème, il se monte actuellement à 1 200 milliards, et 180 milliards pour la Banque de France. Ces actifs éligibles garantissent également le fonctionnement du système de paiement de gros montants de l'Euro-système, nommé Target, et qui permet de faire circuler les fonds à l'intérieur de la zone euro afin d'assurer l'unicité du marché. Ce système fonctionne avec une irrévocabilité au fil de l'eau des opérations passées, ce qui peut conduire les établissements en cours de journée à être à découvert. Tout cela est donc garanti par le pool de collatéral que j'évoquais à l'instant.
L'Euro-système s'avance prudemment mais résolument dans la voie d'une réduction de la place des notations des agences, et la Banque de France est un des moteurs de cette évolution.
En France une agence de notation évalue de 200 à 300 émetteurs. Cela ne suffit pas, voilà pourquoi la Banque de France a développé un système de notation complémentaire. De plus, un papier pouvait, du jour au lendemain, perdre son éligibilité parce qu'il avait perdu un cran de notation, ce qui était économiquement dangereux, d'où notre système plus granulaire. En outre, lors de la crise souveraine, certaines décisions des agences de notation sont intervenues à contretemps. Faisant partie de la troïka avec la Commission et le FMI, la BCE ne pouvait accepter que ses appréciations soient remises en cause par les notations des agences. Tout en utilisant leur travail des agences, nous nous réservons donc une pleine liberté d'en modifier les conséquences pour nos propres opérations.
Les banques centrales vont noter, mais pourquoi leurs analyses inspireraient-elles plus confiance que celles des agences de notation ?
L'Eurosystème s'interroge en permanence sur notre rôle en la matière. Au démarrage de Union monétaire, seulement quatre pays avaient une activité de notation de leurs entreprises nationales. Une harmonisation ? La tentation aurait été forte de la réaliser par le bas. Nous ne pouvions en effet demander à toutes les banques centrales de noter leurs entreprises car le système est très coûteux et long à mettre en place. L'Eurosystème a alors été tenté d'abandonner toute référence à la notation par les banques centrales. Nous avons fait valoir qu'appuyer le refinancement du système bancaire sur les crédits effectivement donnés aux entreprises paraissait au moins aussi sûr que de l'accorder sur la base de titres complexes fabriqués par des ingénieurs financiers.
Nous notons les entreprises sur la base des informations que nous collectons et à l'issue d'un dialogue avec le chef d'entreprise, qui connaît sa notation. Quand nous contrôlons un établissement bancaire, nous avons ainsi une idée précise de la qualité de son portefeuille de crédits aux entreprises. Le système bancaire paye pour avoir accès à ces notations qui ne sont pas publiques, et il fournit des informations. Nous ne notons pas les titres, mais la viabilité des entreprises à trois ans. En revanche, personne, dans la communauté des banques centrales ne note les banques ou les souverains. Si nous analysons la qualité de la signature de chaque établissement ou la solidité financière des Etats, le Conseil des gouverneurs de la BCE, interrogé par la Commission au début de l'année dernière, a jugé inopportun de les noter. Les banques centrales ne font pas crédit aux entreprises, mais aux banques ; de même, l'Eurosystème a acheté des titres portugais, espagnols, italiens... Avoir une activité publique de notation de souverains lorsqu'on est susceptible de détenir des titres de ces pays serait délicat. L'idée est donc moins de transformer les banques centrales en agences de notation, que de proposer une notation qui aide les entreprises et le système financier à avoir un accès plus facile au refinancement des banques centrales.
Pourquoi refuser de rendre publiques vos notations ? La Banque de France me semble insoupçonnable alors que les actionnaires des agences de notation détiennent des titres des sociétés qu'elles notent.
Noter, mais pour qui ? J'y insiste, nous notons des entreprises, non des titres. Derrière, c'est la notation des crédits qui est en cause. Sur les 260 000 entreprises que nous notons, combien émettent des titres ? A qui donc pourraient servir ces notations ? Pas aux investisseurs, en tous cas.
Les banques, comme toutes les parties intéressées, disposent de nos notations. Nous réfléchissons avec les parties prenantes de la place à l'utilisation de cette notation en cas de titrisation à partir de ces crédits. La publicité de nos notations de PME auprès du grand public pourrait avoir des effets pervers sur leur activité.
Il y a une grande différence entre crédits et titres négociables sur des marchés, d'où notre réflexion sur la titrisation possible de ces crédits.
Au début de votre intervention, vous avez dit qu'il n'y aurait pas d'incidence sur la réglementation de la liquidité des banques. Pouvez-vous développer ?
Y a-t-il des différences entre les notations Banque de France et celles des agences de notation ? Sur quels critères notez-vous ?
Enfin, vous notez 260 000 entreprises, mais pas les banques alors qu'elles jouent un rôle économique majeur et parfois destructeur. N'avez-vous pas un devoir d'alerte envers l'Etat ?
La banque centrale souhaite savoir de quels fonds disposent les banques en cas de problème de liquidité. En France, nous tenons compte du caractère mobilisable des actifs. Un volet de Bâle III est consacré à la solvabilité et un autre à la liquidité, puisque la crise a surtout été due à un défaut de liquidité, comme l'a montré Northern Rock. Il a donc été prévu des ratios à court et à long termes pour déterminer une liquidité minimale des établissements. Je regrette que ces ratios ne tiennent pas compte des actifs mobilisables auprès des banques centrales. Cette possibilité n'a pas été retenue au niveau mondial car le refinancement direct des banques tient une place beaucoup moins importante dans le système nord-américain que chez nous : l'apport de liquidité par la FED aux Etats-Unis s'opère par des achats de titres et non pas par un refinancement des banques. Il a donc été décidé que le système bancaire devait couvrir ses besoins de liquidité sans avoir besoin du pompier banque centrale.
