Monsieur le président du directoire de Réseau de transport d'électricité, RTE, je vous remercie de votre présence parmi nous aujourd'hui, même si toute personne dont une commission d'enquête a jugé l'audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée.
Comme vous le savez, chaque formation politique du Sénat bénéficie d'un « droit de tirage annuel ». Le groupe écologiste a utilisé ce droit pour créer une commission d'enquête sur un sujet d'actualité, à savoir le coût réel de l'électricité.
En tant que président du directoire de RTE, vous êtes directement concerné par les problèmes de coût de l'électricité. Vous avez d'ailleurs été touché très directement, il y a quelques semaines à peine, par l'actualité, lors de la pointe de consommation des 7 et 8 février derniers.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour les questions préliminaires, je vais vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête :
Monsieur Maillard, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
(M. Dominique Maillard prête serment.)
La parole est à M. le rapporteur.
Monsieur Maillard, nous avons six questions à vous poser, qui vous ont été transmises.
Première question, le niveau actuel du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, le TURPE, est-il bien en ligne avec les investissements sur le réseau de transport d'électricité ?
Deuxième question, quelle est votre vision des investissements à effectuer sur le réseau dans les dix prochaines années et de leurs conséquences sur le TURPE ? Les chiffres seraient-ils très différents en fonction des choix de la France en matière de production ?
Troisième question, quels investissements sont possibles et souhaitables en matière d'interconnexion ? Un fort développement des interconnexions serait-il compatible avec le maintien d'un marché français et de prix français spécifiques de l'électricité ?
Quatrième question, quel commentaire faites-vous sur la structure actuelle de la consommation d'électricité en France et sur sa « pointe », particulièrement élevée en cas d'hiver rigoureux ? Sur quels leviers préconisez-vous d'agir afin de diminuer l'ampleur de ce phénomène ?
Cinquième question, quel est le coût des pertes d'électricité en ligne lors des phases de transport et de distribution ? Y a-t-il des moyens de le réduire ? À cet égard, le projet parfois évoqué de centrales photovoltaïques géantes au Sahara vous paraît-il réaliste en termes de coût d'acheminement ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai aux questions dans l'ordre où elles m'ont été posées, en faisant une légère exception pour le sujet d'actualité, c'est-à-dire la pointe de consommation du mois de février dernier. L'existence de telles pointes est l'une des justifications des investissements que nous aurons à faire.
En guise d'introduction, je vous présenterai brièvement Réseau de transport d'électricité, RTE.
RTE a été constitué il y a une dizaine d'années, dans la foulée des directives européennes sur l'ouverture des marchés et la disparition des monopoles. RTE est un monopole « naturel » au sens où même les économistes les plus libéraux n'envisagent pas la duplication d'un réseau de transport d'électricité, aussi bien pour des raisons économiques que pour des raisons environnementales. Pour autant, ce monopole est régulé : RTE a l'obligation de fournir des prestations non discriminées à l'ensemble des opérateurs du marché, y compris l'opérateur historique, qui est aujourd'hui notre actionnaire à 100 %.
Il a beaucoup été discuté au niveau européen des différents modèles possibles. La France, avec quelques autres pays, a adopté le modèle ITO, Independent Transmission Operator - en français : « opérateur de transport indépendant ». Ce modèle reconnaît que RTE est une filiale à 100 % de l'opérateur historique, mais fixe un ensemble de conditions que nous devons remplir pour attester de notre indépendance à son égard : on ne doit pas pouvoir nous soupçonner de le favoriser, soit dans notre politique d'investissements, soit dans notre comportement au jour le jour.
RTE doit respecter un certain nombre de règles et un code de bonne conduite, avec un contrôleur général de la conformité - un déontologue - à demeure.
Nos investissements - c'est un point très important qui rejoint l'une des questions posées - ne sont pas fixés par l'actionnaire, ce qui est exorbitant du droit commun, mais sont approuvés par le régulateur, que vous avez déjà entendu. Idem pour les tarifs, mais c'est parce que nous sommes un monopole.
RTE, ce sont 8 500 personnes et 100 000 kilomètres de lignes de 63 000 à 400 000 volts. La frontière entre le transport et la distribution ne résulte pas des lois particulières de l'électrotechnique ; elle est fixée de la sorte en France depuis 1946 : au sein d'EDF, ces deux activités étaient distinguées. La différence a sans nul doute son importance pour les élus locaux que vous êtes, puisque la distribution est assurée sous un régime de concession - l'autorité concédante étant la commune ou un regroupement de communes -, alors que le transport relevait naguère d'un régime de concession d'État. Aujourd'hui, RTE est propriétaire de son réseau, mais doit respecter un cahier des charges qui est un peu l'équivalent d'une concession passée avec l'État.
Sur ces 100 000 kilomètres de réseau, 25 000 kilomètres sont à 400 000 volts - ce sont les autoroutes de l'électricité, la grande colonne vertébrale du réseau -, 25 000 kilomètres sont à 225 000 volts - soit le niveau de tension immédiatement inférieur - et 50 000 kilomètres constituent le réseau de répartition, qui est plutôt un réseau régional à 90 000 volts et à 63 000 volts.
Sur le plan technique, ces réseaux à différents niveaux de tension ont la caractéristique d'être maillés. Cela signifie qu'il existe plusieurs chemins électriques entre deux points, ce qui permet de garantir la continuité de l'alimentation, par exemple lors des interventions d'entretien, en cas d'incidents ou à l'occasion d'événements météorologiques. Cependant, cette continuité d'alimentation ne peut pas être garantie si une tempête, comme nous en avons connu, met par terre plusieurs éléments du réseau.
Si le réseau de transport est maillé, ce n'est pas le cas du réseau de distribution, du moins pas dans toutes ses composantes, notamment en ce qui concerne l'alimentation des habitations, généralement desservies par une seule ligne.
Notre philosophie est donc celle du réseau maillé, de la redondance, c'est-à-dire que nous calculons le réseau selon une logique du « n-1 » au « n-2 » : nous devons être capables de nous passer d'un élément, d'une tranche, d'un poste, d'une grande ligne, voire plus, et si nous perdons un des chemins, nous devons avoir la possibilité d'en emprunter au moins un autre.
Nos investissements annuels s'élèvent à 1,2 milliard d'euros et notre chiffre d'affaires à 4 milliards d'euros. Nous investissons donc à peu près le tiers de notre chiffre d'affaires.
Nos recettes proviennent pour 90 % des tarifs de péage fixés par le régulateur. Ces tarifs ne sont pas négociables. Nous avons l'interdiction de pratiquer des ristournes commerciales au bénéfice de nos plus gros clients. Nous appliquons, bien sûr, strictement cette règle. Les 10 % restants proviennent de la gestion des interconnexions avec les pays voisins.
RTE est responsable du développement de ces interconnexions et de leur exploitation. Ces interconnexions sont gérées commercialement par un régime d'enchères. En effet, elles ne sont pas suffisantes pour satisfaire potentiellement toute la demande : on met donc aux enchères les capacités. Le système est néanmoins vertueux puisque la propension à payer pour le passage d'une frontière est au plus égale au différentiel de prix existant entre les deux côtés de la frontière : si en France le prix du mégawattheure est de 50 euros et si le coût de production en Allemagne est de 40 euros, les producteurs allemands auront envie de vendre en France, mais ils n'accepteront évidemment pas de payer plus de 10 euros pour le passage de la frontière. S'ils payent 5 euros, ils sont contents, s'ils payent 2 euros, ils sont encore plus contents, etc.
Dans ce système d'enchères, instauré par les directives européennes, les exploitants des réseaux des deux côtés de la frontière se partagent les recettes, quel que soit le sens de circulation de l'électricité. Mais ces recettes sont difficilement prévisibles, dans la mesure où elles résultent à la fois du volume des échanges et des différentiels de prix, qui eux-mêmes ne sont pas prédictibles : ils peuvent dépendre de conditions locales instantanées de température, de météo, de disponibilité des moyens de production, etc. Ces recettes s'élèvent à près de 300 millions d'euros, soit, je le répète, 10 % de nos recettes.
Telle est l'économie générale de RTE.
