Monsieur le Président-directeur-général, pourriez-vous nous rappeler quelles sont les missions de Météo France et les limites rencontrées en matière de prévision et d'alerte d'évènements, tels que ceux intervenus dans le Var en novembre 2011 ? Ayant le sentiment qu'il existe des maillons manquants au sein du dispositif, nous serions aussi intéressés de savoir comment ces lacunes peuvent être comblées.
Il convient de bien distinguer les dispositifs d'avertissement, d'une part, et d'alerte, d'autre part. Le premier, consistant pour Météo France à prévenir de la survenance possible de certains évènements météorologiques, a été mis en place à la suite de la tempête de 1999. Ces avertissements s'inscrivent, depuis cette date, dans le système de vigilance - comportant les niveaux vert, orange et rouge - qui est, d'après les sondages, connu par plus de 85% des Français.
Quant aux systèmes d'alerte, ils consistent à prévoir les mesures sur le terrain, telles que le pré-positionnement des moyens d'intervention, et relèvent davantage des autorités en charge de la sécurité civile, ainsi que des acteurs locaux.
L'échelle actuellement pertinente pour disposer de prévisions fiables est le département, l'une des difficultés des inondations dans le Var de juin 2010 ayant été leur caractère localement très circonscrit.
Le coeur du problème n'est-il pas précisément de faire des prévisions sur une échelle géographique trop large avec le risque de démobiliser les populations lorsque rien ne se réalise dans le secteur qui les intéresse?
Le système de suivi que nous avons mis en place fait apparaître que, pour les événements de niveau de vigilance orange, la proportion d'erreurs n'est que d'environ 20 %.
Les évènements météorologiques annoncés peuvent avoir eu lieu mais sans conséquences catastrophiques.
Le système est bien conçu pour éviter ce type de situation.
Mais cela aboutit à ce que l'on finisse par ne plus réagir aux informations de vigilance, lorsqu'elles sont trop fréquentes. Ne serait-il pas possible de mieux cibler le territoire concerné ?
En novembre 2011, c'est bien tout le Var qui a été affecté par les fortes pluies ; ensuite, il faut distinguer entre la pluie et la crue.
Notre objectif scientifique est toutefois d'améliorer la précision de nos informations à l'aide de systèmes probabilistes ; pour l'instant, la prévision n'est fiable que sur des territoires représentant un carré de 30 kilomètres de côté.
Par ailleurs, les informations que nous donnons doivent prendre en compte dans le contexte local, notamment les vulnérabilités du terrain.
Soyons toutefois prudents quant à l'idée d'une information plus sélective car, lors de la tempête de 1999, nous avons attendu assez tard pour délivrer une information la plus précise possible, en conséquence de quoi les populations ont été prises de cours. Outre le public, l'information en amont est particulièrement utile pour que les autorités locales s'organisent.
- Présidence de M. Louis Nègre -
Il convient de bien distinguer l'information des autorités et celle du public, le risque existant toujours d'une diminution progressive de la réactivité aux alertes si l'on communique de façon trop fréquente et peu ciblée.
Si l'information peut être mieux ciblée et mieux insérée dans l'environnement local, je suis réticent à l'idée d'une sélection en amont les données qui doivent ou non être diffusées car il est important que les populations puissent adopter les comportements de prudence liés aux risques, faute de quoi cela serait reproché à Météo France comme à l'ensemble des autorités. L'exemple récent des chutes de neige en Ile-de-France a, en revanche, démontré l'intérêt de la pédagogie pour développer une culture du risque et pour responsabiliser nos concitoyens.
Comment pourrait-on améliorer l'information en bout de chaîne, sur le terrain ? Par ailleurs, le réchauffement climatique se traduit-il par une augmentation des précipitations ?
La coopération entre Météo France et les autorités locales est satisfaisante. J'en veux par exemple pour preuve le système d'alerte par SMS auquel 2000 communes, dont 50 communes du département du Var, se sont d'ores et déjà abonnées. Il permet de faire gagner aux maires deux heures précieuses.
En Seine-et-Marne, le syndicat du Grand-Morin - dont j'ai la charge - a mis en place depuis une quinzaine d'années un système permettant de prévenir environ 2000 riverains en l'espace de 7 minutes, le problème le plus délicat étant de savoir quand adresser le message d'alerte, afin d'en préserver la crédibilité.
Oui, très positive et cela ne fonctionne que parce que le système peut s'appuyer sur des élus et des habitants qui connaissent bien le terrain.
Je salue cette expérience car la bonne utilisation des informations que nous donnons suppose effectivement une implication des acteurs de terrain.
Quant au risque de déclencher les alertes à tort, il est important d'expliquer aux populations que l'on peut toujours se tromper.
Le système d'alerte par SMS ne couvre 2000 communes : qu'en est-il des autres ?
Ce service n'a été mis en place qu'en décembre 2011.
D'une façon plus générale, notre dispositif de vigilance est efficace face à des phénomènes de grande échelle mais les choses sont plus difficiles pour des évènements complexes liés aux vulnérabilités locales. C'est dans ce sens que nous essayons d'améliorer le système.
Quant à la survenance d'évènements extrêmes du fait du réchauffement climatique, si les statistiques doivent être prises avec de grandes précautions, de récents travaux publiés dans la revue Nature à propos du Royaume-Uni mettraient en évidence une tendance à l'augmentation des précipitations.
D'après l'observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC), les données statistiques seraient sur le point de confirmer cette augmentation.
Il est difficile de se prononcer à propos d'évènements extrêmes ne se produisant que tous les 200 ou 300 ans. En revanche, la tendance est clairement à l'augmentation de la pluviométrie.
Si dans 80 % des cas, les prévisions sont confirmées, l'effet des 20 % d'erreurs n'est pas négligeable, surtout lorsque l'ensemble des acteurs locaux et des populations ont pris leurs dispositions pour s'adapter à des évènements qui n'arrivent pas. D'expérience, on assiste à une dé-crédibilisation des messages diffusés en application du fameux principe de précaution.
Ne faudrait-il pas que l'information s'effectue au plus près du terrain en faisant un effort de pédagogie, afin de développer la culture du risque ? L'on pourrait par exemple indiquer qu'un évènement a 2 chances sur 5 de survenir. Chacun comprend bien qu'en termes de comportement à adopter, cela n'aurait pas la même signification qu'un risque de probabilité de 5 sur 5.
Par ailleurs, pourriez-vous préciser quels sont les éléments susceptibles de brouiller vos radars ?