Je préside régulièrement au nom du Gouverneur les collèges de l'Autorité de Contrôle Prudentiel, et je puis vous assurer que nous surveillons de près la solidité du système bancaire, même si nous ne le notons pas. En cas de problème, nous demandons que des mesures appropriées soient prises. Tous les superviseurs du monde ont un système de rating interne afin de disposer d'indicateurs d'alerte. En revanche, il serait extraordinairement contreproductif de rendre publique notre notation.
Sur les 260 000 entreprises que nous notons, seulement quelques unes le sont également par les agences de notation. En général, la Banque de France est un peu plus favorable que les agences : elles notent les émissions de titre, nous nous prononçons sur la viabilité des entreprises à trois ans. Nous regardons d'abord l'équilibre financier, que nous pondérons ensuite par le secteur. Les agences, elles, regardent d'abord le secteur dans lequel travaille l'entreprise et, déterminent ensuite un intervalle de notation à l'intérieur duquel les entreprises évoluent. Or notre système de notation est moins cyclique que celui des agences, moins volatil.
Quels sont les rapports de la Banque de France avec les agences de notation ? La réglementation ne devrait-elle pas être différente entre le souverain et le non-souverain ? Enfin, il n'est pas logique que la note de la France ayant été dégradée, celle de grandes entreprises françaises l'ait été automatiquement.
La Banque de France n'a pas de relation directe avec les agences, contrairement à l'AMF. Pour ce qui est de l'Eurosystème, c'est la BCE qui, chaque année, examine la méthodologie et les résultats des notations des agences. Nous sommes sur une liste unique, un papier jugé éligible l'est n'importe où dans l'Eurosystème.
Pour le souverain, les choses sont différentes puisque les informations - rapports officiels, budgets, travaux du Parlement - sont facilement accessibles. Tel n'est pas le cas pour les entreprises pour lesquelles les sources d'informations sont plus rares. La notation des agences sur un souverain a bien évidemment des répercussions au-delà du souverain, sur les autres émetteurs. C'est pourquoi le régulateur européen des agences de notation, l'ESMA, doit être intransigeant.
Les agences de notation existent depuis longtemps et jusqu'à peu, on n'en parlait pas en dehors des milieux financiers. Pourquoi intéressent-elles aujourd'hui le café du commerce ?
Ne faudrait-il pas rappeler certaines vérités élémentaires ? Pourquoi faut-il être au moins à la commission des finances pour savoir ...
que la Grèce était insolvable alors que d'autres pays manquaient de liquidités. Or, on a assisté à un amalgame qui n'avait pas lieu d'être, si bien que l'opinion publique a eu le sentiment que la situation était catastrophique dans toute l'Europe.
La mondialisation de la finance explique sans doute la sensibilisation accrue aux notations. Deux tiers des titres étant détenus par des non-résidents, il faut les rassurer sur la qualité des signatures qu'ils ont acquises. En outre, l'ingénierie financière s'est développée, les montages financiers sont devenus très complexes, incompréhensibles pour des investisseurs même raisonnablement avertis. Pour toutes ces raisons, un jugement de tiers était indispensable. Enfin, nous avons tous besoin de faire de la pédagogie.
Pourquoi ne notez-vous pas les collectivités territoriales, alors qu'elles investissent beaucoup ? En outre, elles ont de plus en plus de mal à emprunter.
Une notation de qualité requiert un recul statistique d'au moins cinq ans. Jusqu'à ces derniers temps, Dexia avait une grande importance et elle dispose d'un système modèle interne interne reconnu par l'Eurosystème pour déterminer l'éligibilité de ses actifs.
Certes, mais je connais une commune de 61 habitants à qui Dexia a prêté 350 000 euros, si bien que tous les habitants sont partis.
Autre effet pervers, quand une banque refuse un crédit à une collectivité, celle-ci signe un PPP avec une entreprise privée ce qui, in fine, lui coûte plus cher.
Siégeant à la commission de surveillance de la Caisse des dépôts, je suis sensible à vos préoccupations.
- Présidence de Mme Frédérique Espagnac, présidente -
L'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), qui surveille désormais les agences de notation, a récemment rendu un rapport assez critique sur leur fonctionnement, soulignant en particulier que certaines agences se livraient à des notations sans disposer du personnel suffisant. Certains anciens membres de ces agences ont corroboré ces critiques, s'agissant des entreprises.
Merci pour l'attention que vous portez à nos travaux. Je salue le travail de votre mission sur les agences de notations dont l'AEMF a la responsabilité au niveau de l'Union européenne, à la suite de CRD1 (conditions générales et organisation) et 2 (rôle des agences sur le marché). Depuis le 1er juillet 2011, l'AEMF est devenu l'organisation de surveillance exclusive des seize agences de notation dans l'Union européenne, comme le préconisait le rapport Larosière. En tant qu'organe de régulation de ces agences, nous disposons des outils nécessaires pour mener notre travail à bien. Nous pouvons demander des informations, conduire des inspections, prendre des mesures de surveillance et même infliger des amendes. Nous étudions la méthodologie des agences, pour qu'elle soit rigoureuse, continue et publique ; nous examinons en outre tout ce qui a trait aux conflits d'intérêts. Nous sommes là pour surveiller les agences et leurs systèmes internes de contrôle, non pour les noter ni pour nous prononcer sur les notations émises. Bien entendu, les agences les plus importantes à l'international se trouvent aux Etats-Unis et nous souhaiterions que les agences européennes puissent se développer à l'international.
Disposant désormais d'un système d'approbation officielle (endorsement), nous avons annoncé la 15 mars que les Etats-Unis, le Canada, Hong Kong et Singapour étaient désormais considérés comme disposant d'agences de notation aussi rigoureuses qu'en Europe. Nous essayons de conclure des accords de coopération avec l'Argentine, le Mexique et le Brésil.
