Intervention de Joël Guerriau

Commission des affaires économiques — Réunion du 12 juin 2012 : 1ère réunion
Réforme de la politique commune de la pêche — Débat

Photo de Joël GuerriauJoël Guerriau, rapporteur :

La première proposition de résolution concerne la proposition de réforme de la politique commune de la pêche (PCP) qui devrait être adoptée par le législateur européen début 2013. La seconde proposition porte sur les incidences de la réforme de la PCP sur la pêche dans les territoires ultra-marins.

La réforme de la PCP s'est imposée comme une évidence, tant le dispositif mis en place en Europe a montré ses limites. La première grande organisation de 1983 visait à accroître les capacités de production. La réforme de 2002 a opéré un virage à 180 degrés afin de réduire les prises. Dix ans après cette réforme, le constat est sévère. Selon la Commission, la réglementation a seulement permis d'éviter une évolution catastrophique des prises. Le bilan est donc plus que modeste.

La Commission a préparé sa nouvelle réforme en publiant un Livre vert en avril 2009. En juillet 2011, elle a présenté un « paquet législatif », destiné à réformer la PCP. La Commission européenne dresse un constat d'échec tant sur le plan environnemental qu'économique de la PCP. Son objectif est de lutter plus efficacement contre la surpêche, qu'elle considère comme généralisée dans les eaux européennes, et à réduire la surcapacité des flottes de pêche.

Le Sénat a pris sa part dans ce débat en adoptant le 16 juillet 2010, à la suite de la publication du Livre vert, une résolution européenne critiquant en particulier le projet de quotas individuels transférables. Nous avons également participé aux réunions interparlementaires organisées sur cette question. Avec Odette Herviaux et deux collègues députés nous avons pu, à Bruxelles, constater les points d'accord et de divergence avec nos partenaires.

La dernière initiative de la Haute Assemblée a été de constituer un groupe de travail commun aux commissions des affaires économiques, du développement durable et des affaires européennes afin de vous présenter cette proposition de résolution.

Tout d'abord, nous considérons que le diagnostic de la situation de la pêche établi par la Commission est discutable. Les avis scientifiques sur l'état de la ressource halieutique sont très controversés. A peine la moitié des stocks sont aujourd'hui connus, avec des marges d'erreur importantes. Les effets du changement climatique sur les eaux augmentent les difficultés de prévision. De même, le jugement sur la surcapacité est contestable. L'expertise scientifique doit donc être renforcée et les travaux menés en étroite collaboration avec les pêcheurs.

Ensuite, nous pensons, comme la plupart des autres États, que le délai pour atteindre le rendement maximal durable (RMD) ne pourra pas être tenu. Le RMD représente ce qui peut être capturé chaque année sans affecter le renouvellement du stock. Il y a un accord général sur l'objectif de parvenir à organiser une pêche durable « en ramenant l'exploitation des stocks halieutiques à un niveau compatible avec la production maximale équilibrée ». La Commission européenne propose d'atteindre le RMD pour toutes les espèces dès 2015. Il ne saurait être question de nier l'intérêt et même la nécessité de fixer une date butoir accompagnée d'un échéancier, pour éviter tout dérapage. Néanmoins, fixer un butoir général pour toutes les espèces semble irréaliste. Il convient de privilégier une approche pêcherie par pêcherie, concertée avec les scientifiques et les pêcheurs, et il paraît plus raisonnable d'envisager le RMD entre 2015 et 2020 au plus tard.

En troisième lieu, nous refusons une régulation des flottes par les concessions de pêche transférables (CPT). Le système actuel des quotas a plusieurs inconvénients : fondé essentiellement sur l'antériorité, il ne prend en compte ni les façons de pêcher, ni les rejets, ni l'emploi. Cependant, le système proposé par la Commission, fondé sur les quotas individuels transmissibles, est encore pire.

Les expériences menées dans plusieurs pays montrent que les CPT conduisent à concentrer les droits de pêche au détriment de la pêche artisanale, pourtant principal vivier d'emplois. La mise en place des CPT affaiblirait les organisations de producteurs, si utiles au secteur, qui seraient remplacées par le seul jeu des marchés. Il est néanmoins peu probable que cette proposition de la Commission soit suivie d'effet car une large majorité d'États membres s'est prononcée contre les CPT obligatoires, préférant laisser à chaque État, la possibilité de choisir son système de distribution des droits de pêche.

En quatrième lieu, nous nous opposons à l'interdiction des rejets. La pêche reste une activité de production aléatoire puisque le pêcheur remonte souvent des prises accessoires indésirables. L'importance de ces prises dépend beaucoup des types et des modes de pêche : le chalutage profond présente plus de risques de prises accessoires que la pêche des poissons de mer du Nord rassemblés en colonnes d'eau. Les quotas, calculés au débarquement, provoquent eux-mêmes des rejets. Il y a là un gâchis économique, écologique et alimentaire incontestable. La Commission propose d'interdire purement et simplement les rejets, en obligeant les navires à ramener à terre tout ce qu'ils ont pêché. Cette approche est préoccupante parce que les navires ne sont pas adaptés pour ramener à terre toutes leurs prises. La solution consistant à valoriser les rejets résiduels par la confection de farine de poisson ne fait que donner une valeur économique dérisoire aux prises accessoires sans répondre au défi environnemental. La solution passe par une réduction des rejets via une meilleure sélectivité des engins de pêche. Là encore, l'approche régionale par pêcherie est meilleure que l'application d'une norme uniforme décidée à Bruxelles.

Enfin, la réforme de l'Organisation commune des marchés (OCM) supprime les soutiens au stockage et les dispositifs d'intervention en cas de perturbation des marchés. Même si les prix de retrait étaient souvent dérisoires, ce filet de sécurité était une assurance pour les pêcheurs. Nous regrettons aussi que la réforme soit pratiquement muette sur les conditions de concurrence internationale auxquelles les pêcheurs européens doivent faire face.

La nouvelle OCM renforce l'information du consommateur. Les données actuelles sur les lieux de pêche (type « pêche Atlantique Nord Est ») sont inadaptées. Pour ne pas assommer le consommateur avec des données inutiles, une information plus pertinente est nécessaire.

Enfin, la réforme transforme le Fonds européen pour la pêche (FEP) - apprécié par les pêcheurs - en un Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) dont l'objet est plus large puisqu'il traite de la politique maritime de l'Union. Cette extension paraît opportune mais il faudra veiller à ce que le volet pêche ne soit pas « cannibalisé » par les dépenses portant sur l'espace et l'environnement. Ce fonds doit permettre d'améliorer les flottes et pas seulement d'accompagner la cessation d'activités. Cette amélioration doit concerner en particulier les domaines sociaux et environnementaux, comme la réduction de la consommation d'énergie des navires.

En fonction de ces considérations, mes collègues et moi-même avons présenté cette proposition de résolution que notre commission pourrait reprendre à son compte.

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