Tout obstacle physique est susceptible de brouiller nos radars, notamment les éoliennes, ce qui provoque de nombreux contentieux avec les promoteurs de ces projets ; je le regrette. Par ailleurs, en région PACA, nous menons un projet d'amélioration de la fiabilité de nos radars en zones montagneuses.
Pourriez-vous m'éclairer sur le système proposé par IBM au maire de Rio, en vue des Jeux Olympiques, permettant de prévoir les précipitations quartier par quartier, 60 heures à l'avance ?
S'il est possible de faire des prévisions générales à 10 jours - et même au-delà - et que, sur un carré d'environ 3 kilomètres de côté, des informations peuvent être fiables à 3 jours, je doute en revanche que cela puisse être le cas à l'échelle d'un quartier. IBM a pu vendre ce service de prévisions mais cela ne garantit pas sa fiabilité...
Si le modèle le plus fin que nous utilisons a une maille de 2,5 kilomètres, l'on ne peut obtenir de prévision raisonnablement fiable à 24 heures que sur un carré d'une dizaine de kilomètres de côté, et encore, avec une certaine marge d'incertitude.
Mais la maille ne fait pas tout. Par exemple, le phénomène de type convectif à faible échelle, tel que celui survenu dans le Var en juin 2010, n'était pas pris en compte par nos modèles. Les précipitations de 2010 se distinguaient en effet très largement de celles de novembre 2011, beaucoup plus classiques par leur échelle et par leur durée. Si nous progressons dans la mise au point de modèles probabilistes, il faut être conscient des limites scientifiques actuelles.
N'avez-vous pas le sentiment que Météo France est parfois un peu facilement mise en cause par les autorités locales lorsqu'un évènement annoncé ne s'est pas produit ?
Les critiques sont sans doute moins fréquentes aujourd'hui du fait de l'amélioration de la qualité des prévisions.
Quant aux progrès possibles, indépendamment de la poursuite de l'amélioration de nos propres prévisions, je crois qu'il convient en premier lieu de faire oeuvre de pédagogie surtout si l'on entre dans une période où les évènements météorologiques sont appelés à être plus fréquents. Je crois aussi qu'il conviendrait de diffuser les bonnes pratiques en termes de gestion des risques à l'échelle locale, l'exemple de la Seine-et-Marne étant très intéressant et notre service d'alerte par SMS constituant un premier essai sans doute à poursuivre.
Enfin, je crois au développement de la démarche probabiliste, sur lequel insiste notre contrat d'objectifs avec l'Etat, qui pourra aussi contribuer aux efforts de pédagogie.
Bien qu'ayant enseigné la pédagogie, je crains que lorsque l'on compte sur l'éducation pour faire avancer les choses, c'est que l'on est à court d'arguments.
Pourtant, s'agissant des récents épisodes neigeux, il me semble que la pédagogie a été utile.
Oui, mais les gens ne changent pas de comportement pour autant.
Le recours aux archives me semble en revanche particulièrement important, notamment pour les évènements survenus dans les régions du sud-est, même si j'ai cru comprendre que les documents étaient inaccessibles car stockés dans un local amianté...
Ce problème est en voie de résolution : les documents actuellement dans le local des archives de Météo France à Fontainebleau sont en cours de transfert ; ils seront numérisés pour une meilleure exploitation.
Estimez-vous nécessaire que tout demeure centralisé au niveau du préfet ? N'y a-t-il pas une autre façon d'organiser la prise de décision locale ?
- Présidence de M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur -
Je ne suis pas compétent sur le rôle des préfets. L'échelon départemental demeure le plus pertinent, notamment parce qu'il correspond au niveau du système de vigilance et de celui des moyens. Cela étant, il serait effectivement utile de mettre en place parallèlement d'autres moyens de partage de l'information au niveau local, mais le partage des responsabilités doit s'opérer au cas par cas.
Le dispositif actuel pourrait par exemple être complété de dispositifs d'alertes directes.
Oui, un certain nombre de décisions se prennent en effet au niveau communal ; c'est notamment le cas lorsqu'il existe un plan communal de sauvegarde. Mais cela ne remet pas en cause l'organisation départementale.
Dans la mesure où, spécifiquement pour le sud-est de la France, vous êtes en charge non seulement des précipitations mais aussi des phénomènes de crues, cela signifie-t-il que vous prenez en compte l'ensemble des facteurs tels que l'urbanisation ?
Effectivement, une unité spécialisée au sein de Météo France suit ces questions en relation directe avec les services de l'Etat.
Ce travail ne nécessiterait-il pas la mise en place d'un modèle spécifique prenant en compte l'ensemble des facteurs à la fois météorologiques et hydrologiques, les archives et les facteurs humains tels que l'urbanisation ?
Il s'agit plutôt de superposer différentes strates d'informations, sachant que, par ailleurs, nous travaillons avec les collectivités à la réalisation de modèles intégrés à des niveaux plus locaux.
D'une façon plus générale, l'essentiel est bien de croiser nos informations et la connaissance du terrain, grâce notamment au développement de modèles de prévision intégrés et d'outils mixtes, comme la méthode AIGA (Adaptation d'informations géographiques pour l'alerte aux crues) développée avec l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA) pour l'étude des besoins versants.
Nous recevons M. Lagadec, directeur de recherche à l'Ecole polytechnique et spécialiste de la gestion du risque. Nous aimerions vous entendre sur la gestion des risques d'inondations afin de définir des mesures simples pour améliorer les dispositifs existants et diffuser parmi la population la culture du risque.
La simplicité, en la matière, est le résultat de beaucoup de travail et de beaucoup de courage... Je ne suis pas spécialiste des inondations. Les aléas sont en plein bouleversement, les contextes et les socles sont fragilisés et en reconfiguration profonde nos sociétés se transforment à haute vitesse et en grande profondeur : nous nous aventurons donc en terrain inconnu. J'essaierai d'ouvrir quelques pistes pour dépasser les litanies habituelles qui remplissent les rapports.
La communication doit être précise quant aux menaces, spécifique quant aux destinataires et directement utile dans les préconisations, rapide dans sa diffusion, adaptée dans les moyens de cette diffusion, émise par une source crédible et respectueuse des inquiétudes de la population, plurielle, pensée dans une logique de mise en responsabilité personnelle et en phase avec une qualité de pilotage. Enfin, la transparence ne suffit pas : le problème numéro un est celui du pilotage.