Quelle est maintenant notre mission ? Elle est non seulement de développer et d'entretenir le réseau, mais aussi d'assurer l'équilibre entre l'offre et la demande, bien que RTE ne soit ni producteur ni consommateur. En effet, l'électricité ne se stocke pas, c'est une vérité électrotechnique. Il faut donc assurer de manière instantanée l'équilibre entre l'offre et la demande.
Comment assurer cet équilibre, sachant qu'il y a des aléas aussi bien du côté de l'offre que du côté de la demande ?
Chaque fournisseur sur le marché est tenu de donner au réseau autant d'énergie que ses clients sont censés en consommer ; j'ai bien dit « sont censés en consommer », puisque la consommation n'est jamais prévisible avec une certitude absolue. Les fournisseurs satisfont à cette exigence soit avec leurs propres moyens de production, soit grâce à des contrats passés avec d'autres producteurs ou en achetant de l'électricité à l'étranger. Ils fournissent donc a priori à RTE autant d'énergie que ses clients en consomment. En réalité, il existe toujours un écart, par exemple parce que la température est inférieure de 1°C ou de 2°C à la prévision, parce que la nébulosité n'est pas celle qui était attendue, parce qu'une usine s'arrête, etc.
Il faut donc compenser cet écart. C'est à RTE qu'incombe cette responsabilité. Nous le faisons à partir des moyens que nous pouvons mobiliser, la loi faisant obligation aux producteurs de nous déclarer toutes leurs capacités disponibles. Malgré tout, ils sont libres de leurs prix. C'est une façon de concilier libéralisme et dirigisme : le dirigisme tient à l'obligation de déclarer les capacités, le libéralisme à la libre détermination du prix. Un producteur qui n'aura pas envie d'être sollicité proposera un prix élevé, mais un producteur dont l'installation ne fonctionnera qu'à 80 % de ses capacités aura tendance à vouloir la faire fonctionner à 100 %, puisque le coût marginal est faible, et donc à proposer un prix attractif.
RTE peut également recourir à des effacements, c'est-à-dire procéder à une diminution de la consommation. De gros consommateurs industriels peuvent accepter - mais cela a un coût - d'arrêter leur production ou de démarrer des moyens de production autonome. Il existe aussi maintenant des agrégateurs d'effacement, c'est-à-dire des opérateurs qui fédèrent des effacements, y compris de consommateurs domestiques, dont la somme est significative pour RTE, notamment pour les moyens de pointe, sujet que j'aborderai dans quelques instants.
Cet ajustement, soit par des productions supplémentaires, soit par des effacements, est réalisé par RTE de manière instantanée.
Néanmoins, nous ne sommes que des greffiers : nous mobilisons les moyens, puis nous reconstituons en essayant de rendre à César ce qui lui appartient : si on a dû mobiliser des moyens, c'est que certains fournisseurs n'ont pas apporté assez d'énergie au réseau par rapport à la demande de leurs clients, et inversement. Nous réconcilions ces écarts - c'est le mécanisme d'ajustement - en faisant payer l'énergie que nous avons dû acheter à ceux qui n'en ont pas produit assez et en rémunérant ceux qui ont fourni plus d'énergie que ce qui leur était demandé pour leurs propres clients. Je n'entrerai pas dans le détail, mais il existe un système qui permet d'éviter que certains fournisseurs soient systématiquement trop « longs » ou trop « courts ».
C'est là une de nos missions importantes, celle sur laquelle nous sommes jugés : si nous ne parvenons pas à l'assurer, l'autre façon d'ajuster l'offre à la demande est de réduire celle-ci, non de manière volontaire par un effacement, mais par des délestages. On déleste quand on ne peut plus assurer par des moyens de production les compléments nécessaires ou à défaut d'effacement volontaire. Pour éviter un effondrement ou un déséquilibre important du réseau, on déleste grâce à des automates qui répartissent la consommation : sont bien entendu d'abord effacées les consommations non prioritaires. Ce moyen de dernier recours a été utilisé pour la dernière fois en France en novembre 2006, à la suite d'un incident.
Y a-t-il des périodes plus cruciales que d'autres ? Oui, les périodes de pointe sont celles qui demandent le plus de vigilance. Il ne faudrait pas en tirer la conclusion que ce sont nécessairement les seules périodes dangereuses pour l'équilibre entre l'offre et la demande. D'ailleurs, les grands incidents, en France, en Europe ou dans le monde, ne sont pas forcément survenus en période de pointe. Le 4 novembre 2006, nous n'étions pas en période de pointe : un soir de week-end, quelque part en Allemagne, un de nos collègues a pris une mauvaise décision et interrompu une ligne importante afin de permettre la sortie d'un bateau dont la construction venait d'être achevée dans un chantier naval. Pour éviter la formation d'un arc électrique entre le mât de ce bateau et la ligne, il a coupé la circulation d'électricité non pas à une heure du matin, comme prévu, mais à dix heures du soir, parce que le capitaine du navire, craignant que la mer ne soit pas bonne, a voulu sortir plus tôt. À dix heures du soir, le système électrique n'avait pas la même configuration qu'à une heure du matin. En interrompant cette ligne, notre collègue allemand a provoqué, par un effet de dominos, des surcharges sur d'autres lignes, qui ont les unes après les autres disjonctées. Toute la partie est de l'Europe s'est trouvée coupée de la partie ouest. Manque de chance, à ce moment-là, la partie est était exportatrice d'environ 10 000 mégawatts vers la partie ouest.
Les mécanismes de compensation automatique sur l'ensemble de la plaque continentale tolèrent des variations pouvant aller jusqu'à 3 000 mégawatts, mais aucun moyen ne permet de compenser une variation de 10 000 mégawatts. Les systèmes de délestage ont pris le relais : faute de pouvoir augmenter la production au bon niveau, la consommation a été abaissée pour arriver à l'équilibre et reconstruire le réseau. Il y a donc eu sur l'Europe de l'Ouest un délestage qui a concerné au total environ 15 millions de consommateurs, en France, mais aussi en Belgique, en Espagne et jusqu'au Maroc, pays qui est également interconnecté. Ce délestage a permis de réajuster l'offre et la demande en moins de deux heures. Ensuite, progressivement, des moyens de production supplémentaires, notamment hydrauliques, à démarrage très rapide, ont pu être mis en place pour remonter la production et reconstituer le réseau.
Nous ne sommes pas à l'abri d'incidents de ce type. En l'occurrence, le 4 novembre 2006, il résultait d'une erreur de manipulation ou d'une prise en compte insuffisante des conséquences de la coupure d'une ligne sur les réseaux voisins.
Vous m'avez demandé si le développement de l'interconnexion n'était pas de ce fait risqué. Même si cet incident a bien été l'« exportation » d'un geste professionnel inadapté de l'Allemagne vers les autres pays, ma réponse est catégoriquement non.
Aujourd'hui, et de manière quotidienne, la synchronisation des réseaux permet, à l'insu du consommateur final, de compenser d'éventuelles variations : centrales qui s'arrêtent brutalement de fonctionner, sautes de vent pour la production éolienne, etc. Tous ces incidents sont absorbés par la synchronisation des réseaux : plusieurs fois par jour, des actions de solidarité permettent la continuité de l'alimentation. Il y a eu un seul problème en cinq ans, qui s'est traduit par des délestages, et j'espère même que la probabilité d'un tel événement baissera à l'avenir. En tout cas, la balance est selon moi clairement positive.
Les risques vont-ils s'accroître dans les années à venir ? Oui, parce que les marges dont disposent l'ensemble des opérateurs électriques ont tendance à se réduire. Il est plus difficile de construire de nouvelles installations, quelles qu'elles soient. Il est surtout plus difficile de réaliser de nouvelles lignes électriques. Certes, je prêche pour ma paroisse, mais je n'ai pas honte de le faire.
Cet état de fait tient, sans doute, à plusieurs éléments.
Premièrement, on a de plus en plus de mal à convaincre nos concitoyens - mais on n'utilise peut-être pas les bons arguments - de la nécessité de continuer à renforcer et à développer le réseau. Certes, nous menons des actions pour réduire les pointes, ce qui favorise la diffusion de l'idée selon laquelle finalement la consommation d'électricité n'aurait pas vocation à croître indéfiniment ; par conséquent, si le régime était appelé à se stabiliser, il ne serait pas nécessaire de renforcer le réseau.
