C'est à nos collègues Maurice Antiste et Charles Revet que nous devons le texte, déposé le 31 mai, sur lequel je vais vous faire rapport, non sans vous avoir remercié de m'avoir désigné : fils de marin pêcheur je suis particulièrement sensible aux problématiques de la pêche ultramarine et me réjouis de rapporter le premier texte issu des travaux de la jeune délégation sénatoriale à l'outre-mer, voulue par le président Jean-Pierre Bel, texte qui illustre, s'il en était besoin, tout l'intérêt de cette délégation.
Nos outre-mer contribuent au statut de puissance maritime de la France, qui dispose grâce à elles, avec plus de onze millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive, de la deuxième surface maritime mondiale. Le poids de la pêche ultramarine au sein de la pêche nationale est loin d'être négligeable : les départements d'outre-mer représentent ainsi près de 35 % de la flotte artisanale française et 20 % des effectifs de marins pêcheurs au niveau national, la Martinique constituant le premier département de France en matière de pêche artisanale.
En matière de pêche comme en bien d'autres domaines, il n'y a pas un, mais des outre-mer. Chaque DOM a ses spécificités. C'est ainsi que la pêche des DOM antillais est quasi-exclusivement artisanale et très majoritairement côtière. En Martinique, la flotte est composée en quasi-totalité de yoles, embarcations ouvertes, à faible tirant d'eau, équipées de moteurs hors bord. Dans ces deux départements, la production est très loin de couvrir la consommation.
Trois flottilles sont présentes en Guyane : la pêche industrielle crevettière, qui traverse une grave crise illustrée par l'effondrement de la production ; la pêche artisanale ciblant le poisson blanc; la pêche au vivaneau effectuée sous licences communautaires par des navires vénézuéliens, qui constitue la clé de voûte de la filière. La très grande majorité de la production de crevettes et de vivaneaux est exportée, notamment vers les Antilles. La pêche guyanaise se caractérise enfin par des équipages composés à plus de 80 % de ressortissants de pays tiers.
La pêche réunionnaise compte également trois composantes : la pêche artisanale côtière ; la pêche palangrière exercée dans les ZEE de La Réunion, des îles Éparses mais également de Madagascar ; la pêche hauturière, dans les zones maritimes des terres australes et antarctiques françaises, ciblant la langouste et la légine. Cette dernière pêche assure l'essentiel du chiffre d'affaires de la filière et travaille essentiellement à l'exportation.
A Mayotte enfin, le plus jeune des départements français, une flotte thonière cohabite avec une flottille artisanale d'environ 800 pirogues et 250 barques.
Il est cependant une constante : la pêche ultramarine joue un rôle économique et social vital dans les outre-mer. En 2008, on comptait 2 880 marins pêcheurs embarqués dans les DOM. C'est un chiffre significatif, notamment dans des collectivités qui connaissent un taux de chômage très important. La pêche constitue surtout le troisième secteur économique en Guyane et, en Guadeloupe, son poids en chiffre d'affaires est proche de celui des filières de la banane ou de la canne à sucre. En raison de son caractère essentiellement vivrier, le secteur entretient enfin un véritable lien social.
La pêche ultramarine, enfin, dispose d'un véritable potentiel de développement reconnu par l'ensemble des acteurs. Certes, l'éloignement, je ne dirai pas de la métropole, car le temps des colonies est derrière nous, mais de l'Europe continentale, le coût du carburant, les difficultés de financement des entreprises, la pollution des côtes, aux Antilles, par la chlordécone, ou encore, en Guyane, la pêche illégale pratiquée par des pêcheurs brésiliens et surinamais constituent autant de freins. Autre handicap, l'insuffisance des structures de transformation et de commercialisation. C'est là, à mon sens, un défi majeur pour le développement de la pêche, notamment dans les Antilles. Ce défaut d'organisation de la filière explique, par exemple, que les produits locaux de la mer n'ont accès ni aux cantines scolaires, ni à celles des hôpitaux. Comment accepter, sachant combien est sensible le problème de la vie chère outre-mer, que les enfants martiniquais ne mangent à la cantine que des poissons importés, venant le plus souvent de l'Hexagone ? Il est, à mes yeux, indispensable que les acteurs locaux se mobilisent sur cette question.
A côté de ces handicaps, le secteur de la pêche dispose d'atouts considérables. Le premier d'entre eux est la présence de ressources halieutiques relativement abondantes et bien souvent sous-exploitées, ainsi que la Commission européenne l'a elle-même reconnu dans une communication d'octobre 2008.
Le potentiel de développement de la pêche dans les DOM est incontestablement important, comme celui de l'aquaculture, à condition qu'elle se structure. Il faut donc regretter que les réalités de la pêche ultramarine ne soient pas prises en compte aujourd'hui par l'Union européenne. Les dernières réformes de la politique commune de la pêche ont conduit à des restrictions importantes, que la Commission justifie, ainsi que l'a rappelé notre collègue Bruno Retailleau, par la surcapacité des flottes européennes eu égard à la raréfaction de certaines ressources halieutiques. Or, ce constat, on l'a vu, ne correspond en rien à la réalité ultramarine. Pourquoi, dans ces conditions, appliquer les mêmes règles outre-mer et en Europe continentale ? Les règles de gestion de la ressource sont eurocentrées, c'est-à-dire pensées par et pour l'Europe continentale.
