Intervention de Bruno Retailleau

Commission des affaires économiques — Réunion du 27 juin 2012 : 1ère réunion
Réforme de la politique commune de la pêche- examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques :

Le processus de réforme de la politique commune de la pêche a été lancé par la Commission européenne en 2009 avec la publication du Livre vert. Le Sénat avait alors adopté une première résolution, critique, dont il n'a malheureusement pas été tenu compte dans le paquet législatif présenté par la Commission en juillet et décembre 2011. Cette situation a amené la commission des affaires économiques, la commission du développement durable et la commission des affaires européennes à réagir, en constituant un groupe de travail destiné à préparer la proposition de résolution qui nous est soumise aujourd'hui. Je salue le travail de Mme Odette Herviaux, de MM. Gérard Le Cam, Joël Guerriau et Charles Revet, membres avec moi du groupe de travail, qui se sont saisis du dossier. Nos nombreuses auditions ont permis d'aboutir à la rédaction d'une proposition de résolution, adoptée à l'unanimité par la commission des affaires européennes il y a deux semaines.

Venons-en maintenant à la réforme de la politique commune de la pêche. La Commission européenne se fonde sur le constat d'une dégradation de la ressource halieutique en Europe, attribuée à la surpêche. Comment, cependant, définir la surpêche ? Si l'on se fonde, comme le fait la Commission, sur la notion de rendement maximum durable (RMD), qui vise à préserver le stock pour optimiser la capture, ce sont 75 % des stocks qui sont en situation de surpêche. Si, en revanche, c'est le critère de mise en danger biologique, soit le risque d'épuisement et de disparition, que l'on retient, seuls 32 % des stocks sont concernés. J'ajoute que l'on ne saurait dresser un constat global, valable pour toutes les mers er tous les océans. Ainsi, si, en Méditerranée, les stocks sont très sollicités, comme on l'a vu avec l'emblématique thon rouge, tel n'est pas le cas, par exemple, pour la sole en mer Celtique, le merlan bleu ou le hareng en mer du Nord, dont les stocks, au contraire, s'améliorent.

Nos discussions avec les scientifiques nous ont montré que les connaissances restent très fragiles. Outre que seuls 50 % des stocks ont fait l'objet d'une évaluation scientifique, la pêche n'est pas seule responsable des variations des stocks de poisson : le réchauffement climatique joue aussi un rôle, mal connu, dans leur dégradation.

Autre présupposé sur lequel la Commission fonde son raisonnement : s'il y a surpêche, c'est qu'il y a trop de bateaux et de marins. Or, la pêche européenne, et la pêche française en particulier, ne cessent de se réduire. L'Europe, qui ne représente au reste que 5 % des prises mondiales, couvrait, en 1995, les deux tiers de sa consommation, quand elle n'en assure plus aujourd'hui que 40 %, tandis que la taille de sa flotte se réduit de 2 % par an.

En France, la situation économique du secteur est préoccupante. Le nombre des navires a été ramené de 6 500 à 4 675 en quelques années. La France hexagonale ne compte plus que 20 000 pêcheurs. Au point que beaucoup de ports considèrent que le seuil critique est atteint : désintérêt des jeunes générations, embauche croissante de pêcheurs étrangers. On importe aujourd'hui plus de 70 % de notre consommation. La vétusté des bateaux, dont l'ancienneté moyenne est supérieure à vingt-cinq ans, trahit la souffrance économique du secteur, et pose un vrai problème de sécurité. Pourtant, nous sommes riches de 5 000 kilomètres de côtes : comment pourrait-on se passer d'une réelle ambition pour la pêche ?

La réforme de la politique commune de la pêche est certainement nécessaire mais il serait injuste de penser que celle qui est actuellement en vigueur serait un échec : les plans pluriannuels sur la sole dans le Golfe de Gascogne ou le merlu en mer du Nord n'ont-ils pas été des succès ?

