Intervention de Philippe Lagadec

Mission commune d'information Inondations dans le Var — Réunion du 13 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Pierre Lagadec directeur de recherche à l'ecole polytechnique auteur de travaux sur le risque et sur la gestion des crises

Philippe Lagadec :

La simplicité, en la matière, est le résultat de beaucoup de travail et de beaucoup de courage... Je ne suis pas spécialiste des inondations. Les aléas sont en plein bouleversement, les contextes et les socles sont fragilisés et en reconfiguration profonde nos sociétés se transforment à haute vitesse et en grande profondeur : nous nous aventurons donc en terrain inconnu. J'essaierai d'ouvrir quelques pistes pour dépasser les litanies habituelles qui remplissent les rapports.

La communication doit être précise quant aux menaces, spécifique quant aux destinataires et directement utile dans les préconisations, rapide dans sa diffusion, adaptée dans les moyens de cette diffusion, émise par une source crédible et respectueuse des inquiétudes de la population, plurielle, pensée dans une logique de mise en responsabilité personnelle et en phase avec une qualité de pilotage. Enfin, la transparence ne suffit pas : le problème numéro un est celui du pilotage.

Il y a des blocages. Tocqueville nous renseigne sur la méfiance coutumière vis-à-vis des citoyens... On préfère souvent une communication défensive. Le pilotage importe d'ailleurs plus que la communication qui est seconde. Lors du retour d'expérience sur ce qui s'était passé sur l'A8, près de Saint-Maximin en 2001, tout s'est bien passé parce qu'on n'a pas considéré que la population n'avait qu'à écouter les experts, mais au contraire on a commencé par écouter les participants.

Quel est le terrain stratégique ? Des mégachocs, des événements hors échelle se produisent, comme Fukushima ou Katrina, qui a touché l'équivalent de la moitié de la France.

Autres points essentiels : les réseaux et les flux tendus généralisés -n'importe quelle perturbation contamine un territoire à une vitesse foudroyante- et l'instantanéité, la force des réseaux sociaux, la cinétique est inimaginable par rapport à nos règles de gestion de crise. Une crise se gère aujourd'hui à quelques minutes près !

Les socles sont fragilisés : environnement, technologie, société... Un jeune qui incendiait une voiture, interrogé par un sapeur-pompier, a répondu : « Mais c'est ma voiture ! » Nous sommes confrontés à notre ignorance mais nous ne pouvons plus arguer du caractère exceptionnel de tels événements sans perdre toute crédibilité. Je vous renvoie au livre de Joshua Cooper Ramo, L'âge de l'impensable. Kissinger devait gérer la dissuasion ; aujourd'hui, nous avons à gérer la résilience. La sécurité nationale dépend de la capacité à tenir le choc, face à des menaces qui ne viennent plus seulement des Ardennes. Ce qui est important c'est la granularité : comment on réorganise des énergies hyperlocales et pas seulement la pyramide hiérarchique.

Nous avons un problème d'intelligence stratégique, on sait traiter des évènements lents, linéaires, mesurés, moyens avec quelques exceptions à la marge, or nous sommes face au non-linéaire, au discontinu, au chaotique. Un autre blocage, psychologique, a bien été mis en lumière par Nicole Fabre, dans L'inconscient de Descartes : dès qu'on nous annonce que quelque chose n'est plus sous contrôle, qu'il y a une faille dans le système, l'inquiétude immense se saisit des assemblées. Enfin, on ne peut plus se contenter d'appliquer des réponses préalablement codifiées, il va falloir, utiliser son propre jugement, inventer des nouvelles solutions et faire preuve de créativité. Le général Honoré, commandant la première armée américaine, a dû improviser face à Katrina en inventant un exercice pour permettre le déplacement de ces troupes.

La communication change de donne dans tous les sens. Lors d'une crise, comme les attentats de Londres le 7 juillet 2005, avec les moyens de communication modernes en trente secondes, il y a eu quinze millions de personnes impliquées ! Katrina, ce fut la perte totale de toutes les liaisons sauf les jeunes avec le SMS. Le 11 septembre 2001, les seuls à être informés sur la manière de sortir des tours, c'était ceux qui étaient à l'intérieur : ce qu'il aurait fallu faire en priorité c'était de capter l'information et la redistribuer. On assiste à une perte du monopole de l'information.

Quelles sont les exigences ? Il faut des pilotes préparés à être surpris, à être créatifs, à reconstruire un design organisationnel, en faisant confiance aux acteurs ce qui est contraire de nos logiques actuelles. Selon la logique américaine de l'empowerment, il faut travailler avec les gens. Dire « rassurez-vous, les pompiers arrivent », cela ne marche plus.

Les pièges, c'est la surinformation pour rassurer, les burn out immédiat de certains responsables : voyez le patron de Tepco, celui du Costa Concordia...

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