Intervention de Laurence Rossignol

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 22 mai 2012 : 1ère réunion
Négociations internationales — Climat et environnement - examen du rapport rio + 20

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol, rapporteure :

Mon rapport se décompose en deux parties, le rapport lui-même et les recommandations qui l'accompagnent, en vue de contribuer à définir la position de la France et de l'Union européenne lors du sommet international Rio+20.

Je suis très heureuse de vous présenter aujourd'hui ce rapport d'information qui est le fruit des travaux du groupe de travail, créé en novembre dernier, par l'ancienne commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire et depuis rattaché à notre commission.

Ce groupe de travail montre l'intérêt du Sénat pour les questions environnementales. Il est composé de notre président, Raymond Vall, de Marcel Deneux, Evelyne Didier, Ronan Dantec, Jean Bizet et aussi de Jean-Claude Lenoir, notre collègue qui est resté dans la commission des affaires économiques, et auquel notre porte reste grande ouverte. Après s'être concentré sur la problématique du climat à l'occasion de la Conférence de Durban de décembre dernier, notre groupe s'est intéressé à la préparation de la quatrième conférence des Nations unies sur le développement durable, qui se tiendra à Rio du 20 au 22 juin prochain.

Cette Conférence, qu'on appelle « Rio+20 », parce qu'elle fait suite, vingt ans après, à Rio 1992, revêt une importance toute particulière pour plusieurs raisons. La première est symbolique. Il s'agit en effet d'un double « anniversaire ». La conférence aura lieu vingt ans après le « Sommet de la Terre » de 1992, qui avait, dans la Déclaration de Rio, entériné les principes du développement durable et lancé, avec l'Agenda 21, un principe d'action environnementale décliné à l'échelon territorial. Ce sera aussi les quarante ans de la Conférence de Stockholm de 1972, qui, elle, avait fait accéder, pour la première fois, l'environnement au rang des grandes préoccupations internationales. Un moment charnière, donc, une date anniversaire. Mais là n'est pas la raison la plus significative.

La Conférence « Rio+20 » revêt aussi une grande importance parce que nous sommes aujourd'hui, en matière de développement durable à l'échelle planétaire, à la croisée des chemins.

Les risques liés à l'environnement n'ont jamais été aussi élevés. Tous les indicateurs sont au rouge. La concentration de dioxyde de carbone dans l'atmosphère ne cesse d'augmenter : elle s'est accrue de 9 % depuis 1992. Le dérèglement climatique s'accélère et on connaît aujourd'hui les conséquences catastrophiques que pourrait avoir une augmentation de température de 2 ou 3°C. La surexploitation des ressources, concomitante de la dégradation des milieux naturels, menace la biodiversité et le droit fondamental pour chacun de vivre dans un environnement sain. La sécurité alimentaire et l'accès à l'eau vont devenir des sujets de plus en plus problématiques, surtout dans un contexte d'augmentation de la population, qui devrait atteindre 9 milliards à l'horizon 2050.

Le monde est aujourd'hui face à un choix important : ne rien faire, ce qui conduira inévitablement à une aggravation encore plus spectaculaire des inégalités et à une recrudescence des catastrophes écologiques, ou changer notre modèle de développement afin de rééquilibrer l'utilisation et la répartition des ressources de manière plus égalitaire et plus respectueuse de l'environnement.

Lors de la conférence de Rio, en 1992, le monde avait pris conscience de la finitude de nos ressources naturelles. Aujourd'hui, l'urgence de la situation nous met au pied du mur : à la prise de conscience doit succéder l'action. La faillite du modèle actuel de production et de consommation invite à poser les bases - l'heure n'est plus à le penser mais à le faire - d'un nouveau modèle de développement intégrant les questions sociales et environnementales. Nous devons accompagner un véritable changement de civilisation. L'heure est à la relance de l'espoir. Je vous rappelle cette phrase que François Mitterrand avait prononcée au Sommet de la Terre de 1992 : « Jamais l'humanité ne s'est assigné des objectifs aussi ambitieux. Mais jamais non plus cela n'avait été comme aujourd'hui la condition de sa survie ».

Je voudrais également insister sur un élément essentiel, à mon sens, concernant les négociations internationales : la question de la participation de la société civile et de la mobilisation de l'opinion. Cette question n'est pas nouvelle et elle a même fait l'objet d'une convention spécifique, la convention d'Aarhus de juin 1998, adoptée par la Commission économique pour l'Europe des Nations unies. Cette convention a consacré trois droits fondamentaux pour les citoyens et les associations qui les représentent : l'accès à l'information, la participation au processus décisionnel et l'accès à la justice.

Alors que les négociations environnementales portent sur des sujets qui impactent de plus en plus directement le quotidien des populations, elles restent encore aujourd'hui trop éloignées des citoyens. Si les associations représentant la société civile sont associées à la phase préparatoire, les phases de prises de décision sont encore soumises au huis clos des enceintes internationales. Les conséquences en sont une démobilisation de l'opinion et un sentiment d'impuissance.

