C'est certain. La Grèce aurait dû relever initialement d'une intervention du FMI.
Du point de vue de la liquidité, les risques encourus par la BCE ne sont pas élevés, car on ne remet pas de mauvais actifs dans son bilan. Elle gagnera par définition de l'argent à travers de tels prêts, puisque les taux d'intérêt des pays concernés vont baisser. De façon générale, elle ne prend pas de risque tant qu'elle ne prête qu'à des pays qui manquent de liquidité.
Je voudrais maintenant dire un mot sur les banques et la pondération relative du SMP sur les achats directs de la BCE et du programme de LTRO : Mario Draghi est pragmatique. Faire un SMP d'un montant plus important aurait impliqué une confrontation avec le Parlement allemand. Faire faire le travail par les banques permet d'éviter une telle confrontation, pour un résultat sensiblement identique. Il faut être conscient qu'en France, le programme de LTRO permet d'éviter un rationnement du crédit pour les petites et moyennes entreprises (PME), ce qui est très positif.
Ensuite, pour en venir à mon second point, je voudrais dire que le projet de traité européen et le statut de la banque centrale ne me satisfont pas à plusieurs égards. Tout d'abord, je ne pense pas que le FESF/MES soit le prêteur en dernier ressort légitime. Il ne faut pas perdre de vue que c'est un émetteur obligataire. Du coup, les débats sur les montants dont il devrait disposer sont surréalistes. Pour l'instant, le FESF a émis sur le marché obligataire 19 milliards d'euros, dont 6 milliards à court terme, avec difficulté. En cas de crise majeure, il serait incapable d'émettre suffisamment pour prêter les 440 milliards d'euros affiché.
Un prêteur en dernier ressort recourt à la création monétaire. Si l'Italie devenait insolvable, le marché obligataire ne pourrait pas émettre suffisamment d'argent pour ce pays. Il faudrait dans ce cas que le FESF/MES ait un accès au financement monétaire de la BCE, tout comme le FMI en a un au financement monétaire des banques centrales.
Je suis persuadé que nous connaîtrons d'autres crises de liquidité tant que nous ne disposerons pas d'euro-obligations, car on a aujourd'hui dix-sept émetteurs souverains, ce qui n'existe nulle part ailleurs. Imaginez ainsi qu'il n'y ait pas de Trésor américain et que les cinquante États des États-Unis doivent se financer indépendamment sur les marchés. Combien ne pourraient pas ? Probablement une trentaine. La présence de dix-sept émetteurs souverains en zone euro crée évidemment un risque continuel de crise de liquidité. Il faudra un prêteur en dernier ressort susceptible de recourir à la création monétaire. Or, le projet de traité ne va pas assez loin sur ce point. Il faut également régler le problème de l'aléa moral et de la conditionnalité.
De plus, une banque centrale, à long terme, doit intervenir sur les marchés stratégiques d'actifs financiers pour en maintenir le bon fonctionnement, ce qu'elle refuse généralement de faire. Une banque centrale a vocation à empêcher la création de bulles et la fermeture des marchés. Pour cela, elle doit vendre et acheter des actifs financiers. On ne peut assurer la stabilité financière si on laisse les marchés financiers se fermer périodiquement.
Il faut être conscient que les remèdes adoptés aujourd'hui ne peuvent pas constituer une stratégie viable à long terme. En effet, on sort de la crise de liquidité via une renationalisation de l'épargne. Cela signifie que les assureurs et banquiers nationaux ne prêtent qu'à leurs pays respectifs. On ne pourra pas vivre en zone euro à long terme tant que l'épargne ne financera que les besoins de financement domestiques de chaque pays sans circuler de l'un à l'autre. Les Allemands refusent de prêter aux autres pays. A quoi sert l'euro si l'épargne reste dans chaque pays sans circuler ?
De plus, cette stratégie aura pour conséquence de tuer la croissance potentielle de la zone euro à long terme. En effet, elle se traduit par une forte réduction de l'investissement des entreprises, car ces dernières ne veulent plus s'endetter, et par une forte réduction des investissements publics, puisque les États doivent assainir leurs finances publiques et que les investissements sont plus faciles à supprimer que les autres dépenses publiques. De ce point de vue, l'exemple suédois est instructif. Lorsque la Suède a décidé de diminuer drastiquement ses dépenses publiques, au début des années 1990, elle a parallèlement doublé ses dépenses publiques de recherche et développement. Or, ce que l'on réduit le plus aujourd'hui, dans la zone euro, c'est les investissements publics. Le taux d'investissement public de la zone euro a ainsi diminué de 20 % par rapport à la situation d'avant la crise. Nous mettons donc en place une baisse de la croissance à long terme, pour une réduction des déficits à court terme.
Dernière question : qui doit, à long terme, financer les Etats ? Aujourd'hui, ce sont les banques et la BCE, ce qui est contre-intuitif. Malheureusement, la régulation de Bâle III oblige de facto les banques à financer les États. Il ne faut pas suivre le précédent japonais : depuis vingt ans, le déficit public de ce pays est financé par ses banques. En conséquence, cela fait vingt ans que les entreprises japonais ne peuvent obtenir de crédits ! A long terme, les États doivent être financés par des investisseurs institutionnels (fonds de pension, caisse de retraite, assurance-vie...).
En définitive, ce sont des remèdes inadaptés à long terme qui nous sauvent aujourd'hui de la crise :
- la création monétaire par la BCE ;
- l'intervention massive des banques dans le financement des États en difficulté ;
- la baisse très forte des taux d'investissement pour réduire les besoins de financement des pays.
En réalité, on assiste à une crise du déficit extérieur et non de la dette publique. Les pays du nord de la zone euro ne veulent plus prêter aux pays du sud. Cela engendre l'apparition d'une contrainte extérieure pour les États qui ne peuvent plus avoir de déficit extérieur.