En septembre, nous avons procédé à nos premières visites sur place auprès des big three et nous avons examiné leur fonctionnement afin de savoir si elles répondaient à nos exigences. Nous avons identifié un certain nombre de lacunes : les méthodologies doivent être plus transparentes, les décisions internes enregistrées et les fonctions de contrôle améliorées. Nous avons ensuite émis des recommandations aussi bien sur les ressources, que sur la rotation des personnes et des experts que nous avons identifiée comme une source de défaillance, ou encore sur les contrôles internes. Ces différentes fonctions, nous y avons insisté dans le rapport, sont à améliorer. Ce faisant, nous avons jeté les bases de l'activité de l'AEMF.
Vous avez souligné dans votre exposé, dont je vous remercie, les violations de la réglementation commises par les agences de la notation. Dans le même temps, vous reconnaissez la validité des notations délivrées par ces mêmes agences. Faut-il y voir une contradiction ?
Pas tout à fait, car il y a deux types d'évaluation. Pour l'approbation, l'on considère la qualité du système de surveillance et de réglementation des agences de notation ; nous vérifions alors que le système appliqué aux Etats-Unis est aussi efficace que le nôtre, que nous partageons les mêmes objectifs et le même niveau d'investigation. Je signale, qu'en cas de difficulté, il est prévu des échanges d'information avec leur organisme fédéral de contrôle des marchés financiers, la Securities and Exchange Commission. La seconde concerne le fonctionnement interne des agences de notation. Et, malgré la qualité du système de surveillance américain, il n'est pas exclu d'identifier une défaillance au sein d'une de leurs agences de notation.
Il y a donc reconnaissance des notations par les agences américaines en Europe. La réciproque est-elle vraie aux Etats-Unis ou à Singapour ?
Précisons : le fait d'avoir identifié certaines faiblesses ne signifie pas que nous ne reconnaissons pas les notes émises par ces agences en Europe. Dans l'hypothèse où nous serions préoccupés par la qualité d'une notation, des mesures sont possibles qui vont jusqu'à déclarer telle ou telle note inutilisable en Europe. Nous l'avons rappelé dans notre rapport public ; celui-ci, il faut le souligner, constituait un premier travail. D'autres mesures sont envisageables.
Le 10 novembre dernier, Standards & Poor's a délivré un message erroné sur la note de la France. Selon vous, quelle est la branche de l'agence en cause dans cette affaire, celle de Francfort ou celle de Londres ? Qui se charge de l'enquête ? Quelles sanctions sont envisageables ?
Il m'est impossible, en tant que président de l'autorité de surveillance, de me prononcer sur une affaire en cours. En revanche, je puis vous réaffirmer toute l'attention que nous lui portons. Nous travaillons sur ce dossier en liaison avec l'AMF, qui a lancé une enquête. De fait, si les abus de marché relèvent du niveau national, les questions relatives aux agences de notation et à leur système informatique relèvent de notre responsabilité.
De manière plus générale, les contrôles internes, en particulier ceux portant sur le système informatique, sont pour nous des éléments-clés de la surveillance. D'où la demande, que nous avons adressée aux trois grandes agences de notation, de mener une enquête approfondie sur ce point précis, depuis la création de la note jusqu'à sa publication sur le marché. Quant aux sanctions, elles vont de l'amende jusqu'à la suspension de la notation.
En tant qu'autorité européenne, avez-vous la capacité de sanctionner une agence de notation qui, opérant depuis Londres, commettrait une erreur d'appréciation sur la situation française ? La question est importante, car il n'y a guère de frontières dans le domaine de la finance.
Je vais m'efforcer de mieux expliquer ce que nous faisons. La surveillance des agences de notation relève de l'entière responsabilité de l'AEMF, sauf dans des cas très particuliers. Par exemple, si un individu travaillant au sein d'une agence de notation viole le secret professionnel, l'enquête sera du ressort de l'autorité nationale.
Notre responsabilité consiste à dire que la note, pour être qualitative, doit résulter d'une procédure très rigoureuse, une procédure qui tienne compte des développements économiques importants, systémiques et durables. Limiter les possibilités de publication amoindrirait la qualité de la note : les agences de notation seraient, encore plus qu'elles ne le sont aujourd'hui, en retard sur les marchés. En revanche, l'AEMF a le pouvoir d'enquêter si la publication d'une note a semblé intervenir à un moment particulièrement peu propice.
Les auditions, auxquelles a procédé notre mission, ont fait ressortir un fait : les procédures de notation sont très différentes selon les agences de notation. Y a-t-il des règles minimales que les agences doivent respecter pour noter Etats et entreprises ?
Notre objectif est de créer un cadre réglementaire plus strict pour assurer la qualité des notations. Pour ce faire, il importe d'introduire des contrôles internes adéquats aussi bien sur la création de la note que sur sa publication. Ceux-ci, par définition, limitent la capacité d'initiative personnelle afin que la note, c'est notre recommandation, ressorte de la responsabilité globale de l'agence de notation. Afin d'améliorer la fonction de contrôle interne, nous recommandons, entre autres, l'institution d'un comité de notation indépendant de l'analyste concerné et de la présence d'un administrateur indépendant, qui auront la charge de veiller à la qualité des notations et à la transmission des informations pertinentes. La qualité de la note doit dépendre de la structure, non de l'individu.
Certes, mais vous constatez vous-mêmes des lacunes. Avez-vous mis au point un cahier des charges ?
Tout à fait. D'après la réglementation en vigueur, sont nécessaires une fonction de compliance, pour éliminer le risque de non-conformité, et une fonction de contrôle interne telle que le conseil d'administration soit responsable des publications publiées. Sans proposer un modèle, nous insistons sur la note comme émanation de l'entreprise, je l'ai dit. Il y a des marges de manoeuvre dans ce domaine : après nos missions d'inspection, nous avons recommandé aux trois agences, exigé même, l'indépendance des membres des comités de notation ainsi que d'un administrateur.
