Intervention de David Assouline

Commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois — Réunion du 30 mai 2012 : 1ère réunion
Communication audiovisuelle et nouveau service public de la télévision — Application de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 - examen du rapport

Photo de David AssoulineDavid Assouline, président et co-rapporteur :

Le 4 juillet, c'est la date fixée pour le dernier rapport : vous aurez eu plus de temps que les autres. Le travail législatif sera très intense à partir de cette date, chacun le sait. Tout ce qui ne sera pas fait avant le 4 juillet risque de ne pas pouvoir l'être avant la fin de l'année ! Je note que vous craignez que votre travail ne soit pas exhaustif - faites au mieux ! - mais il contribuera utilement au débat public.

Je salue la présence des membres de la commission de la culture, et notamment de sa présidente, pour l'examen du rapport que j'ai co-rédigé avec Jacques Legendre, sur la loi de 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.

Le 8 janvier 2008, M. Nicolas Sarkozy annonce la suppression de la publicité sur France Télévisions. Surprise ! Le projet est ensuite mené au pas de charge. Trois mois plus tard, la commission Copé lance la concertation. Trois mois plus tard, la polémique commence déjà : la suppression de la publicité étant un dogme intangible, il faut trouver un nouveau mode de financement. Trois mois plus tard, nouvelle surprise : le projet de loi adopté en conseil des ministres prévoit que les présidents de l'audiovisuel public seront nommés par le président de la République. Levée de boucliers... Un peu moins d'un an après le discours du président, la publicité est effectivement supprimée, alors que la loi n'est pas encore votée, ni même discutée. Trois mois plus tard, elle est promulguée, après plus d'une centaine d'heures de débats parlementaires.

Cette loi a fait couler une mer d'encre. M. Jacques Legendre et moi-même avons été des acteurs importants de la discussion au Sénat. Cela nous a certes permis de connaître l'état d'esprit des parlementaires au moment de son adoption, mais nous rend aussi particulièrement subjectifs. C'est pourquoi nous avons élaboré une méthodologie visant à l'établissement d'un bilan à la fois précis et le plus factuel possible. Nous avons mené un travail d'archéologie, par l'étude et la reconstitution de l'histoire de la loi, depuis son annonce jusqu'aux réalisations concrètes, en passant par sa conception et son examen. Nous avons jugé les effets constatés de la loi, non à l'aune de notre avis sur le projet de loi, ni du contexte actuel, mais bien au regard des intentions et des souhaits exprimés initialement. Il s'agit donc d'un bilan de l'application de la loi en fonction des objectifs qui lui avaient été fixés et non pas de ceux qu'on pourrait aujourd'hui lui assigner, même si ce travail aide à dégager de nouveaux objectifs souhaitables.

C'est ainsi un rapport détaillé, précis et balancé, que nous espérons faire adopter aujourd'hui. Nos critiques ne visent nullement les personnalités qui ont dirigé l'audiovisuel public, je le dis au préalable.

Trois ans après l'adoption de la loi, le bilan de sa mise en oeuvre est mitigé et conduit à émettre des doutes sur la pertinence du dispositif. Il n'est pas mitigé au sens où toutes les dispositions auraient moyennement rempli leurs objectifs. Certaines mesures ont été efficacement appliquées, notamment la modernisation des règles applicables à l'ensemble des médias audiovisuels. D'autres, en revanche, n'ont pas atteint le but recherché, voire ont été totalement contre-productives. La mise en oeuvre de la réforme de l'audiovisuel public a été laborieuse. La réforme a largement fragilisé le groupe France Télévisions.

Mesure phare, la suppression de la publicité, était emblématique de l'ambition de l'ancien président de la République pour la télévision publique ; elle est surtout emblématique de son échec. La suppression de la publicité en journée a été rapide, tellement rapide qu'elle est intervenue avant l'adoption de la loi, décision jugée a posteriori illégale par le Conseil d'État. La suppression en soirée aurait dû intervenir fin 2011 : elle n'a pas eu lieu pour des raisons de financement. L'actuel Gouvernement devra rapidement régler cette question pendante.

On devait assister à la fin « de la dictature de l'audience ». La réforme allait changer en profondeur le modèle culturel de France Télévisions... La vérité est que les programmes n'ont pas changé de nature. France Télévisions avait déjà une identité marquée, qui n'a pas été sensiblement accrue avec la disparition de la publicité.

Le cahier des charges est resté très peu contraignant, et les yeux des dirigeants sont restés rivés sur l'audimat plus que sur le « Qualimat ». Quand un groupe dépense près de trois milliards d'euros par an, on comprend qu'il souhaite avoir beaucoup de téléspectateurs, mais on peut faire de l'audience avec des programmes de qualité.

