Intervention de Claude Dilain

Commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois — Réunion du 27 juin 2012 : 1ère réunion
Droit au logement opposable et diverses mesures en faveur de la cohésion sociale — Examen du rapport

Photo de Claude DilainClaude Dilain, co-rapporteur :

Je ne trahirai pas, en effet, la pensée de Gérard Roche, retenu dans son département, tant nous nous sommes retrouvés dans ces travaux.

La loi instituant le droit au logement opposable a été adoptée à l'unanimité le 22 février 2007. Elle reconnaît le droit à un logement décent et indépendant à toute personne n'étant pas en mesure d'y accéder par ses propres moyens ou de s'y maintenir. Une vraie révolution culturelle, puisque c'était passer d'une obligation de moyens à une obligation de résultat, avec sanction juridictionnelle à la clé en cas de carence des pouvoirs publics.

Pourtant, depuis 2007, le mal-logement demeure préoccupant : 700 000 personnes sont privées de domicile personnel en France et, au total, 3,6 millions demeurent mal ou non logées.

Nous avons entendu nombre d'intervenants, notamment au ministère chargé du logement, dans les institutions et les associations membres du comité de suivi de la mise en oeuvre du DALO, à l'Agence nationale de l'habitat, au comité d'évaluation et de suivi de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, enfin, et c'est une première pleine d'enseignements, auprès de la juridiction administrative compétente. Nous avons également sollicité, par un appel à contributions, les commissions départementales de médiation du DALO car elles sont placées au coeur du dispositif.

La question du garant du droit au logement avait été beaucoup discutée dans nos enceintes, car, dans le domaine du logement, la responsabilité est éclatée. Aux termes de la loi, c'est finalement l'État, à titre exclusif, qui porte la responsabilité juridique du respect de ce droit. Sur ce fondement, la loi met en place un dispositif juridique à double détente qui permet aux demandeurs prioritaires, en cas d'échec d'une procédure amiable devant les commissions départementales de médiation crées en 1998, de saisir le juge dans le cadre d'un nouveau type de contentieux. Dans chaque département, il revient au préfet de désigner les demandeurs reconnus prioritaires par la commission de médiation à un organisme bailleur. Le logement attribué par le bailleur s'impute, et cela aussi est important, sur les droits de réservation du préfet. Le cas échéant, le tribunal administratif a compétence pour ordonner au préfet le logement ou le relogement d'un demandeur prioritaire au moyen d'une injonction éventuellement assortie d'une astreinte financière.

Au-delà du dispositif DALO, la volonté du législateur était de créer, au moins implicitement, un effet de levier sur le renforcement des capacités de logement et d'hébergement des personnes défavorisées.

La loi aménage d'ailleurs à la marge des dispositifs d'ordre financier et fiscal déjà existants. Elle vise également à améliorer la solvabilité des ménages en introduisant l'indexation des aides au logement sur l'indice de référence des loyers. Autre caractéristique importante, elle institue un comité de suivi, chargé de remettre un rapport annuel au Président de la République, au Premier ministre et au Parlement, ce qui a été fait.

Quels enseignements tirer de l'application de ces dispositions ? Aujourd'hui, toutes les mesures réglementaires ont été édictées et les commissions départementales sont toutes en ordre de marche. Sur le papier, le DALO est donc opérationnel.

Au 31 décembre 2011, 280 000 recours sur quatre ans avaient été déposés, en grande majorité pour des demandes de logement, seuls 15 % visant un hébergement. Ce chiffre, important, n'en reste pas moins inférieur à ce qui était attendu au moment de l'adoption de la loi, pour trois raisons : une information et un accompagnement encore insuffisants des travailleurs sociaux ; une certaine autocensure à différents échelons administratifs ou politiques ; les appréhensions, enfin, de certaines familles qui hésitent à faire usage du DALO, craignant de se voir attribuer un logement ne correspondant pas à leurs besoins.