Aucune agence n'avait prévu la déconfiture de Freddie Mac et Fannie Mae il y a quatre ans. Sommes-nous à l'abri d'une nouvelle crise des subprimes ? De nouvelles formes de titrisation sont-elles à l'oeuvre ?
Les agences, à cette époque, n'étaient pas réglementées, une erreur d'ailleurs très surprenante au vu de leur importance pour les marchés financiers. La piètre affaire à laquelle vous faites référence constitue un très mauvais chapitre de notre histoire financière. Même si une organisation de soixante-dix personnes à Paris n'apporte pas une garantie absolue, le cadre règlementaire a complètement changé en Europe, aux Etats-Unis, au Canada, à Singapour et à Hong Kong.
Autre difficulté, des secteurs entiers du marché échappent à la surveillance : les produits dérivés, le gré à gré, le système de compensation entre banques... Tout cela change. Il faut, outre une réglementation des agences de notation, une surveillance plus globale des marchés. Ces améliorations sont-elles de nature à prévenir une nouvelle crise ? Difficile de l'affirmer ; en revanche, nous avons progressé.
Quelle est votre position sur les projets de régime de responsabilité des agences de notation ?
Le conseil de l'AEMF n'a pas pris position. A titre personnel, je pense qu'il existe une règle fondamentale : si le produit ou le service ne tient pas les promesses du vendeur, une demande de remboursement ou de compensation est fondée. Elle s'applique aussi pour des agences de notation qui se seraient rendues coupables de négligence. La notation étant un des éléments de la vie financière, établir un système de responsabilité raisonnable est nécessaire ; un régime trop lourd ferait fuir les investisseurs, un système sans responsabilité aucune n'est pas souhaitable non plus.
Après la crise des subprimes en 2007-2008, le bureau de la commission des finances s'est rendu aux Etats-Unis. A ma grande stupéfaction, nous nous sommes entendus dire à la SEC que toutes les précautions avaient été prises, qu'aucune responsabilité n'était engagée dans l'affaire Madoff. Un raisonnement qui dépasse l'entendement ! Autre explication avancée dans le cas d'Enron, les analyses étaient fausses parce que les informations transmises par l'entreprise l'étaient. Peut-on se satisfaire de ces explications ?
D'où l'importance des contrôles internes sur lesquels je viens d'insister et qu'il faut développer. Si ceux-ci ne sont pas respectés, l'agence est en défaut et peut être considérée responsable de la mauvaise qualité de la note. En revanche, si les informations sur lesquelles se fondent l'audit sont mensongères, nous sommes dans un autre cas. On peut imaginer d'autres situations dans le monde des audits. Si les analystes avaient eu accès aux bonnes informations concernant Enron, leur conclusion aurait été différente. Une méthodologie rigoureuse garantit la qualité du produit.
Je ne viens pas devant vous défendre telle ou telle agence, mon propos est d'insister sur la qualité de la méthodologie et l'indépendance. Les analystes n'étant pas des inspecteurs de police, ils n'ont pas le pouvoir d'enquêter sur la validité des données. Cependant, ils doivent s'assurer de leur qualité.
Nous avons la responsabilité de la surveillance, je l'ai rappelé. Cela ne nous empêche pas de nous appuyer sur les autorités nationales, en particulier, lorsque nous rencontrons des problèmes de langue pour évaluer une petite agence de notation qui se situerait dans un pays européen non anglophone ou francophone. Il revient également aux autorités nationales de nous signaler d'éventuelles violations de nos règles. De fait, nos connaissances sont parfois insuffisantes pour identifier certains produits structurés.
Les agences de notation versent à l'AEMF une contribution fixe, qu'elles aient été ou non contrôlées.
La somme globale est de 3 millions d'euros, sachant que les trois grandes agences en versent 90 %.
La notation n'est pas une prestation de service comme les autres. L'oligopole des trois grandes agences sur le marché de la notation ne fait-il pas obstacle à l'application de vos recommandations ? Vous paraît-il devoir perdurer ?
Personne ne peut être à l'aise avec l'idée d'un oligopole. Cela dit, pour mener des activités dans ce secteur très particulier de la notation, les sociétés doivent atteindre une taille critique pour prétendre à une reconnaissance internationale. La réputation est très importante. En outre, nous avons enregistré pas moins de 16 agences européennes et, dans les années à venir, la concurrence s'accroîtra avec l'arrivée des cabinets d'audits et de consulting sur ce marché.
Notre souci à nous, autorité de contrôle européenne, est surtout d'obtenir une meilleure prise en compte de l'intérêt public dans le travail de ces sociétés privées.
Vous avez évoqué un nouveau programme informatique pour détecter les éventuelles infractions des agences. A moins que la faute ne soit évidente, je ne comprends pas comment un tel outil identifiera les défaillances...
Nous disposons de différentes sortes d'outils informatiques. Nos principales sources d'information sont les inspections. Nous les concentrons sur les domaines que nous jugeons risqués. Le rapport confidentiel, qui accompagne notre rapport public, recense les risques et problèmes que nous avons identifiés au sein de certaines agences. A la charge de ces dernières, maintenant, de nous présenter des projets pour réduire ces risques.
Autre élément important pour l'information du public, notre site web recensera toutes les notations publiées depuis dix ans. Enfin, nous sommes en train de recueillir davantage d'informations auprès des agences de notation sur leur fonctionnement interne.
