La délégation entend tout d'abord M. Antoine Magnier, directeur de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), accompagné de Mme Rozenn Desplatz, chef de la mission animation de la recherche.
Notre délégation a choisi comme thème de travail, cette année, les femmes et le travail. Je remercie M. Antoine Magnier, directeur de la DARES d'avoir accepté notre invitation : nous vous demanderons de nous fournir des données chiffrées sur le sujet nous permettant d'étayer nos analyses.
Je commencerai par vous présenter Mme Rozen Desplatz qui est en charge de la mission animation de la recherche au sein de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES).
Comme vous le savez, la DARES, rattachée au ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, produit et analyse des statistiques sur le travail, le chômage et l'emploi. Cette direction participe aux réflexions du ministère et, plus largement, du Gouvernement. Sur le sujet spécifique des femmes et de l'emploi, nos travaux ont été axés au cours des dernières années sur la production et l'analyse de statistiques plus que sur des analyses approfondies ou sur la formulation de conseils pour les politiques publiques.
Dans l'analyse des tableaux que je vais vous présenter, je me cantonnerai donc plus au registre du constat qu'à celui des recommandations.
Afin d'éclairer le sujet qui nous intéresse aujourd'hui, j'utiliserai les enseignements tirés de trois études publiées par nos services au cours des six derniers mois : la première dresse un panorama des évolutions sur une longue période de l'activité, l'emploi, le chômage et le salaire dans une perspective genrée ; la deuxième propose une analyse fine des écarts de salaires entre les hommes et les femmes - produite régulièrement et récemment actualisée ; enfin, je vous livrerai des éléments plus prospectifs, en me basant sur une étude que nous avons réalisée conjointement avec le Centre d'analyse stratégique sur les perspectives d'emploi et les postes à pourvoir selon les différents métiers à l'horizon 2020.
Trois aspects abordés dans ces différentes études sont susceptibles de vous intéresser : tout d'abord, des éléments de constat concernant l'emploi et le chômage des hommes et des femmes ; ensuite, les caractéristiques des emplois dans une perspective genrée, puis la question des écarts de salaires entre les hommes et les femmes.
Les chiffres concernant l'activité, l'emploi et le chômage des femmes vous sont bien connus, aussi essaierai-je de concentrer mon analyse sur les évolutions les plus récentes et de répondre, si vous le souhaitez, à des interrogations précises sur le sujet.
Même si le taux d'activité des femmes a considérablement augmenté dans les dernières décennies - puisqu'on est passé de 53 % en 1975 à 66 % en 2010 - un écart sensible demeure entre le taux d'activité des femmes et celui des hommes, toutes classes d'âge confondues. Il faut noter que cet écart peut atteindre 5 à 6 points pour la classe d'âge 25/50 ans.
Il ressort d'un certain nombre d'études que les deux principaux facteurs déterminants de cet écart sont, d'une part, la composition familiale et en particulier le nombre ainsi que l'âge du dernier enfant, et, d'autre part, le niveau de diplôme.
Ceci est valable en France comme dans les autres pays européens. L'importance de l'écart constaté entre le taux d'activité des femmes peu ou pas diplômées ayant entre 25 et 50 ans et au moins trois enfants en bas âge - évalué à 20 % - et celui des femmes diplômées sans enfants - évalué à 95 % - confirme cette analyse.
L'analyse sur une longue période fait, par ailleurs, apparaître que la progression du taux d'activité féminin a sensiblement ralenti depuis le milieu des années 1990. Alors qu'il augmentait de + 0,3 % chaque année entre 1975 et 1995, depuis cette date il augmente de moitié moins.
Ce ralentissement est dû essentiellement à la fin de l'allongement de la durée d'études depuis le milieu des années 1990 et à l'augmentation du taux de descendance pour les femmes dans les quinze dernières années.
Si l'on se livre à un exercice de comparaison internationale, on constate que le taux d'activité des femmes en France se situe à un bon niveau, juste derrière celui des pays d'Europe du Nord. Par ailleurs, il ressort des données chiffrées que la réduction de l'écart entre les hommes et les femmes est un phénomène commun à l'ensemble des pays industrialisés.
Concernant les taux de chômage, celui des femmes s'est rapproché régulièrement de celui des hommes depuis 1975, même s'il reste légèrement supérieur.
