Intervention de Jérôme Ballarin

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 24 mai 2012 : 1ère réunion
Femmes et travail — Audition de M. Jérôme Ballarin président de l'observatoire de la parentalité en entreprise auteur du rapport « parentalité et égalité professionnelle hommes-femmes : comment impliquer les hommes ? » remis à Mme Claude Greff secrétaire d'état chargée de la famille

Jérôme Ballarin, président de l'Observatoire de la parentalité en entreprise :

Je vais vous présenter brièvement mon parcours : ancien manager au sein de la direction des ressources humaines du groupe Danone, je suis un professionnel des questions de gestion des ressources humaines et de management. J'ai fondé au cours des années 1990, l'association « Nouvel équilibre » qui a travaillé sur les sujets de conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Par ailleurs, je suis père de deux jeunes enfants et mon épouse est très impliquée professionnellement.

Ainsi, mon expertise professionnelle, mon engagement associatif passé et ma vie personnelle m'ont-ils amené, en 2008, à lancer un mouvement pour sensibiliser les employeurs sur ces sujets de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, en s'inspirant de la charte de la diversité qui avait conduit à l'adoption de la loi du 31 mars 2006 contre les discriminations et à la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE).

J'ai proposé une charte de la parentalité en entreprise pour essayer de mobiliser l'ensemble des acteurs de la société française, les chefs d'entreprise, les directeurs des ressources humaines, les syndicats, les politiques et les citoyens eux-mêmes de façon à amorcer un débat sur ces sujets à la confluence de stéréotypes, de la culture et des mentalités.

Cette charte est signée par quatre cents employeurs en France, des entreprises de toutes tailles et de tous les secteurs d'activité qui représentent 10 % de la population active, soit environ trois millions de personnes : des grands groupes (Danone, L'Oréal, Areva, BNP) y côtoient des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE) ; la moitié des signataires sont des petites entreprises - de dix salariés à quelques centaines -.

En 2009, l'observatoire a organisé un tour de France des PME pour sensibiliser les chefs d'entreprise sur ce sujet et leur montrer que le bien-être des salariés contribue à la performance de leur entreprise.

Un certain nombre de collectivités locales, dont le conseil général du Finistère sont aussi signataires de la charte.

L'Observatoire de la parentalité en entreprise, association indépendante loi 1901, a été créé pour organiser les évènements de signature de la charte, favoriser la mise en oeuvre d'actions concrètes, organiser des commissions de travail avec des grandes entreprises, des ateliers avec les PME, afin de jouer un rôle de catalyseur sur le sujet.

Un baromètre annuel mesurant les évolutions observées a été créé, fondé sur un triptyque comprenant :

- un volet « salariés » : un échantillon de plus de mille salariés est interrogé annuellement sur leurs attentes et leur degré de satisfaction ; cette année, d'après cet indicateur clef qui ne montre malheureusement pas d'amélioration, 75 % des salariés interrogés estiment que leurs employeurs ne font pas grand-chose pour leur permettre de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale ;

- un volet « entreprises » : une enquête annuelle interroge les entreprises signataires de notre charte pour savoir concrètement ce qu'elles ont mis en oeuvre et pour suivre l'évolution de leurs pratiques ;

- un échantillon de cinq cents adolescents âgés de 14 à 17 ans est aussi périodiquement interrogé sur le regard qu'ils portent sur le travail de leurs parents ; c'est un levier de mobilisation des parents, car il les sensibilise à la manière d'aborder leur travail avec leurs enfants et de leur inculquer la valeur du travail, mais aussi des employeurs, car ces adolescents ont vocation à devenir plus tard des salariés auxquels il faut donner le goût de l'entreprise.

Or, deux adolescents sur trois nous décrivent le travail de leurs parents comme stressant, fatigant, voire très dur, ce qui ne témoigne pas d'une très bonne image du monde professionnel.

J'aborde maintenant les actions concrètes que prône l'Observatoire de la parentalité ; elles se regroupent en quatre grandes catégories.

- Les services qui facilitent le quotidien des salariés-parents, tels que les crèches d'entreprise, les réseaux d'accompagnement des jeunes parents par un médecin pédiatre.

- Les soutiens financiers, plébiscités par les salariés-parents, sous la forme de mutuelles avantageuses pour les familles, de compensation financière pour les hommes qui prennent leur congé paternité, d'octroi de chèques emploi service universels.

- L'organisation du travail qui est sans doute la voie d'action la plus structurante ; l'enquête menée auprès des salariés indique qu'ils souhaitent, en tout premier lieu, la limitation des horaires de réunion ; l'observatoire se bat pour faire reculer le présentéisme à la française - le « management à la montre » - considéré dans les pays anglo-saxons comme un signe d'inefficacité et non pas de motivation au travail.

Le présentéisme est très pénalisant pour la carrière des femmes car elles doivent quitter l'entreprise plus tôt que les hommes pour s'occuper des tâches familiales.

Une meilleure organisation du travail passe aussi par la flexibilité du travail, sujet qui n'est plus tabou, les salariés étant désormais demandeurs d'une flexibilité choisie « gagnant-gagnant ». A titre d'exemple, je citerai le cas de 20 000 caissières de la grande distribution travaillant selon un système « en îlot » qui leur permet, six semaines avant l'élaboration des plannings de travail, d'indiquer leurs contraintes personnelles ; ces plannings de travail tiennent compte à 95 % de ces desiderata.

Enfin, l'observatoire encourage le télétravail, sous une forme encadrée par des accords et négociée avec les partenaires sociaux : limité à un ou deux jours maximum par semaine, effectué soit à domicile, soit dans un « télécentre », il peut être considéré comme un outil d'aide à la conciliation.

