Intervention de Jean-Pierre Jouyet

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 26 juin 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Pierre Jouyet président de l'autorité des marchés financiers amf

Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers :

En effet. Si l'AMF doit encore renforcer son expertise en ce domaine, elle a progressivement étendu son dispositif de collecte des données aux transactions financières de gré à gré, aux marchés obligataires et enfin aux instruments dérivés. Sans cette adaptation indispensable, les réponses apportées à la sophistication croissante des marchés, à la complexité des moyens utilisés par les intervenants et aux abus de marchés seraient intervenues trop tardivement au regard du temps des marchés.

Comme le montre le problème du trading haute fréquence, le défi du régulateur est en effet de s'adapter à la rapidité de l'évolution, à la complexité des moyens utilisés pour la passation d'ordres et à la segmentation de ces marchés. Dans le cadre de la crise des dettes souveraines notamment, pour anticiper le Règlement européen sur les ventes à découvert, l'AMF, depuis le 1er février 2011, a mis en place un régime complet de transparence des positions courtes nettes sur les actions admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral organisé de négociation.

Concernant le contrôle et les sanctions à l'intérieur même de l'AMF, il fallait tirer les conclusions du traitement de l'affaire EADS. C'est pourquoi nous avons rassemblé en une direction unique les enquêtes et les contrôles et instauré un échange contradictoire et systématique d'informations avec les personnes mises en cause avant le lancement d'une procédure de sanction. Cette évolution a conduit à une augmentation des contrôles, désormais fondés sur les risques, qui donne lieu à une recrudescence de notifications de griefs en matière de commercialisation des produits financiers, garantissant le respect de l'intérêt des clients, y compris au sein des salles de marché.

La loi de régulation financière a renforcé le caractère dissuasif de la répression : plafond des sanctions pécuniaires décuplé, publicité systématique tant des séances que des décisions de la commission des sanctions, faculté donnée au président de l'AMF d'exercer un recours contre celles-ci. L'introduction d'un pouvoir de transaction, sous la forme d'une procédure de composition administrative, nous permet de traiter plus rapidement et en toute transparence les dossiers mineurs. Le collège a déjà approuvé plusieurs accords de ce type dont certains sont en passe d'être homologués par la commission des sanctions.

Un groupe de travail interne se penche sur les moyens de rendre les enquêtes plus efficaces. Nous réfléchissons à étendre le champ des pouvoirs d'investigation des enquêteurs et contrôleurs, et à rendre les enquêtes plus efficaces en luttant contre l'obstruction à laquelle les enquêteurs sont de plus en plus souvent confrontés. Ces mesures incluent les modalités de coopération avec les Responsables de la conformité pour les services d'investissement (RCSI) et surtout avec la justice, avec la possibilité de demander des pièces à un juge ou à un service de police ; la coopération opérationnelle est renforcée avec le Parquet, notamment pour l'utilisation de services de police spécialisés, ce qui nous rapproche des moyens à la disposition de la Financial Services Authority (FSA) britannique et de la Securities and Exchange Commission (SEC) américaine.

En dernier lieu, l'AMF s'est attachée à mettre en place un nouveau cadre de régulation qui fait coïncider développement des activités financières, protection des épargnants et financement de l'économie. Nos orientations sont connues : transparence de l'ensemble des transactions et des marchés vis-à-vis du régulateur comme des opérateurs et investisseurs ; transparence plus large dans la formation des prix des actifs et les conditions de réalisation des transactions ; périmètre de la régulation financière étendu à l'ensemble des acteurs financiers significatifs, comme les fonds d'investissement spéculatifs et les agences de notation, et des marchés, y compris de matières premières et de dérivés de crédit ; lutte contre les risques systémiques liés à l'explosion des marchés dérivés de gré à gré, à leur segmentation et leur manque de transparence ; lutte contre l'instabilité des marchés, renforcée par des pratiques telles que le trading haute fréquence ou les ventes à découvert à nu ; système de supervision financière plus efficace et mieux coordonné au niveau européen ; promotion d'une politique de reconnaissance mutuelle des dispositifs de régulation.

Au sein de l'Organisation Internationale des Commissions de Valeurs (OICV) et au sein de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), nous avons, en quatre ans, fait des avancées sensibles, et avons bon espoir que notre travail de conviction porte ses fruits.

Au niveau national, nous avons oeuvré pour la relance du marché obligataire primaire parisien, pour la création de plateformes transparentes de négociation des titres obligataires, de façon à rapatrier les émissions obligataires de Luxembourg à Paris. Il faut toutefois que les banques et les institutions financières nous aident à développer cette activité. Certaines réformes ont permis de simplifier la réglementation boursière applicable aux PME et ETI cotées, dans les limites autorisées par les règles européennes. Cela s'est traduit par une adaptation du fonctionnement du marché d'Alternext consacré aux PME. Les transferts d'Euronext, marché réglementé selon des normes appropriées aux grandes entreprises, vers Alternext ont été facilités. Malgré une attractivité toujours insuffisante des marchés pour les PME, le marché Alternext a connu une forte progression. C'est encourageant mais il reste des progrès à faire.