Néanmoins, le nombre de recours déposés chaque mois -6 000 en moyenne- demeure significatif : dans les zones tendues, il n'est pas rare qu'une commission de médiation examine plus de 70 dossiers par séance. De fait, la situation est loin d'être homogène sur l'ensemble du territoire. On constate une concentration des recours sur les grandes agglomérations de quelques régions. Près de 90 % des demandes déposées concernent sept régions : 60 % pour l'Ile-de-France et près de 14 % en région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Suivent les régions Rhône-Alpes, Nord-Pas-de-Calais, Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon et Pays de la Loire. Avec quelque 1 000 dépôts chaque mois, Paris concentre 20 % des recours.

Les décisions prises par les commissions de médiation appellent, pour leur part, trois remarques. On observe d'abord des écarts significatifs entre les taux de décisions favorables selon les territoires. En 2011, ces taux varient de 35,5 % en Ile-de-France à 74 % en Bourgogne. Variation que des raisons sociologiques ne suffisent pas à expliquer.

Même variation au sein des régions : en Île-de-France, sur les recours logement, le taux était de 19 % dans le Val d'Oise mais de presque 62 % en Seine-et-Marne. L'hétérogénéité des réponses apportées, selon le département concerné, à des demandes reflétant une situation analogue donne le sentiment que certaines commissions se déterminent davantage en fonction de la tension sur le logement que de la situation réelle des demandeurs, ce qui aboutit à des inégalités de traitement et est contraire à l'esprit de la loi.

L'appréciation sur les suites données aux demandes reconnues prioritaires par les commissions de médiation, donc sur le respect de l'obligation de résultat, est rendue malaisée par la difficulté persistante à obtenir des chiffres fiables de la part des services de l'État. Souhaitons que l'appropriation du logiciel informatique dédié y remédie. Reste que l'on ne s'étonnera pas de la panne des relogements dans les régions où le parc locatif social est notoirement insuffisant. Au 31 décembre 2010, le comité de suivi estimait à près de 19 000 l'écart entre le nombre de ménages qui auraient dû recevoir une offre de logement et le nombre de requérants effectivement relogés. Pour l'Île-de-France, selon les chiffres de la Fondation Abbé Pierre, à la fin décembre 2011, sur plus de 42 000 requérants déclarés prioritaires pour un logement, moins de 17 000 ont pu être relogés.

Ce sont donc plusieurs dizaines de milliers de familles qui restent très mal ou non logées malgré une situation prioritaire et urgente officiellement reconnue.

Le nombre de refus de propositions de relogement par les requérants, qui avoisine les 20 %, peut surprendre. Ces refus s'expliquent en partie par l'inadaptation du logement proposé, en partie par une déception quant à sa localisation. En tout état de cause, voilà qui appelle la mise en place d'un accompagnement social renforcé.

Les difficultés liées au relogement ont ainsi suscité une montée en charge rapide du contentieux : 21 600 requêtes entre la fin 2008 et la fin 2011, et une progression de 60 % en trois ans. Et ce n'est pas fini, puisque, depuis 2012, la loi a élargi les possibilités de recours devant la juridiction administrative aux demandeurs n'ayant pas obtenu de proposition de relogement à l'issue d'un délai anormalement long. Le contentieux ne pourra aller qu'en s'accroissant.

Sans surprise, les condamnations interviennent le plus souvent dans les territoires qui connaissent les plus grandes difficultés de logement. Ainsi, le territoire francilien concentre à lui seul 85 %, dont 44 % pour Paris, des affaires enregistrées. Et l'on ne peut exclure une montée en charge, sans solution de relogement à la clé ...

Car, de l'aveu même des juridictions administratives, les recours DALO constituent encore trop souvent « un contentieux sans espoir ». Huit fois sur dix, le contentieux spécifique débouche sur une décision favorable au demandeur, le plus souvent assortie d'une astreinte financière. Mais, à en juger d'après le nombre de liquidations d'astreintes devenues définitives, c'est-à-dire d'après le nombre de demandeurs relogés ou ayant renoncé à leur demande, l'efficacité de ces astreintes est très réduite: au tribunal administratif de Paris, sur les 4 400 dossiers de liquidation ouverts, seules 19 % des liquidations sont devenues définitives ...