Or nous n'avons pas encore totalement réussi à freiner la progression de la pointe, du moins en France. Il faut poursuivre les efforts en ce sens mais pour l'heure il y a toujours une progression. De plus, la géographie tant des points de consommation que des points de production de l'énergie électrique est en perpétuelle évolution. En matière de consommation, l'inertie est forte, mais des zones industrielles se développent néanmoins, pas forcément à proximité des anciennes zones industrielles, et notre vocation est bien de les alimenter, où qu'elles soient.
Deuxièmement, il existe des projets ambitieux partout en Europe, notamment pour le développement des ENR, les énergies renouvelables, dont la localisation est liée à la présence de la ressource, qui n'a pas de raison de coïncider avec la localisation historique des moyens de production classiques. C'est vrai pour l'éolien offshore, pour lequel il est nécessaire de développer un réseau de toutes pièces, mais c'est vrai également dans une certaine mesure pour l'éolien classique, qui se met en place sur des sites où il y a de la ressource, où les conditions d'acceptation sont satisfaisantes, mais où le réseau n'est pas nécessairement au niveau voulu. Il faut donc développer le réseau. Ce raisonnement, facilement compris par ceux qui s'intéressent, comme vous, au sujet, n'est pas toujours aisément admis par nos concitoyens.
Par conséquent, nous devons faire preuve d'imagination et trouver des solutions innovantes. Je pense, bien sûr, à la mise en souterrain des ouvrages, qui résout un problème esthétique, mais se traduit aujourd'hui par des surcoûts importants ; j'y reviendrai.
Les périodes de pointe posent également problème en ce que les marges sont alors plus réduites. En France, au mois de février dernier, nous avons dépassé les 100 000 mégawatts. Nous étions aux alentours de 102 000 mégawatts de puissance de pointe. Sa progression a été de 30 % en vingt ans, soit une croissance plus rapide que celle de la consommation moyenne. Pourquoi ? Parce que notre pays a connu un développement important des usages thermiques de l'électricité - du chauffage électrique -, notamment pour la consommation domestique. Cela entraîne une forte sensibilité de la consommation d'électricité à la température. À l'heure actuelle, on considère que cette sensibilité est de 2 300 mégawatts par degré en moins : 10° C de moins que la température normale saisonnière, cela représente 23 000 mégawatts de plus de consommation, avant mesures d'effacement et d'incitation.
D'autres pays ont fait des choix différents. C'est le cas de la plupart de nos voisins. Je pense au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, à l'Allemagne, qui ont plutôt opté pour le chauffage au gaz. Leur consommation de gaz présente une forte sensibilité à la température. Vous vous souvenez peut-être, d'ailleurs, que durant la première quinzaine du mois de février, lors de la vague de froid, Gazprom s'était estimé dans l'incapacité d'assurer la fourniture de gaz à l'Union européenne.
La spécificité française - c'est une question de politique énergétique - a conduit à un fort développement du chauffage électrique, qui nous rend très sensibles aux variations de température. Cela explique sans doute que la progression que j'ai évoquée soit importante, même si d'autres aspects ne sont pas à négliger.
La pointe de consommation intervient avec une quasi-régularité de métronome à 19 heures, car notre société est de plus en plus grégaire ; les gens ont tendance à faire à peu près les mêmes choses en même temps. À 19 heures, les restaurants commencent à ouvrir, même si d'autres commerces ferment, de nombreuses personnes sont dans le métro, certaines se trouvent chez elles, prennent une douche, allument la télévision, rechargent leurs appareils mobiles, etc. Il y a une concentration. Cela signifie qu'en l'espace d'une heure, entre 18 heures 30 et 19 heures 30, la consommation peut varier de 2 000 mégawatts à 3 000 mégawatts, simplement par un effet de concentration des usages.
RTE est donc tenu, en tant que transporteur, de même que l'ensemble des producteurs en tant que fournisseurs d'énergie, de dimensionner ses équipements à ces besoins. Dimensionner les équipements, ce n'est pas seulement disposer de moyens de production ; cela peut être, aussi, disposer d'interconnexions, même si, globalement, le système électrique français est exportateur net. En 2010, nous avons exporté 55 milliards de kilowattheures. La consommation nationale est de l'ordre de 500 milliards de kilowattheures. Nous avons donc exporté 11 % de notre production d'électricité. Certes, nous n'avons pas été toutes les heures ou tous les jours de l'année exportateurs : il y a aussi des jours où nous avons été importateurs, notamment en hiver et durant les périodes de pointe.
Lors de la pointe du 8 février dernier, le volume d'importation atteignait, de mémoire - ce chiffre doit être confirmé -, environ 8 000 mégawatts pour une consommation totale de 102 000 mégawatts, soit à peu près 7 % de la consommation.
Cela ne veut pas nécessairement dire que nous étions en pénurie physique à hauteur de 8 000 mégawatts. Cela signifie qu'au moment de la pointe un certain nombre d'opérateurs ont trouvé à l'étranger des kilowattheures moins chers que ceux qu'ils auraient pu produire ou acheter sur le territoire national, ce qui était assez logique puisqu'il s'agissait d'une période de tension par rapport à la demande : tous les moyens disponibles ont été mis sur le marché, mais à un coût croissant. Il suffisait que nos voisins disposent de moyens de production à coût marginal faible, par exemple à partir d'énergies renouvelables, pour que les opérateurs aient intérêt à acheter de l'électricité à l'étranger plutôt que de la produire en France, pour autant, évidemment, que les capacités d'importation soient suffisantes. À cet égard, nous leur avons indiqué qu'il était possible d'importer en pointe jusqu'à 9 000 mégawatts, 10 000 mégawatts au grand maximum, mais pas au-delà. C'est la contrainte que nous avons posée.
De quels pays avons-nous importé ? De tous les pays voisins, y compris l'Allemagne. Nous avons dû rester exportateurs à la pointe à l'égard de la Suisse et sans doute de l'Italie.
Permettez-moi néanmoins d'insister sur un point : à l'heure actuelle, les échanges en Europe se font sur des bases commerciales.
Bien sûr, il existe des limitations physiques aux capacités d'exportation ou d'importation puisque nous ne nous trouvons pas sur une plaque de cuivre, mais en tout état de cause ces échanges sont fondés sur la disponibilité ou sur les prix relatifs. Quand la demande est forte en France, les prix y sont élevés : il est compréhensible que l'on puisse alors trouver des tarifs plus attractifs à l'étranger.
Vous avez demandé si nous préconisions de limiter l'ampleur du phénomène. La réponse est oui. Pour son confort d'exploitant, il est important que RTE ne se trouve pas dans des situations de tension, notamment en Bretagne et dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, plus particulièrement dans le Var et les Alpes-Maritimes, où l'état de développement du réseau ne permet pas d'assurer, en toutes conditions, un bon approvisionnement.
RTE a donc lancé, avec les partenaires régionaux, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, et nos collègues d'ERDF, Électricité réseau distribution France, les actions « ÉcoWatt Bretagne » ou « ÉcoWatt Provence Azur », qui consistent à adresser aux consommateurs volontaires, en général la veille pour le lendemain, une alerte selon un code de couleurs facile à mémoriser. Ces messages, envoyés par messagerie électronique ou par SMS, les informent de la survenue d'une période de pointe et sont assortis d'un certain nombre de conseils pour limiter la consommation ou la reporter à des heures moins chargées.
Nous devons continuer à oeuvrer en ce sens. En Bretagne, plus de 40 000 personnes ont adhéré à ce système. Il faut ensuite évaluer sa contribution à la réduction de la pointe. On estime qu'elle est sans doute de l'ordre de 1 kilowatt par volontaire : cela correspond à un convecteur laissé éteint dans une pièce inoccupée, à un repassage ou à une lessive différé. Pour 40 000 adhérents, le gain est donc de 40 mégawatts. Ce n'est pas grand-chose, mais dans la mesure où c'est toujours la dernière goutte qui fait déborder le vase, RTE est preneur de ces mobilisations de consommateurs, non rémunérées et fondées sur le volontariat.
