Monsieur l'ambassadeur, c'est avec un grand plaisir que nous vous accueillons à la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, pour évoquer avec vous un sujet d'une brûlante actualité, celui de la négociation, que vous entamerez au nom de la France dans quelques jours à New York, d'un traité sur le commerce des armes.
Je voudrais vous remercier d'avoir accepté de faire aujourd'hui, et malgré un agenda chargé, l'aller-retour depuis Genève pour dresser devant nous les grands enjeux de cette négociation, qui sera certainement complexe et serrée. Nous y sommes particulièrement sensibles.
Je voulais vous dire que nous avons été nombreux à être sollicités par plusieurs organisations non gouvernementales, dont les représentants ont d'ailleurs été reçus par notre collègue Daniel Reiner ici présent, vice-président de notre commission et très fin connaisseur de ces enjeux, autant que de la règlementation française, puisqu'il avait co-rapporté la dernière loi sur le sujet, il y a tout juste un an.
Nous avons naturellement beaucoup d'interrogations, et mes collègues vous poseront certainement des questions :
- est-ce qu'un « point d'équilibre » pourra être atteint, et surtout à combien, entre les occidentaux, les états victimes de la violence armée, les États importateurs et les réfractaires. Un échec est-il possible ?
- quel pourra être le périmètre couvert par le traité : commerce légal, commerce illicite, armes de petit calibre, munitions... ?
- pour les critères, certains états ont une position fermée pour la prise en compte des droits de l'homme, ou sont opposés à la transparence : pourront-ils évoluer ? ;
- enfin, quel degré de contrainte pourra être introduit pour le contrôle de la mise en oeuvre du traité ?
En résumé : un traité est-il à notre portée, et surtout à quel prix, en termes de participants ou de compromis sur nos objectifs ?
Monsieur l'ambassadeur, je vous cède la parole.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je veux tout d'abord vous remercier pour votre invitation. La conférence de négociation du Traité sur le commerce des armes (TCA) s'ouvre lundi à New-York pour quatre semaines.
Quel est le contexte ? Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le commerce international des armes n'est aujourd'hui régi par aucun instrument juridique de portée universelle. . Il existe seulement et ponctuellement des règles régionales, comme dans l'Union européenne, qui à vrai dire est un cas unique, ou des embargos résultant de décisions du Conseil de sécurité des Nations unies. Des milliers de personnes sont victimes chaque année de cette régulation insuffisante. Or la mondialisation affecte aussi le commerce des armes : les producteurs d'armes, notamment légères, se sont multipliés, en particulier les pays émergents. Les flux maritimes ou aériens sont désormais difficiles à contrôler et offrent de nouvelles opportunités pour les trafiquants. Il faut une responsabilisation accrue des États et l'établissement de normes universelles les plus élevées possibles. Les conséquences des transferts d'armes non régulés sont l'instabilité régionale, les violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire, les problèmes de développement socio-économiques, la criminalité organisée, le terrorisme.
Notre objectif est de réguler les transferts légaux et de prévenir les transferts illicites qui alimentent la violence armée. Les frontières entre les deux types de transfert sont poreuses, le traité devra couvrir les deux aspects.
Quel a été l'engagement de la France ? La France, dont le système de contrôle des exportations d'armement, autour de la Commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre, ou CIEEMG, remonte à 1955, applique le code de conduite de l'Union européenne adopté en 1998 sous forme d'engagement politique, qui est devenu, en 2008, sous présidence française de l'Union européenne, une position commune à valeur juridique. Notre pays a soutenu dès le début la mobilisation en faveur d'un traité de personnalités éminentes, autour de l'ancien Président du Costa Rica, mais aussi de grandes ONG internationales et françaises, réunies au sein de la plateforme « contrôler les armes ». Les industriels, qui partagent, du moins dans les États où existent déjà des contrôles rigoureux, le même intérêt, ont participé à la gestation du projet. Ce dossier est porté par des États de toutes les régions du monde, et dépasse les clivages traditionnels des Nations unies.
