Oui, mais nous avons fondé nos calculs sur une hypothèse de 2 %.
À cela s'ajoute un problème technique de rattrapage. Je n'entrerai pas dans les détails, mais le régulateur prend en compte dans notre tarif actuel un certain nombre de paramètres, tel le coût des pertes. Cela répond à une de vos questions. Nous achetons sur le marché sans savoir à l'avance quel sera ce coût, et le tarif est donc fondé sur des hypothèses. Un mécanisme de correction intervient ensuite en fonction de la réalité économique constatée : si le tarif nous a été trop favorable, nous sommes débiteurs à l'égard du consommateur ; si au contraire le paramètre considéré a été sous-évalué, nous sommes créditeurs. Ce mécanisme, assez simple même s'il paraît de prime abord compliqué, permet de corriger dans la limite de plus ou moins 2 % les écarts entre les paramètres théoriques et les paramètres réalisés.
Au cours de la période tarifaire précédente, qui s'est terminée en 2007, on a cumulé les écarts pendant trois ans. Les paramètres nous ayant été trop favorables, nous avions accumulé un excédent de recettes de 800 millions d'euros. Le régulateur nous a demandé, à juste titre, de les restituer au consommateur, ce que nous faisons à raison de 200 millions d'euros par an au travers des tarifs. Cela signifie que quand nous aurons fini de rembourser, à la fin de la période tarifaire, il faudra remonter le tarif au niveau antérieur.
Le chiffre d'affaires de RTE étant de 4 milliards d'euros, 200 millions d'euros représentent quasiment 5 % de celui-ci. Cette « marche d'escalier » pour recaler le tarif à un niveau permettant de refléter les coûts pourrait peut-être être étalée sur une ou deux années. Cela vient s'ajouter aux chiffres que j'indiquais tout à l'heure.
Pourquoi investir sur les réseaux ?
Tout d'abord, je l'ai souligné tout à l'heure, il faut suivre le mouvement, qui est lent, de l'évolution de la consommation. Certaines régions sont économiquement plus dynamiques que d'autres et leur consommation d'électricité progresse plus vite. Ainsi, en Bretagne, le taux de croissance de la consommation d'électricité depuis vingt ans est supérieur de 1 point à la moyenne nationale ; c'est le résultat du développement des PME et de l'activité économique. Dans d'autres régions - je pense à la région PACA -, c'est plutôt le tourisme ou l'installation des retraités qui sont en cause. Toujours est-il que, là aussi, la consommation d'électricité croît plus vite qu'ailleurs.
On peut estimer que 1 % par an, ce n'est pas beaucoup, mais au bout de vingt ans, cela représente une hausse d'un peu plus de 20 %. Il faut donc investir dans ces régions.
Deuxièmement, il faut renforcer les interconnexions. Oui, je suis favorable au développement des interconnexions. Pourquoi ? Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, organiser une vaste zone synchrone est le meilleur moyen d'amortir les chocs. Par exemple, en France, l'arrêt d'une tranche nucléaire représente une perte de puissance de 1 000 mégawatts, sur une puissance totale de 60 000 mégawatts ces jours-ci - 100 000 mégawatts correspondant à la puissance de pointe. On perd donc approximativement 1,5 % de la puissance. Si nous nous trouvons dans un ensemble interconnecté, ce qui est le cas au niveau de l'Europe continentale, la puissance totale de la production est de l'ordre de 800 000 mégawatts, soit plus de dix fois la taille du parc français. Nul besoin d'être un grand spécialiste de l'électrotechnique, ce que je ne suis pas au demeurant, pour comprendre que l'interconnexion permet un amortissement des variations. J'ai pris l'exemple de l'arrêt d'une tranche nucléaire, mais il pourrait s'agir de celui d'un champ éolien ou d'une centrale classique, voire d'un grand barrage à cause d'un incident.
Par conséquent, l'intérêt de l'interconnexion est la mutualisation des moyens. C'est également un facteur absolument indispensable pour le développement des énergies renouvelables. J'entends parfois dire que le développement des énergies renouvelables signifie la fin des grands réseaux : grâce aux énergies diffuses, on produira et on consommera sur place. Cette idée, éminemment sympathique, est en complet décalage avec la réalité ; elle le sera d'autant plus que les objectifs fixés en matière de développement des énergies renouvelables seront ambitieux. Le dernier appel d'offres lancé par le Gouvernement pour l'éolien offshore porte sur cinq sites de 500 à 600 mégawatts, avec des points d'atterrage, c'est-à-dire de raccordement. Or 500 mégawatts, c'est la puissance d'un cycle combiné à gaz. Les problèmes à régler pour le raccordement au réseau seront tout à fait les mêmes que pour l'implantation d'un nouveau cycle combiné. Il faudra donc développer le réseau.
Vous avez également soulevé la question de l'intermittence, à laquelle je vais essayer de répondre rapidement. C'est une question récurrente, plus souvent évoquée par les opposants aux énergies renouvelables que par leurs partisans. Les énergies renouvelables sont intermittentes. Pour moi, ce n'est ni une qualité ni un défaut, c'est une caractéristique. Leur production est liée à des facteurs souvent météorologiques, qui ne sont prévisibles que dans une certaine limite et qui ne sont pas corrélés avec les variables qui guident l'évolution de la consommation.
Comment résoudre cette difficulté ? Je vois trois solutions.
La première solution, c'est le stockage d'énergie. C'est selon moi la bonne solution à terme, mais il faudra trouver les structures adéquates, des technologies fiables, utilisables à des coûts raisonnables. Il faut absolument intensifier les recherches dans ce domaine. Aujourd'hui, nos ressources en la matière sont essentiellement le stockage sous forme hydraulique. Il s'agit d'une bonne technologie, mais dont l'emploi exige certaines caractéristiques en termes de sites.
La deuxième façon de traiter le problème de l'intermittence, c'est le développement des réseaux. Je prendrai un exemple : le Danemark a une capacité d'interconnexion avec ses voisins de 5 000 mégawatts, égale à sa puissance de pointe. Cela signifie qu'à certains moments, si le vent ne souffle pas au Danemark, ce pays peut importer la totalité de son énergie de l'étranger. Quand il y a du vent, il peut aussi exporter quasiment la totalité de sa production.
La France ne peut pas, compte tenu de sa taille, faire la même chose, car elle dispose de 100 000 mégawatts de puissance installée. Nos capacités d'interconnexion sont de l'ordre de 10 000 mégawatts : on ne peut pas les multiplier par dix, mais il convient de les renforcer.
La troisième voie pour résoudre le problème de l'intermittence consiste à développer des moyens de compensation. Quand la ressource éolienne ou photovoltaïque, par exemple, fait défaut, on doit pouvoir démarrer d'autres moyens de production. Vous m'avez interrogé sur la méthanisation. J'ignore s'il s'agit nécessairement d'une des bonnes options, mais effectivement certaines personnes songent à utiliser l'électricité en surplus pour fabriquer de l'hydrogène par électrolyse, afin soit de récupérer cet hydrogène, soit de refaire ensuite de l'électricité. C'est sans doute une solution qui mérite d'être étudiée et qui permettrait de lisser les besoins.
Vous m'avez interrogé sur les projets de centrales photovoltaïques au Sahara. De tels projets ont été développés d'abord par les Allemands avec Desertec, puis en France par le consortium Medgreen, avec cette différence importante que Medgreen s'intéresse davantage aux interconnexions. Développer les interconnexions sera toujours utile, surtout si l'on réalise des investissements durables.