Néanmoins, on a constaté qu'en période de récession les hommes étaient plus touchés que les femmes car le chômage en période de crise touche prioritairement des secteurs où prédominent les contrats d'intérim, comme le bâtiment et l'industrie, dans lesquels les hommes sont plus nombreux.
Par ailleurs, aux États-Unis, au Japon, au Royaume-Uni et dans un certain nombre de pays nordiques, le taux de chômage des femmes est inférieur à celui des hommes. La réduction de l'écart des taux de chômage entre les hommes et les femmes s'explique essentiellement par l'amélioration tendancielle des performances des femmes en matière d'éducation et par la tertiarisation de l'économie.
Concernant le cas français, caractérisé par un taux de chômage des femmes toujours légèrement supérieur à celui des hommes, il faut distinguer les femmes actives selon le niveau de diplôme, le chômage touchant particulièrement les femmes peu ou pas diplômées.
J'en viens maintenant aux différences de caractéristiques des emplois entre les hommes et les femmes.
Comme vous le savez, les femmes occupent 80 % des emplois à temps partiel, ce qui signifie qu'environ 30 % des femmes travaillent à temps partiel contre 6 % des hommes. Il est significatif de constater que cet écart est stable depuis une quinzaine d'années et qu'il a tendance à croître avec l'âge.
Les enquêtes réalisées auprès des travailleurs à temps partiel permettent, par ailleurs, de constater qu'une plus grande proportion de femmes dit le subir. Ainsi, évalue-t-on à 9 % d'entre elles celles qui sont effectivement en situation de sous-emploi, contre 3 % des hommes.
Il faut cependant noter que le taux de temps partiel est modeste en France, comparativement au taux moyen en Europe de 40 %, ou à certains autres pays, comme les Pays-Bas, où 75 % des actifs travaillent à temps partiel.
Compte tenu de l'augmentation du nombre de femmes travaillant à temps partiel et de l'augmentation du nombre des contrats à temps partiel dans les dix dernières années, on comprend que le volume de travail des femmes s'est rapproché moins rapidement de celui des hommes que le taux d'emploi.
S'agissant de la nature des contrats (contrats à durée déterminée, contrats à durée indéterminée...), on ne constate pas de différence remarquable entre les hommes et les femmes. Ces différences existent en revanche quand on examine les secteurs d'emploi : les femmes non salariées sont proportionnellement moins nombreuses que leurs homologues masculins dans les professions libérales, alors qu'elles sont majoritaires dans la fonction publique (26 % de femmes contre 14 % d'hommes), cette forte représentation s'expliquerait notamment par une forte présence au sein de l'hôpital public.
Comme vous le savez, et ceci est à peu près constant depuis le début des années 1980, les femmes occupent encore aujourd'hui plus fréquemment des emplois non qualifiés que les hommes.
En revanche, le nombre de femmes occupant des postes d'encadrement augmente, même si leur nombre reste encore proportionnellement inférieur à celui des hommes.
En matière de mixité, ensuite, le constat reste sans appel : les métiers occupés par les hommes et les femmes restent très différents. Il y a donc peu de mixité dans les métiers, en général, et, dans certains métiers, on peut même parler de « ségrégation professionnelle ». Soulignons cependant qu'elle régresse depuis le début des années 1990 et qu'elle n'est pas propre à la France.
Cette régression peut-elle être corrélée à la désindustrialisation de l'économie ?
Sans doute, mais ne disposant pas de chiffres précis, je préfère vous transmettre ultérieurement des éléments vérifiés.
Les éléments prospectifs dont nous disposons mettent en avant le fait que les femmes devraient continuer à investir les métiers d'encadrement à l'horizon 2020.
J'en viens maintenant à l'examen des écarts de salaires entre les hommes et les femmes. Les indicateurs dont nous disposons montrent une forte réduction des écarts de salaires entre les hommes et les femmes entre les années 1950 et les années 1990, années à partir desquelles cette tendance a été stoppée.
Selon notre dernière étude, pour l'année 2009, l'écart moyen de la rémunération annuelle brute entre les femmes et les hommes dans le secteur concurrentiel était évalué à 24 %.
Si l'on se limite à l'écart de salaire horaire, on obtient un chiffre de 14 %, sachant que l'écart est évalué à 12 % si l'on examine les rémunérations de base, le reste relevant des primes et autres éléments variables de rémunération.