Il y a d'autres moyens d'inciter les gens à réduire leur consommation en période de pointe. Je pense aux méthodes tarifaires, mais c'est l'affaire des producteurs ou des fournisseurs, pas la nôtre. Il existe toujours des tarifs « effacement jour de pointe » pour certains producteurs. Je pense également aux économies structurelles, c'est-à-dire à une meilleure isolation des logements, afin qu'ils consomment moins, à la pointe comme durant d'autres périodes.
Il y a enfin - j'en ai parlé tout à l'heure - les effacements commerciaux, réalisés par des opérateurs agrégateurs d'effacements individuels qui proposent à RTE et à des fournisseurs d'énergie des blocs d'effacements obtenus par des systèmes de télécommande ou de radiocommande.
J'ai passé beaucoup de temps sur la quatrième question. Je vais maintenant répondre aux autres questions dans l'ordre où elles m'ont été posées.
Premièrement, le niveau actuel du tarif d'utilisation des réseaux publics est-il bien en ligne avec les investissements ?
Nos investissements au cours des cinq dernières années ont doublé en euros courants. Ils sont passés de 770 millions d'euros en 2006 à une prévision de 1,38 milliard d'euros en 2012. Avec l'inflation, cela fait un peu moins en volume. Pourquoi ont-ils doublé ? Parce que nous devons faire face à des besoins supplémentaires en matière de renforcement du réseau, liés à la modification de la géographie des moyens de production. Je reviendrai sur l'estimation relative au renforcement du réseau lié aux objectifs du Grenelle de l'environnement en matière d'éolien.
Deuxièmement, nous devons renforcer les interconnexions. C'est nécessaire, voire indispensable, en termes de sécurité d'alimentation. J'y reviendrai tout à l'heure.
Troisièmement, il faut faire face au renouvellement de nos 100 000 kilomètres de réseau. Nous mettons en service, bon an mal an, moins de 1 000 kilomètres de réseau par an. À ce rythme, le renouvellement prendra un siècle. Nos lignes sont bien construites, robustes, elles sont entretenues, les pylônes sont repeints, mais cent ans, c'est un grand âge ! Le rythme du renouvellement ne pourra donc que s'accentuer. À ce stade, nous ne courons pas de risque, car une grande partie du réseau est encore récente. Le réseau à 400 000 volts a été mis en service dans les années quatre-vingt : il a trente ans, c'est un réseau jeune. Néanmoins, il faudra un jour ou l'autre envisager son renouvellement.
À partir de 2007, période basse, nous avons donc considéré qu'il fallait accroître le rythme d'investissement. Cette donnée, pour répondre à votre question, a été prise en compte dans le TURPE 3. Le « juge de paix », ce sont nos résultats, qui doivent rester positifs. Certes, c'est une façon très grossière d'apprécier les choses, mais si les tarifs n'avaient pas été convenables, nous n'aurions pas eu entre 200 millions et 300 millions d'euros de résultats. De mon point de vue, le calage des tarifs est satisfaisant.
À cet égard, il y a d'autres indicateurs. Notre endettement a repris. Quand RTE a été créé, en 2000, son endettement était de 8 milliards d'euros. Il a diminué en 2006, pour tomber à 6 milliards d'euros. Aujourd'hui, il est de 7 milliards d'euros. Cependant, c'est de la bonne dette, puisqu'elle est destinée non à financer des déficits, mais à soutenir des investissements qui constituent la « base d'actifs régulés » de RTE.
Notre tarif est calculé pour couvrir nos dépenses d'exploitation et rémunère notre capital investi à hauteur de 7,25 %. Par conséquent, nos investissements entrent dans la « base d'actifs régulés » pour laquelle l'autorité de régulation autorise une rémunération des capitaux investis.
S'agissant du TURPE 3, je ne dirai pas que je suis un opérateur heureux. Là aussi, nous avons des discussions avec le régulateur sur un certain nombre de points. Certaines régulations dites « incitatives » ne nous paraissent pas si incitatives que cela, mais j'y reviendrai.
Quelles sont les perspectives en ce qui concerne le TURPE 4, tarif qui devrait prendre effet à compter de juillet 2013 ? Ce tarif fera l'objet d'une proposition de la part du régulateur. Nous sommes en discussion. Je ne saurais préjuger le résultat, mais je puis faire état des demandes formulées par RTE.
Nous considérons qu'il faudra maintenir le rythme d'investissement, voire l'accentuer légèrement, pour renforcer à la fois les interconnexions - je donnerai quelques arguments pour expliquer en quoi cela est nécessaire - et le réseau en vue d'une transition énergétique, quelle qu'elle soit.
Nous pensons qu'il faudra sans doute atteindre en euros courants des niveaux compris entre 1,5 milliard et 1,6 milliard d'euros d'ici à 2015. Nous sommes actuellement à 1,38 milliard d'euros. La tendance est donc plutôt à la hausse.
En termes de tarif, cela devrait se traduire, si l'on veut maintenir les ratios d'endettement et les résultats à des niveaux comparables à ceux d'aujourd'hui, par une progression de 3 %, soit l'inflation plus 1 point dans une hypothèse où l'inflation s'établirait à 2 %.
Oui, mais nous avons fondé nos calculs sur une hypothèse de 2 %.
À cela s'ajoute un problème technique de rattrapage. Je n'entrerai pas dans les détails, mais le régulateur prend en compte dans notre tarif actuel un certain nombre de paramètres, tel le coût des pertes. Cela répond à une de vos questions. Nous achetons sur le marché sans savoir à l'avance quel sera ce coût, et le tarif est donc fondé sur des hypothèses. Un mécanisme de correction intervient ensuite en fonction de la réalité économique constatée : si le tarif nous a été trop favorable, nous sommes débiteurs à l'égard du consommateur ; si au contraire le paramètre considéré a été sous-évalué, nous sommes créditeurs. Ce mécanisme, assez simple même s'il paraît de prime abord compliqué, permet de corriger dans la limite de plus ou moins 2 % les écarts entre les paramètres théoriques et les paramètres réalisés.
Au cours de la période tarifaire précédente, qui s'est terminée en 2007, on a cumulé les écarts pendant trois ans. Les paramètres nous ayant été trop favorables, nous avions accumulé un excédent de recettes de 800 millions d'euros. Le régulateur nous a demandé, à juste titre, de les restituer au consommateur, ce que nous faisons à raison de 200 millions d'euros par an au travers des tarifs. Cela signifie que quand nous aurons fini de rembourser, à la fin de la période tarifaire, il faudra remonter le tarif au niveau antérieur.
Le chiffre d'affaires de RTE étant de 4 milliards d'euros, 200 millions d'euros représentent quasiment 5 % de celui-ci. Cette « marche d'escalier » pour recaler le tarif à un niveau permettant de refléter les coûts pourrait peut-être être étalée sur une ou deux années. Cela vient s'ajouter aux chiffres que j'indiquais tout à l'heure.
Pourquoi investir sur les réseaux ?
Tout d'abord, je l'ai souligné tout à l'heure, il faut suivre le mouvement, qui est lent, de l'évolution de la consommation. Certaines régions sont économiquement plus dynamiques que d'autres et leur consommation d'électricité progresse plus vite. Ainsi, en Bretagne, le taux de croissance de la consommation d'électricité depuis vingt ans est supérieur de 1 point à la moyenne nationale ; c'est le résultat du développement des PME et de l'activité économique. Dans d'autres régions - je pense à la région PACA -, c'est plutôt le tourisme ou l'installation des retraités qui sont en cause. Toujours est-il que, là aussi, la consommation d'électricité croît plus vite qu'ailleurs.
On peut estimer que 1 % par an, ce n'est pas beaucoup, mais au bout de vingt ans, cela représente une hausse d'un peu plus de 20 %. Il faut donc investir dans ces régions.
