Intervention de Gilles Moëc

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 8 février 2012 : 1ère réunion
Avenir de la zone euro : vers un rôle plus actif de la banque centrale européenne bce — Table ronde

Gilles Moëc, chef économiste à la Deutsche Bank :

Vous faites référence à des propos tenus notamment par Hans-Werner Sinn, président de l'Institut für Wirtschaftsforschung de Munich (IFO). Cette hypothèse autour de TARGET 2, avec l'idée d'une accumulation d'une dette de la part des autres États membres vis-à-vis de la Bundesbank, est très répandue en Allemagne, y compris auprès de la presse grand public, comme la Bild qui y fait souvent référence.

Il y a là une erreur : TARGET 2 n'augmente pas l'exposition de l'Allemagne à la dette des États périphériques. En réalité, TARGET 2 organise une substitution aux investisseurs privés, qui se retirent de la dette de ces États, par des financements de la Bundesbank. Ce n'est pas douloureux pour l'Allemagne et ne crée aucune tension sur le système financier allemand, dans la mesure où l'on conserve le fonctionnement actuel, qui est illimité. Hans-Werner Sinn voudrait que l'on limite ces financements TARGET 2, ce qui précisément bloquerait la situation.

On a donc un système plus solide et plus solidaire qu'on le croit.

J'en viens au troisième point de mon exposé. La BCE a donc pu éviter l'explosion du système, mais est-ce que cela suffit à résoudre la crise souveraine à long terme ? Probablement pas, et ce n'est pas sa mission.

Les investisseurs ont principalement besoin d'être rassurés sur la logique de la politique menée. Or, la logique n'a pas toujours été au rendez-vous. Plusieurs erreurs ont été commises.

La première erreur concerne le FESF. Le temps perdu à sa mise en place a été catastrophique. Il s'agit d'un système cumulatif, dans lequel des montants raisonnables auraient été suffisants s'ils avaient été disponibles immédiatement. N'ayant été disponibles que tardivement, ils ont dû être augmentés, ce qui accentuait la pression politique sur les États. Les États ont ainsi donné le sentiment de courir après les marchés.

La deuxième erreur est qu'il ne sert à rien d'attirer l'attention des investisseurs sur des problèmes lorsqu'on ne se donne pas les moyens de les régler. Ce n'est pas le chemin suivi avec les tests de résistance. Il y avait une bonne intention, celle d'identifier l'exposition des uns et des autres aux dettes souveraines. Mais si l'on met en évidence des besoins en capital, il faut se donner les moyens d'y faire face. Or, le FESF, qui doit notamment servir à cela, n'avait pas les moyens de répondre à ce problème. C'est l'une des raisons pour lesquelles le programme de LTRO à trois ans est à ce point crucial, car il a permis de rassurer les marchés sur le fait que le système bancaire n'allait pas exploser, par manque de liquidités, en 2012 (600 milliards de dette bancaire devant arriver à maturité cette année).

La seconde justification de la LTRO à trois ans était implicitement l'espoir que les banques reviennent sur le marché souverain. Il s'agit là cependant d'une décision individuelle des banques. En Espagne, elles ont rapidement et massivement réagi en revenant sur le marché souverain. En revanche en Italie, les banques italiennes ont d'abord demandé à être rassurées sur leur exposition au risque souverain, suite à l'expérience des tests de résistance. Cette inquiétude italienne a été levée quand M. Draghi a indiqué qu'il n'y aurait pas de nouveaux tests de résistance en 2012.

Cependant, la solution de la crise souveraine dépend essentiellement des Etats eux-mêmes. Même si la LTRO à trois ans a constitué un choc qui a rassuré les investisseurs sur la viabilité et la pérennité de l'union monétaire, « la preuve est dans le pudding » : l'Italie continuera à voir ses écarts de taux s'améliorer si elle parvient à faire ce que les marchés attendent, c'est-à-dire non pas réduire ses déficits, mais mettre en place des réformes structurelles qui relancent la croissance et rendent la dette italienne soutenable à long terme. Cela ne saurait dépendre de la BCE.

Que peut faire la BCE si tout échoue, c'est-à-dire si, après les premiers effets positifs de la LTRO à trois ans, on retombe dans certaines ornières politiques en Italie ou en Espagne ? Alors le SMP doit être l'arme de dernier ressort. Sans aucun doute la BCE n'a aucun intérêt à pré-annoncer une intervention massive pour acheter des obligations d'État, mais les marchés fonctionnent sur la conviction implicite que la BCE « ferait le métier » et relancerait le SMP, en cas de crise majeure.

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