Nous accueillons M. Adrian Blundell-Wignall, directeur-adjoint de la direction des affaires financières et des entreprises, conseiller spécial en charge des marchés financiers au cabinet du secrétaire général à l'OCDE ; M. Jacques Delpla, économiste à BNP-Paribas, membre du conseil d'analyse économique ; et, enfin, M. Paul Jorion, docteur en sciences sociales, ancien trader et chroniqueur au Monde économie.
Je suis très honoré de venir devant le Sénat. La crise des subprimes de 2007-2008 a représenté un Fukushima pour les agences de notation. Après ce test ultime, complet et systémique, pourquoi ne pas les avoir fermées ?
Après cette introduction, j'en viens au sujet de notre débat : les agences se sont-elles trompées concernant les dettes souveraines ? N'en déplaisent à nos hommes politiques, il faut leur reprocher d'avoir été en retard sur la crise, non de l'avoir précipitée. En somme, elles regardent dans le rétroviseur plutôt que vers l'avenir ; il faut donc les remplacer. L'exemple grec est éclairant : avec deux ans de recul, la crise apparaît liée à une trop forte dette publique, à une explosion des dépenses publiques et à une augmentation massive et déraisonnable de leur PIB nominal en décrochage avec la production réelle. Comme l'Irlande et la Grèce, et dans une moindre mesure le Portugal, la Grèce semblait avoir pris des anabolisants... Dès 2009, leur niveau de dette, nous le savions, était devenu insoutenable ; l'Union européenne aurait alors dû racheter l'intégralité de la dette grecque. La France était sur cette ligne, l'Allemagne s'y opposait au nom de l'aléa moral ; outre-Rhin, cette solution était également considérée contraire à la lettre et à l'esprit des traités européens, ce qui n'est pas tout à fait faux. En bref, la réaction des agences de notation a été trop lente. Dans ce cas, et contrairement aux phénomènes observés pour la crise des subprimes, nul conflit d'intérêt n'était à déplorer : les Etats ne paie pas les agences de notation pour noter leur dette souveraine.
Pourquoi le défaut souverain sera-t-il plus important que prévu dans la zone euro ? Reprenons le triangle d'impossibilité de Mundell : on ne peut avoir à la fois autonomie de la politique monétaire, taux de change fixes et liberté de circulation des capitaux. Raison pour laquelle nous avons renoncé à la liberté monétaire lors de la création de la zone euro. D'où un nouveau triangle des impossibilités en cas de dette excessive et de perte de compétitivité dans la zone euro : interdiction des dévaluations, prohibition de l'inflation et restructuration de la dette. En fait, pour résorber une dette publique excessive en situation de perte de compétitivité, il n'y a que les solutions suivantes : l'inflation et la dévaluation, solution adoptée par la France dans les années 1970 ; la répression financière que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis de Truman ont utilisée après 1945 pour sortir de la crise ; une forte croissance nominale - impossible en Grèce, en Espagne et au Portugal ; ajustement budgétaire pour faire baisser les taux d'intérêt - idée défendue par M. Trichet, qui est en réalité une histoire pour les petits enfants : le cas de la Suède dans les années 1990 n'est pas reproductible aujourd'hui dans les pays d'Europe du sud.
La diminution massive des déficits primaires constitue la solution mais le risque est d'en faire trop et trop brutalement, au point de contracter les bases fiscales sans réduire la dette. Il faut aussi prendre en compte le risque démocratique en se rappelant qu'Hitler n'est pas venu au pouvoir du fait de l'hyper-inflation de 1923 mais de la politique déflationniste de Brüning entre 1930 et 1932. En conséquence, c'est le défaut ou la restructuration. C'est déjà le cas pour la Grèce, cela devrait venir pour le Portugal, c'est de plus en plus pressant pour l'Espagne, une interrogation demeurant pour l'Italie. Or les agences de notation n'ont pas compris que cela était indispensable pour éviter un effondrement de l'euro ou la montée des extrémismes.
Je recommanderais, outre de balayer les agences actuelles, de créer une agence européenne non pas publique mais indépendante, sur le modèle des fondations universitaires ; ce qui, compte tenu des barrières à l'entrée, exige au départ une dotation des autorités de Bruxelles et nationales, les Etats s'abstenant ensuite de toute intervention. Il conviendrait surtout que soient placées à la tête de cette agence des personnes réellement compétentes, le capital humain des agences de notation étant globalement de mauvaise qualité ; on n'y trouve par exemple aucun économiste de renom. Il faudrait moins de diplômés des écoles de commerce et davantage d'experts, notamment titulaires de doctorats. Il conviendrait aussi d'élargir l'éventail des notes, à la fois en créant une note supérieure au triple A et en instituant plus de dégradés dans les notes de défaut.
Pour sortir de ces problèmes, je propose aussi de mettre en place en Europe un système reposant sur la distinction entre dette bleue et dette rouge.
docteur en sciences sociales, ancien trader, chroniqueur au Monde-Économie. - Sur la base de mon expérience au sein des entreprises clientes des agences ainsi que de banques californiennes émettrices de prêts hypothécaires, j'estime particulièrement difficile la tâche des agences -prévoir un risque de crédit associé à un instrument de dette- ce qui suppose une connaissance de l'avenir fondée sur le comportement de l'émetteur, alors même que les modèles utilisés sont de très mauvaise qualité, bien qu'acceptés dans la mesure où il n'en est pas de meilleurs. Pour certains instruments, on ne connaît pas de meilleure méthode que l'observation historique d'instruments comparables dans des circonstances similaires, tandis que les effets non linéaires sont difficiles à prévoir et que, pour certains produits comme les CDO, les méthodes utilisées n'offrent aucune robustesse. On ne peut se contenter de multiplier par quatre ou cinq le dernier risque observé...
Tout ceci, les agences le savent. On peut même assister, comme lors de la crise des start-up, à un effet boule de neige ou de prophétie autoréalisatrice, après que la détérioration de la notation d'Enron par une des agences a été intégrée par les autres comme facteur d'appréciation du risque.