Deuxièmement, il faut renforcer les interconnexions. Oui, je suis favorable au développement des interconnexions. Pourquoi ? Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, organiser une vaste zone synchrone est le meilleur moyen d'amortir les chocs. Par exemple, en France, l'arrêt d'une tranche nucléaire représente une perte de puissance de 1 000 mégawatts, sur une puissance totale de 60 000 mégawatts ces jours-ci - 100 000 mégawatts correspondant à la puissance de pointe. On perd donc approximativement 1,5 % de la puissance. Si nous nous trouvons dans un ensemble interconnecté, ce qui est le cas au niveau de l'Europe continentale, la puissance totale de la production est de l'ordre de 800 000 mégawatts, soit plus de dix fois la taille du parc français. Nul besoin d'être un grand spécialiste de l'électrotechnique, ce que je ne suis pas au demeurant, pour comprendre que l'interconnexion permet un amortissement des variations. J'ai pris l'exemple de l'arrêt d'une tranche nucléaire, mais il pourrait s'agir de celui d'un champ éolien ou d'une centrale classique, voire d'un grand barrage à cause d'un incident.
Par conséquent, l'intérêt de l'interconnexion est la mutualisation des moyens. C'est également un facteur absolument indispensable pour le développement des énergies renouvelables. J'entends parfois dire que le développement des énergies renouvelables signifie la fin des grands réseaux : grâce aux énergies diffuses, on produira et on consommera sur place. Cette idée, éminemment sympathique, est en complet décalage avec la réalité ; elle le sera d'autant plus que les objectifs fixés en matière de développement des énergies renouvelables seront ambitieux. Le dernier appel d'offres lancé par le Gouvernement pour l'éolien offshore porte sur cinq sites de 500 à 600 mégawatts, avec des points d'atterrage, c'est-à-dire de raccordement. Or 500 mégawatts, c'est la puissance d'un cycle combiné à gaz. Les problèmes à régler pour le raccordement au réseau seront tout à fait les mêmes que pour l'implantation d'un nouveau cycle combiné. Il faudra donc développer le réseau.
Vous avez également soulevé la question de l'intermittence, à laquelle je vais essayer de répondre rapidement. C'est une question récurrente, plus souvent évoquée par les opposants aux énergies renouvelables que par leurs partisans. Les énergies renouvelables sont intermittentes. Pour moi, ce n'est ni une qualité ni un défaut, c'est une caractéristique. Leur production est liée à des facteurs souvent météorologiques, qui ne sont prévisibles que dans une certaine limite et qui ne sont pas corrélés avec les variables qui guident l'évolution de la consommation.
Comment résoudre cette difficulté ? Je vois trois solutions.
La première solution, c'est le stockage d'énergie. C'est selon moi la bonne solution à terme, mais il faudra trouver les structures adéquates, des technologies fiables, utilisables à des coûts raisonnables. Il faut absolument intensifier les recherches dans ce domaine. Aujourd'hui, nos ressources en la matière sont essentiellement le stockage sous forme hydraulique. Il s'agit d'une bonne technologie, mais dont l'emploi exige certaines caractéristiques en termes de sites.
La deuxième façon de traiter le problème de l'intermittence, c'est le développement des réseaux. Je prendrai un exemple : le Danemark a une capacité d'interconnexion avec ses voisins de 5 000 mégawatts, égale à sa puissance de pointe. Cela signifie qu'à certains moments, si le vent ne souffle pas au Danemark, ce pays peut importer la totalité de son énergie de l'étranger. Quand il y a du vent, il peut aussi exporter quasiment la totalité de sa production.
La France ne peut pas, compte tenu de sa taille, faire la même chose, car elle dispose de 100 000 mégawatts de puissance installée. Nos capacités d'interconnexion sont de l'ordre de 10 000 mégawatts : on ne peut pas les multiplier par dix, mais il convient de les renforcer.
La troisième voie pour résoudre le problème de l'intermittence consiste à développer des moyens de compensation. Quand la ressource éolienne ou photovoltaïque, par exemple, fait défaut, on doit pouvoir démarrer d'autres moyens de production. Vous m'avez interrogé sur la méthanisation. J'ignore s'il s'agit nécessairement d'une des bonnes options, mais effectivement certaines personnes songent à utiliser l'électricité en surplus pour fabriquer de l'hydrogène par électrolyse, afin soit de récupérer cet hydrogène, soit de refaire ensuite de l'électricité. C'est sans doute une solution qui mérite d'être étudiée et qui permettrait de lisser les besoins.
Vous m'avez interrogé sur les projets de centrales photovoltaïques au Sahara. De tels projets ont été développés d'abord par les Allemands avec Desertec, puis en France par le consortium Medgreen, avec cette différence importante que Medgreen s'intéresse davantage aux interconnexions. Développer les interconnexions sera toujours utile, surtout si l'on réalise des investissements durables.
La question était de savoir si, selon vous, ce projet était sérieux ou pas.
Dans l'absolu, les pertes de transport sont de l'ordre de 2 % de la consommation.
C'est une moyenne. Comme le réseau de RTE est maillé, je ne suis pas en mesure de vous dire si la consommation de Paris est assurée par la centrale de Gravelines ou par le barrage de Bissorte. Ce que je puis affirmer, c'est que, en moyenne, pour une consommation de 100, il faut injecter 102 dans le réseau.
Vous répondez précisément à la question précédente sur les pertes en ligne.
Le législateur a prévu que nous achetions les pertes. Le consommateur qui a besoin de 100 mégawattheures achète 100 mégawattheures, mais pour lui fournir cette quantité d'électricité, il faut injecter 102 mégawattheures dans le réseau. C'est RTE qui paye les 2 mégawattheures de pertes et qui répercute ce coût dans ses charges. Cela représente 20 % de nos charges : 20 % du coût du transport est constitué par la compensation des pertes.
Oui, les pertes représentent 2 % en volume et 20 % en termes de coût du transport.
Je n'ai pas à répondre pour mes collègues de la distribution, que vous entendrez peut-être. La distribution, elle, supporte 5 % de pertes, parce que l'électricité est distribuée à des niveaux de tension plus bas et que les pertes sont inversement proportionnelles au carré de la tension. Les pertes sont donc plus importantes à basse tension. Par ailleurs, nos collègues de la distribution ont un réseau « chevelu ». Quoi qu'il en soit, le principe est le même : ce sont eux qui achètent les pertes. De ce fait, ERDF et RTE sont aujourd'hui les plus gros acheteurs d'électricité sur le marché français.
Votre question portait sur le cas d'une liaison point à point entre Marseille et le Sahara.
Effectivement, il y aurait des pertes, liées à la résistance électrique. Si l'on opte pour un câble comportant beaucoup de cuivre, les pertes seront moins importantes, mais produire du cuivre consomme de l'énergie. Pour un calcul complet sur ce sujet, il faudrait s'adresser à M. Jancovici. (Sourires.) Cela étant, des liaisons sont aujourd'hui exploitées convenablement, par exemple entre la Norvège et les Pays-Bas, sur 600 kilomètres, point à point, grâce à un câble sous-marin, en courant continu, avec des pertes qui doivent être de l'ordre de 3 %.
Très bien, je vous remercie de votre réponse.
Je souhaiterais des précisions sur deux points très techniques.
Vous avez expliqué, au début de votre audition, que RTE n'est pas simplement un transporteur, mais est aussi un régulateur.
Au sens physique du terme, pas au sens juridique. Nous sommes des « équilibreurs ».
Pour les écarts.
Je m'explique. Sur le marché, les fournisseurs ont un portefeuille de clients. Je prendrai l'exemple de la société mère, que je connais bien. Elle a un parc de production, des clients, des centrales ; elle peut également acheter à d'autres producteurs et à l'étranger. La règle de base est qu'elle doit nous fournir ex ante autant d'énergie que son portefeuille de clients est censé en consommer.
Tout à fait. Néanmoins, dans la pratique, comme je l'ai souligné, il existe toujours des écarts, que nous sommes chargés de compenser. Un nuage sur Paris, c'est quelquefois 500 mégawatts de plus en éclairage !
RTE est chargé de réaliser cet ajustement. C'est ce que l'on appelle le « mécanisme d'ajustement ». Comme vous le dites, nous annonçons qu'il manque 500 mégawatts et nous faisons appel, dans l'ordre, aux mieux-disants sur une liste de propositions.
Je vous remercie de cette précision. Vous gérez donc les écarts entre le prévisionnel et la situation réelle ?
Exactement, et ce dans les deux sens : il peut aussi y avoir un excès de production.
Le transport d'électricité est-il mesuré toutes les minutes, toutes les heures ?