La déception du sommet de Copenhague en 2009 a sans doute aussi contribué à décourager l'opinion publique, qui se sent éloignée de sujets jugés trop techniques et lointains. Cette évolution est très regrettable. C'est pourquoi notre groupe de travail a souhaité insister sur le rôle essentiel des parlements nationaux et des enceintes interparlementaires.

Le degré de réussite des négociations internationales comme celle des Nations Unies sur le développement durable, dépend du degré d'implication des parlements nationaux et de leur capacité à relayer ces préoccupations auprès de l'opinion publique. Dans cette optique, nous sommes, au Sénat, particulièrement légitimes pour assumer cette mission, en tant que représentants des territoires.

Au fil de ses auditions et de ses déplacements, le groupe de travail a été conduit à s'arrêter tout d'abord sur les enjeux principaux de la Conférence « Rio+20 » qui se tiendra en juin, avant de proposer des recommandations, dans le but d'appuyer la position de la France et de l'Union européenne.

Premier enjeu, que tous les interlocuteurs du groupe de travail ont souligné : le changement de la donne internationale entre 1992 et aujourd'hui. L'année 2012 est en effet, selon Pascal Lamy, l'an I d'un grand basculement planétaire : désormais, le poids économique des pays en voie de développement est supérieur à celui des pays développés, ce qui ouvre la voie à de nouveaux équilibres. Alors qu'en 1992, les négociations s'inscrivaient dans un schéma plutôt « classique » entre pays du Nord et pays du Sud, cette fois les pays émergents semblent suspecter l'unanimisme environnemental de n'être en réalité qu'un prétexte pour freiner leur développement économique. Lever ces inquiétudes constituera l'un des enjeux cruciaux de Rio+20.

Autre élément qui a tout bouleversé : la crise économique et financière, ouverte en 2008, qui a relégué les questions environnementales au second plan. Il nous semble que, bien au contraire, la Conférence de Rio devra réussir à effacer cette dangereuse illusion qui consiste à dissocier la crise économique actuelle des questions environnementales. Le monde est en effet aujourd'hui en proie, non pas à une crise, mais à des crises, qui témoignent simultanément de la faillite d'un modèle de développement non durable.

Deuxième enjeu, le groupe de travail s'est employé à dresser le bilan des avancées et des réalisations obtenues entre les deux sommets de Rio. Il est en réalité difficile de mesurer les avancées concrètes dans la mesure où aucun des grands principes énoncés à Rio n'a été assorti d'indicateurs de référence précis.

C'est surtout le principe 4 de la déclaration de 1992, énonçant que toute forme de développement doit être fondée sur la durabilité, qui n'a pas connu l'application escomptée. La transition vers un nouveau modèle de développement économique, compatible avec la protection de l'environnement et le progrès social, reste quant à elle très incertaine. L'environnement reste aujourd'hui contingent d'un modèle de développement traditionnel, repris à leur compte par les pays émergents.

C'est donc une véritable transition, un changement de civilisation que nous souhaitons pour la Conférence de Rio de juin prochain. C'est le sens des recommandations de notre rapport d'information.

Quel est le contexte de la Conférence ? C'est l'Assemblée générale des Nations unies qui en a entériné le principe en juin 2012. La démarche retenue est une démarche contributive : le processus préparatoire court depuis 2010 et se terminera à la veille de la Conférence. Réunions informelles et comités préparatoires permettront ainsi d'élaborer un projet de document qui sera discuté lors du Sommet.

Les deux thèmes principaux de la Conférence sont, d'une part, l'économie verte dans un contexte de développement durable et d'éradication de la pauvreté, d'autre part, le cadre institutionnel afin d'engager une meilleure gouvernance planétaire du développement durable, transversale et partagée.

Les préconisations que nous formulons dans ce cadre veillent toutes à préserver les trois piliers du développement durable : économique, environnemental et social. Elles sont au nombre de seize et portent sur des sujets différents. Notre objectif est de conforter la position de la France, et aussi celle de l'Union européenne, dans le cadre des négociations. Je rappelle d'ailleurs que le Parlement européen a adopté en septembre 2011 une résolution sur Rio+20.

La première série de recommandations concerne la question institutionnelle. Vous le savez, et cela est apparu très clairement au fur et à mesure de nos auditions, la gouvernance mondiale du développement durable n'est aujourd'hui pas satisfaisante, notamment en raison de sa fragmentation et de son éparpillement. Outre la Commission du développement durable des Nations unies et le Programme des Nations unies pour l'environnement, il existe plus de cinq cents accords multilatéraux relatifs à l'environnement.

Plusieurs pistes sont sur la table : la première option consiste à élargir la mission du Conseil économique et social des Nations unies en lui donnant un volet environnemental ; la deuxième option consiste à renforcer l'actuelle Commission du développement durable des Nations unies ; enfin, est envisagée la création d'un Conseil du développement durable, au sein des Nations unies.