La crise des subprimes a mis en lumière le fait qu'en tant qu'entreprises privées cherchant à accroître leur chiffre d'affaires, leur bénéfice et leur part de marché, les agences ont pu accepter de noter des produits pour lesquels elles savaient qu'aucune méthode ne s'appliquait. Les choses ont toutefois changé, Standard & Poor's ayant récemment refusé de noter un instrument de dette émis par General Motors -ce qui normalement aurait dû tuer le marché ; mais le gouvernement américain a, pour des raisons politiques, apporté sa garantie... Si la soumission à la logique de marchés a des effets délétères, la création d'agences publiques en aurait de pervers si les Etats font prévaloir des considérations de politique intérieure.
Mes diverses expériences m'ayant permis d'aborder la question des agences de notation, à la fois du point de vue du secteur public et du secteur privé, il me semble aujourd'hui que celles-ci sont confrontées à cinq problèmes principaux.
Tout d'abord, il s'agit d'oligopoles naturels, du fait de la nécessité pour chaque agence de disposer d'une taille lui permettant d'évaluer plusieurs centaines de milliers d'émissions. Leurs notations sont utilisées par les organismes de tutelle, tels que le comité de Bâle ou la BCE, ainsi que dans les benchmarks des fonds d'investissement ou de pension. L'inflation des notes consécutives à l'arrivée de Fitch a d'ailleurs montré que l'arrivée d'un nouvel acteur de poids n'était pas sans poser de problèmes.
Ensuite, dans la mesure où il s'agit d'entreprises privées vendant un bien public, il est difficile d'éviter l'adoption de comportements opportunistes.
De plus, des conflits d'intérêts peuvent survenir dans la mesure où l'émetteur paye pour sa notation même si je n'estime pas, comme Paul Jorion, qu'il s'agisse de comportements délibérés. A quoi s'ajoute un manque de vigilance -on a pu noter un CDO assuré par un rehausseur de crédit sans se préoccuper de la qualité de ce dernier.
Se posent aussi des problèmes de méthodologie du fait notamment de l'existence de biais de linéarité, la prise en compte d'une centaine de facteurs aboutissant à noyer dans la masse ceux qui pourraient être décisifs à un instant donné.
Enfin, des questions se posent quant à la façon dont les notations sont utilisées par les marchés, la sous-estimation de la crise européenne en amont de celle-ci donnant ensuite lieu à des comportements d'accentuation du cycle. Notons toutefois qu'à propos de la dette souveraine de la Grèce, Standard & Poor's a surtout dégradé sa note entre mai et septembre 2011, soit avant l'augmentation du spread de taux avec l'Allemagne ; on peut considérer qu'elle a fait son travail quand il le fallait.
Si la loi américaine proscrit désormais toute référence aux notations dans la réglementation publique, demeure le problème des effets de seuil. En cas de dégradation d'un titre, les gestionnaires de fonds, du fait de leurs processus de benchmark, sont amenés à le vendre de façon massive. Pour y répondre, je recommande de mieux structurer le secteur. Les autorités de tutelle américaine et européenne ont déjà adopté des règlementations plus cohérentes et mieux coordonnées. Il conviendrait aussi de rendre publiques les notations passées, et de séparer, comme cela a été décidé en Europe et aux Etats-Unis, l'activité de notation de la vente de services annexes.
Ma recommandation principale est la création d'un nouveau modèle économique par la création d'une plateforme servant d'intermédiaire entre les émetteurs, qui verseraient une redevance sur la base d'un barème préétabli, et l'ensemble des agences, c'est à dire pas seulement les trois grandes, entre lesquelles le nouvel organisme répartirait les missions. Ceci devrait casser les liens malsains, générateurs de conflits d'intérêts.
Pourquoi a-t-on besoin des agences de notation ? Parce que des milliers de titres de dettes sont émis chaque année, dont les investisseurs n'ont pas les moyens d'apprécier eux-mêmes la qualité. Sans agence de notation, le marché financier ne pourrait plus fonctionner et l'on devrait se contenter d'un modèle bancaire dont on connaît les limites. Mais lorsqu'Adrian Blundell-Wignall dit que les barrières à l'entrée tiennent au besoin de crédibilité, je ne peux que rappeler que les trois grandes agences ont massivement failli. Que dirait-on si on maintenait en fonction les régulateurs après un accident nucléaire, au motif qu'ils sont là depuis quinze ans ?
Que faut-il ne pas faire ? Sans doute ce que propose Michel Barnier, à savoir interdire la notation des dettes souveraines des pays « en détresse », c'est à dire sous programme. La belle affaire ! Dans la mesure où le rating permet d'évaluer un risque, le supprimer serait la pire des choses. Voyez le cas grec : la crédibilité des responsables politiques européens, qui ont juré qu'il n'y aurait pas de défaut en Grèce avant de pressurer leurs banques pour en accepter un, est en lambeaux. Pire encore, alors que la dette souveraine pouvait auparavant être regardée comme une dette senior, en Grèce, les investisseurs normaux se retrouvent aujourd'hui au rang de junior 4, c'est à dire venant non seulement après le FMI et les Etats, ce qui peut se comprendre au regard de la théorie du pompier, mais aussi après la BCE, alors que cette dernière rachète la dette grecque sur le marché secondaire dans des conditions identiques à celles des autres investisseurs. Il y a des raisons politiques à tout cela, mais quand même... De surcroît, le gouvernement grec a annoncé que les fonds de pension de son pays seraient remboursés de leurs pertes dans les trois ans à venir. Comment dans ce contexte annoncer que l'on ne notera plus les États en détresse ?
Tout le monde est conscient du travail important et difficile qu'accomplissent les agences ; personne ne peut imaginer qu'il soit le fait de chaque émetteur.