J'en viens aux nouveaux enjeux. Le premier enjeu est la gouvernance d'entreprises. Actionnaires et investisseurs institutionnels font de plus en plus attention à la qualité de la gouvernance comme un élément de la performance sur la durée. Une entreprise dont la gouvernance est inadaptée, dont les procédures de contrôle interne sont faibles non seulement se met en risque, mais les salariés et les actionnaires en paient les conséquences. Je crois au volontarisme politique et réglementaire sur ce sujet : sans l'impulsion du régulateur et du législateur, nous n'aurions pas constaté de diversification de la composition des conseils d'administration. Je sais que vous vous intéressez au Say-on-Pay, le vote consultatif des actionnaires sur les rémunérations des dirigeants. Nous ne pourrons faire l'économie de ce débat. On ne peut demander aux entreprises publiques seules de se remettre en question. Faut-il un vote des actionnaires obligatoire ou optionnel ? Sur quel objet ? Ce vote serait-il contraignant ou consultatif ? Autant de questions que l'on peut se poser. À titre personnel, je prône la transparence la plus large possible des rémunérations à l'égard des assemblées générales. Deuxième enjeu : la commercialisation des produits d'investissement aux investisseurs de détail. Il nous faudra conduire une réflexion sur le conseil en investissement et la régulation de la distribution de produits financiers, qui pourrait déboucher sur une remise à plat du métier de conseiller financier. L'AMF a également formulé des propositions visant la réparation des préjudices financiers, parmi lesquelles le développement des actions de groupe, mais encadrées « à la française ».

Troisième enjeu : mettre les marchés au service du financement à moyen et long terme de l'économie. Le débat sur la séparation des activités bancaires et la structure des banques aurait dû être ouvert plus tôt dans notre pays, comme il l'a été dans d'autres. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni sont en train de réformer l'organisation de leurs banques. En Europe, le groupe Liikanen est chargé de proposer des recommandations sur d'éventuelles réformes structurelles pour renforcer la stabilité financière et améliorer la protection des consommateurs. Quelle approche adopter ? Une approche à la Vickers, avant tout prudentielle, n'aborde pas les questions de prise de risque excessive et de conflits d'intérêts ; elle n'est pas efficace pour discipliner les acteurs. L'approche dite Volcker cherche en revanche à identifier les activités utiles aux clients et au financement de l'économie, tout en interdisant ou en contraignant celles qui exposent les banques à des conflits d'intérêts ou à des risques trop élevés. Il faut mettre en balance ces deux aspects, tout en tenant compte des spécificités du modèle bancaire français, en liaison avec le groupe Liikaneen, mis en place sous l'égide de la Commission européenne.

Enfin, si l'épargne financière à long terme est structurellement aussi faible en France, c'est, en premier lieu, à cause de la fiscalité appliquée à l'immobilier et aux placements financiers. D'une manière générale, certaines incitations fiscales influencent de façon exagérée l'allocation d'actifs des ménages et aveuglent les épargnants plus qu'elles ne les orientent. Le dispositif actuel d'incitations fiscales, extrêmement morcelé et complexe, manque de cohérence et de lisibilité. Au total, la contribution réelle de la fiscalité actuelle de l'épargne au soutien de la croissance et de l'investissement de long terme semble limitée, car elle favorise les placements les plus liquides au détriment des actions.

Le développement de l'épargne à long terme pourrait également pâtir des réformes comptables et prudentielles en cours. Sur le plan comptable, avec les normes IFRS 9 et IFRS 4, la comptabilisation en valeur de marché sur un champ très large induit une plus grande sensibilité des bilans des institutions financières aux fluctuations à court terme des marchés. Les investisseurs institutionnels pourraient se détourner des actifs de long terme et être incités à adopter un comportement pro-cyclique.

Sur le plan prudentiel, certains aspects de Bâle III et Solvabilité II risquent de pénaliser la constitution d'une épargne de long terme. Bâle III incite les banques à accroître leurs encours de dépôts, au risque de détourner l'épargne des ménages d'autres véhicules à plus long terme. Cette concurrence accrue des produits de bilans bancaires représente aussi un enjeu important pour l'industrie de la gestion collective en France. Celle-ci, l'une des plus performantes d'Europe, représente un atout qu'il nous faut protéger. Quant à Solvabilité II, elle impose des exigences en capital très élevées pour la détention d'actions, et, dans une moindre mesure, d'obligations. Ceci pourrait par conséquent inciter les assureurs à diminuer leur exposition à ce type d'actifs et donc leur contribution au financement de l'économie.

Quoi qu'il en soit, on ne pourra développer une place financière au service d'un financement à long terme de notre économie, de sa croissance, que si les règles fiscales et les instruments de réglementation et de régulation apparaissent suffisamment stables et lisibles pour les investisseurs, notamment étrangers, qui contribuent de plus en plus au développement de nos entreprises.

Notre travail est encore dense, et notre vigilance doit être renforcée. Pour ce qui est de nos moyens, nous dépendons de vous... Compte tenu de nos missions, il reste du chemin à parcourir, mais l'AMF est combative et fait entendre sa voix.

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