Il y a des blocages. Tocqueville nous renseigne sur la méfiance coutumière vis-à-vis des citoyens... On préfère souvent une communication défensive. Le pilotage importe d'ailleurs plus que la communication qui est seconde. Lors du retour d'expérience sur ce qui s'était passé sur l'A8, près de Saint-Maximin en 2001, tout s'est bien passé parce qu'on n'a pas considéré que la population n'avait qu'à écouter les experts, mais au contraire on a commencé par écouter les participants.
Quel est le terrain stratégique ? Des mégachocs, des événements hors échelle se produisent, comme Fukushima ou Katrina, qui a touché l'équivalent de la moitié de la France.
Autres points essentiels : les réseaux et les flux tendus généralisés -n'importe quelle perturbation contamine un territoire à une vitesse foudroyante- et l'instantanéité, la force des réseaux sociaux, la cinétique est inimaginable par rapport à nos règles de gestion de crise. Une crise se gère aujourd'hui à quelques minutes près !
Les socles sont fragilisés : environnement, technologie, société... Un jeune qui incendiait une voiture, interrogé par un sapeur-pompier, a répondu : « Mais c'est ma voiture ! » Nous sommes confrontés à notre ignorance mais nous ne pouvons plus arguer du caractère exceptionnel de tels événements sans perdre toute crédibilité. Je vous renvoie au livre de Joshua Cooper Ramo, L'âge de l'impensable. Kissinger devait gérer la dissuasion ; aujourd'hui, nous avons à gérer la résilience. La sécurité nationale dépend de la capacité à tenir le choc, face à des menaces qui ne viennent plus seulement des Ardennes. Ce qui est important c'est la granularité : comment on réorganise des énergies hyperlocales et pas seulement la pyramide hiérarchique.
Nous avons un problème d'intelligence stratégique, on sait traiter des évènements lents, linéaires, mesurés, moyens avec quelques exceptions à la marge, or nous sommes face au non-linéaire, au discontinu, au chaotique. Un autre blocage, psychologique, a bien été mis en lumière par Nicole Fabre, dans L'inconscient de Descartes : dès qu'on nous annonce que quelque chose n'est plus sous contrôle, qu'il y a une faille dans le système, l'inquiétude immense se saisit des assemblées. Enfin, on ne peut plus se contenter d'appliquer des réponses préalablement codifiées, il va falloir, utiliser son propre jugement, inventer des nouvelles solutions et faire preuve de créativité. Le général Honoré, commandant la première armée américaine, a dû improviser face à Katrina en inventant un exercice pour permettre le déplacement de ces troupes.
La communication change de donne dans tous les sens. Lors d'une crise, comme les attentats de Londres le 7 juillet 2005, avec les moyens de communication modernes en trente secondes, il y a eu quinze millions de personnes impliquées ! Katrina, ce fut la perte totale de toutes les liaisons sauf les jeunes avec le SMS. Le 11 septembre 2001, les seuls à être informés sur la manière de sortir des tours, c'était ceux qui étaient à l'intérieur : ce qu'il aurait fallu faire en priorité c'était de capter l'information et la redistribuer. On assiste à une perte du monopole de l'information.
Quelles sont les exigences ? Il faut des pilotes préparés à être surpris, à être créatifs, à reconstruire un design organisationnel, en faisant confiance aux acteurs ce qui est contraire de nos logiques actuelles. Selon la logique américaine de l'empowerment, il faut travailler avec les gens. Dire « rassurez-vous, les pompiers arrivent », cela ne marche plus.
Les pièges, c'est la surinformation pour rassurer, les burn out immédiat de certains responsables : voyez le patron de Tepco, celui du Costa Concordia...
Les réponses s'apparentent parfois à des usines à gaz. Les formations sont figées. Or une crise, par définition, casse les règles du jeu !
Les retours d'expérience sont complexes et soulèvent tant d'inquiétudes...notamment des dirigeants. Mieux vaut aller à la recherche des meilleures idées que l'on a eues dans le monde. Lors des exercices, il ne faut pas traiter les acteurs comme des personnages passifs, mais les associer, développer la capacité à travailler ensemble, faire société.
Nous avons changé d'univers et nous n'avons ni les outils intellectuels ni la souplesse psychologique nécessaires pour y faire face. Le problème principal est le leadership. La communication ne fait que suivre.
Défaillance d'imagination, défaut d'initiative : à propos du 11 septembre, un parlementaire américain demandait « pourquoi est-on toujours en retard d'une guerre ? ». L'amiral Thad Allen, nommé quelques jours après Katrina, disait clairement que les procédures habituelles ne pouvaient s'appliquer : non, ce n'était pas un cyclone habituel. Le nombre de personnes évacuées fut plus grand que lors de n'importe quelle crise précédente aux États-Unis : 1,5 million, pour 225 000 logements détruits ! Son premier objectif fut de redéfinir l'événement, comme équivalent à une attaque par une arme de destruction massive. Il faut faire appel à l'esprit critique des gens ; les exercices convenus ne suffisent plus.
M. Roy Williams, directeur de l'aéroport de la Nouvelle-Orléans, partait des mêmes principes. L'aéroport, habituellement lieu de flux, était devenu un lieu de stock, abritant le plus grand refuge, le plus grand hôpital, la plus grande maternité du pays... Les dortoirs des secouristes et les cuisines y furent installés : ce n'était pas réglementaire mais cela permettait d'avoir un contact permanent avec les équipes d'intervention, sans passer par le téléphone.
M. Todd LaPorte, professeur à l'université de Californie à Berkeley, ne dit pas autre chose : il faut se préparer à être surpris. En termes d'organisation, cela change tout.
Certes, il faut que chacun soit parfaitement compétent dans son domaine. Mais, surtout, il faut être prêt à travailler avec les granularités sociétales, les trajectoires qui ne sont pas dans les livres. La réalité n'attendra pas !
Vous avez été décapant. Vous avez eu raison de parler de proximité. En 2003, les modèles prescrivaient d'évacuer les maisons en cas d'incendie à la périphérie d'une ville. On a lâché dans la nature des gens paniqués et les embouteillages empêchaient les pompiers d'avancer. Les policiers ont dû parfois sortir leur arme! Mais nous nous sommes débrouillés comme nous avons pu, face à l'inconnu.
Il faut faire confiance aux gens, sans démagogie. C'est une idée très nouvelle. Nous ne sommes plus en 1939 !
Je bois du petit lait... La manière dont on aborde ces problèmes peut les aggraver. Dans le Var, en 2010, la sous-préfète de Draguignan, s'est retrouvée toute seule : le Sdis était sous l'eau... En 2011, au contraire, les méthodes habituelles ont fonctionné, malgré des pluies plus abondantes.
