Je vous remercie de votre invitation, qui me permet de réaliser un rêve, celui de parler librement d'économie, ce qui n'était pas nécessairement le cas quand je travaillais à la Banque de France. Mais je m'éloignerai assez peu de ce que Pierre Jaillet a pu dire.
En réponse à votre question, Monsieur le Président, et ainsi que l'a précisé le président-directeur général de la Deutsche Bank publiquement, celle-ci n'a pas souhaité participer à la LTRO. Mais je m'exprime en tant qu'économiste, et non pas en tant que représentant de cette banque.
A défaut d'éclaircir parfaitement le brouillard, j'essaierai d'apporter des réponses à trois questions simples :
- peut-on identifier une responsabilité de la BCE et de l'Eurosystème dans la survenance de la crise des dettes souveraines ? La réponse est probablement oui, dans une certaine mesure, mais en tenant compte de la marge de choix très faible qu'avait la BCE ;
- y a-t-il une contradiction intrinsèque entre le fonctionnement de l'Union monétaire et de l'Eurosystème, et le règlement de la crise souveraine ? La réponse est ici clairement non, bien au contraire ;
- que peut faire la BCE pour aller au-delà de la gestion de crise à court terme et apporter une solution à long terme ? Elle peut beaucoup, mais pas tout, et pas toute seule.
Sur le premier point, il y a bien une responsabilité indirecte de l'Eurosystème dans la survenance de la crise
En effet, il y a eu une convergence qui s'est établie sur la base d'un certain nombre de critères, essentiellement monétaires et liés à l'inflation, en perdant de vue d'autres déséquilibres, en particulier extérieurs.
Si l'on considère les taux directeurs idéaux, on pourra conclure que la politique pratiquée par la BCE de 1999 à 2007 était essentiellement adaptée aux besoins des économies connaissant des croissances faibles, en premier lieu l'Allemagne. C'est un fait incontestable que je rappelle souvent devant mes auditoires allemands : grâce à la politique monétaire très accommodante de la BCE, l'Allemagne a pu retrouver des marges de manoeuvre à un moment où elle mettait en place un programme de réformes structurelles coûteux en termes de croissance ; sans ce soutien implicite de la part de la BCE, l'expérience allemande de restauration de la compétitivité post-1995 aurait sans doute échoué.
La rançon de cette politique, c'est de ne pas avoir pu empêcher la « surchauffe » dans un certain nombre de pays dits « périphériques ». Il est donc difficile d'accuser ces pays de tous les maux, alors que les taux d'intérêt réels auxquels ils étaient confrontés étaient durablement négatifs. Cela ne les exonère pas de toute responsabilité, mais cela identifie un problème à régler dans le fonctionnement de l'Eurosystème, à savoir la nécessaire complémentarité entre les politiques de régulation nationales pour éviter que des politiques monétaires trop accommodantes, ou au contraire trop restrictives, se traduisent par un comportement du crédit anormal dans un certain nombre de pays membres. La Banque d'Espagne avait essayé d'y répondre en mettant en place un provisionnement procyclique pour les établissements espagnols, mais cela s'est avéré insuffisant. Pour faire fonctionner une politique monétaire unique dans le cadre hétérogène des différents Etats membres, il faut permettre à la régulation bancaire de jouer un rôle fort dans les pays en surchauffe.
Pour parler du présent maintenant, la question récurrente des investisseurs anglo-saxons est celle de la pérennité ou de la viabilité de l'Eurosystème. La réponse est que le système de l'Union monétaire est un « système de change fixe intelligent ».
Un « système de change fixe idiot » est, par exemple, l'étalon-or des années 1920 ou 1930, système auquel on a cru parfois être revenu en 2010 ou 2011. L'étalon-or a échoué non pas parce qu'il empêche les États de dévaluer pour retrouver de la compétitivité, mais parce qu'il ne disposait pas de système construit permettant un échange de liquidités entre les Banques centrales. Ainsi, c'est précisément parce que la Banque centrale autrichienne n'a pas pu être approvisionnée en liquidités par d'autres banques centrales, que l'on n'a pas pu résoudre la crise du Kreditanstalt.
Aujourd'hui, on a un système inverse dans l'Union monétaire, par le biais de l'accès illimité aux liquidités. En cela, la BCE doit être remerciée pour avoir compris très vite le caractère central de l'accès à la liquidité. Par cet assouplissement continuel des règles de collatéral, les banques privées des États membres, y compris de ceux qui connaissent des difficultés financières, peuvent continuer à financer les déséquilibres domestiques de balance courante. Je rappelle qu'en théorie, ce sont les apports de capitaux étrangers qui les financent ; et si les capitaux étrangers viennent à manquer, comme c'est le cas aujourd'hui pour le Portugal ou dans une certaine mesure pour l'Espagne et l'Italie, alors le système finit par ne plus fonctionner car la banque centrale nationale ne peut plus tirer sur ses réserves de change.
Le fait que nous ayons un système de paiement centralisé dans la zone euro, TARGET 2 (Trans-European Automated Real-time Gross settlement Express Transfer system, « système de transferts express automatisés transeuropéens à règlement brut en temps réel »), qui repose essentiellement sur l'accès illimité aux liquidités de la banque centrale, est extrêmement important.