Après la première résolution de l'Assemblée générale des Nations unies en 2006 et la désignation d'un groupe d'experts gouvernementaux, une nouvelle résolution de l'Assemblée générale est intervenue tout début 2010, prévoyant une véritable négociation, quatre comités préparatoires et la Conférence qui s'ouvre la semaine prochaine. La France a soutenu ce processus de façon indéfectible, tout comme de nombreux pays en voie de développement, touchés par la violence armée. Les Etats-Unis, assez sceptiques à l'origine, se sont ralliés en 2009 au principe, à condition que la négociation se fasse par consensus, ce qui a permis l'absence d'objection de la part de tous les grands acteurs du commerce des armes, en particulier la Russie et la Chine, qui se sont abstenues lors du vote de 2009. Aujourd'hui, seule une vingtaine d'États restent sceptiques face au processus.
Quelle est la position de la France ? Nous voulons un traité juridiquement contraignant et non un document de nature politique. Nous souhaitons une harmonisation « par le haut » des règles pour tous les États et l'adhésion de tous, ou du moins des principaux exportateurs et importateurs, y compris les pays de transit et de destination. Il ne s'agira pas d'un traité d'interdiction, mais d'un traité de régulation. Ses deux piliers sont interdépendants : la régulation du commerce licite et la lutte contre les trafics illicites. Ce point est particulièrement important car les États sceptiques tenteront de plaider pour un traité qui ne porte que sur la prévention du trafic illicite.
Le champ d'application doit être ambitieux et opérationnel :
- s'agissant des matériels couverts, le traité devrait réguler toutes les armes conventionnelles, y compris les munitions et les armes légères à petit calibre, qui font le plus de victimes ; un traité n'aurait pas de sens s'il était limité aux seules armes figurant au registre des Nations unies ;
- agissant de l'étendue du contrôle, le traité doit couvrir tous les types de transfert : exportation, importation, transit, transbordement, courtage, pour contrôler toute la chaîne et limiter les risques de détournement ;
Les États parties évalueront les demandes d'autorisation sur la base de critères définis par le traité. La France souhaite y voir inclus le respect des obligations internationales, y compris les régimes de sanctions, le droit international des droits de l'homme et le droit international humanitaire (deux « lignes rouges » pour notre pays), la préservation de la paix et de la sécurité régionale, la prise en compte du risque de détournement et l'impact sur le développement économique et social des pays de destination.
Chaque État devra définir ses procédures de contrôle, car il serait irréaliste de vouloir les imposer.
La France estime que les refus doivent rester discrétionnaires et que le dispositif national de contrôle devra comporter des mesures de criminalisation en cas de violations et des mesures spécifiques contre la corruption et le blanchiment d'argent. Le traité devra aussi comporter une stipulation spécifique pour préserver l'acquis communautaire.
Le traité devra prévoir une transparence en matière de transferts d'armement, avec la publication régulière de données, sans doute agrégées. Il doit enfin prévoir un mécanisme de suivi, avec un secrétariat d'appui à la mise en oeuvre, une Conférence d'examen quinquennale, et, les autres années, des assemblées des États parties.
Il nous semble important que le texte soit court mais qu'il contienne tous les grands principes.
A la veille de l'ouverture des négociations, il existe des raisons d'espérer, mais aussi de s'inquiéter sur leur issue ; une majorité très large d'États y compris sur le continent africain et en Amérique latine soutiennent la démarche.
L'inclusion dans le champ d'application du traité des munitions et de l'armement léger me paraît indispensable tant leurs conséquences s'avèrent catastrophiques sur le plan humanitaire. En témoigne la situation en Syrie, ou encore la circulation de près de 10 millions d'armes illicites dans le continent africain. Le traité pourra-t-il permettre une saisie et une destruction des ces armes ?
Je souhaite remercier le président de la commission pour cette séance de travail sur un sujet fondamental. Toute la difficulté des négociations sera de trouver un point d'équilibre entre le caractère contraignant des dispositions et le ralliement d'un grand nombre d'États. Les membres du conseil de sécurité et Israël représentent 90 % des exportations d'armement : quel est leur état d'esprit ? Pour la position française, quel équilibre pourra-t-on trouver et à quel prix signer ou renoncer au traité, si nos « lignes rouges » ne sont pas prises en compte ? Les munitions sont les armes qui tuent réellement ; elles doivent être inclues dans le champ du traité. Chaque État restera maître de ses mesures d'autorisation : comment pourra-t-on contrôler l'application du traité ?