Ne faudrait-il pas individualiser l'information, tant à l'égard des responsables que de la population ? Comment mieux informer les gens ?
M. Gilles Duval, un maire de l'Ile de Ré, informé de l'arrivé d'un fort coup de vent, a demandé à ses administrés, via trois associations locales de tourisme, de monter à l'étage : au lieu d'une demi information, il a donné un conseil simple, que tout le monde était prêt à appliquer. Pour ceux qui n'avaient pas internet, il a fait du porte-à-porte. Les outils ne suffisent pas : il faut savoir les piloter. Après l'incident sur l'A8, on a écouté les gens raconter leur expérience et dire ce qu'ils auraient pu faire ; on a vu apparaître peu à peu un véritable tissu de compétences.
La confiance est essentielle. Mais la parole des politiques, voire des scientifiques, est décrédibilisée, au moins depuis Tchernobyl. Le maire dispose encore d'une influence car c'est une figure symboliquement importante.
En formation, je prends le contre-pied de la logique habituelle. Je laisse les gens définir en petits groupes des scénarios, au lieu de mesurer la différence entre les mesures prévues et l'application. J'ai assisté à tant de réunions où les services de l'État se contentaient de présenter des powerpoint... Certes, il faut parfois être directif mais sans anéantir l'énergie créatrice.
L'assurance que tout se règle dans un bureau à Paris dérègle tout. Il faut faire confiance à tous les niveaux.
Donc, il faut pouvoir agir depuis le terrain sans avoir reçu l'aval d'en haut.
Oui, mais il se peut aussi qu'on ne voie rien sur le terrain, alors il faut une vision d'en haut.
Pour lutter contre les incendies dans le Var, des initiatives remarquables ont été prises par les communes confrontées aux feux de forêts pour coordonner l'action des pompiers venus de régions du nord de la France.
Le Canada, en 1978, a fait appel à des secouristes américains mais en mobilisant une partie de ses effectifs pour les aider à prendre leurs marques.
L'assaut du GIGN en 1984, à Marseille, a manqué son effet de surprise faute de quelques centimètres en haut de la passerelle d'accès à l'avion...
Il faut savoir donner des informations pertinentes, être souple ; dans tous les cas, la confiance est essentielle.
Prenez une initiative opérationnelle concrète et soumettez-là à la population afin qu'elle se place en situation !
Monsieur le président, l'étude et la gestion des eaux superficielles mobilisent près de la moitié de vos forces de recherches.
Je laisse la parole à Bernard Chastan, chef du département Eaux.
L'IRSTEA compte à peu près 1 000 permanents pour un effectif global de 1 600 personnes. L'un de ses neuf centres régionaux est situé en région PACA. La gestion des risques naturels fait partie de ses missions de recherches appliquées, outre la gestion durable des eaux et la qualité de l'environnement. Avec 250 personnes, dont 175 ingénieurs et chercheurs, le département Eau s'intéresse à l'hydraulique, en particulier dans le cas des inondations de la ville de Nîmes, l'hydrologie, la géomécanique et le génie civil, la socio-économie.
Nous sommes tournés vers l'appui à l'action publique et aux collectivités territoriales, par exemple dans le domaine de la prévision des crues, dans le cadre du Service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévision des inondations (SCHAPI) et des Services de prévision des crues (SPC).
La méthode AIGA (Adaptation d'informations géographiques pour l'alerte aux crues) a été développée par l'IRSTEA, pour améliorer l'alerte sur les crues rapides en sites non jaugés.
Les événements de novembre 2011 correspondent sur les cartes à l'enroulement typique d'une espèce de cyclone méditerranéen.
S'agissant des inondations de juin 2010, il semble en revanche qu'ils ne soient pas conformes aux modèles météorologiques...
L'événement n'a pas été si considérable en intensité ou en zones touchées, sauf très localement où les dégâts ont été importants puisque nous avons dû déplorer des pertes humaines. Ce n'est pas un phénomène d'une importance exceptionnelle mais sa concentration, notamment en ville, l'a rendu violent.
En 2002 et 2005, lors des crues du Rhône, les dégâts ont aussi été considérables mais cette fois, c'est la concentration des pluies dans le temps qui a rendu difficile de les prévoir et de se prémunir contre leurs effets.
Aucune prévision particulière n'avait eu lieu sur la vallée de l'Argens.
A ma connaissance, l'Argens ne fait pas partie des rivières spécifiquement surveillées pour les prévisions de crues en 2010.
Plusieurs cours d'eau ont été mis sous surveillance entre 2010 et 2011.
Depuis plus de vingt ans, nous répondons aux besoins des ministères techniques et des collectivités locales, en particulier pour le contrôle de la sécurité des ouvrages hydrauliques, barrages et digues. Nous leur fournissons expertise et assistance technique.
Nous entretenons des relations privilégiées avec les collectivités territoriales propriétaires des ouvrages par nos missions d'assistance et de conseil.
Au titre du Plan Submersion rapide, nous pouvons aussi fournir un appui en urgence : en 2011, nous avons connu un épisode de crue à deux pics avec une accalmie entre les deux, qui a érodé les digues du Reyran. Dans les 24 heures, nous étions sur place pour conforter l'ouvrage et émettre des recommandations à la ville de Fréjus.
Le projet RHYTMME a vocation à améliorer les prévisions en zone méditerranéenne. La région PACA est malheureusement pilote en matière de risques. Près de mille communes sont concernées, dont une centaine par des risques multiples : crues rapides, aléas torrentiels, mouvements de terrain, avalanches, feux de forêts.
La France est couverte par le réseau de radars hydrométéorologiques ARAMIS, avec un défaut de couverture majeur dans le sud-est. Dans les zones à reliefs, les radars de grande portée ne sont pas pleinement efficaces. C'est une zone très difficile à couvrir par cette technologie, essentielle pour avoir une vision spatialisée des précipitations.
Le but du projet d'installation de radars RYTHMME est de constituer une plate-forme de services à l'État et aux collectivités territoriales. Les radars utilisés sont de type Doppler polarimétriques en bande, de petite taille et de portée moindre que les grands radars d'ARAMIS. Il s'agit de les installer en les combinant pour qu'ils couvrent les zones à enjeux, de 2012 à 2013, afin de couvrir à peu près complètement les territoires montagneux.
Non, la précision satellitaire est beaucoup plus faible que celle de ces radars, qui sont mosaïqués, c'est-à-dire intégrés dans le réseau ARAMIS.