Quelles sont les propositions de la Commission européenne ? En premier lieu, fixer un rendement maximum durable en 2015. Interdire, en deuxième lieu, au plus tard le 31 décembre 2015, les rejets, qui sont une réalité dans beaucoup de pêcheries. Créer, en troisième lieu, un système de concession de pêche permettant à chaque titulaire de faire commerce des droits à pêcher qu'il détient. Généraliser, en quatrième lieu, les plans pluriannuels, par grande région maritime, et régionaliser la gouvernance des pêches, respectant ainsi le principe de subsidiarité. Renforcer, en cinquième lieu, l'organisation commune des marchés, les organisations de producteurs devant continuer jouer un rôle de régulation tant dans la gestion de la ressource que dans la mise en marché des produits. En revanche les instruments publics d'intervention seraient restreints. Moderniser, en sixième lieu, le Fonds européen pour la pêche, qui serait élargi aux affaires maritimes et doté de 6,5 milliards, en le réorientant sur l'aide à la sélectivité et à la réorientation des pêcheurs vers d'autres secteurs, ce qui signifie du même coup la disparition des aides à l'installation, aux plans de sortie de flotte ou à la modernisation des bateaux. Transposer, en dernier lieu, les règles de la politique commune dans le cadre des accords de pêche avec les pays-tiers, dans le cadre du volet externe de la politique commune de la pêche. La flotte européenne réalise en effet 14 % de ses prises dans les eaux d'États tiers.

J'en viens à notre proposition de résolution, sur laquelle le Parlement européen et les États pourraient parvenir à un équilibre, sachant que la réunion des ministres du 12 juin a montré qu'il y avait convergence sur le socle de nos préconisations. Le fait est que les propositions de la Commission ont fait l'objet de vives critiques, et du Parlement européen, et des États membres. Ainsi, la mise en place du rendement maximum durable à 2015, en France, obligerait à fermer dès à présent 50 % de nos pêcheries. Nous ne contestons pas le principe, mais la date retenue : on peut tendre vers l'objectif, mais à l'horizon 2020. Notre deuxième objection porte sur l'interdiction totale des rejets. Certes, ils sont importants, mais les prises rendues à la mer entrent après tout, même mortes, dans le cycle de vie. Obliger à les ramener au port ne fera que favoriser la filière minotière pour la fabrication de farines animales, loin du but recherché. L'interdiction des rejets pose d'immenses problèmes. Mieux vaut, à notre sens, travailler à améliorer la sélectivité pour tendre vers le zéro rejet.

Sur les concessions de pêche transférables, le consensus est total entre les associations environnementales, les pêcheurs, les scientifiques : ce mécanisme reviendrait à imposer la dérégulation sur une ressource collective, autant dire à privatiser un bien public. Aucun État n'y souscrira, pas plus que le Parlement européen. L'Islande, où un tel système avait été mis en oeuvre, revient en arrière. Comme toute marchandisation, il favorise les gros armateurs, qui capitalisent les droits, et rien ne reste à la pêche artisanale.

Nous insistons, également, sur le volet social. La réforme doit être l'occasion d'harmoniser par le haut les conditions de travail, difficiles, dans un secteur où le recrutement de marins étrangers ne cesse d'augmenter. Les partenaires sociaux européens viennent de signer un accord qui pourrait servir de base à une future directive. Nous voulons encourager ce processus.

En ce qui concerne l'organisation commune de marché, nous souhaitons une meilleure information du consommateur grâce, notamment, à un écolabel précisant la provenance et les conditions de pêche. Les productions importées doivent suivre les mêmes règles que celles applicables à nos pêcheurs.

Quant au Fonds européen, enfin, si nous sommes favorable à son orientation en faveur d'une meilleure sélectivité des engins, il nous semble indispensable qu'il puisse à l'avenir soutenir l'installation des jeunes et la modernisation de la flotte, ceci non seulement pour des raisons environnementales liées à la consommation de gazole, mais pour assurer plus de sécurité dans une profession qui paye à la mer, chaque année, un lourd tribut de morts.

Je crois que, sur toutes ces propositions, nous pouvons aboutir à un consensus entre le Parlement européen et les États.

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