Alors qu'elles délivrent un service de type public, les agences sont soumises à la pression excessive de leurs actionnaires, comme le sont plus généralement les entreprises dans le système capitaliste. De surcroît, on leur demande de disposer d'une connaissance supérieure à celle des experts des différents domaines, voire d'adopter des méthodologies différentes de celles appliquées au sein des banques centrales, du FMI ou de la banque mondiale. Celles de l'establishment ne sont pas nécessairement les meilleures ; mais on voit mal comment elles auraient pu jusqu'à maintenant faire autrement.
Comme nous le rappelle « l'effet falaise », notre capacité à prévoir l'avenir en termes de cycles économiques ou de destin individuel des entreprises est très limitée du fait notamment du décalage entre connaissance réelle de l'évolution économique et modèles théoriques. Il y a même des modèles dont on sait qu'ils sont faux, tels que celui de Black & Scholes pour le pricing des options, que l'on se contente d'adapter arbitrairement. L'acceptation de modèles faux est une maladie endémique ; on ne peut reprocher aux agences d'en être atteintes.
Lorsqu'un produit ne peut pas être évalué, il faudrait en interdire la commercialisation. Nonobstant les mesures consistant, après avoir songé à démanteler les entreprises présentant un risque systémique, à augmenter les provisions prévues dans le cadre de Bâle III, si de telles mesures d'interdiction ne sont pas prises, les crises que nous avons connues se reproduiront.
Hors des cercles de spécialistes, nombreux sont ceux qui ont découvert l'existence des agences de notation à l'occasion de la crise. Lorsque M. Delpla propose la suppression des trois grandes agences, en évalue-t-il les conséquences ? Un baromètre étant nécessaire, comment remettre ensuite en place un système régulateur indépendant et non commandité par les émetteurs ?
Je n'ai pas appelé à détruire le thermomètre. Je pense qu'il est déjà cassé. Les dirigeants européens ont été complaisants, ils protestent mais ils ne font rien. On ne peut pas garder ceux qui se sont autant trompés, dont le capital humain et la méthodologie sont si pauvres, les regards si partiels. Je propose le modèle de la fondation indépendante, pourvue de personnels compétents et crédibles. L'idée d'une plateforme, comme le suggère M. Blundell-Wignall, est excellente. En effet, les agences sont esclaves de leurs maîtres, ces derniers étant parfois moins les émetteurs des titres que les banques qui servent d'intermédiaires... Il faudrait d'ailleurs interdire pendant un certain délai aux salariés d'une agence de travailler dans une banque...
Quelle place ces agences accordent-elles au facteur humain lié aux pertes d'emplois ou de matière grise ? Les conséquences de difficultés chez Airbus, par exemple, sont sans commune mesure avec celles d'une fabrique de casseroles...
La fonction des agences est uniquement d'évaluer la solvabilité de l'emprunteur. Les questions que vous évoquez sont affaire de politique économique.
n peut reprocher aux agences de considérer une entreprise en particulier sans avoir une vision d'ensemble du secteur. C'est pour cette raison, par exemple, que mes prévisions sur la situation du secteur de l'immobilier résidentiel aux Etats-Unis étaient meilleures que celles des agences. On commence à y réfléchir dans la zone euro. Il ne faut pas perdre de vue que les États, à la différence des entreprises, ne paient pas les agences.
Monsieur Blundell-Wignall, vous proposez une nouvelle méthode de rémunération ; êtes-vous favorable à la transparence des prix comme c'est le cas pour un audit ?
La transparence est un élément très important. De même que la plateforme proposée devrait être transparente, les méthodes des agences devront l'être, faute de quoi, les entreprises iront vers celles qui leur donneront les plus jolies notes...
Les erreurs commises par les agences posent le problème de leur compétence et de leur indépendance. Problème de compétence du fait de l'absence d'approche intégrée, les conditions de la prise de décision étant quant à elles assez floues puisqu'on se contente parfois d'évoquer des conférences téléphoniques. Problème d'indépendance aussi car, même si, à écouter M. Delpla, il n'y a pas eu de conflits d'intérêts à propos de la Grèce puisque les agences n'étaient pas rémunérées par l'Etat, les objectifs commerciaux de ces sociétés sont totalement incompatibles avec le caractère de bien public de la notation. Au vu de la place prise par les considérations de marketing ou de publicité, je ne vois pas où est l'indépendance ! Au final, ça fait beaucoup !
Je suis pour ma part très intéressée par l'idée de créer un intermédiaire entre les émetteurs et les agences.
Je pense comme M. Delpla qu'il faut repartir sur de nouvelles bases.
Quant aux critères des agences - cela vaut pour les entrants comme pour les historiques -, les considérations liées à l'innovation des entreprises, à leur politique sociale ou au respect de l'environnement devraient être prises en compte, qui sont aussi signes de bonne santé.
Compte tenu de la prédominance des agences américaines, on a évoqué l'idée d'une agence européenne ou même euro-méditerranéenne. Celle-ci pourrait-elle être créée par les grands assureurs européens, par exemple ?
Comme M. Delpla, je serais plutôt pour en finir avec les agences actuelles, qui se sont beaucoup trompées... Je suis très étonné de voir qu'en dépit de leurs erreurs, leur chiffre d'affaires continue d'augmenter et que leurs marges sont toujours aussi confortables.
Ne faudrait-il pas distinguer les agences qui notent les entreprises de celles qui évaluent les États, en créant pour ces derniers une sorte d'AIEA, capable de tirer la sonnette d'alarme si nécessaire ?
Je ne crois pas que la solution soit la création de nouvelles agences. Nous sommes face à des questions de fond et non de concurrence. La proposition de plateforme contredit la logique de marché dans laquelle elle s'inscrit.