Quels sont les nouveaux radars en activité dans le cadre du projet RYTHMME ?
Ils sont en situation opérationnelle. Nous ferons un retour d'expérience à chaque événement. Nous avons conçu, construit, industrialisé, mis en place ces radars en deux ans !
Nous sommes actuellement en discussion avec les Brésiliens pour en installer chez eux.
Via extranet, des prévisions de pluie sont diffusées, ainsi que des avertissements automatiques auprès des services et des communes qui expérimentent le système afin de valider opérationnellement le procédé.
Certains radars ne font pas encore partie du réseau opérationnel. La démarche de validation durera jusqu'en 2013, voire 2014, pour les derniers.
On peut espérer que d'ici 2013, ce service de prévision des crues sera validé. Les communes recevront une carte, avec un menu accessible toutes les cinq minutes sur l'extranet de Météo France.
La responsabilité de l'entretien des berges et des digues incombe, s'agissant des cours d'eau sous-domaniaux, aux riverains. Or ils ne s'en acquittent pas. Ou on modifie enfin la réglementation, ou on continue à déplorer que rien ne soit fait. Il faut agir et que chacun prenne ses responsabilités.
Les collectivités agissent mais dans la quasi-clandestinité...
Il s'agit d'éviter que les gens meurent. On est dans une aporie. Les riverains ne font rien et chacun en est conscient ! Le Parlement, censé faire la loi, pourrait intervenir. Qu'en pensez-vous ?
Distinguons les ouvrages des berges. Avant les événements de 1994 en Camargue, les digues n'existaient pas juridiquement. Depuis, elles font l'objet d'obligations très strictes, et cependant adaptées à la taille des ouvrages.
Il faut identifier le responsable des ouvrages. Certains sont propriété d'associations ou de riverains défaillants. Ce fut le cas en Camargue où aujourd'hui opère le plus grand syndicat d'entretien des digues de notre pays. Il a fallu régulièrement rappeler les règles.
Il y a eu une implication forte des collectivités territoriales. Il a fallu du temps pour mettre en place cette structure.
Le syndicat a acheté des terrains à l'amiable.
Voyez-vous des évolutions possibles de la réglementation ? Les maires prennent des risques dès qu'ils agissent dans ce domaine.
Raisonnablement, c'est une structure comportant un nombre de membres significatifs qui peut prendre en charge les aménagements nécessaires. Cela prend du temps.
La notion de rivière domaniale ne s'étend pas aux ouvrages qui bordent la rivière. Elle couvre les berges naturelles, comme à La Réunion ou aux Antilles.
Réfléchissons ! Au XIXe siècle, il y eut un grand plan de lutte contre les effondrements de terrain en montagne, doté de moyens, notamment juridiques, considérables. Certes, à l'époque, il y avait un État !
C'était une sorte de plan Marshall de la montagne. L'État a acquis des terrains pour y faire des travaux. Aujourd'hui, il s'appuie beaucoup sur les collectivités. La politique de RTM (restauration des terrains en montagne) est aujourd'hui cofinancée, cent ou cent cinquante ans après.
Si l'on veut être efficace, il faudrait une domanialité publique de la rivière et des berges...
et des ouvrages qui la bordent ! Sur les rivières importantes, il y a plusieurs strates d'ouvrages. En Roumanie, l'État possédait entre trois et cinq mètres de part et d'autre des rivières. Cela s'est révélé défavorable car les riverains ont éliminé la rivière de leurs préoccupations.
Ni plus ni moins qu'ailleurs !
Faire porter sur les seuls riverains la charge de la protection de la rivière, c'est plus compliqué aujourd'hui qu'hier !
En Camargue, le plan de remise à niveau des digues s'élève à 250 millions d'euros.
Pour d'autres fleuves côtiers comme le Vidourle ont des structures, qui entretiennent les rives.
Certaines berges appartiennent aux communes. Il peut y avoir passation de contrats entre les propriétaires et les communes.
Les outils techniques ne suffiront pas. Il faut impliquer les populations pour qu'elles aient conscience des risques. Il faut, en outre, traiter la totalité du système de protection, pas seulement la rivière et les digues, sur la totalité du bassin versant.
L'entretien des rivières se heurte parfois à la police de l'eau. Dans le Var, le préfet à dû décider des travaux pour supprimer des embâcles et rétablir le cours ancien d'une rivière. Pour la police de l'eau, la vie amoureuse des poissons passait avant !
La perception du risque importe. Des riverains se sont opposés au rehaussement de digues maritimes, décidé par l'État, et ont gagné au tribunal administratif !
Tout domanialiser serait excessif et inefficace. Mais on sait que ce qui se produit en aval se joue en amont. On ne pourra se passer de structures collectives pour l'ensemble des bassins versants.
Le problème est compliqué. Il n'y a pas de solution simple mais une panoplie d'actions : gestion de crises, politiques de prévention, anticipation, là où la vulnérabilité est contrôlable, politique de long terme. Je crois en une série de mesures conjointes au bon niveau territorial.
Aux Pays-Bas, il n'y a plus aujourd'hui que 20 gestionnaires de digues, contre 45 en 2000 et plus de 4 000 à la fin du XVIIIe siècle !
Hormis l'IRSTEA, y a-t-il un autre organisme d'État qui réalise le même travail ?
Sur les inondations, non. La Thaïlande vient de faire appel à nous.
Vous êtes donc les spécialistes. Vos conseils sont-ils payants ? Comment fait-on appel à vous ?
Le projet RYTHMME répond à un appel d'offres dans le cadre du contrat de plan État-Région.
Nous signons un contrat avec la commune, en tenant compte du fait que cette expérience sert à notre recherche-développement. La rémunération est donc modique.
Nous intervenons quand les bureaux d'études n'ont pas la compétence.
Si un maire réalise des travaux sur des ouvrages qui ne lui appartiennent pas, sa responsabilité peut être engagée en cas d'incident.
La présence de végétation le long des cours d'eau semble constituer un facteur aggravant par la création d'embâcles. Cette constatation doit-elle, selon vous, conduire à un réaménagement en profondeur des zones entourant les cours d'eau à risques ? Quelles sont les évolutions récentes dans ce domaine ?
Le problème des embâcles est délicat. Des ouvrages peuvent se boucher en cas de crue, si la végétation n'est pas entretenue. Alors elle n'est plus notre alliée, mais notre ennemie. Il faut privilégier les essences arbustives, moins gênantes que les peupliers, comme les saules et les aulnes.