Je serais ravi d'inviter les membres de votre commission d'enquête à visiter notre centre de pilotage de Saint-Denis,...
où 30 000 informations sont rafraîchies toutes les secondes. Ces informations portent sur les caractéristiques du réseau, sur la tension, sur l'intensité, puisqu'il y a des limites physiques, sur la situation dans les aiguillages que sont les postes. Notre responsabilité est d'optimiser ce dispositif et de veiller à la sécurité, donc à la redondance du schéma.
Ce sont souvent nos ordinateurs qui le font. J'ai évoqué tout à l'heure les automates. Par exemple, une décision de délestage n'est pas prise par un opérateur. La procédure est prévue, programmée. Bien sûr, il y a intervention humaine afin de réfléchir à l'étape suivante, à savoir la reconstitution des réserves. Certaines décisions, qui doivent être prises très rapidement, ne peuvent pas faire l'objet de cogitations ou de consultations : elles doivent être arrêtées automatiquement. L'intelligence humaine intervient ensuite pour reconstituer, réparer.
Cependant, il y a toujours des imprévus et les programmes informatiques ne peuvent couvrir tous les cas de figure. C'est heureux, car sinon nous vivrions dans un monde artificiel. L'intervention humaine demeure. Nous ne sommes d'ailleurs pas allés très loin dans l'élaboration de ce que les spécialistes appellent les « systèmes experts », qui assurent une sorte de pilotage automatique, comme dans les avions. Nous n'avons pas de tels systèmes, nous avons des automates, ce qui est différent. Un automate fonctionne plutôt comme un disjoncteur, en cas de tension excessive. Mais il y a toujours une présence humaine, sauf pour certains gestes professionnels dont le délai d'exécution est de l'ordre de la milliseconde.
Laurence Rossignol, Ronan Dantec, Jean-Pierre Vial, Jean-Claude Requier et Claude Léonard ont des questions à vous poser, monsieur Maillard.
J'abuserai néanmoins de ma position de président pour vous poser les deux premières.
L'éolien offshore va être développé assez rapidement. Vous avez évoqué l'ampleur des investissements à réaliser pour relier les cinq sites dont la production variera entre 500 et 600 mégawatts.
Première question, j'ai cru comprendre que ces investissements ne seraient pas à la charge de RTE, mais incomberaient aux opérateurs se portant candidats, même si les travaux seront réalisés par RTE, seul compétent en termes de maîtrise d'ouvrage dans ce domaine.
Confirmez-vous cette information ?
Seconde question, l'éternel problème des régions PACA et Bretagne devient dramatique. Vous ne nous rassurez pas en nous disant que, de surcroît, dans ces deux régions la croissance de la consommation d'électricité est plus rapide qu'ailleurs. Le TURPE 4, qui couvrira la période 2013-2016, tient-il compte des investissements qui seront nécessaires pour transporter l'électricité vers ces deux régions ?
Question subsidiaire : des surcoûts apparaissent au fil du temps, liés à des difficultés de transport en région PACA ou au refus des Bretons de voir n'importe quoi s'installer n'importe où. Qui va payer, sinon l'ensemble des consommateurs français ? Ces surcoûts sont-ils bien prévus dans le TURPE 4 ?
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Je voudrais poser trois questions.
Premièrement, où en êtes-vous pour la ligne Cotentin-Maine ? Quels obstacles rencontrez-vous ? Qu'en est-il de l'acceptation de sa réalisation ? Quid également de l'adéquation des divers calendriers censés se combiner pour la création de cette ligne ?
Deuxièmement, quel diagnostic faites-vous sur les questions environnementales, les problèmes de nuisances et de troubles sanitaires divers liés aux lignes à haute tension ? Je n'ai pas de religion sur le sujet, mais j'imagine que vous devez disposer de quelques pistes. Quelles sont-elles ?
Troisièmement, que recouvre pour vous le vocable « Europe de l'énergie » ? Quelle place occupe la question des réseaux ? Vous avez abordé ce point en évoquant les interconnexions. Il s'agit d'une vaste question, pour laquelle j'accepterais une réponse écrite.
Je poserai deux questions.
Premièrement, j'aimerais vous entendre sur le transfert de la moitié du capital de RTE au fonds dédié au démantèlement des centrales nucléaires. On voit bien l'intérêt de cette écriture comptable pour EDF dans le calcul de son endettement. Quelles en seront les conséquences pour RTE à court et à long termes ? Imaginons que le fonds ne soit pas assez abondé : RTE sera-t-il demain affecté par ce jeu d'écritures ?
Deuxièmement, vous avez expliqué que RTE devait acheter de l'électricité et sélectionner des fournisseurs, y compris au niveau européen, et que l'interconnexion se développera - je partage d'ailleurs votre analyse. Actuellement, la puissance crête de l'interconnexion est de 10 000 mégawatts. À combien s'élèvera-t-elle demain : à 20 000 mégawatts, à 30 000 mégawatts ?
Oui, à l'horizon de 2025.
Cela peut dépendre des hypothèses sur les mix énergétiques de nos voisins. Nous construisons des lignes à la fois pour la France, mais aussi pour l'Europe.
Il y aura donc a priori doublement de la puissance crête de l'interconnexion. Cela devrait plutôt influer à la baisse sur le prix de l'électricité, dans le cadre d'un marché européen de plus en plus ouvert puisque telle est clairement la volonté de l'Europe.
Dans cette perspective, certaines structures qui jouent un rôle important, pas seulement au moment des pics de consommation - je pense à la centrale de Cordemais, en Bretagne, qui fonctionne au charbon -, seront-elles encore compétitives demain, y compris en périodes de pointe ? RTE n'aura-t-il pas tout intérêt à recourir au grand éolien scandinave ou espagnol, sauf bien sûr s'il n'y a pas de vent ? On ne pourra pas garder des structures aussi importantes que la centrale que j'ai évoquée si elles doivent fonctionner seulement quelques heures par an. Vous devez donc obligatoirement avoir dans vos cartons des études prospectives sur le prix de l'électricité à moyen terme dans le cadre du développement de l'interconnexion. Comment envisagez-vous l'évolution du prix de l'électricité et des grandes structures de production ?
Je poserai quatre questions.
Premièrement, en ce qui concerne l'interconnexion, nous avons bien compris les enjeux liés à vos investissements. Mais certaines interconnexions sont liées à des situations géographiques difficiles. En ma qualité d'élu savoyard, j'évoquerai les Alpes et, par solidarité montagnarde, les Pyrénées. Aujourd'hui, le franchissement de ces massifs n'est possible que dans le cadre de grands ouvrages. Un plan existe-t-il pour permettre à RTE de se caler sur ces grands programmes, prévus sur quinze ou sur vingt ans ?
Deuxièmement, s'agissant du TURPE, nous avons bien compris que, notamment pour le prix du transport, le principe de ce que l'on appelle le « timbre poste » prévalait. Il n'en demeure pas moins que pour le stockage beaucoup de pays voisins font bénéficier les utilisateurs d'un tarif préférentiel - je ne dirai pas de la gratuité - afin de favoriser cette pratique. Ce n'est pas le cas en France, ce qui pénalise considérablement le stockage. Dans le cadre du TURPE 4, avez-vous envisagé une évolution ?
Troisièmement, en ce qui concerne l'effacement, je me félicite de l'évolution que vous avez décrite, permettant aujourd'hui la croissance du marché capacitaire, croissance qui demeure cependant très faible puisque, sauf démenti de votre part, elle n'est que de 1 à 1,5 gigawatt par an. Les capacités que vous offrez sont en gros de 400 mégawatts, or le gisement est estimé entre 5 et 7 gigawatts. Que comptez-vous faire pour mieux l'exploiter ?
Quatrièmement, on parle fréquemment d'effacement en période de pointe, mais moins souvent d'effacement en période basse, c'est-à-dire lorsque le prix est nul ou inférieur à 20 euros le mégawattheure. Or on considère que, pour 1 000 à 2 000 heures, il existe des disponibilités qui permettraient de réaliser un effacement négatif. Quelles dispositions envisagez-vous de prendre dans ce domaine ?
Je poserai pour ma part deux questions.
La première a déjà été soulevée par M. le président et concerne le problème des zones mal alimentées. Je pense, en particulier, à la région PACA : les Alpes-Maritimes, ainsi que Monaco, sont alimentées par une seule ligne à très haute tension. Comment faire en cas de problème ?