Dans la mesure où les agences délivrent un service de nature publique, il faut les placer hors de cette logique de marché et mettre fin à un fonctionnement fondé sur le secret commercial et sur la nécessité de rendre compte à des actionnaires. Sinon, quelle transparence peut-on attendre ? Peut-on confier l'évaluation des risques systémiques à des entreprises suivant une logique de profit ? Le comportement de Goldman Sachs, qui a sciemment parié sur l'effondrement du système, montre que non.
Il semble que vous n'adhériez pas à l'idée d'une sorte d'AIEA de la notation. Lorsque Goldman Sachs a « bidouillé » les comptes de la Grèce, une telle agence aurait pu tirer la sonnette d'alarme. Qu'en est-il d'ailleurs des liens entre les agences et les banques ?
A propos de Goldman Sachs, j'évoquais l'affaire des CDO synthétiques et non le cas de la Grèce ; dans celui-ci, les politiques, qui savaient, ont fermé les yeux ; Eurostat les avait alertés. L'important était de permettre l'entrée de la Grèce dans la zone euro.
Mais l'AIEA est indépendante et lorsqu'un problème survient, tout le monde en est informé.
Il me faut bien critiquer les États, à commencer par la France. Bruxelles a proposé la création d'une forme d'AIEA financière consistant, suivant l'exemple suédois initié par l'économiste Lars Calmfors, en des comités budgétaires indépendants dans chacun des pays, recueillant les prévisions du gouvernement et du Parlement et procédant à leur évaluation. La France a mis son véto - l'actuel gouvernement est d'ailleurs suivi sur ce point par l'opposition.
Officiellement, nous sommes tellement bons que nous n'avons pas besoin de ce comité. Officieusement, chacun sait que sur ces questions nous ne sommes pas au clair ; nous serions même plutôt moins bons que les autres...
Les Etats sont aussi responsables : avec les différentes réglementations bancaires et assurantielles récentes ils ont « cocooné » l'épargnant au point qu'il n'y a presque plus de risques... Les émetteurs en viennent à imaginer tous les montages possibles pour rendre les dettes plus attrayantes. En Europe continentale, il n'y a ainsi plus d'acheteurs de dettes risquées.
Comme Mme Des Esgaulx, je constate des manques de compétence et d'indépendance. Mais connaissez-vous quelqu'un qui travaille dans une des ces agences ? C'est la « Firme » ! On est indépendant quand on a une réputation à préserver ; or les personnels des agences rêvent tous de pantoufler dans une banque... Il faut qu'au sein des conseils des agences siègent de grands économistes internationaux.
Je reviens à l'idée de la plateforme. Elle permettrait d'apporter une solution au problème du suivisme, dans la mesure où les dossiers seraient attribués aux agences en fonction de leurs performances. La plateforme permettrait aussi de changer les relations entre les agences et les banques ; on sait qu'aujourd'hui des agences disposent de bureaux au sein de certains établissements bancaires - je pense aux liens entre Moody's et Citibank.
Quant aux critères environnementaux ou plus généraux, ils sont bien sûr pris en compte par les agences car le non respect des normes environnementales peut menacer directement l'activité des entreprises.
La création d'une agence publique en charge des dettes souveraines serait pire que tout. Faut-il vraiment tuer le messager ? Imagine-t-on l'Allemagne, principal contributeur budgétaire de l'Europe, accepter qu'une telle agence dégrade la note d'un pays en difficulté ? Ce rôle ne pourrait pas non plus être joué par l'OCDE qui a seulement les moyens de procéder à des notations pour les crédits à l'exportation, ni par le FMI dans la mesure où ses interventions l'amènent à aller au devant de l'aléa moral le plus total. Cette agence doit être privée et, si je suis d'accord avec beaucoup des arguments avancés par M. Jorion, je ne partage pas son idée selon laquelle la plateforme serait en contradiction avec la logique de marché. Prenez les autorités boursières : elles peuvent suspendre une cotation en cas de problème... La création d'une plateforme briserait l'oligopole sans perturber la concurrence.
Vous faîtes un procès d'intention à la proposition d' « AIEA de notation » ; l'AIEA regroupe des experts de différents Etats qui, bien que n'étant pas sans lien avec les acteurs de leur pays d'origine, parviennent tout à fait à s'en abstraire pour exprimer des avis objectifs.
Il ne faut pas d'agence publique, c'est une question de crédibilité ; nous parlons ici de produits d'expérience, de biens publics. Le système bancaire européen est malade ; on n'entend pourtant jamais les représentants des autorités nationales à l'OCDE, au FMI ou au FESF reconnaître que les banques de leur pays ont des problèmes. Madame Lagarde a d'ailleurs complètement changé de discours sur ce sujet en passant de Bercy au FMI. Beaucoup d'établissements financiers ont été insolvables pendant la crise. Trouvez-vous que tout cela est clair ?
Une agence de notation européenne publique n'aurait aucune crédibilité. A la différence de l'AIEA, que les intervenants sur le marché des matières premières prennent peu en considération, les agences de notation ont pour raison d'être de convaincre les acheteurs. Personne ne croira une agence liée, d'une façon ou d'une autre, aux Trésors nationaux. Dès son arrivée en Grèce, M. Junker a indiqué qu'il fallait commencer par une décote massive de la dette avant de réformer - et tous les Etats étaient contre...
La proposition sur la table à Bruxelles, qui est reprise par l'OCDE dans un rapport publié ce matin, consiste en la mise en place de comités budgétaires indépendants. La France est contre. Mon idée est de créer une sorte de fondation bénéficiant de dotations publiques, après le versement desquelles les Trésors nationaux jetteraient la clé dans la rivière...
Une entreprise privée, le cabinet Roland Berger, tente actuellement de constituer une agence de notation mais elle ne marche visiblement pas très bien, confrontée à des problèmes de taille et de financement.