Vous connaissez comme moi l'histoire du désarmement dont les négociations ont pu par le passé s'éterniser pendant de très longues années, à une époque où le nombre d'acteurs était pourtant plus limité qu'aujourd'hui... Comment éviter le risque d'enlisement ? Si on applique la « règle d'or », n'aura-t-on pas, demain, les pieds et les poings liés : ne sera-t-il pas impossible, par exemple, dans ce cas, d'aider la rébellion en Syrie ?.
Comment arriver à contrôler les États qui ne sont en fait que des intermédiaires pour des groupes terroristes ou d'autres États ?
Les intérêts financiers des industriels marchands d'armes sont considérables. Quelle masse financière représente aujourd'hui le commerce des armes ?
Comment le traité affectera-t-il les opérations de coopération, je pense en particulier aux relations militaro-industrielles entre la France et la Russie ?
Un traité qui n'inclurait pas les armes de petit calibre n'aurait pas de sens. Il faut que les munitions soient également contrôlées, peut-être pas avec les mêmes exigences de transparence.
C'est la Conférence d'examen quinquennale qui fera le suivi de l'exercice du contrôle par chaque État partie, qui se trouve aussi placé, au quotidien, sous le contrôle de l'opinion publique, de la presse et des ONG. Ce système n'est pas parfait, mais il est meilleur que le vide juridique actuel.
Je partage naturellement les préoccupations sur les risques d'enlisement de la négociation. La durée de quatre semaines est aussi le résultat d'un compromis politique. Pour ouvrir, le cas échéant, une autre négociation, il faudrait une nouvelle résolution des Nations unies...
S'agissant de la règle d'or, la France souhaite conserver une analyse souveraine des risques, mais estime nécessaire un engagement des États parties suivant lequel, lorsque le risque est suffisamment établi, l'exportation n'a pas lieu.
Les États resteraient libres de leur appréciation, mais auraient des comptes à rendre...
La France exporte chaque année entre 4 et 8 milliards d'euros d'armement, pour une part de marché mondiale située entre 5 et 10 %. Dès aujourd'hui, lorsqu'un composant essentiel d'un matériel de guerre est exporté hors de l'Union européenne pour être ultérieurement incorporé dans une arme, l'autorisation est délivrée en fonction de la destination finale.
Monsieur l'Ambassadeur, il ne nous reste plus qu'à vous remercier et à vous souhaiter bonne chance pour les négociations à New-York.
Je vous souhaite la bienvenue. Vous êtes le conseiller politique du Président de l'Autorité palestinienne, M. Mahmoud Abbas, et délégué par lui auprès de la mission de Palestine en France. Le Moyen-Orient et en particulier la question palestinienne est une question sur laquelle le Sénat s'est souvent penché. Nous avons du reste envoyé, il n'y a pas si longtemps, une mission composée de deux sénateurs, Mme Monique Cerisier-ben Guiga et M. Jean François-Poncet qui sont allés dans tous les pays du Moyen-Orient et en particulier sont entrés en Israël et surtout à Gaza, neuf jours seulement après la fin de l'opération « plomb fondu ».
Je vous poserai d'emblée trois questions. Premièrement où en est la réconciliation entre le Fatah et le Hamas ? Deuxièmement où en est le blocus de Gaza ? Troisièmement où en est la construction du mur de séparation et l'occupation de la Cisjordanie ?
Je me réjouis d'être reçu par votre commission. Avant de commencer, je souhaite rendre hommage au sénateur Daniel Goulet qui siégeait dans votre commission et qui était devenu un ami. Je vais répondre à vos trois questions et en ajouterai une quatrième sur l'état du processus de politique et ses perspectives.
Le processus de réconciliation entre le Hamas et le Fatah est lent mais il progresse. Ce n'est pas simple car le contentieux est ancien et important. Le Hamas est issu de la mouvance des Frères Musulmans dans la bande de Gaza. Leur objectif était principalement caritatif. Israël dans le but de faire échec à l'OLP, à la fin des années 1970, a encouragé ce mouvement. En 1988, au moment de la première Intifada, il a pris la dénomination de Hamas et a élargi sa mission à l'action politique pour devenir le mouvement de la résistance islamique. L'appellation montre qu'ils amorçaient un passage du terrain de la religion vers celui la politique nationaliste. C'était un mouvement violent, utilisant les opérations suicides et sa charte était d'un archaïsme effarant. Mais ils ont, depuis, beaucoup évolué et commencé à se rapprocher des autres forces politiques laïques. Après avoir boycotté les élections de 1996, ils sont entrés progressivement au fil des élections locales dans le processus électoral et ont remporté les élections de 2006 avec 44 % sur un programme ne faisant pas explicitement référence à l'Islam et en soutenant des candidats chrétiens de gauche dans certaines localités comme Ramallah.
