C'est un sujet chaud et évolutif. A la crise bancaire et financière ont succédé une crise de l'économie réelle, puis l'actuelle crise de la dette souveraine. Ça coûte cher, ça sera long à payer. Les banques centrales ont un rôle à jouer.
Il faut relativiser l'appréciation des marchés. Les primes de risque de certains Etats sont en décalage par rapport aux fondamentaux. Par exemple, l'Italie est en excédent budgétaire primaire, contrairement, par exemple, au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis. La dette publique est d'environ 240 points de PIB au Japon, contre 90 points de PIB dans la zone euro.
Les Etats de la zone euro sont néanmoins sanctionnés, pour deux raisons : les déséquilibres extérieurs internes à la zone, et les « défauts de jeunesse » de celle-ci. Sur ce dernier point, les trois « piliers » du dispositif institutionnel en cours de mise en place (pacte budgétaire, surveillance des déséquilibres et solidarité) sont bienvenus.
Pour ce qui est de l'intitulé de la table ronde - « Avenir de la zone euro : vers un rôle plus actif de la Banque centrale européenne (BCE) » -, je suggère d'y mettre un point d'interrogation.
En ce qui concerne les taux d'intérêt, la BCE a été très réactive. D'octobre 2008 à juin 2009, elle a ramené le taux des opérations principales de refinancement de 4,25 % à 1 %, ce qui correspond à un taux d'intérêt réel négatif. Selon la règle de Taylor également, qui évalue la politique monétaire en fonction de l'inflation et de l'écart du PIB par rapport à son potentiel, la politique actuelle est très accommodante.
Ayant désormais atteint une situation proche du « taux zéro », la BCE a dû mettre en place des politiques non conventionnelles, ou quantitatives. Selon une vision répandue, la Banque d'Angleterre, la Banque du Japon et la Réserve fédérale des Etats-Unis seraient beaucoup plus actives que la BCE. Toutefois, cela n'est pas vrai. Le bilan de la BCE est de 26 points de PIB, contre 18 pour la Réserve fédérale, 19 pour la Banque d'Angleterre et 30 pour la Banque du Japon. Ce qui distingue la BCE, ce sont ses modalités d'intervention. Aux Etats-Unis, où les marchés assurent les trois quarts du financement de l'économie, la banque centrale doit nécessairement acquérir des quantités importantes de titres obligataires. Dans le cas de la zone euro, où les trois quarts du financement de l'économie sont assurés par les banques, il est normal que la BCE consacre une part plus importante de son bilan au financement des banques.
La BCE a ainsi élargi le champ des actifs susceptibles d'être admis comme collatéraux, puis a porté l'échéance des opérations principales de refinancement à trois mois, six mois ou un an. En décembre 2011, elle a réalisé une LTRO (opération de refinancement à plus long terme, Longer-term refinancing operation) à maturité de trois ans, avec service intégral des soumissions, qui s'est élevée à 489 milliards d'euros. Bien que les anticipations d'inflation soient stables, à 2 %, elle a laissé la hausse des prix dépasser ponctuellement son objectif de 2 %, ce qui traduit un certain pragmatisme. Il n'y a pas eu de contraction du crédit, et on peut observer une certaine normalisation du marché interbancaire. La LTRO à trois ans a changé l'ambiance sur les marchés, en sécurisant le refinancement des banques, et en rassurant les investisseurs sur le risque de liquidité.
Le programme pour les marchés de titres (Securities Market Programme, SMP, « programme pour les marchés de titres ») a été mis en place en mai 2010, et réactivé en 2011. Il poursuit un double objectif : rétablir les mécanismes de transmission de la politique monétaire en réduisant les primes de risque de certains États, et ramener la stabilité sur les marchés.
Le fait que la BCE doive jouer un rôle de prêteur en dernier ressort n'est absolument pas en cause. C'est bien ce qu'elle fait avec la LTRO à trois ans. La question, c'est de savoir si la BCE doit être le prêteur en dernier ressort des États, c'est-à-dire, en réalité, leur « assureur en dernier ressort ». La BCE n'a pas de mandat pour cela. Ce rôle relève du contribuable, pas des banques centrales. Aux Etats-Unis, l'assouplissement quantitatif n'a pas pour objet de financer l'Etat, mais de permettre le bon fonctionnement des marchés.
Ce que la BCE attend des États, c'est un partage des rôles, dans un système avec trois « piliers » : les États doivent réduire leur déficit public pour reconstituer des marges de manoeuvre contracycliques et maintenir leur dette sur un sentier soutenable ; les dispositifs de solidarité européens - le Fonds européen de stabilité financière (FESF) et le Mécanisme européen de stabilité (MES) - ont vocation à financer l'ajustement conditionnel des Etats solvables en difficulté transitoire ; et la BCE recourt à la politique monétaire, au SMP ou à d'autres moyens pour que les marchés fonctionnent le mieux possible.