Intervention de Émilie Gélard

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 5 avril 2012 : 1ère réunion
L'outre-mer et la réforme de la politique commune de la pêche — Audition de Mlle émilie Gélard juriste chargée de mission au comité national des pêches maritimes et des élevages marins cnpmem

Émilie Gélard, juriste, chargée de mission au Comité national des pêches maritimes et des élevages marins :

Le CNPMEM représente quatre DOM : la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion. Nous travaillons également avec les professionnels d'autres collectivités ultramarines, notamment avec ceux de Mayotte, dans la perspective de la constitution d'un comité des pêches, et ceux de Saint-Pierre-et-Miquelon pour la structuration de la pêche artisanale sur l'archipel.

En outre-mer, les comités rassemblent les pêcheurs, le secteur aval et, grande nouveauté issue de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, les pêcheurs de loisir, qui disposent d'une voix consultative.

Les comités ont pour mission de représenter les intérêts des professionnels et de faire l'interface avec les pouvoirs publics. Il s'agit d'organismes privés remplissant des missions de service public. Par délégation de l'État, ils peuvent définir des règles pour l'activité de pêche, approuvées par arrêtés préfectoraux, et encadrer la gestion de leurs ressources, à condition d'être plus stricts que les prescriptions européennes et nationales.

Pour ce qui est de la situation économique de la filière, il y a une véritable insuffisance de connaissances et de données disponibles, tant pour ce qui concerne la ressource que les marchés outre-mer. J'ai ainsi eu de grandes difficultés à rassembler les chiffres suivants : on comptait 2 448 navires dans les quatre DOM en 2009, contre 4 857 en métropole. La flotte outre-mer représente ainsi 35 % de la flotte artisanale française ; l'outre-mer représente 20 % des effectifs des marins-pêcheurs ; les navires sont principalement de petite taille ; en 2008, 24 170 tonnes de poissons ont été vendues, pour une somme de 160 millions d'euros, avec plus de 10 000 tonnes pour la Guadeloupe, plus de 6 200 en Martinique, 3 900 en Guyane et environ 1 500 pour La Réunion ; le secteur représentait en 2006 près de 4 700 emplois, les deux départements comptant le plus grand nombre d'emplois étant la Guadeloupe et la Martinique ; le secteur représente environ 1 % du PIB ; les exportations atteignent environ 9 200 tonnes, le taux de couverture en produits de la mer s'élevant à environ 87 %.

S'agissant de l'application de la politique commune de la pêche (PCP) outre-mer, la maxime « loin des yeux, loin du coeur » illustre la situation, avec ses avantages et ses inconvénients. Tous les volets de la PCP s'appliquent dans les DOM depuis 2007. Les volets qui impactent le plus la filière sont les volets économiques. Les règles de gestion de la ressource sont « euro-centrées », c'est-à-dire pensées par et pour l'Europe continentale. La problématique de la gestion des quotas est ainsi sans objet dans les DOM : une seule espèce y est sous quota, la crevette guyanaise, et on ne parvient pas aujourd'hui à atteindre ce quota. À La Réunion, il y a bien des quotas mais découlant d'organisations internationales.

La réforme de la PCP pourrait conduire à un changement des règles de gestion des quotas, avec la patrimonialisation de la ressource. Cependant, les DOM ne semblent pas actuellement concernés par les projets de la Commission européenne du fait de l'existence de deux conditions : l'exclusion de l'application des règles relatives aux quotas transférables aux navires de moins de 12 mètres (soit 90 % de la flotte domienne) et l'application de ces règles aux seules espèces sous quotas communautaires.

Sur le volet marché, la signature des accords de partenariat économique, notamment avec les États de la Caraïbe, constitue un frein au développement de la filière. Par méconnaissance et par éloignement, l'Union européenne (UE) n'évalue pas, préalablement à leur conclusion, l'impact de tels accords sur le marché des régions ultrapériphériques (RUP). Or, les producteurs locaux en subissent les conséquences, à l'exemple de l'importation de dorade congelée en provenance de la Barbade dans les Antilles mise en vente à un prix très bas.

La méconnaissance des réalités ultramarines au niveau européen est une problématique récurrente. Il convient également de noter qu'en matière de pêche, les RUP françaises ne sont aucunement comparables aux RUP portugaises ou espagnoles qui pratiquent leur activité sur des stocks partagés avec d'autres régions européennes.

La France est souvent incapable de donner des informations chiffrées sur la ressource ou sur les marchés dans les outre-mer, sûrement par manque de moyens et de défaut de développement de la recherche appliquée. Elle n'est ainsi pas capable de défendre et de justifier des demandes d'exemptions ou de dérogations auprès de la Commission européenne.

En termes de fonds structurels, les crédits communautaires, comme le Fonds européen pour la pêche (FEP), constituent un atout pour nos DOM. Mais les conditions d'application de ces aides rencontrent des freins. Ainsi, une aide est octroyée au niveau européen pour moderniser les moteurs, à condition qu'ils aient au moins cinq ans. Or, en raison des conditions climatiques, les moteurs ne résistent pas aussi longtemps aux Antilles : l'application non différenciée de cette aide conduit, dans ce domaine, à freiner le développement de la filière pêche. Par ailleurs, l'accès aux crédits communautaires est freiné par la complexité des dossiers, les difficultés des entrepreneurs à remplir ces derniers et à fournir la contrepartie privée. Les difficultés d'accès au crédit bancaire empêchent ainsi le recours aux fonds européens : en Guyane et à La Réunion, l'enveloppe de crédits disponibles n'a d'ailleurs pas été totalement dépensée.

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