Aujourd'hui, le Hamas est divisé entre une majorité réaliste et les conservateurs plus extrémistes. Cette division ne se résume pas entre ceux de l'intérieur et ceux de l'extérieur, mais plutôt entre ceux qui sont sensibles à la démocratie musulmane modérée et pluraliste (le modèle turc constituant une référence) et les salafistes.
Les heurts ont été très violents entre le Hamas et le Fatah à Gaza, mais les responsabilités sont partagées. Du coup, le Hamas a pris le pouvoir à Gaza. Aujourd'hui, le processus de réconciliation est à l'oeuvre. La réconciliation ne veut pas dire l'unité, mais elle permet le pluralisme, tout mouvement politique a sa place s'il n'est pas violent et accepte le pluralisme. Elle a pour objectif la réunification du territoire sous une seule juridiction et l'organisation de nouvelles élections libres dans tout le territoire, et nous sommes arrivés à un accord. Cette organisation dépend aussi de la puissance occupante, mais nous espérons que les élections pourront se tenir d'ici à la fin de l'année grâce aux pressions internationales. En attendant, il est envisagé la mise en place d'un gouvernement d'union nationale de personnalités indépendantes et de technocrates qui ne représentent pas les partis en présence. Il importe de mettre de côté l'esprit de revanche entre les deux courants et de préparer sereinement les élections.
Le blocus de Gaza continue, hélas. La situation est au bord de la crise humanitaire chronique. S'il n'y avait l'économie illégale et souterraine des tunnels, la situation humanitaire à Gaza serait désastreuse. Le blocus est imposé par Israël mais la communauté internationale ne le remet pas en cause, sous prétexte que le Hamas est assimilé à une organisation terroriste et qu'il faut le punir en affamant la population. Il y a là un manque de logique.
La Cisjordanie est toujours occupée, de plus en plus occupée. Les colonies s'étendent, des terres sont confisquées, des populations sont déplacées, au mépris du droit international. Plus de 600 barrages entravent la libre circulation des personnes et perturbent considérablement la vie quotidienne des habitants. Il y a parfois bouclage complet et la situation normale, ce sont des heures d'attente aux barrages. Le Mur, de 8 mètres de hauteur, soit deux fois celle du Mur de Berlin, « serpente » dans la Cisjordanie, il isole 15 à 20 % du territoire cisjordanien, il isole les villageois de leurs terres, les élèves de leur école. Il constitue une persécution et une destruction économique. En outre, cela s'accompagne des destructions de maisons et de plantations pour des motifs sécuritaires plus que contestables...
Il ya les enlèvements. 5.000 Palestiniens se trouvent dans les prisons israéliennes en violation des conventions de Genève, souvent détenus sans jugement, systématiquement torturés ou maltraités. Il est régulièrement procédé à des exécutions extrajudiciaires, par divers moyens, avec des dommages collatéraux très élevés dans la population civile. La situation en Cisjordanie est grave.
Politiquement on constate que si le Hamas est encore dominant à Gaza, il a beaucoup perdu de terrain en raison de ses pratiques répressives et contraire aux libertés démocratiques. Pour les mêmes raisons, c'est le Fatah, qui perd du terrain au profit du Hamas en Cisjordanie. Le Hamas s'est comporté comme le Hezbollah au Liban après la guerre de 2009, en considérant que, puisqu'Israël avait échoué à le détruire, c'était une victoire divine. Mais ce discours n'a plus de portée dans l'opinion publique. C'est aussi pour cela qu'il souhaite négocier.
Il n'y a pas de négociation actuellement avec Israël. Nous exigeons qu'Israël revienne aux termes de référence du processus de paix ouvert à Madrid en 1991: la référence au droit international, le respect des accords signés, les frontières de 1967 comme base territoriale de la négociation, l'existence d'un État palestinien pacifique, souverain, dans ses frontières, à côté d'Israël.
Israël refuse cette approche et veut négocier en continuant la colonisation, en maintenant sa présence militaire dans la vallée du Jourdain, en revendiquant l'annexion des territoires situés à l'ouest du Mur... Israël nous accuse de mettre des conditions préalables. Ce n'est pas un préalable, c'est un retour au cadre de négociation initial.