Plusieurs règles de la politique commune sont ainsi clairement inadaptées aux réalités de la pêche dans les DOM, quand elles ne nuisent pas au développement du secteur, alors même que nous bénéficions, au niveau européen, du statut de régions ultrapériphériques (RUP). Je pense notamment à l'interdiction des aides à la construction, à l'interdiction du financement des dispositifs de concentration de poisson, ancrés ou collectifs, outils au service d'une pêche sélective et durable, ou encore de l'interdiction des aides au fonctionnement.
L'interdiction des aides à la construction constitue, à mes yeux, comme à ceux des professionnels, la meilleure illustration de l'inadaptation des règles de la politique commune aux réalités ultramarines. Elle n'est pas sans effets pervers, contraires aux objectifs de la politique commune, en empêchant la mise en service de bateaux plus écologiques, donc moins consommateurs de carburants, plus sûrs et moins destructeurs des lagons.
Toutes ces restrictions sont d'autant plus aberrantes que, dans le même temps, dans le cadre du volet externe, l'Union européenne conclut avec certains pays de notre environnement régional des accords de partenariat de pêche, subventionnant le développement du secteur dans ces pays potentiellement concurrents. Madagascar et l'Union européenne viennent ainsi de signer un accord qui prévoit le versement de 550 000 euros par an pour le développement de la pêche malgache. En toute incohérence, puisque cette aide attisera la concurrence avec La Réunion. Et pourquoi refuser aux DOM ce que l'UE octroie à Madagascar ?
Au-delà, c'est la politique commerciale de l'Union européenne dans son ensemble qui constitue une menace pour l'économie des outre-mer. C'est ainsi que sont conclus des accords de libre-échange avec certains pays d'Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique, où les coûts de production sont très inférieurs et non soumis aux normes européennes. Quelle cohérence, une fois encore, avec la politique définie pour les RUP, qui vise à « valoriser les atouts de l'ultrapériphérie » ? Quelle cohérence avec les politiques sectorielles, comme la politique commune de la pêche ou la politique de cohésion ?
La délégation sénatoriale à l'outre-mer a estimé que la réforme de la politique commune de la pêche, dont les principaux volets ne trouvent pas à s'appliquer aujourd'hui, était l'occasion de faire valoir les réalités ultramarines. Ses deux rapporteurs, MM. Maurice Antiste et Charles Revet, ont donc déposé cette proposition de résolution, qui formule deux séries de recommandations. La mise en place, tout d'abord, de règles spécifiques aux régions ultrapériphériques, sur le fondement de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne Cet article, très insuffisamment utilisé, permet en effet l'édiction de règles spécifiques aux RUP afin de tenir compte de leurs handicaps. Parmi ces dispositifs spécifiques, nous recommandons notamment le rétablissement des aides à la construction de navires. Nous appelons à la création d'un comité consultatif régional spécifique aux RUP, afin de nouer enfin le dialogue avec les instances européennes. Une autre série de recommandations porte sur la politique commerciale de l'Union européenne, que nous invitons à mieux articuler sa politique commerciale avec les politiques sectorielles, mise en cohérence qui doit passer notamment par une évaluation systématique et préventive des effets sur les RUP des accords commerciaux négociés par l'Union européenne. Sur cette question, le texte reprend fidèlement les positions exprimées par notre Haute assemblée en 2011, dans le cadre d'une proposition de résolution européenne tendant à obtenir compensation des effets, sur l'agriculture des départements d'outre-mer, des accords commerciaux conclus par l'Union européenne.
Cette proposition de résolution, très consensuelle, a été approuvée à l'unanimité par la délégation sénatoriale à l'outre-mer, puis par la commission des affaires européennes. Tous ceux que j'ai auditionnés y ont vu une initiative bienvenue, qui sera un soutien précieux aux initiatives lancées par le Gouvernement français au niveau européen, comme me l'a indiqué hier M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué aux transports, à la mer et à la pêche.
L'article 349 du traité est un véritable « Graal » pour les RUP. Qu'il soit si peu utilisé témoigne de la méconnaissance de la Commission quant aux problématiques ultramarines, mais aussi de la difficulté à faire entendre la voix des outre-mer dans une Union européenne à 27, comme me l'a indiqué le conseiller pêche et outre-mer de la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne lors de mon déplacement à Bruxelles. Brûlante aussi est la question de la cohérence des politiques communautaires, et notamment de la déconnexion de la politique commerciale, qui pénalise non seulement l'outre-mer mais l'ensemble des régions françaises.
Je me réjouis que les deux propositions de résolution européenne que nous examinons aujourd'hui se rejoignent : la proposition de résolution « globale » présentée par notre collègue Bruno Retailleau appelle ainsi à ce qu' « une conditionnalité environnementale et sociale s'applique aux produits de la pêche ou de l'aquaculture provenant de pays tiers ». Je forme le voeu que cette résolution soit adoptée à l'unanimité.