Seconde question, le prix de l'électricité va-t-il selon vous augmenter au cours des dix prochaines années ?
Monsieur le président du directoire de RTE, vous avez cité beaucoup de chiffres. Ainsi, vous nous avez dit que le pic de consommation était de 102 000 mégawatts. Avez-vous indiqué quelle était la consommation moyenne globale durant l'intersaison, par exemple en ce moment ?
Exactement 101 800 mégawatts ! (Sourires.)
La parole est à M. Dominique Maillard, pour les réponses.
Pour l'éolien offshore, c'est en fait le consommateur qui paiera, soit via la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, soit via le TURPE.
Au titre de la CSPE, sera effectivement à la charge de l'investisseur, qui l'inclura dans sa proposition de prix d'appel d'offres, l'acheminement de l'électricité jusqu'à un centre de collecte, qui sera lui-même souvent offshore. Ensuite, le raccordement terrestre et le renforcement du réseau terrestre qui en résultera incomberont à RTE.
C'est RTE qui en supportera la charge, laquelle sera répercutée dans le TURPE.
Et pour le lieu même où s'établit la connexion entre RTE et le producteur ?
C'est RTE.
Tout à fait, le point de collecte sera probablement situé à l'intérieur du champ d'éoliennes. Ensuite, RTE réalisera la liaison, sans doute en courant continu, entre la plateforme de collecte et un point d'atterrage.
À ce propos, nous sommes en discussion avec l'administration, car nous avons un problème avec la loi littoral, qui nous interdit de traverser la zone, même au moyen d'un ouvrage souterrain, même en remettant chaque grain de sable à sa place...
Le législateur risque d'être obligé d'intervenir à un moment ou à un autre.
Si la loi n'est pas modifiée, nous serons parfois obligés de faire des détours importants pour nous raccorder - sans aller jusqu'à passer par la Belgique, mais presque ! -, alors que le dispositif avait été conçu avec un point de raccordement possible en face des différents champs.
En ce qui concerne les renforcements, nous avons des perspectives, aussi bien en Bretagne qu'en région PACA, en vue de ne pas avoir à nous en remettre chaque année à la bonne volonté des consommateurs et au système ÉcoWatt, qui est transitoire.
En Bretagne, nous avons développé le « pacte électrique breton », qui a été récemment revalidé par le président du conseil régional de Bretagne, avec le ministre chargé de l'énergie. Il consiste à mettre en place une solution globale, passant malgré tout par un renforcement du réseau et des moyens de production. Un appel d'offres a été lancé pour la réalisation d'une centrale dans la région de Brest ; il a été remporté par un consortium Direct Énergie-Siemens. Par ailleurs, nous tablons sur un développement du recours aux énergies renouvelables et de la maîtrise de la demande. Le cumul de ces quatre volets devrait permettre d'aboutir à des solutions plus pérennes.
En ce qui concerne RTE, il faudra renforcer le réseau et réaliser une liaison d'environ 100 kilomètres entre Saint-Brieuc et Lorient, en 225 000 volts et en technologie souterraine, pour un coût d'environ 200 millions d'euros, à l'horizon de 2016-2017. Ce sera inclus dans le TURPE 4, qui couvre cette période.
Pour la région PACA, une solution à peu près analogue a été retenue, nommée « filet de sécurité PACA ». Vous savez qu'il existait un projet de ligne aérienne à 400 000 volts passant un peu trop près des gorges du Verdon. La déclaration d'utilité publique, la DUP, a été annulée. Nous ne reviendrons pas sur les lieux du crime, mais à défaut de construire une autoroute de l'électricité, nous essaierons de créer des routes nationales à quatre voies, si vous me permettez cette image. Nous renforcerons donc le réseau sous-jacent à 225 000 volts, solution un peu moins efficace et un peu plus chère, mais faisable, d'autant qu'un certain nombre de liaisons seront souterraines. L'objectif est 2016.
Non, ce sera une ligne à deux fois 225 000 volts, avec suffisamment de liaisons pour pouvoir « récupérer ». Comme l'a souligné M. Requier, le problème aujourd'hui est que le Var et les Alpes-Maritimes sont alimentés par une ligne unique. Cette grosse ligne double terne suffit en temps normal, mais elle est vulnérable en cas d'incendie de forêt ou de gros orage et il n'y a pas de reprise possible du réseau par une autre ligne à 400 000 volts. Nous allons donc développer la possibilité de reprendre l'alimentation par le réseau à 225 000 volts sous-jacent, ce qui nécessite de le renforcer à certains endroits. C'est cela le filet de sécurité en question. Il sera également inclus dans le TURPE 4.
J'indique à Mme Rossignol que les travaux ont commencé sur la ligne Cotentin-Maine. Notre objectif est de les achever avant la fin de l'année. Les conditions d'acceptation sont difficiles, même si nous avons signé une convention avec les milieux agricoles. Il y a eu un certain nombre de recours, purgés pour la plupart d'entre eux. Aucun n'est suspensif. Certaines municipalités sont farouchement opposées au projet, d'autres le soutiennent. Nous avons décidé de réaliser les travaux rapidement afin d'éviter d'éventuelles confrontations entre les entreprises travaillant pour RTE et les gens sur le terrain, encore que les difficultés proviennent davantage d'associations assez largement extérieures à la région que des propriétaires locaux, avec lesquels nous avons pu passer des conventions.
Quant à l'Europe de l'énergie, elle passe aussi par un renforcement de la coordination. L'incident de novembre 2006 auquel j'ai fait référence tout à l'heure est analysé par tous les opérateurs européens comme résultant d'une insuffisance de coordination. C'est la raison pour laquelle nous avons développé et nous continuons de développer des outils communs. L'un d'entre eux est Coreso, un centre de supervision situé à Bruxelles.
Je propose que nous parlions des actions menées par RTE avec les autres transporteurs le jour où vous serez auditionné par le groupe d'étude.
Volontiers !
J'indique à M. Dantec que le transfert de la moitié du capital de RTE au fonds dédié au démantèlement des centrales nucléaires ne change rien dans l'immédiat. Il s'agit d'une écriture passée dans les comptes d'EDF, qui reste notre actionnaire à 100 %. Les titres inscrits dans ce fonds dédié ont vocation à servir de caution ou de garantie pour faire face aux futures dépenses de démantèlement des installations nucléaires. J'ai bien dit : « ont vocation à servir de caution ou de gage », c'est-à-dire que le moment venu EDF aura l'obligation...
Permettez-moi de vous interrompre : la question de M. Dantec est tout à fait pertinente, mais c'est à la maison mère d'y répondre, et non à RTE.
RTE n'a pas eu le choix, c'est son actionnaire qui lui a dit de gager un certain nombre d'actifs. La réponse de M. Maillard est intéressante, mais cette question, tout à fait pertinente, doit être posée au P-DG de l'actionnaire !
Il reviendra à l'actionnaire, et sans doute aux pouvoirs publics, qui exercent la tutelle, notamment sur ce point, indépendamment de l'actionnariat, de décider : soit cela servira de caution, c'est-à-dire qu'EDF devra apporter, pour faire face aux futures dépenses, l'équivalent de la valeur d'actifs, soit EDF sera amené à réaliser. Mais la loi telle qu'elle est rédigée aujourd'hui dispose clairement que seuls peuvent être actionnaires de RTE l'État, EDF ou un organisme public, ce qui supposera le moment venu de choisir entre ces différentes hypothèses.
Votre question sur le marché européen était aussi très intéressante : restera-t-il de la place pour des moyens de production qui ne serviront finalement que quelques heures par an ?
Il faut garder en tête que l'électricité est sans doute la matière première ou la commodité dont la plage de variation des prix est le plus étendue. Elle connaît même, à certains moments de certains jours de certaines années - c'était encore le cas il y a quelques semaines - des prix négatifs. Cela signifie que les producteurs doivent alors payer s'ils veulent produire, parce qu'en fait on n'a pas besoin de leur électricité durant ces périodes. En revanche, à d'autres moments, le prix peut monter très haut ; il est « capé » par les ordinateurs, la limite étant fixée à 3 000 euros le mégawattheure. Vous vous souvenez du débat sur le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH, d'environ 40 ou 42 euros le mégawattheure. Disons que le prix moyen de production est à peu près de 50 euros, mais que le prix de l'électricité peut varier entre moins 200 euros et plus 3 000 euros.