La stratégie du Fatah définie lors de son congrès de 2009 est la suivante : résistance non-violente, réconciliation nationale, construction de l'économie et des institutions du futur État palestinien, recherche de la négociation. Cette stratégie devait conforter nos démarches de reconnaissance de la Palestine aux Nations unies afin de remettre la négociation dans le cadre nécessaire. Nous voulons que les négociations se déroulent dans un cadre clair avec pour objectif de récupérer la souveraineté sur notre territoire Les accords apportent des satisfactions morales, mais il faudra bien qu'un jour l'armée israélienne se retire. Le problème est qu'aujourd'hui personne n'a la volonté ou le courage de faire des pressions effectives sur le gouvernement israélien, y compris l'administration Obama, malgré ses discours d'Ankara et du Caire. Nous sommes dans une impasse totale, mais il faut des négociations, il n'y aura pas d'évacuation sans négociation ni de souveraineté sans évacuation. Une négociation directe avec Israël reste nécessaire quel que soit le succès de nos démarches à l'UNESCO ou dans d'autres enceintes.
L'élection d'un président issu du mouvement des Frères musulmans à la tête de l'Égypte ouvre-t-il de nouvelles perspectives ?
Pendant longtemps tous les mouvements politiques se réclamant de l'Islam ont été diabolisés. C'était l'alibi des dictatures du monde arabe, qui ont combattus de façon très violente tout ce qui aspirait à un peu de liberté et de démocratie, au nom de la lutte contre l'obscurantisme islamique, avec le soutien des pays occidentaux. Aujourd'hui des dictatures tombent sous la pression de mouvements populaires et le monde découvre que ces mouvements ne sont pas si effrayants que cela. En Tunisie, le seul pays où le processus a abouti, les islamistes modérés et pluralistes ont accédé au gouvernement avec des partis laïcs de gauche. En Égypte, le dictateur est tombé mais la dictature militaire instaurée par Nasser est toujours en place. L'élection du M. Ahmed Chafik aurait ouvert une crise très grave, le peuple l'a refusée et a élu M. Mohamed Morsi qui est issu des Frères musulmans, il faut lui laisser sa chance. Les Frères musulmans sont une force complexe et réaliste mais divisée entre la « jeune garde » qui a participé avec les mouvements laïcs aux évènements de la place Tahrir et apparaît plus ouverte, et les « anciens » qui souhaiteraient accaparer le pouvoir, mais leur programme s'est modéré. Ils acceptent aujourd'hui d'abandonner la violence, de se référer au droit international, de reconnaître les frontières. Leur influence sur le Hamas est très positive, dans le sens du réalisme et de la modération. Il faut donc se garder de jugements hâtifs.
En tant que président du Groupe d'information internationale France-Territoires Palestiniens, et en accord avec le Président du Sénat, nous souhaitons vivement recevoir nos homologues d'ici à la fin de l'année. Des actions de soutien ont été engagées par différentes organisations, comme le boycott des produits importés des colonies israéliennes ou la mobilisation en faveur des enfants emprisonnés, je souhaiterais avoir votre opinion sur leur efficacité.
J'interviens régulièrement sur ces questions en commission comme en séance publique. Comment pensez-vous que vos amis puissent vous aider pour sortir de cette situation inextricable et désespérante ?
Le boycott des produits des colonies israéliennes est légitime, car ces productions sont illégales, elles sont contraires au droit international, leur exportation avec le label « made in Israël » est une fraude. La surveillance est difficile mais elle est possible dans la mesure où des listes ont été établies par des cercles progressistes israéliens. Il est dommage que les services en charge de ces questions au sein de l'Union européenne restent inactifs depuis dix ans. C'est une action civique et démocratique des usagers à l'image des campagnes qui ont été menées autrefois contre l'apartheid en Afrique du Sud. Faut-il l'appliquer à l'État d'Israël dans son ensemble, comme certaines organisations le font, à l'exemple de certaines universités britanniques qui ont instauré un boycott académique ? Ce n'est pas une exigence de l'Autorité palestinienne, c'est une démarche entre opinions publiques, de surcroît non violente. Mais cela est perçu par certains comme une agression.