Des événements aussi intenses que ceux de 2010 et 2011 entraînent des désordres, de l'érosion... Quel que soit le type d'agriculture, les dégâts sont inévitables. La seule chose que l'on puisse faire, dans un cas comme celui d'Anduze, dans le Gard, où sont tombés 700 millimètres en une journée en 2005, c'est sauver des vies humaines grâce à la prévision.
La récolte est perdue, soit. Mais encore faut-il que celle de l'année suivante ne le soit pas aussi.
Au-delà d'un certain seuil de précipitation, l'érosion est inévitable, et tout est détruit.
Organiser la prévision pour sauver des vies et mettre en place un système complet de protection sur toute une rivière.
Oui, il faut privilégier l'alerte et, à un deuxième niveau, faire le bilan des expériences pour mieux se protéger.
Il faut former les gens, y compris les plus jeunes, par l'intermédiaire des instituteurs.
Après les rivières, le sous-sol. Que pensez-vous du risque d'inondation dans le sud-est de la France ?
Dans la vallée de la Nartuby, on a constaté un phénomène de mise en charge des eaux souterraines.
Nous n'avons pas étudié spécifiquement la Nartuby mais nous connaissons ce phénomène de mise en charge des sous-sols pour les zones karstiques comparables. Il existe à présent un système d'alerte à Nîmes.
Le BRGM a trois missions : recherche scientifique, développement et transferts vers l'industrie.
L'appui aux politiques publiques passe avant tout par l'expertise indépendante et la diffusion des connaissances. Le BRGM intervient à l'étranger, en particulier en Afrique, pour l'étude des ressources minières.
Nous avons en tout dix domaines d'activité, dont la géologie et les ressources minérales, la géothermie, l'eau, etc. Dans le domaine de l'eau, nous cherchons à connaître la ressource et répondons aux besoins de la directive-cadre sur l'eau. En ce qui concerne les risques, nous cherchons à développer des outils de diagnostic. Nous disposons de 28 implantations régionales.
Quel est le rôle des eaux souterraines dans les crues ? En général, ce sont les écoulements de surface, beaucoup plus rapides, qui provoquent les crues. Selon une idée généralement admise, l'eau stockée dans l'aquifère ralentit la crue ou, du moins, n'y contribue pas.
Dans le sud-est de la France coexistent plusieurs systèmes karstiques : l'eau s'infiltre dans les roches calcaires et crée des cavités. Dans certaines parties saturées en eau, les écoulements peuvent être extrêmement rapides.
A la Fontaine de Nîmes, on observait depuis des années des crues extrêmement rapides, celle de 1988 ayant causé neuf morts. Pourquoi donc le karst, en amont, n'absorbait-il pas la pluie ? Un système d'observation a été mis en place. En septembre 2005, il y eut deux épisodes de pluie à peu près équivalents. Le karst s'est saturé très rapidement. Dans le quartier de l'Eau bouillie, l'eau souterraine a jailli lors du deuxième épisode et s'est ajoutée aux eaux de surface, aggravant la crue. Ce second épisode, une fois le karst saturé, a occasionné une crue en centre-ville.
La capacité d'absorption du karst de Nîmes est donc limitée ; en cas de saturation, l'eau déborde. Il a donc paru nécessaire d'intégrer les eaux souterraines au système d'alerte. Nîmes disposait déjà d'un réseau très important de caméras, pluviomètres et stations hydrométriques. Nous y avons ajouté des forages équipés de sondes.
Les systèmes classiques de prévision ne prennent pas en compte les karsts. Nous avons créé un modèle de simulations : c'est l'indicateur karstique, qui nous a permis d'élaborer un abaque opérationnel.
La même méthodologie a été appliquée à d'autres bassins, en collaboration avec le SCHAPI et les SPC
Nous venons d'achever une étude sur le bassin du Lez, qui sert à l'alimentation en eau de Montpellier. Grâce aux pompages, le niveau d'eau dans le karst baisse l'été, ce qui évite les débordements lors des épisodes de précipitations cévenoles.
Nous entamons un projet de système d'alerte en temps réel, en particulier sur le bassin de la Nartuby.
Nous intervenons à notre initiative.
Sur les inondations, les travaux du BRGM complètent ceux de l'IRSTEA, spécialiste des eaux de surface. En dehors du milieu karstique, nous travaillons en milieu alluvial. Souvenez-vous des inondations de la Somme ! Un karst, c'est un réservoir.
C'est ce qui se produit à Montpellier, avec le Lez.
J'ai cru comprendre que le réservoir provoquait un afflux d'eau ou « siphonage ».
Par « siphonage », on veut dire qu'un doublement du volume des pluies n'entraîne pas nécessairement un doublement des crues. Le système se comporte de façon non linéaire.
Imaginez une série d'entonnoirs : il peut y avoir des décharges successives, si l'entonnoir du dessous débite moins vite que celui du dessus.
Dans le bassin de la Nartuby, dispose-t-on d'un système d'alerte global ?
Nous travaillons seulement sur le sous-sol.
S'il y a des problèmes en amont, il y en a aussi en aval, c'est-à-dire à Draguignan.
M. Philippe Dutartre. - Vous avez raison : il faut avoir une démarche multi-aléas, associant les risques de crues, d'embâcles, d'instabilité de pente, même si ce n'est pas l'objet de nos études sur la Nartuby.
Essayons de créer des modèles d'aide à la décision qui tiennent compte de paramètres relevant de sciences pour l'instant cloisonnées.
Bien sûr. Le couplage de modèles souterrains et superficiels, par exemple, devrait être développé.
Il faut distinguer ce qui est prévisible et ce qui ne l'est pas, par exemple un séisme ou un glissement de terrain. Ces phénomènes imprévisibles relèvent de l'aménagement du territoire à long terme.
Des pluies abondantes, il y en a chaque année ; un glissement de terrain, dans une gorge, peut se produire à l'échéance du siècle ou du millénaire. On ne peut pas tout mélanger. Certes, il faut travailler sur l'inconcevable, mais sans créer des modèles inutiles à l'échelle de la durée de vie d'une maison ou d'un équipement.
Il y a plus d'éléments à prendre en compte qu'on ne le fait actuellement.
Plus on comprendra, mieux on pourra modéliser. Mais l'échelle de temps est essentielle.
Avez-vous une ou deux recommandations à faire, aux élus de terrain que nous sommes, pour prévenir les inondations méditerranéennes ?
