Intervention de Ilan Halevi

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 27 juin 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Ilan Halevi représentant de l'autorité palestinienne en france et en allemagne

Ilan Halevi, représentant de l'Autorité palestinienne en France et en Allemagne :

Je me réjouis d'être reçu par votre commission. Avant de commencer, je souhaite rendre hommage au sénateur Daniel Goulet qui siégeait dans votre commission et qui était devenu un ami. Je vais répondre à vos trois questions et en ajouterai une quatrième sur l'état du processus de politique et ses perspectives.

Le processus de réconciliation entre le Hamas et le Fatah est lent mais il progresse. Ce n'est pas simple car le contentieux est ancien et important. Le Hamas est issu de la mouvance des Frères Musulmans dans la bande de Gaza. Leur objectif était principalement caritatif. Israël dans le but de faire échec à l'OLP, à la fin des années 1970, a encouragé ce mouvement. En 1988, au moment de la première Intifada, il a pris la dénomination de Hamas et a élargi sa mission à l'action politique pour devenir le mouvement de la résistance islamique. L'appellation montre qu'ils amorçaient un passage du terrain de la religion vers celui la politique nationaliste. C'était un mouvement violent, utilisant les opérations suicides et sa charte était d'un archaïsme effarant. Mais ils ont, depuis, beaucoup évolué et commencé à se rapprocher des autres forces politiques laïques. Après avoir boycotté les élections de 1996, ils sont entrés progressivement au fil des élections locales dans le processus électoral et ont remporté les élections de 2006 avec 44 % sur un programme ne faisant pas explicitement référence à l'Islam et en soutenant des candidats chrétiens de gauche dans certaines localités comme Ramallah.

Aujourd'hui, le Hamas est divisé entre une majorité réaliste et les conservateurs plus extrémistes. Cette division ne se résume pas entre ceux de l'intérieur et ceux de l'extérieur, mais plutôt entre ceux qui sont sensibles à la démocratie musulmane modérée et pluraliste (le modèle turc constituant une référence) et les salafistes.

Les heurts ont été très violents entre le Hamas et le Fatah à Gaza, mais les responsabilités sont partagées. Du coup, le Hamas a pris le pouvoir à Gaza. Aujourd'hui, le processus de réconciliation est à l'oeuvre. La réconciliation ne veut pas dire l'unité, mais elle permet le pluralisme, tout mouvement politique a sa place s'il n'est pas violent et accepte le pluralisme. Elle a pour objectif la réunification du territoire sous une seule juridiction et l'organisation de nouvelles élections libres dans tout le territoire, et nous sommes arrivés à un accord. Cette organisation dépend aussi de la puissance occupante, mais nous espérons que les élections pourront se tenir d'ici à la fin de l'année grâce aux pressions internationales. En attendant, il est envisagé la mise en place d'un gouvernement d'union nationale de personnalités indépendantes et de technocrates qui ne représentent pas les partis en présence. Il importe de mettre de côté l'esprit de revanche entre les deux courants et de préparer sereinement les élections.

Le blocus de Gaza continue, hélas. La situation est au bord de la crise humanitaire chronique. S'il n'y avait l'économie illégale et souterraine des tunnels, la situation humanitaire à Gaza serait désastreuse. Le blocus est imposé par Israël mais la communauté internationale ne le remet pas en cause, sous prétexte que le Hamas est assimilé à une organisation terroriste et qu'il faut le punir en affamant la population. Il y a là un manque de logique.

La Cisjordanie est toujours occupée, de plus en plus occupée. Les colonies s'étendent, des terres sont confisquées, des populations sont déplacées, au mépris du droit international. Plus de 600 barrages entravent la libre circulation des personnes et perturbent considérablement la vie quotidienne des habitants. Il y a parfois bouclage complet et la situation normale, ce sont des heures d'attente aux barrages. Le Mur, de 8 mètres de hauteur, soit deux fois celle du Mur de Berlin, « serpente » dans la Cisjordanie, il isole 15 à 20 % du territoire cisjordanien, il isole les villageois de leurs terres, les élèves de leur école. Il constitue une persécution et une destruction économique. En outre, cela s'accompagne des destructions de maisons et de plantations pour des motifs sécuritaires plus que contestables...

Il ya les enlèvements. 5.000 Palestiniens se trouvent dans les prisons israéliennes en violation des conventions de Genève, souvent détenus sans jugement, systématiquement torturés ou maltraités. Il est régulièrement procédé à des exécutions extrajudiciaires, par divers moyens, avec des dommages collatéraux très élevés dans la population civile. La situation en Cisjordanie est grave.

Politiquement on constate que si le Hamas est encore dominant à Gaza, il a beaucoup perdu de terrain en raison de ses pratiques répressives et contraire aux libertés démocratiques. Pour les mêmes raisons, c'est le Fatah, qui perd du terrain au profit du Hamas en Cisjordanie. Le Hamas s'est comporté comme le Hezbollah au Liban après la guerre de 2009, en considérant que, puisqu'Israël avait échoué à le détruire, c'était une victoire divine. Mais ce discours n'a plus de portée dans l'opinion publique. C'est aussi pour cela qu'il souhaite négocier.

Il n'y a pas de négociation actuellement avec Israël. Nous exigeons qu'Israël revienne aux termes de référence du processus de paix ouvert à Madrid en 1991: la référence au droit international, le respect des accords signés, les frontières de 1967 comme base territoriale de la négociation, l'existence d'un État palestinien pacifique, souverain, dans ses frontières, à côté d'Israël.

Israël refuse cette approche et veut négocier en continuant la colonisation, en maintenant sa présence militaire dans la vallée du Jourdain, en revendiquant l'annexion des territoires situés à l'ouest du Mur... Israël nous accuse de mettre des conditions préalables. Ce n'est pas un préalable, c'est un retour au cadre de négociation initial.

La stratégie du Fatah définie lors de son congrès de 2009 est la suivante : résistance non-violente, réconciliation nationale, construction de l'économie et des institutions du futur État palestinien, recherche de la négociation. Cette stratégie devait conforter nos démarches de reconnaissance de la Palestine aux Nations unies afin de remettre la négociation dans le cadre nécessaire. Nous voulons que les négociations se déroulent dans un cadre clair avec pour objectif de récupérer la souveraineté sur notre territoire Les accords apportent des satisfactions morales, mais il faudra bien qu'un jour l'armée israélienne se retire. Le problème est qu'aujourd'hui personne n'a la volonté ou le courage de faire des pressions effectives sur le gouvernement israélien, y compris l'administration Obama, malgré ses discours d'Ankara et du Caire. Nous sommes dans une impasse totale, mais il faut des négociations, il n'y aura pas d'évacuation sans négociation ni de souveraineté sans évacuation. Une négociation directe avec Israël reste nécessaire quel que soit le succès de nos démarches à l'UNESCO ou dans d'autres enceintes.

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