Ce qui est navrant, c'est que toute action, aux Nations unies, comme ailleurs, est perçue par Israël, mais aussi par les Etats-Unis, comme une agression. Les États-Unis menacent de couper leur aide si nous présentons une nouvelle candidature aux Nations unies. Il en va ainsi de nos candidatures comme de nos plaintes. Nos plaintes gênent Israël et ce qui gêne Israël est un acte d'agression. Comme si s'adresser de façon non violente aux tribunaux pour faire respecter la loi constituait une agression. Ce n'est pas le moindre des paradoxes.
L'action en faveur des enfants prisonniers est une action juste. Elle peut avoir des résultats. Il peut y avoir des assouplissements tangibles. Certes les pressions européennes directes ont peu d'effets, mais elles peuvent encourager les États-Unis à agir. Beaucoup de ces enfants sont détenus sans procès.
Toute action en faveur de la reconnaissance légale de l'État de Palestine est positive. L'admission à l'UNESCO est une victoire morale. C'est un signe d'espoir. Nous allons continuer à proposer d'accéder aux organes spécialisés des Nations unies et relancer le processus devant l'Assemblée Générale des Nations unies, parce qu'il n'y a pas de droit de veto.
La coopération décentralisée, qui est importante et apporte une aide concrète, constitue un soutien moral. Cela prouve à notre peuple qu'il n'est pas seul et lui évite de se sentir acculé à des stratégies de désespoir. Il en va de même du soutien des ONG, comme cette organisation d'Israéliens qui assure la surveillance des barrages et empêche par sa présence des exactions des militaires. Témoigner est important.
Y a-t-il un développement de l' « économie des tunnels » depuis la chute du régime Moubarak en Égypte ? Est-ce que cela se traduit par une amélioration de la situation ?
La reconnaissance de l'État palestinien par les Nations unies s'avère difficile, malgré le succès à l'UNESCO. De mon point de vue, il va falloir attendre les élections américaines pour que les choses avancent. Grâce à l'intervention de la délégation française, la Palestine est devenue membre de l'Union Interparlementaire (UIP), mais se pose la question de sa représentation, entre le Hamas et le Fatah, et de l'adéquation des représentants désignés au regard des critères de cette organisation.
Dans le processus de réconciliation entre le Hamas et le Fatah figure la recomposition du Parlement. N'oublions pas qu'au lendemain des élections, soixante parlementaires du Hamas, dont le président de la Chambre, ont été emprisonnés par Israël. On ne peut pas dire que les institutions parlementaires fonctionnent. Un accord minimum avec Israël pour leur libération est un préalable à la formation de délégations parlementaires unifiées pour siéger dans les organisations internationales. Il ne s'agit pas d'établir des relations privilégiées avec des partis politiques. La position du Hamas n'a pas reconnu formellement l'État d'Israël avant que l'État palestinien soit reconnu. Mais n'est pas indispensable. La reconnaissance d'un parti n'a pas de valeur en droit international. Il ne s'agit pas d'établir des relations entre partis politiques. Les relations sont d'abord des relations d'État à État. La reconnaissance diplomatique est une démarche entre États.
La demande de reconnaître Israël comme « État juif » est inacceptable. Chaque État a le droit de s'appeler comme il veut, cela relève de sa souveraineté, mais la reconnaissance est celle d'un État en tant qu'État. Il n'entre pas dans le droit international de reconnaître une orientation religieuse ou ethnique. Ce serait nier l'existence de citoyens musulmans et chrétiens d'Israël, qui sont des citoyens de plein droit et exclure les réfugiés qui perdraient tous leurs droits. J'ajoute qu'il s'agit d'une revendication nouvelle de la part d'Israël depuis deux ans. Jusqu'à maintenant, il n'était demandé que la reconnaissance d'Israël et la fin du terrorisme. Jamais, il n'a été demandé la reconnaissance d'Israël comme « État juif ».
Je me suis rendu en Israël et j'ai pris conscience de l'entrave à la liberté de circulation apporté par le Mur. Nous entrons dans une phase critique avec la crise syrienne, cette situation a-t-elle des conséquences pour les Palestiniens ? D'ici les élections américaines, des actions israéliennes à Gaza et au Liban se sont-elles pas à craindre ? Quant à l'économie des tunnels, ne repose-t-elle pas sur une forme d'enrichissement abusif de certains et ne constitue-t-elle pas une forme de marché noir ? Cela est-il contrôlable ?