Évidemment, les extrêmes dans les deux sens sont très localisés dans le temps, mais je pense qu'un certain nombre d'opérateurs pourront être tentés d'essayer de gagner 3 000 euros le mégawattheure, même si c'est seulement une centaine d'heures dans l'année, alors que le coût de production est de 40 euros. Le propre d'un industriel est de prendre des risques et de faire de tels paris.
Certes, mais elle ne le fera pas disparaître. Par exemple, les prix négatifs sont souvent liés à une surproduction d'énergie renouvelable, qui s'écoule parce qu'elle a la priorité sur le réseau. Les prix très élevés, en revanche, sont liés aux situations difficiles. Lors des derniers pics, en France, nous avons connu une journée où les prix sont montés à près de 1 000 euros le mégawattheure pendant quelques heures.
Pour répondre à votre question, je prends le pari - mais RTE n'est pas producteur - que des industriels choisiront de faire tourner des moyens de production pas très modernes dans l'espoir de vendre le kilowattheure vingt fois le prix de production, même si ce n'est que pendant 100 heures dans l'année.
Ma question allait un peu plus loin : le niveau d'interconnexion atteint et la montée en puissance des énergies renouvelables - 10 mégawatts connectés de plus l'année prochaine en puissance crête en Allemagne - ne menacent-ils pas, à assez court terme, des installations thermiques au charbon pas très modernes qui ne pourront pas fonctionner seulement quelques heures par an ?
Je ne sais pas. Il me semble que la diversité des moyens de production est l'une des richesses de l'Europe. Je ne suis pas de ceux qui déplorent la diversité des mix énergétiques. Au contraire, je fais partie de ceux qui s'en réjouissent, car la complémentarité des mix est une façon d'optimiser. Je serai très inquiet le jour où tous les pays européens auront 40 % d'énergie renouvelable, 20 % de cogénération, 15 % de charbon à capture et séquestration, etc. Il existe des spécificités géographiques. Il est assez logique que les Finlandais recourent à la biomasse et les Suisses à l'hydraulique, davantage que les Néerlandais. La valorisation des ressources naturelles spécifiques me paraît être une bonne chose.
Je serai plus optimiste que vous ne semblez l'être. Je pense qu'il y aura de la place pour ces divers moyens de production. Le propre d'un industriel est de faire des paris. Quelquefois il gagne, quelquefois il perd. Mon pronostic est que des producteurs voudront courir leur chance, mais peut-être suis-je trop optimiste.
M. Vial a raison s'agissant de la traversée des Alpes et des Pyrénées. C'est un sujet particulièrement difficile.
En ce qui concerne les Alpes, il le sait bien, nous utiliserons le tunnel du Fréjus : les ingénieurs électriciens et ceux du BTP ont pu se mettre d'accord sur une solution recourant à cette infrastructure existante.
Malheureusement, la difficulté n'a pu être résolue de façon similaire pour la traversée des Pyrénées vers l'Espagne. Nous allons donc construire notre propre tunnel, ce qui est un peu dommage.
Oui.
Pour RTE, oui.
Au Perthus. Ce sera un petit tunnel : on pourra s'y tenir debout, mais l'ouvrage sera spécifiquement dédié au passage d'un câble souterrain.
Je ne peux qu'appeler de mes voeux la conciliation des grands projets d'interconnexion en général, qu'il s'agisse de transport routier, de transport ferroviaire ou de transport électrique. La collectivité a tout à gagner à la mutualisation des moyens.
Vous avez également évoqué, monsieur Vial, la question du stockage. À ce jour, effectivement, notre tarif ne le prend pas en compte. Le stockage ne relève pas juridiquement de notre responsabilité, mais certains de nos collègues, en particulier Red Eléctrica de España, ont retenu cette option et obtenu les autorisations nécessaires pour le développer. Ce n'est pas le cas en France.
Aujourd'hui, le stockage est l'affaire des producteurs, des grands opérateurs, qui le développent sur leur initiative, quand ils ont une ressource. Comme je l'ai souligné, les stations de pompage sont à l'heure actuelle le procédé de stockage le plus opérationnel. L'hydraulique relève d'EDF et des entreprises disposant de concessions hydrauliques.
Une autre question importante que vous avez soulevée, monsieur le sénateur, a trait à l'effacement. Oui, la loi NOME a explicitement prévu la création d'un marché de capacités, qui doit traiter sur un pied d'égalité les capacités de production et les capacités d'effacement. Nous nous engageons à respecter cet engagement.
Vous avez évoqué les appels d'offres. Effectivement, les ordres de grandeur sont ceux que vous avez cités : ils sont inférieurs au potentiel, lequel est beaucoup plus important. De notre point de vue, RTE n'est pas le seul réceptacle ou le seul interlocuteur possible. Notre idée est que les fournisseurs eux-mêmes peuvent avoir intérêt à développer au sein de leur portefeuille des capacités d'effacement.
Dans un marché de capacités, non seulement chaque fournisseur doit être responsable de la distribution de l'énergie à son portefeuille de consommateurs, mais il doit aussi pouvoir fournir une puissance de pointe suffisante : soit il se débrouille pour avoir un portefeuille de moyens de production directe ou indirecte, soit il s'arrange pour mettre en place un portefeuille de capacités d'effacement.
Je ne comprends pas. C'est ce qui s'est passé lors de la pointe de consommation ? Concrètement, un certain nombre de coups de fil ont été passés à des consommateurs industriels pour qu'ils acceptent de s'effacer ; ce n'est pas RTE qui l'a fait, c'est directement EDF ?
Ça dépend.
Oui, bien sûr, mais à petite échelle.
Pour répondre à la question de M. Vial, il y a effectivement sans doute un potentiel plus important qui est mobilisable, mais tout dépendra du prix auquel il est accessible.
Pour ce qui concerne le mécanisme d'ajustement, oui. C'est d'ailleurs déjà le cas. À caractéristiques et à prix équivalents, nous choisissons quelquefois déjà un effacement plutôt qu'une production supplémentaire.
Comme l'a noté M. le président de la commission d'enquête, la responsabilité de mobiliser les effacements incombe également dans certains cas aux différents fournisseurs. Simplement, il y a encore un potentiel important inexploité. Mon message est le suivant : oui, RTE devra jouer son rôle dans le cadre du marché de capacités prévu par la loi NOME, mais les fournisseurs devront également faire en sorte que leur portefeuille soit un mix entre production et effacement.
M. Requier m'a demandé quel était mon pronostic sur l'évolution future du prix de l'électricité. Sans chercher à minimiser les choses, je livrerai un élément factuel : le coût du transport représente à peu près le dixième du prix pour le consommateur individuel. En gros, le consommateur domestique paye son électricité environ 80 euros le mégawattheure hors taxes, 115 euros taxes comprises. Le coût du transport représente 8 euros, soit 10 % du prix final. Ce taux me paraît tenable. Il n'y a pas de raison qu'il augmente. Cela signifie que le renchérissement du prix de l'électricité sera lié à un ensemble de facteurs, le coût du transport me paraissant devoir suivre la norme. Je ne vois pas pourquoi celui-ci dépasserait 10 % du prix de l'électricité à l'avenir.
Je me permets de vous signaler au passage, sans vouloir jeter de pierre dans le jardin de personne, qu'aujourd'hui le consommateur domestique paye moins pour le transport d'électricité qu'au titre de la CSPE.
Absolument, c'est le coût du transport. S'y ajoute le coût de distribution.
J'indique à M. Léonard qu'il existe une application disponible sur smartphone, « RTE-éCO2mix », qui permet de connaître en temps réel la puissance appelée. Par exemple, en consultant cette application, je constate que la puissance appelée, aujourd'hui à 15 heures 30, est de 57 718 mégawatts, avec 78 % de nucléaire, 1 % d'éolien, 6 % d'hydraulique, 5 % de charbon, 2 % de gaz, etc.
Monsieur le président du directoire de Réseau de transport d'électricité, il ne nous reste plus qu'à vous remercier.