Le modèle émetteur-payeur est au coeur du conflit d'intérêt actuel des agences de notation. Il est apparu à la fin des années 1960 avec le développement de la photocopie et l'absence de droits, qui a entraîné la diffusion à grande échelle de l'information. L'industrie de la notation a réagi en passant d'un modèle investisseur-payeur à un modèle émetteur-payeur, sans anticiper les conséquences désastreuses de ce changement quarante ans plus tard...
Un modèle investisseur-payeur ne peut voir le jour sans soutien politique et sans changements dans la régulation. Comment le régulateur peut-il créer les conditions d'un modèle basé sur l'investisseur ? Nous avons fait des propositions au niveau européen. Il faudrait une plateforme à l'échelle européenne, un marché de la notation, sur laquelle les émetteurs seraient obligés de publier leurs informations, à laquelle toutes les agences de notation auraient accès.
Les investisseurs seraient à leur tour obligés d'acheter l'une de ces notations lorsqu'ils achètent une nouvelle émission. Tout produit émis sur le marché serait ainsi accompagné de sa note, l'investisseur ayant le choix entre les agences de notation. Celles-ci seraient donc en concurrence pour l'argent des investisseurs, pas pour la décision des émetteurs.
J'ai rencontré à plusieurs reprises la Commission européenne, qui étudie le dossier. Je ne sais pas si cela débouchera sur une décision, condition indispensable pour fonctionner sur le modèle investisseur-payeur. La presse dit que nous avons abandonné ce modèle : c'est faux, mais nous avons besoin du soutien du régulateur.
J'en viens au modèle opérationnel. Le processus de notation actuel peut être amélioré. Il est aujourd'hui impossible pour une personne extérieure d'arriver aux mêmes conclusions que l'agence, même en ayant tous les éléments en main, car la notation repose sur un processus qualitatif qui est le fait d'experts. Les chiffres qu'elle utilise ne sont pas prédéfinis, il n'y a pas d'algorithme. Nous voulons rapprocher le processus de celui utilisé par les banques qui, depuis Bâle II, ont créé en interne des modèles quantitatifs reposant sur des données empiriques. J'ai une grande expérience en la matière, pour avoir développé ces outils pour bon nombre de banques. En associant mieux quantitatif et qualitatif, avec un modèle mathématique, il devrait être possible de produire des notations qui aient une plus grande capacité de pronostic, et soient plus lisibles. Actuellement, nul ne comprend comment on aboutit aux notations ! Or, les banques ont des problèmes lorsqu'elles se fient aux notations extérieures, pas quand elles se servent de leurs modèles internes ! En utilisant des données empiriques, on peut faire la preuve au régulateur de la fiabilité des notations internes. C'est ce que nous voulons faire avec notre agence.
La transparence sera accrue si les personnes extérieures peuvent comprendre pourquoi et comment l'agence est arrivée à sa conclusion. Cela signifie plus de contrôle et de surveillance publique. Cette transparence accrue mettra fin aux manipulations trompeuses.
Enfin, ce système revient bien moins cher que les notations traditionnelles. Cet avantage de coût est indispensable pour qu'un nouvel entrant puisse obtenir des parts de marché. Cela devrait à terme tirer les prix vers le bas. Nous proposons de créer un nouveau type de plateforme de transparence sur Internet. C'est une plateforme électronique qui produira la notation. Le processus pourra être suivi en temps réel : chaque étape sera documentée ; la note n'aura pas à être publiée, puisqu'elle sera déjà publique. Via des blogs, chacun pourra être lanceur d'alerte, y compris anonymement, au cours du processus.
Surtout, nous offrons au public une transparence absolue. Les données seront publiées en code source, chacun pourra comprendre comment les facteurs sont pondérés, combinés de telle ou telle façon ; les investisseurs pourront télécharger gratuitement le modèle mathématique. En montrant ainsi l'exemple, nous améliorerons la transparence dans toute l'industrie de la notation.
Le modèle quantitatif sera la colonne vertébrale, mais un simple tableau de bord n'est pas suffisant pour faire une notation. Il faut expliquer, le cas échéant, pourquoi l'on dévie du modèle mathématique. Le processus est analytique : d'abord les données financières quantitatives, puis les facteurs qualitatifs qui peuvent être quantifiés, puis les facteurs non quantifiables, ensuite la structure des garanties, jusqu'aux éléments les moins structurés. C'est une cascade. Il n'existe pas un point qui ne puisse être rendu transparent.
Je ne crois pas à la confidentialité des données : c'est un alibi pour justifier les pratiques actuelles. Si l'on prétend emprunter 1 milliard euros aux épargnants, il faut leur apporter la transparence nécessaire pour faire comprendre le risque de crédit. La confidentialité des données n'ajoute rien à la qualité d'une note, au contraire : c'est une boîte noire à l'intérieur d'une boîte noire.