Plus de vingt ans après le début du processus de négociation et alors que celui-ci n'a pas abouti, votre patience et votre persévérance forcent notre admiration, comment faites-vous ? Je me suis rendu en Cisjordanie, à Hébron, à Naplouse. Les jeunes Palestiniens s'interrogent de leur avenir et l'émigration qui tente nombre d'entre eux. Dans ce contexte, je m'interroge sur la viabilité aujourd'hui d'un État palestinien, car géographiquement, avec la multiplication des colonies, cela devient très compliqué, et sur la capacité du processus de négociation à aboutir. Qu'est-ce qui maintient votre espérance ?
L'un des arguments souvent avancés par les adversaires de la reconnaissance de l'État palestinien est le retour des réfugiés des camps qui est considéré comme un risque grave et un obstacle à la poursuite du processus de paix. Quelles réponses apportez-vous à ces arguments ?
Quels sont vos vrais soutiens au Moyen-Orient ? On voit bien qu'il y a un axe fort Iran-Syrie-Hezbollah libanais, quelle est l'attitude de l'Arabie Saoudite et du Qatar ? Que pensez-vous de l'effritement de la diversité religieuse en Palestine, où les Chrétiens prennent le chemin de l'émigration ? Je voulais également vous dire que de nombreux sénateurs sont sensibles à votre cause, y compris certains qui sont très proches d'Israël.
Quand on a des responsabilités politiques à l'égard d'un peuple qui souffre, on ne peut se permettre le luxe du pessimisme radical. C'est une attitude morale qui peut se justifier, mais politiquement ce serait une trahison. Notre mandat est d'avancer vers des solutions et non pas de nous contenter de crier au désespoir. Il faut donc de la patience. Vingt ans, c'est très long à l'échelle d'une vie humaine, au regard de l'histoire, c'est presque rien. C'est terrible pour ceux qui ont souffert et qui souffrent. Mais il y a des seuils à franchir, nous en recherchons les moyens. En physique, à 99°, l'eau ne bout toujours pas, il faut un degré de plus pour qu'elle change d'état. Nous n'avons pas encore atteint le seuil du saut qualitatif que nous recherchons. Il n'y a pas d'alternative. Retourner à la violence est suicidaire. Ne rien faire est criminel. Il faut continuer à oeuvrer pour arriver au point d'ébullition et c'est ce que nous faisons. Nous le faisons avec espoir car l'espoir est un élément vital dans cette équation. Il est contre-productif de laisser s'installer le désespoir. Il y a déjà trop de désespérance.
Les trois-quarts du peuple palestinien vivent à l'extérieur de la Palestine. Ils sont exilés ou réfugiés. Il faudrait y ajouter les déplacés de force qui vivent dans des camps comme à Naplouse. Les Israéliens ne les reconnaissent pas comme réfugiés, ils ne reconnaissent d'ailleurs que la première génération et pas leurs descendants. Pour eux, ils sont 800.000, en fait ils sont 5 millions.
Lors des négociations de Camp David, il avait été évoqué quatre options pour les réfugiés : le retour d'une partie sur le territoire israélien, le retour d'une partie sur le territoire palestinien, le maintien dans les pays d'accueil mais en perdant le statut de réfugiés au profit d'une intégration comme naturalisés ou résidents étrangers, l'émigration dans un pays tiers. Israël n'avait semble-t-il pour exigence que la négociation de la première option. Nous avons expliqué aux réfugiés que le retour en Israël en ferait des citoyens de seconde zone. Cette option n'est attrayante que pour ceux qui vivent dans les camps du Liban dans des conditions très difficiles. Les autres sont bien intégrés ailleurs. Ils n'ont aucun intérêt marqué au retour en Israël. Le droit au retour ne concerne en réalité qu'au grand maximum 300.000 réfugiés. Ils ne menacent ni l'équilibre démographique ni l'identité d'Israël. Yasser Arafat avait proposé de réserver le droit au retour aux seuls refugiés des camps du Liban dans les dix premières années. Les autres Palestiniens devront attendre dix ans pour formuler leur demande. Ce n'est donc pas une menace démographique concrète pour Israël.
Notre histoire nous apprend à être méfiants des gouvernements, il y a eu des précédents douloureux. Nos soutiens au Moyen-Orient sont d'abord les opinions publiques. Avec les printemps arabes, la sympathie avec le peuple palestinien s'exprime mieux.
Je vous remercie de cette présentation et nous vous exprimons notre sympathie.