Il faut identifier les bassins karstiques et étudier ces systèmes pour dupliquer les méthodes appliquées à Nîmes et au Lez.
et construire des modèles efficaces.
C'est surtout que nous manquons de connaissance sur la problématique des crues parce que nous nous sommes, jusqu'alors, plutôt intéressés aux eaux souterraines en termes de ressources.
Merci de m'avoir reçu lorsque vous étiez sous-préfète à Draguignan pour me montrer ce qu'était une inondation dans le Var. Vous avez vécu une série de crues : 2009, 2010 et 2011.
Pourquoi y a-t-il des dysfonctionnements ? Que faire pour les réduire ou les supprimer ?
Réduire les risques à zéro est impossible. Faire avec la nature oui ; mieux prévenir et mieux gérer, oui ; c'est possible. A chaque inondation, le corps préfectoral a appris à gérer l'urgence et les secours et a amélioré la prévention.
D'abord il est essentiel d'avoir de bons outils de prévision.
Un quart d'heure avant d'être moi-même dans l'eau, je n'aurais jamais imaginé ce que nous allions vivre. Les prévisions météorologiques départementales ont été insuffisantes. On était dans le brouillard. Nous ne disposions pas de prévisions de crues.
Ensuite il faut développer la prévention: travailler sur les cours d'eau, l'urbanisme, bâtir des ouvrages pour limiter des inondations.
Enfin il faut travailler sur la connaissance du risque. Quand je suis arrivée dans l'arrondissement, on m'a parlé d'incendies, de mouvements de terrain mais pas d'inondations : ce n'était pas la principale préoccupation de l'administration, ni des élus.
Je retiens que vous avez été surprise. Votre expérience personnelle peut être transposée à d'autres villes de la côte méditerranéenne où l'on n'imagine même pas ce qu'est une crue. Ce n'était pas présent dans les consciences et il y a eu des dizaines de morts.
Il y a deux types de situations : celles qu'on connaît, pour lesquelles il existe des procédures standardisées, et des situations inouïes, où l'on se débrouille comme on peut.
Vous avez vécu les deux situations. La première seule, sans téléphone, sans pompier ou presque, vous avez fait en allant du SDIS, au Salamandrier et à l'Ecole d'artillerie. Il faut donc se préparer à l'imprévisible.
Ce n'est pas en multipliant les précautions que nous réglerons tous les problèmes. Ne peut-on imaginer des dispositifs d'alerte, avec des réseaux parallèles, permettant d'avertir les acteurs de terrain en même temps que les autorités ?
On pose rarement les questions de cette façon. C'est un tabou. On ne peut approcher toutes les catastrophes de la même manière. Novembre 2011 était prévisible : nous avions une bonne prévision météo, des prévisions de crues qui avaient progressé, des diagnostics sur des infrastructures dangereuses ; on a eu le temps de prendre des dispositions, peut-être a-t-on trop prévenu les élus, mais cela vaut mieux que pas assez.
Face à une catastrophe hors norme, on peut se poser la question de l'alerte des collectivités au moins en même temps que celle du corps préfectoral. D'autant que cela existe. avec un service payant de Météo France (Predict) déjà offert aux collectivités locales. Le préfet reçoit ces prévisions ce qui lui permet de mettre en place son dispositif de crise. Que les élus aient la même information en temps réel peut être bénéfique. En novembre 2011, on a eu un peu de cafouillage sur la fermeture des écoles. Dans le Haut-Var, les élus s'étaient débrouillés sans les moyens de l'État, parce qu'ils avaient l'information. Il y a des communes abonnées à un système payant de Météo France, Predict, très efficace et cela permet aux maires de prendre les mesures nécessaires.
Simplement, il peut y avoir un inconvénient: c'est la direction globale les opérations de secours. Le maire qui ferme ses écoles doit en avertir immédiatement le préfet, au COD. Il y a besoin d'une coordination des secours. D'ailleurs, l'engagement des moyens de secours dépend du préfet. La limite, c'est la tentation que pourraient avoir les élus d'utiliser leurs moyens habituels alors qu'ils sont à la disposition de la direction opérationnelle des secours. Le corps préfectoral a besoin de recevoir toute l'information pour organiser les secours. Il faut veiller à ce que l'organisation et le commandement des secours restent hiérarchisés sinon on va à la pagaille.
Faire remonter l'information, d'accord. Mais sur les moyens de secours, je ferai entendre un bémol. Parfois, on n'a pas vu les pompiers...
ou ils étaient sous l'eau ! On s'est parfois débrouillé avec les comités communaux de lutte contre les feux de forêt. Des pompiers sont venus des Alpes-Maritimes.
C'est grâce au commandement des secours qui demande des moyens extérieurs. Cela peut se faire aussi... de façon plus directe comme en juin 2010. De même pour l'engagement de moyens militaires. Il s'agissait d'une crise exceptionnelle !
Ne peut-on imaginer qu'on puisse déclencher d'autres procédures plus informelles ? Nous avons vu un petit film sur Katrina, à la Nouvelle-Orléans, où tout a été réorganisé sur place.
En juin on a passé outre à de nombreuses procédures. Mais si on ne l'avait pas fait, on n'aurait pas eu d'hélicoptères ! Les contacts étaient rompus. Les pompiers ont reconstitué leur mode opératoire, acquis pour les feux de forêts, parce qu'il n'y avait pas d'autre choix ; chaque officier a pris le commandement des hommes qui étaient à disposition.
M. Lagadec, professeur à l'École Polytechnique, nous a expliqué qu'aux États-Unis le général en charge des opérations a inventé des exercices en temps réel, pour éviter de demander l'aval des pouvoirs civils au transfert de troupes.
qu'il faut quand même bien gérer ! Cela demande de l'organisation, du travail et des moyens.
Il faudrait lui donner un autre nom que crise.
Pour que les choses se passent le moins mal possible, il faut avoir des gens préparés, fonctionnaires de l'État, secours, élus, qu'il faut aussi sensibiliser. Il faut avoir les bons réflexes. Aujourd'hui, on fait des plans de secours. Les élus qui ont connu des crises ont réagi. Il y a sans doute encore quelque chose à faire, par exemple à l'éducation nationale. En novembre, on a observé un début de panique : des directeurs d'établissement m'ont appelée pour savoir ce qu'ils devaient faire. Il y a là un travail à faire pour savoir comment réagir en situation.
La formation, pour l'ensemble des corps, y compris intermédiaires, est nécessaire.
Dans le Var, tout le monde est très préparé à réagir au risque d'incendies.