Sachant que les hommes accomplissent statistiquement plus d'heures supplémentaires que les femmes, ces éléments ne sont pas négligeables.
On observe par ailleurs que les écarts de salaire horaire s'expliquent plus par le montant des primes et bonus que par les différences de rémunérations de base.
Les données chiffrées obtenues montrent que les écarts de salaire augmentent avec l'âge et qu'ils sont d'autant plus importants que le niveau de diplôme s'élève.
Autrement dit, les écarts de salaire sont plus sensibles pour les cadres. Par ailleurs, ils sont plus importants dans les secteurs les plus féminisés.
Voulez-vous dire par là que dans les secteurs dits « féminisés », les hommes occupent les postes les plus valorisés et sont donc comparativement beaucoup mieux rémunérés que les femmes qui, elles, sont cantonnées aux postes moins bien rémunérés ?
Oui, exactement. Dans ces secteurs, les écarts de salaires révèlent moins des différences de rémunérations à emploi égal que des différences de postes occupés : les femmes n'occupent pas les mêmes postes que les hommes.
Il est également intéressant de souligner que les trois quarts de l'écart moyen de salaire ne s'expliquent par aucune caractéristique identifiable (emplois, entreprises ou salariés).
Pas seulement. Cet écart reflète aussi des caractéristiques que nous ne sommes pas en mesure d'observer, comme le partage des tâches familiales...
les niveaux de diplôme, le niveau de responsabilité, les interruptions de carrière, entre autres.
Ces études et ces remarques ont-elles permis d'observé une corrélation avec le niveau d'éducation qui conditionne l'accès à des champs de métiers plus différenciés ?
Ces études tiennent compte des niveaux de diplôme mais pas des types de formation, sachant que les jeunes hommes sont plus représentés dans les études scientifiques ou dans des formations qui débouchent sur des métiers du secteur de l'industrie.
Ces différences salariales liées aux études choisies jouent vraisemblablement un rôle important mais cet aspect de la question n'a pas été étudié.
Néanmoins, après avoir alerté sur l'interprétation possible de cette part non expliquée de ces écarts de salaire, je fais remarquer que l'on s'attache à regarder ce qui est imputable aux caractéristiques observables des emplois, des entreprises et des salariés.
Cependant les différences de caractéristiques observables portant sur les salariés peuvent refléter un certain nombre de facteurs ou de stéréotypes, voire des pratiques discriminatoires en amont.
Quelles seraient vos recommandations pour réduire l'écart de salaire entre les hommes et les femmes ?
Je suis beaucoup moins à l'aise sur le registre des recommandations. Mme Brigitte Grésy que vous auditionnerez bientôt vous fera part des propositions qui découlent de ses travaux.
Il y a déjà eu nombre de travaux sur ces sujets, notamment des études menées par l'OCDE au niveau international, qui font ressortir des éléments de constat ainsi que des recommandations compte tenu des expériences négatives ou positives relevées auprès de pays membres de l'organisation.
Un rapport, intitulé « Initiative dans le domaine des genres », recueil de préconisations, sera publié sous peu par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) se veut un guide des bonnes pratiques à l'attention des pays les moins avancés sur ces questions.
L'OCDE examine les questions liées à la formation dont le choix subit le poids des stéréotypes qui existent tant dans le milieu éducatif qu'au sein de la famille.
Les études menées concentrent leur analyse et leurs recommandations sur trois domaines :
- l'organisation de la garde des enfants, la France n'ayant pas à rougir en la matière ;
- les interruptions de carrière, qui pénalisent très fortement les trajectoires professionnelles et de rémunération au détriment des femmes ;
- le partage des tâches au sein de la famille qui est l'un des grands déterminants des écarts de situation professionnelle et de rémunération entre les hommes et les femmes.
Ce dernier facteur commence à jouer dès le début de la vie active des femmes, qui sont plus nombreuses à travailler à temps partiel.
Ce partage déséquilibré au sein de la famille joue défavorablement pour les femmes tout au long de vie professionnelle.
Nous connaissions les raisons sociologiques de cet écart de salaire entre les hommes et les femmes mais je constate que cet écart a peu varié alors que le niveau d'études des femmes s'est beaucoup élevé.