Sur ce sujet, le rapport préconise la transformation du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) en une agence spécialisée des Nations unies, unique et centrale, au sein de laquelle le rôle des experts scientifiques serait renforcé.

La recommandation n°2 préconise parallèlement le renforcement du Conseil économique et social (ECOSOC) des Nations unies, par l'adjonction d'un pilier environnemental au champ de ses missions.

La deuxième série de recommandations est relative au concept « d'économie verte », qui constitue l'autre sujet qui sera discuté à Rio. Ce concept risque en effet d'être longuement débattu dans la mesure où, à ce jour, aucune définition communément admise n'existe. Deux écueils doivent à tout prix être évités : d'une part, que cette partie du document final ne consiste qu'en une énumération de déclarations d'intentions par grands secteurs d'activité ; d'autre part, que la définition de l'économie verte soit en recul par rapport à la notion de développement durable, définie dans le rapport Brundtland de 1987 et reprise à Rio en 1992.

La recommandation n° 3 préconise ainsi que la Conférence Rio+20 définisse l'économie verte comme un modèle de développement sobre et économe des ressources naturelles, promouvant le droit au même niveau de développement pour tous.

Sur le contenu de cette notion d'économie verte, le groupe de travail a souhaité insister sur les ressources naturelles disponibles, en préconisant que Rio+20 donne lieu à l'adoption d'une feuille de route ambitieuse pour la préservation et la gestion durable des océans et la consolidation de la gouvernance internationale en matière de biodiversité en haute mer. La Conférence devra notamment définir un statut juridique de la haute mer.

La recommandation n° 6 préconise que la sécurité alimentaire soit un des objectifs du document final de Rio, en tant que droit inaliénable de tout individu, de même que le droit à l'eau universel, via le maintien de l'actuel chapitre 67 du « draft zero », c'est-à-dire du premier projet de document rédigé dans la perspective de la Conférence de juin prochain.

Enfin, la recommandation n° 8 met en avant l'objectif d'une transition mondiale vers une énergie durable en insistant en particulier sur l'accès à l'électricité pour tous.

La troisième série de recommandations touche aux aspects juridiques du développement durable à travers plusieurs préconisations : la définition d'indicateurs permettant une évaluation des progrès du développement durable au niveau international ; la consécration du principe de non-régression en droit de l'environnement, qui devrait empêcher tout recul dans la protection de l'environnement ; la promotion d'une stabilisation de la population mondiale, sans contrainte, par une action sur l'accès à l'éducation et l'accès à la contraception ; la définition d'un statut, harmonisé au niveau mondial, des déplacés environnementaux, qui sont aujourd'hui bien plus nombreux que les déplacés en raison de conflits armés, soit environ 38 millions de personnes.

Enfin, la dernière série de recommandations porte sur les acteurs du développement durable. Je vous propose tout d'abord d'adopter une recommandation sur le caractère essentiel du rôle des parlements nationaux et des organisations interparlementaires.

Nous proposons également une amélioration de la participation des acteurs de la société civile à la gouvernance environnementale au niveau mondial, afin de garantir l'effectivité du principe 10 de la Déclaration de Rio.

De manière plus spécifique, la recommandation n° 15 porte sur le rôle majeur des femmes dans la préservation des moyens de subsistance et dans la promotion du développement durable. Le développement durable ne pourra se faire sans l'éradication de cette pauvreté spécifique, qui les touche davantage que les hommes.

Enfin, la dernière recommandation, mais non la moindre, porte sur le rôle clé des collectivités territoriales en matière de développement durable. Elle préconise que ces dernières puissent obtenir un statut spécifique, à côté de la société civile et des parlements, dans les processus de négociation internationaux. La nouvelle gouvernance environnementale qui sera mise en oeuvre au niveau mondial devra intégrer les territoires comme des acteurs à part entière et les associer aux prises de décisions internationales.

Il conviendra aussi de promouvoir une meilleure coordination entre les différentes conventions relatives à l'environnement et les accords multilatéraux ainsi qu'entre les différents échelons d'action pour permettre une déclinaison du global au local.

Tel est le fruit des travaux de notre groupe de travail. Notre ambition n'était pas de nous montrer exhaustifs, mais de cibler quelques points, que nous avons jugés essentiels et que nous souhaitons voir soutenus par le gouvernement lors de la Conférence de juin prochain.

Notre but est aussi, conformément aux propositions que nous formulons pour une plus grande implication des parlements dans les négociations internationales, de jouer notre rôle de relais en nous saisissant des enjeux de cette conférence.

Tout l'enjeu de cette Conférence sera finalement pour les pays industrialisés de réussir à lever les réserves, les inquiétudes légitimes des pays émergents sur la notion d'économie verte. En réalité, l'économie verte n'est pas un luxe mais une opportunité : elle doit être un modèle de développement, celui de la période de l'histoire de l'humanité qui s'ouvre et dans laquelle les pays hier dits du Sud pourront inscrire leur émergence. Voilà le message que la Conférence « Rio+20 » doit réussir à porter.

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