- La formation des managers de proximité : quatre femmes sur dix sont inquiètes d'annoncer leur grossesse à leur manager car ces derniers n'ont pas été assez sensibilisés au respect de la vie personnelle des collaborateurs, au respect des différences.

A cet effet, l'observatoire a créé un guide des managers de proximité comportant des scénettes, des conseils comportementaux...

Les entreprises peuvent mettre en place des dispositifs au niveau des directions des ressources humaines et des directions générales mais si ceux-ci ne sont pas portés au quotidien par des managers, ils resteront lettre morte.

Pour finir, j'aborderai maintenant les conclusions du rapport sur l'implication des hommes.

Pour élaborer ce rapport, nous avons travaillé avec les syndicats, les partenaires sociaux, les experts des directions des ressources humaines, des salariés hommes dans différentes situations - congé parental, temps partiel, télétravail, flexibilité d'horaires - avec le souci de montrer que des pères s'impliquent dans la vie familiale.

Ma première approche portait sur l'engagement des collaborateurs en matière de conciliation entre les vies professionnelle et personnelle mais a glissé vers le sujet de l'égalité hommes-femmes.

Il nous a semblé que plutôt que de culpabiliser les hommes ou de s'appuyer sur les exigences du « politiquement correct », il fallait donc leur présenter l'implication dans la vie familiale comme une opportunité à saisir et non comme une menace.

Cette approche passe par une redéfinition des modèles de réussite, autrefois basés sur la réussite professionnelle chez l'homme et sur la réussite familiale chez la femme.

Aujourd'hui, que l'on soit un homme ou une femme, on souhaite réussir dans une pluralité de champs d'épanouissement, professionnel, familial, artistique, sportif.

Pour que les hommes comprennent que l'égalité hommes-femmes est une chance pour eux, il faut leur montrer les bénéfices qu'ils retireront de la modification de la culture des entreprises : se battre contre le présentéisme à la française leur permettrait de partir plus tôt et de s'épanouir dans d'autres domaines ; c'est une demande très forte des jeunes générations.

L'égalité tant professionnelle que familiale ne peut se construire que sur l'implication des hommes.

Dans ce rapport, sont répertoriées les bonnes pratiques des entreprises. Les premières relèvent de la culture d'entreprise. Il s'agit de :

- lutter contre les stéréotypes qui sont d'ailleurs également susceptibles d'affecter les hommes, par exemple lorsqu'ils décident de travailler à temps partiel ou de faire valoir leur droit au congé paternel ou parental ; en ce domaines, l'entreprise Orange, par exemple, a réalisé des clips vidéo diffusés sur Internet visant à mettre en valeur les jeunes pères salariés qui ont décidé de s'impliquer davantage dans les tâches familiales ;

- lutter contre le présentéisme ;

- faire reconnaître dans l'entreprise l'engagement paternel en signant notamment la charte de la parentalité, en organisant la Journée de la famille en entreprise, au cours de laquelle les entreprises sont invitées à réunir les conjoints, les enfants, un jour donné, chaque année, pour parler de la signification d'être parent en entreprise.

Les quatre bonnes pratiques suivantes concernent l'organisation du travail. Nous souhaitons notamment l'aménagement du congé de paternité et appelons les partenaires sociaux à réfléchir à la généralisation de la compensation salariale, comme cela existe aujourd'hui pour le congé de paternité.

Suivent ensuite des recommandations pour les pouvoirs publics.

L'une des plus essentielles à mes yeux vise à impliquer les jeunes pères dès le plus jeune âge de l'enfant, en instituant la prise en charge financière d'un certain nombre d'absences, comme cela existe à l'heure actuelle pour la femme enceinte.

Il me semble, en effet, que l'on doit permettre à un jeune père qui le souhaite d'aller à la maternité pour pouvoir baigner et nourrir le nourrisson. Cela rentrerait dans le cadre de la formation des parents, et notamment des pères.

L'une des propositions les plus révolutionnaires vise à encadrer juridiquement l'arrivée de l'enfant pour le père, comme c'est le cas actuellement pour les femmes. A titre d'exemple, il serait interdit de licencier un jeune père dans les trois mois qui suivent la naissance de l'enfant.

L'arrivée de l'enfant est un bouleversement tant pour le père que pour la mère : physiquement comme émotionnellement, l'homme peut traverser une période de trouble qui peut avoir des répercussions sur son emploi. Cet ensemble de règles constituerait un premier pas vers la reconnaissance de la paternité.

A l'heure actuelle, la plupart des formes d'aménagement de l'organisation du travail, tel le travail à temps partiel, sont « genrées » ou, en d'autres termes, s'adressent prioritairement aux femmes.

Enfin, nous appelons à de nouvelles formes d'innovation organisationnelle dont peuvent tirer parti les hommes comme les femmes, comme le télétravail par exemple.

Je citerai enfin deux dernières recommandations du rapport :

- l'une consiste à mettre en avant le concept de « manager bio », à l'image de l'« agriculteur bio », qui privilégie la diversité et le développement humain dans sa politique de management ;

- l'autre insiste sur l'importance qu'il y a de convaincre les dirigeants du lien entre mixité et performance économique.

Je terminerai mon propos en insistant sur certains des dix leviers que je propose aux pouvoirs publics.

Parmi ceux-ci, je citerai l'instauration d'une validation des acquis de l'expérience (VAE) pour les parents ou celle d'un « jeudi des pères » pour lutter contre le présentéisme des hommes, le lancement de campagnes de communication pour changer le regard culpabilisant porté aujourd'hui par la société sur les hommes qui décident de faire valoir leur paternité au sein des organisations de travail...

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