La DARES a-t-elle étudié l'influence de l'accès des femmes en plus grand nombre aux conseils d'administration sur cet écart salarial ?
En effet, cette présence féminine accrue dans les conseils d'administration, à valeur d'exemple et devrait fournir des modèles à l'ensemble des femmes pour briser enfin le plafond de verre en s'affranchissant d'un complexe qui les freine dans leur progression.
Nous n'avons pas connaissance de telles études, mais il me semble que la présence des femmes au sein des organes de direction des entreprises est un facteur au moins aussi important.
Au sein de l'OCDE, 10 % de femmes siègent au sein des conseils d'administration, moyenne relevée aussi en France.
Je tiens à vous remercier de votre intervention qui vous fait revêtir tour à tour les habits de statisticien et de sociologue.
Si les causes sociologiques de l'écart salarial sont identifiées, j'ai aussi noté l'importance des primes dans l'explication de cet écart, ce qui peut être un moyen détourné pour contourner les règles instaurées pour assurer une égalité salariale de base.
Les statistiques périodiques de la DARES permettront de suivre l'évolution de cet écart et donc de juger de la bonne application des mesures législatives en matière d'égalité salariale.
L'égalité salariale ne fera pas l'économie d'un travail fondamental sur la déconstruction des représentations que nous avons de la place respective des hommes et des femmes dans notre société.
En effet, nos précédentes auditions ont déjà montré que, du fait de ces représentations, on tend à considérer que c'est naturel que le salaire de la femme soit moindre et qu'elle reste femme au foyer. Or, ces représentations se mettent en place dès le tout jeune âge.
Un débat d'idées est donc nécessaire et commence à poindre dans certaines entreprises lorsque celles-ci comprennent qu'une telle évolution concourt à leur efficacité.
Vos études nous sont très utiles car elles nous permettent de bâtir une approche rationnelle étayée sur des éléments factuels.
Aussi, pour y contribuer, nous souhaitons recueillir des préconisations que nous pourrions émettre comme recommandations pour des mesures législatives.
Je reviens sur l'intérêt d'établir des statistiques sexuées sur les formations pour identifier si l'école invite bien les filles à s'intéresser à l'ensemble de l'éventail des formations.
Des programmes d'information sur l'égalité filles-garçons pourraient être proposés dans les établissements scolaires, sur le modèle de ce qui est fait dans le cadre de la lutte contre l'homophobie.
A l'étranger, des travaux académiques ont été menés, notamment par l'OCDE, afin d'étudier l'influence du sexe d'un enseignant sur le choix de l'orientation des élèves.
Les études menées au cours des quinze dernières années infirment l'explication répandue dans le grand public selon laquelle les écarts de rémunération résulteraient principalement de l'existence de pratiques discriminatoires au sein des entreprises. De telles pratiques discriminatoires ne sont qu'un des facteurs explicatifs, sans doute pas le principal. D'ailleurs, on a peine à imaginer quelles seraient les motivations économiques qui pousseraient des entreprises à mener une politique salariale discriminatoire, ces dernières étant surtout préoccupées par l'évolution de leurs profits.
Effectivement, je ne pense pas qu'il y ait une volonté discriminante.
Par contre, il serait intéressant d'étudier le rôle joué par la mobilité des cadres pour expliquer cet écart, les hommes, supposés plus mobiles seraient plus susceptibles de se voir proposer des revalorisations salariales pour rester au sein de l'entreprise.
Nous vous remercions très chaleureusement de votre contribution que nous ne manquerons pas d'exploiter.
Puis la délégation entend M. Jérôme Ballarin, président de l'Observatoire de la parentalité en entreprise, auteur du rapport « Parentalité et égalité professionnelle hommes-femmes : comment impliquer les hommes ? », remis à Mme Claude Greff, secrétaire d'État chargée de la famille.
Dans le cadre de notre étude sur « les femmes et le travail », nous accueillons maintenant M. Jérôme Ballarin, président de l'Observatoire de la parentalité en entreprise à qui nous souhaitons la bienvenue.
Je vais vous présenter brièvement mon parcours : ancien manager au sein de la direction des ressources humaines du groupe Danone, je suis un professionnel des questions de gestion des ressources humaines et de management. J'ai fondé au cours des années 1990, l'association « Nouvel équilibre » qui a travaillé sur les sujets de conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Par ailleurs, je suis père de deux jeunes enfants et mon épouse est très impliquée professionnellement.