Enfin, il est objectivement difficile d'allier des programmes exigeants et une audience forte. A cet égard, la suppression de la série des « Maupassant » nous a surpris, comme celle de Ce soir ou jamais.

Au vu des rapports sur l'exécution des contrats d'objectifs et de moyens depuis 2011, France Télévisions n'a pas changé fondamentalement de couleur, comme la réforme l'envisageait avec enthousiasme.

Se pose la question de la capacité et la légitimité du législateur à influencer la programmation culturelle. La question de l'heure de début des programmes est symbolique. France Télévisions n'a pas respecté les 20 h 35 fixés par le cahier des charges, en conscience, considérant que ce n'est pas pertinent pour le téléspectateur et contre-productif pour son audience. Jusqu'où peut-on lui imposer ce type de règles ? Est-ce du domaine de la loi ? Le rôle du législateur n'est-il pas de fixer les grands principes et de s'en remettre aux personnes responsables pour leur mise en oeuvre ?

La suppression de la publicité a eu en fait des conséquences très dommageables. On a changé le modèle économique en passant d'un diptyque redevance-publicité à un triptyque contribution à l'audiovisuel public-publicité-dotation budgétaire. Ce nouveau modèle s'est révélé beaucoup plus fragile. La dotation budgétaire a été chaque année diminuée, en exécution. Le contrat d'objectifs n'a pas joué son effet bouclier, la dotation promise pour 2012 ayant été largement rabotée. Ce n'est pas bon pour l'indépendance de France Télévisions, pour son équilibre économique. Avec une redevance difficile à augmenter, France Télévisions doit marcher sur ses deux jambes : publicité et redevance. C'est la condition de son indépendance.

Le financement de la réforme par la mise en place de nouvelles taxes a été un échec. On attendait 450 millions d'euros, on en a eu 270. La suppression de la publicité le soir coûte 180 millions d'euros par an à l'État !

Pire, la taxe télécoms, qui est la plus rentable pour l'État, de 250 millions d'euros par an, est contestée à Bruxelles. Si elle était déclarée incompatible avec le droit communautaire, on aurait besoin de 250 millions d'euros supplémentaires chaque année et il faudrait rembourser un milliard aux opérateurs ! Ce scénario ferait passer le bilan de la loi de « mitigé » à « catastrophique ».

Passons à l'entreprise unique, autre grande ambition de la loi. Sur ce point, le bilan doit être relativisé, car la mission était lourde. Le traitement n'a pas encore eu d'effets positifs mais les effets secondaires ont été, eux, rapides et visibles... Les multiples changements d'organigrammes que l'entreprise unique a provoqués ont désorganisé le groupe pendant trois ans. On en voit aujourd'hui le bout ; peut-être le traitement de fond va enfin montrer ses effets ? La remise en cause des accords collectifs a focalisé l'ensemble des débats sur le dialogue social, au détriment des enjeux culturels.

Les effets positifs ? Les synergies, autrement dit les économies par mutualisation de moyens, n'ont pas été réalisées, mais la Cour des comptes en espère dans les prochaines années. Soit. Nous pourrons y revenir plus tard. Les inquiétudes sur le guichet unique ont été levées ; c'est déjà ça... Le média global a enfin été lancé, que ce soit la conséquence de la mise en place de l'entreprise unique ou d'une prise de conscience du groupe, malgré un manque de moyens patent.

S'agissant de la gouvernance, nous avons aussi souhaité évoquer la question du mode de nomination. Sur ce point, M. Legendre et moi-même n'étions pas d'accord entre nous. Le mode de nomination des présidents a handicapé leur action, car il y a eu doute, car il y a eu suspicion. Heureusement, la levée de boucliers contre ce mode de nomination a été un frein à l'interventionnisme politique. Enfin, la publication très tardive du cahier des charges de l'audiovisuel extérieur de la France n'a pas aidé un projet déjà très mal embarqué.

Je conclurai néanmoins sur une note positive. La modernisation des règles relatives à l'ensemble des médias audiovisuels avait une ambition limitée mais les décrets ont été pris rapidement, les objectifs ont été atteints et l'esprit du législateur bien souvent respecté. Le seul décret que nous attendons encore concerne le comité de suivi de la loi. Notre travail compensera, je l'espère, cette absence.

J'espère aussi que nous aurons fait oeuvre utile, en termes méthodologiques, avec ce premier grand rapport partagé entre opposition et majorité. Cela nous a demandé un effort de compréhension mutuelle et de négociation... jusqu'à ce matin !

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