Il y a des retours d'expérience significatifs. Mais, comme l'a dit M. Lagadec, Fukushima, Katrina, c'est hors statut...
L'ampleur de ces crises était de toute façon imprévisible...
La coordination est indispensable, le principe de subsidiarité doit aussi jouer.
Passons à l'après-crise : il a été décidé de transférer la prison, et elle seule.
Une décision s'imposait pour la prison. Il fallait tout refaire. Le ministère de la justice a évalué le coût de remise en état et celui du transfert. Tout compte fait, il est apparu que cela coûtait moins cher de la reconstruire ailleurs. Le préfet estime à juste titre que le SDIS et la caserne sont des établissements trop sensibles pour ne pas être déplacés. Les aménagements sont insuffisants, il a demandé à ce qu'ils soient reconstruits ailleurs. On peut travailler sur la mise à l'abri pour les établissements recevant du public, comme les commerces, sans pour autant les déplacer...
Le garde des sceaux a dit que la prison serait reconstruite en 2017. Le problème du contrôle de légalité des constructions revient constamment...
C'est d'abord celui de la connaissance du risque. Le PPRI en vigueur ne prenait pas en compte ni le ruissellement et ni le phénomène karstique qui a aggravé l'inondation. Le PPRI avait été établi, et les terrains zonés, en fonction d'une connaissance du risque incomplète.
Pour les commerces, il faut s'assurer que les gens soient évacués rapidement en cas de crue.
Dans le PPRI il faut imposer des obligations aux propriétaires privés, aux établissements commerciaux et aux collectivités pour mettre à l'abri les employés, créer des plateformes hors d'eau, traiter les réseaux, et informer correctement les gens. Quand l'eau afflue, ne descendez pas dans le garage chercher votre voiture !
Quand les difficultés se répètent, il faut aller au bout des mesures préventives possibles.
La loi prévoit un seuil maximum au-delà duquel la commune ne peut être obligée à réaliser certains travaux.
Pour les Papi, (Programmes d'actions de prévention des inondations), on a de l'argent mobilisable ! Mais ce n'est pas ainsi qu'on pourra faire financer des plateformes hors d'eau dans les magasins.
Les associations de défense des sinistrés pensent que rien n'a été fait. Que peut-on leur répondre ?
Beaucoup a été fait en matière de prévision et de modélisation des crues. Ce n'est pas encore parfait mais c'est très important. Ainsi les spécialistes ne savent pas encore où mettre le capteur de Châteaudouble...
On a retravaillé avec les communes sur la gestion de la crise et sur les PCS (Plans communaux de sauvegarde) en commençant par la basse vallée de l'Argens. Le PCS de Fréjus a bien fonctionné en novembre. Cela permet de donner au maire un cadre d'intervention autonome.
Je passe sur l'évolution de la doctrine d'emploi des secours, notamment des hélicoptères.
On a refondu tous les PPRI, ce qui n'est pas simple plus on s'éloigne de la crise, en tenant compte de la crue exceptionnelle de juin, mais en intégrant aussi les phénomènes de ruissellement. Certaines zones non construites seront interdites à la construction. Or, dans le Var, dès que l'on peut construire, on cherche à le faire.
Il faut identifier les prescriptions imposées aux collectivités pour protéger les zones déjà construites.
Par ailleurs, on a lancé des chantiers particuliers, en commençant par la Nartuby, pour mieux réguler le cours de la rivière en cas d'inondation : c'est le plan Nartuby. Dans le même temps, on a lancé l'idée du Papi, soit un plan général sur l'ensemble du cours de l'Argens et de ses affluents (une vingtaine de cours d'eau). C'est compliqué car il faut une collectivité pour porter le Papi : d'où l'idée du syndicat mixte avec le conseil général. Cela peut marcher comme dans le département voisin des Alpes-Maritimes pour le fleuve Var, qui est au deuxième plan, parce que le Conseil général s'en préoccupe, il faut une prise en main politique. Ce n'est pas à l'État de prendre en charge politiquement le Papi, mais le Papi, il ne faut pas l'oublier, ce sont 40 % de crédits de l'État.
Il faudrait changer la loi. Il y a un problème de domanialité : les cours d'eau appartiennent aux collectivités.
Sur le bassin versant de la Cagne, il y a huit communes.. Je vais créer un syndicat mixte et ensuite nous lancerons un appel d'offres pour trouver un maître d'ouvrage qui pourra être, le cas échéant, le canal de Provence. Avec une volonté politique suffisante, on peut trouver la formule.
La Nartuby est un affluent de l'Argens. Le plan Nartuby s'intègre dans le Papi Argens. Le ministère de l'écologie ne sera pas d'accord pour faire un Papi propre à un affluent.
Malgré tout, alors que le Papi n'est pas encore labellisé, on a obtenu l'accord pour des travaux sur des parties du bassin versant.
La continuité écologique est quelquefois en contradiction avec la prévention.
Enfin, le conseil général du Var travaille aussi au réaménagement des terres de la basse vallée de l'Argens, pour y installer les activités agricoles qui supportent l'inondation.
Les salades, non, mais les arbres fruitiers, oui.
Si un bien est identifié comme exposé, le fonds Barnier peut intervenir pour le racheter. Mais ce n'est pas le cas pour les activités économiques importantes (plus de 20 personnes), le fonds n'est pas compétent. On peut acheter une habitation, pas le centre équestre adjacent. D'ailleurs, ce fonds n'est pas fait pour tout racheter. Dans la vallée de l'Argens et dans le bassin de la Nartuby, l'État a racheté plus d'une vingtaine de biens. Pour ceux qui sont moins exposés, on doit apprécier le niveau de risque et le coût des travaux de protection par rapport au prix du bien.
Deux questions sur les retours d'expérience (Retex). Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour demander le déplacement du centre de secours loin des zones inondables, alors c'était un point qui était déjà évoquer dans d'autres Retex dans d'autres départements ? Les Retex feront-ils l'objet d'une large communication au public et aux élus ?
Dans nos Retex, les élus ne sont pas intégrés. Mais nous travaillons avec les élus sur les PCS. On organise des réunions sur les suites mais ce ne sont pas des Retex au sens strict avec les élus. Certains élus font leurs propres retours d'expérience et agissent avec efficacité.
Sur la construction des SDIS et des casernes, l'État n'est pas seul compétent. Les responsabilités sont partagées. Le préfet a écrit au président du conseil général pour demander le déplacement du SDIS, le maire de Draguignan a proposé des terrains, celle du Muy a proposé de l'accueillir.