Ainsi, mon expertise professionnelle, mon engagement associatif passé et ma vie personnelle m'ont-ils amené, en 2008, à lancer un mouvement pour sensibiliser les employeurs sur ces sujets de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, en s'inspirant de la charte de la diversité qui avait conduit à l'adoption de la loi du 31 mars 2006 contre les discriminations et à la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE).
J'ai proposé une charte de la parentalité en entreprise pour essayer de mobiliser l'ensemble des acteurs de la société française, les chefs d'entreprise, les directeurs des ressources humaines, les syndicats, les politiques et les citoyens eux-mêmes de façon à amorcer un débat sur ces sujets à la confluence de stéréotypes, de la culture et des mentalités.
Cette charte est signée par quatre cents employeurs en France, des entreprises de toutes tailles et de tous les secteurs d'activité qui représentent 10 % de la population active, soit environ trois millions de personnes : des grands groupes (Danone, L'Oréal, Areva, BNP) y côtoient des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE) ; la moitié des signataires sont des petites entreprises - de dix salariés à quelques centaines -.
En 2009, l'observatoire a organisé un tour de France des PME pour sensibiliser les chefs d'entreprise sur ce sujet et leur montrer que le bien-être des salariés contribue à la performance de leur entreprise.
Un certain nombre de collectivités locales, dont le conseil général du Finistère sont aussi signataires de la charte.
L'Observatoire de la parentalité en entreprise, association indépendante loi 1901, a été créé pour organiser les évènements de signature de la charte, favoriser la mise en oeuvre d'actions concrètes, organiser des commissions de travail avec des grandes entreprises, des ateliers avec les PME, afin de jouer un rôle de catalyseur sur le sujet.
Un baromètre annuel mesurant les évolutions observées a été créé, fondé sur un triptyque comprenant :
- un volet « salariés » : un échantillon de plus de mille salariés est interrogé annuellement sur leurs attentes et leur degré de satisfaction ; cette année, d'après cet indicateur clef qui ne montre malheureusement pas d'amélioration, 75 % des salariés interrogés estiment que leurs employeurs ne font pas grand-chose pour leur permettre de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale ;
- un volet « entreprises » : une enquête annuelle interroge les entreprises signataires de notre charte pour savoir concrètement ce qu'elles ont mis en oeuvre et pour suivre l'évolution de leurs pratiques ;
- un échantillon de cinq cents adolescents âgés de 14 à 17 ans est aussi périodiquement interrogé sur le regard qu'ils portent sur le travail de leurs parents ; c'est un levier de mobilisation des parents, car il les sensibilise à la manière d'aborder leur travail avec leurs enfants et de leur inculquer la valeur du travail, mais aussi des employeurs, car ces adolescents ont vocation à devenir plus tard des salariés auxquels il faut donner le goût de l'entreprise.
Or, deux adolescents sur trois nous décrivent le travail de leurs parents comme stressant, fatigant, voire très dur, ce qui ne témoigne pas d'une très bonne image du monde professionnel.
J'aborde maintenant les actions concrètes que prône l'Observatoire de la parentalité ; elles se regroupent en quatre grandes catégories.
- Les services qui facilitent le quotidien des salariés-parents, tels que les crèches d'entreprise, les réseaux d'accompagnement des jeunes parents par un médecin pédiatre.
- Les soutiens financiers, plébiscités par les salariés-parents, sous la forme de mutuelles avantageuses pour les familles, de compensation financière pour les hommes qui prennent leur congé paternité, d'octroi de chèques emploi service universels.
- L'organisation du travail qui est sans doute la voie d'action la plus structurante ; l'enquête menée auprès des salariés indique qu'ils souhaitent, en tout premier lieu, la limitation des horaires de réunion ; l'observatoire se bat pour faire reculer le présentéisme à la française - le « management à la montre » - considéré dans les pays anglo-saxons comme un signe d'inefficacité et non pas de motivation au travail.
Le présentéisme est très pénalisant pour la carrière des femmes car elles doivent quitter l'entreprise plus tôt que les hommes pour s'occuper des tâches familiales.
