Intervention de Jean-Yves Perrot

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 4 avril 2012 : 1ère réunion
La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux — Audition de M. Jean-Yves Perrot président-directeur général de l'institut français de recherche pour l'exploitation de la mer ifremer

Jean-Yves Perrot, président-directeur général de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER) :

Je souhaite d'abord vous présenter la vision de l'IFREMER, établissement public de recherche très implanté en outre-mer. Je suis personnellement un militant de l'outre-mer. Je considère que l'outre-mer est une chance pour la France et la recherche scientifique française. C'est évident du point de vue marin, pour des raisons quantitatives mais surtout qualitatives. Quantitativement, 97 % de notre ZEE se situe outre-mer. Sur le plan qualitatif, les eaux de l'outre-mer donnent accès à des milieux d'intérêt scientifique sans équivalent pour les chercheurs. C'est vrai dans le domaine halieutique, de l'aquaculture en général et de la pisciculture en particulier, des ressources minérales, et, dans une certaine mesure, des énergies marines renouvelables.

L'IFREMER est implanté à peu près partout dans l'outre-mer français. Nous sommes présents en Guyane, aux Antilles, dans l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, à La Réunion, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, et bientôt à Mayotte.

Je m'exprime au double titre de président-directeur général de l'IFREMER et de vice-président de l'alliance AllEnvie, qui regroupe l'ensemble des organismes de recherche compétents dans le domaine de l'environnement, au nombre de 17, y compris le CNRS. Je suis chargé de la recherche en outre-mer au sein d'AllEnvie.

Nous avons la mission d'assurer, par délégation du secrétariat général de la mer, le secrétariat exécutif du programme EXTRAPLAC d'extension du plateau continental français dans le cadre de l'évolution du droit international de la mer, en développant des campagnes pour caractériser le plateau continental et préparer les instruments juridiques qui seront déposés devant la commission compétente de l'ONU, qui décidera ensuite d'accorder ou non l'extension. Les enjeux sont très importants pour notre pays : un million de kilomètres carrés supplémentaires de ZEE. Dans ce cadre, l'IFREMER a réalisé plusieurs missions dans les collectivités concernées.

L'IFREMER a trois missions :

- développer la connaissance de la mer et des océans ;

- l'expertise et la surveillance pour le compte des pouvoirs publics ;

- un appui à l'économie maritime au service du développement local.

L'IFREMER exerce ces missions autour de deux pôles principaux : la pêche et l'aquaculture, et en particulier la pisciculture. Nous avons adopté ces dernières années deux orientations majeures :

- conforter l'action au service de la pêche et de l'aquaculture. Nous avons étendu à tous les DOM le système d'information halieutique (SIH). C'est un outil d'observation de la ressource halieutique, qui est la condition première pour une exploitation durable et pour étayer des projets de développement ;

- diversifier la gamme de nos interventions pour répondre aux caractéristiques et aux besoins de l'outre-mer. Nous avons notamment développé la sélectivité de la pêche, par exemple pour la crevette en Guyane. Il y avait auparavant 9 kg de rejets à la mer pour 1 kg de crevettes pêchées. Nous avons développé des engins plus sélectifs qui ont considérablement réduit ces prises excédentaires préjudiciables au milieu marin.

Ma conviction est qu'il faut aujourd'hui aller plus loin dans la connaissance de la ressource et améliorer l'évaluation des stocks effectifs de poissons. L'halieutique est une discipline qui doit conduire à une grande humilité : les stocks de poissons sont très souvent méconnus et difficiles à évaluer. Il y a là matière à des campagnes scientifiques d'investigation. C'est un enjeu très important car la Commission européenne envisage, dans le cadre de la PCP, une mise sous quota automatique de la ressource dès lors que la quantité de celle-ci n'est pas connue, au nom d'une certaine vision du principe de précaution.

Le deuxième élément important pour la pêche est de travailler avec tous les acteurs locaux sur l'ensemble de la filière, notamment sur le traitement à terre de ce qui est prélevé en mer. Compte tenu des distances, il va de soi que ce qui est pêché devra être conditionné pour être valorisé.

Troisièmement, la question des énergies marines renouvelables : la France a choisi de confier l'essentiel de sa ressource énergétique à la filière électronucléaire ; mais elle a aussi fait le choix de diversifier son bouquet énergétique au profit de l'énergie renouvelable. Cet objectif ne pourra être atteint que si la France mobilise la totalité des segments de son énergie renouvelable, y compris les énergies marines.

D'autre part, à un moment où notre pays cherche de nouvelles voies de compétitivité et de réindustrialisation, l'état mondial de la demande en énergie et le degré de maturité des filières d'énergies marines renouvelables donnent à penser que la France a une carte à jouer, tout particulièrement en outre-mer. Je pense en particulier à l'énergie thermique des mers, notamment en Polynésie française et autour de La Réunion. L'énergie marine renouvelable, comme source complémentaire dans une perspective d'autosuffisance énergétique, a toute sa pertinence en outre-mer. Dans cet esprit, nous avons cherché à élargir nos interventions en outre-mer, en particulier pour avoir une meilleure connaissance de la courantologie.

Nous sommes également attentifs à la biodiversité marine, incomparablement plus large que la biodiversité terrestre, mais moins connue. Elle constitue un atout majeur patrimonial dans tout l'outre-mer, et notamment en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. Elle doit être couplée avec la problématique des biotechnologies.

Un autre axe d'intérêt des ZEE est la ressource minérale et énergétique, dans sa double dimension : fossile (pétrole et gaz off shore) et les terres rares. S'agissant de la ressource pétrolière et du gaz off shore, la capacité technologique, y compris de grands groupes français, permet d'aller la chercher de plus en plus loin et de plus en plus profond. Nous aidons les grands groupes pétroliers, français et étrangers, à affiner leurs approches géologiques. Il y a des enjeux, notamment au large de la Guyane. En ce qui concerne la ressource minérale au sens des terres rares, nous avons conduit des études prospectives à l'horizon 2030, l'une sur les énergies marines renouvelables, l'autre sur les ressources minérales profondes. Dans les deux cas, nous avons rassemblé autour de nous tous les partenaires publics et privés intéressés pour étudier comment positionner la France sur ces sujets. S'agissant des terres rares, une des retombées de nos travaux a été de diligenter, en partenariat public-privé, une série de campagnes expérimentales au large de Wallis-et-Futuna, avec l'objectif de caractériser les écosystèmes puis les amas sulfurés. L'enjeu est la mise en exploration puis en exploitation de ces ressources. La densité de ces minerais ouvre la possibilité d'une exploitation très intéressante de ces réserves.

Sur l'ensemble de ces questions, les travaux sont donc largement lancés, et appellent des développements complémentaires. Je fais allusion à AllEnvie. Le paysage français a beaucoup évolué, avec la constitution d'alliances inter-organismes. L'IFREMER appartient à deux d'entre elles : ANCRE (Agence nationale de coordination de la recherche), dédiée à des questions énergétiques, et AllEnvie, au sein de laquelle nous avons créé un groupe « mer », dont le copilotage est assuré par le CNRS et par l'IFREMER. Nous proposons cette année de fédérer les réflexions des différents organismes pour mieux répondre aux attentes des collectivités locales d'outre-mer sur le besoin de recherche au service du développement. L'objectif est de provoquer le dialogue nécessaire entre le ministère de l'outre-mer et le ministère de la recherche.

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