Une meilleure organisation du travail passe aussi par la flexibilité du travail, sujet qui n'est plus tabou, les salariés étant désormais demandeurs d'une flexibilité choisie « gagnant-gagnant ». A titre d'exemple, je citerai le cas de 20 000 caissières de la grande distribution travaillant selon un système « en îlot » qui leur permet, six semaines avant l'élaboration des plannings de travail, d'indiquer leurs contraintes personnelles ; ces plannings de travail tiennent compte à 95 % de ces desiderata.
Enfin, l'observatoire encourage le télétravail, sous une forme encadrée par des accords et négociée avec les partenaires sociaux : limité à un ou deux jours maximum par semaine, effectué soit à domicile, soit dans un « télécentre », il peut être considéré comme un outil d'aide à la conciliation.
- La formation des managers de proximité : quatre femmes sur dix sont inquiètes d'annoncer leur grossesse à leur manager car ces derniers n'ont pas été assez sensibilisés au respect de la vie personnelle des collaborateurs, au respect des différences.
A cet effet, l'observatoire a créé un guide des managers de proximité comportant des scénettes, des conseils comportementaux...
Les entreprises peuvent mettre en place des dispositifs au niveau des directions des ressources humaines et des directions générales mais si ceux-ci ne sont pas portés au quotidien par des managers, ils resteront lettre morte.
Pour finir, j'aborderai maintenant les conclusions du rapport sur l'implication des hommes.
Pour élaborer ce rapport, nous avons travaillé avec les syndicats, les partenaires sociaux, les experts des directions des ressources humaines, des salariés hommes dans différentes situations - congé parental, temps partiel, télétravail, flexibilité d'horaires - avec le souci de montrer que des pères s'impliquent dans la vie familiale.
Ma première approche portait sur l'engagement des collaborateurs en matière de conciliation entre les vies professionnelle et personnelle mais a glissé vers le sujet de l'égalité hommes-femmes.
Il nous a semblé que plutôt que de culpabiliser les hommes ou de s'appuyer sur les exigences du « politiquement correct », il fallait donc leur présenter l'implication dans la vie familiale comme une opportunité à saisir et non comme une menace.
Cette approche passe par une redéfinition des modèles de réussite, autrefois basés sur la réussite professionnelle chez l'homme et sur la réussite familiale chez la femme.
Aujourd'hui, que l'on soit un homme ou une femme, on souhaite réussir dans une pluralité de champs d'épanouissement, professionnel, familial, artistique, sportif.
Pour que les hommes comprennent que l'égalité hommes-femmes est une chance pour eux, il faut leur montrer les bénéfices qu'ils retireront de la modification de la culture des entreprises : se battre contre le présentéisme à la française leur permettrait de partir plus tôt et de s'épanouir dans d'autres domaines ; c'est une demande très forte des jeunes générations.
L'égalité tant professionnelle que familiale ne peut se construire que sur l'implication des hommes.
Dans ce rapport, sont répertoriées les bonnes pratiques des entreprises. Les premières relèvent de la culture d'entreprise. Il s'agit de :
- lutter contre les stéréotypes qui sont d'ailleurs également susceptibles d'affecter les hommes, par exemple lorsqu'ils décident de travailler à temps partiel ou de faire valoir leur droit au congé paternel ou parental ; en ce domaines, l'entreprise Orange, par exemple, a réalisé des clips vidéo diffusés sur Internet visant à mettre en valeur les jeunes pères salariés qui ont décidé de s'impliquer davantage dans les tâches familiales ;
- lutter contre le présentéisme ;
- faire reconnaître dans l'entreprise l'engagement paternel en signant notamment la charte de la parentalité, en organisant la Journée de la famille en entreprise, au cours de laquelle les entreprises sont invitées à réunir les conjoints, les enfants, un jour donné, chaque année, pour parler de la signification d'être parent en entreprise.
Les quatre bonnes pratiques suivantes concernent l'organisation du travail. Nous souhaitons notamment l'aménagement du congé de paternité et appelons les partenaires sociaux à réfléchir à la généralisation de la compensation salariale, comme cela existe aujourd'hui pour le congé de paternité.
Suivent ensuite des recommandations pour les pouvoirs publics.
L'une des plus essentielles à mes yeux vise à impliquer les jeunes pères dès le plus jeune âge de l'enfant, en instituant la prise en charge financière d'un certain nombre d'absences, comme cela existe à l'heure actuelle pour la femme enceinte.
Il me semble, en effet, que l'on doit permettre à un jeune père qui le souhaite d'aller à la maternité pour pouvoir baigner et nourrir le nourrisson. Cela rentrerait dans le cadre de la formation des parents, et notamment des pères.
L'une des propositions les plus révolutionnaires vise à encadrer juridiquement l'arrivée de l'enfant pour le père, comme c'est le cas actuellement pour les femmes. A titre d'exemple, il serait interdit de licencier un jeune père dans les trois mois qui suivent la naissance de l'enfant.
L'arrivée de l'enfant est un bouleversement tant pour le père que pour la mère : physiquement comme émotionnellement, l'homme peut traverser une période de trouble qui peut avoir des répercussions sur son emploi. Cet ensemble de règles constituerait un premier pas vers la reconnaissance de la paternité.
A l'heure actuelle, la plupart des formes d'aménagement de l'organisation du travail, tel le travail à temps partiel, sont « genrées » ou, en d'autres termes, s'adressent prioritairement aux femmes.
Enfin, nous appelons à de nouvelles formes d'innovation organisationnelle dont peuvent tirer parti les hommes comme les femmes, comme le télétravail par exemple.
Je citerai enfin deux dernières recommandations du rapport :
- l'une consiste à mettre en avant le concept de « manager bio », à l'image de l'« agriculteur bio », qui privilégie la diversité et le développement humain dans sa politique de management ;
- l'autre insiste sur l'importance qu'il y a de convaincre les dirigeants du lien entre mixité et performance économique.
Je terminerai mon propos en insistant sur certains des dix leviers que je propose aux pouvoirs publics.
Parmi ceux-ci, je citerai l'instauration d'une validation des acquis de l'expérience (VAE) pour les parents ou celle d'un « jeudi des pères » pour lutter contre le présentéisme des hommes, le lancement de campagnes de communication pour changer le regard culpabilisant porté aujourd'hui par la société sur les hommes qui décident de faire valoir leur paternité au sein des organisations de travail...
Permettez-moi, tout d'abord, une précision sémantique : je pense qu'il est préférable d'utiliser le terme « articulation des temps de vie » plutôt que celui de « conciliation entre vie professionnelle et vie privée ».
Vous avez beaucoup insisté sur la question de l'organisation du travail, et notamment sur le présentéisme. Je pense en effet que cette question est essentielle, non seulement pour celles et ceux qui travaillent dans une entreprise, mais aussi pour les personnes - des femmes en majorité - qui sont chargées de l'entretien et de la maintenance des bureaux et interviennent en horaires décalés, avant et après les horaires de bureau.
J'ai trouvé certaines de vos recommandations particulièrement intéressantes ; toutefois, je suis toujours un peu inquiète face au glissement du terme « égalité » vers des notions de « mixité » et de « diversité ». Ces termes ne sont pas équivalents. Gardons-nous de les confondre !
Il me semble, par ailleurs, ne pas avoir entendu évoquer la question des inégalités salariales entre les hommes et les femmes. Car, on aura beau s'attaquer aux représentations et aux obstacles culturels dans l'entreprise, la situation concrète des femmes dépendra toujours, d'abord, de leur autonomie financière : lorsqu'au sein du couple il existe un important écart de revenus, les choix sont vite faits lorsqu'il s'agit de privilégier une carrière au détriment de l'autre.
Enfin, il me semble que nous devrions nous inspirer de certaines pratiques mises en place dans certains pays d'Europe du Nord pour accompagner la parentalité, qui prévoient des formes de bonus par exemple ou d'accompagnement financier.
J'évoque cette possibilité dans le rapport par le biais du partage du congé parental. Siégeant au sein du Conseil de la famille, j'avais défendu il y a deux ans, à l'occasion du projet de réforme du congé parental d'éducation, le partage du congé parental. J'ai pu, alors, prendre conscience de la lourdeur des résistances, notamment des partenaires sociaux et de certaines associations familiales sur cette question.
Concernant les écarts de salaires entre les hommes et les femmes, bien sûr, ils pèsent sur les négociations intraconjugales. Néanmoins, je suis convaincu qu'on ne fera pas bouger les lignes sans opérer au préalable une révolution culturelle qui passera nécessairement par une plus grande implication des hommes sur ces sujets.