Le caractère incitatif des astreintes, de surcroît, est faible: elles sont intégrées en dépenses et recettes ordinaires du budget de l'État et la loi de mobilisation pour le logement du 25 mars 2009 a limité leur montant. Les magistrats insistent sur la charge de travail des greffes, pour un résultat presque nul, puisque ces astreintes ne sont pas versées au requérant, mais de l'Etat à l'État, sans suivi approprié des versements.

Comment envisager, dès lors, l'avenir du DALO ? Nos auditions ont montré que l'accroissement de l'offre sociale seule, qui reste insuffisante et inadaptée, ne suffirait pas à répondre aux difficultés de relogement des personnes prioritaires. Inadaptation financière, d'abord. Au cours de la dernière décennie, le nombre de logements « prêt locatif social » (PLS), inaccessibles aux ménages les plus modestes, a été multiplié par dix alors que celui des logements « prêt locatif à usage social » (PLUS) et des logements « prêt locatif aidé-intégration » (PLAI), les véritables logements sociaux, ne l'a été que par un peu plus de deux. Or presque tous les demandeurs prioritaires au titre du DALO ne disposent que de ressources inférieures au plafond PLAI. Inadaptation géographique, ensuite, comme le constate la Cour des comptes dans son dernier rapport annuel en citant le gouvernement: en 2009, 75 % des logements sociaux étaient construits où n'existaient pas de besoins manifestes, et seuls 25 % l'étaient dans les zones les plus tendues.

Un meilleur ciblage financier et géographique des aides à la pierre nous paraît donc indispensable. Il conviendrait, en particulier, de minorer le poids des logements PLS par rapport à celui des PLAI dans les obligations incombant aux communes en application de la loi SRU. En outre, le parc privé, qui compte 2 millions de logements vacants, reste encore insuffisamment mobilisé pour le relogement des personnes prioritaires. Quant aux aides personnelles au logement, aujourd'hui déconnectées des charges de logement réelles, elles doivent recouvrer leur efficacité sociale.

Il faut également améliorer les conditions de mobilisation du parc social. A l'heure actuelle, les services de l'État franciliens perdent chaque année environ 5 000 logements par an, soit 30 % de leur contingent. Outre que les services préfectoraux n'ont trop souvent qu'une connaissance très approximative de la réalité du patrimoine des bailleurs sociaux, il arrive fréquemment qu'à la suite d'un rejet de candidature par la commission d'attribution ou d'un refus par le candidat prioritaire, le logement proposé soit repris par le bailleur.

Les relations entre l'État et les bailleurs sociaux doivent donc se fonder sur des outils plus efficaces : mise en place de fichiers partagés des demandeurs reconnus prioritaires à reloger et développement de méthodes de « priorisation » des demandes.

La gouvernance territoriale du DALO, ensuite, doit être améliorée. Très centrée sur l'État, la loi DALO n'a pas tiré toutes les conséquences de l'éclatement des compétences en matière de politique de l'habitat, laquelle incombe aujourd'hui, à titre principal, aux intercommunalités : c'est à cette échelle, celle du bassin d'habitat, que l'offre et la demande peuvent le mieux être mises en adéquation. Sur les territoires où, historiquement, des partenariats avaient été noués à l'échelle intercommunale, la loi DALO a d'ailleurs enclenché des mécanismes vertueux. Quant à l'Île-de-France, nous pensons que c'est une gouvernance régionale qu'il faut y mettre en place. Une autorité organisatrice d'Ile-de-France pour le logement, dotée des moyens d'arbitrage nécessaires, devrait voir le jour, sur le modèle de ce qui existe déjà pour les transports. Nous rejoignons, sur ce point, une proposition du Conseil économique, social et environnemental.

Le droit au logement opposable, enfin, pose directement la question du respect de la mixité sociale. La segmentation du parc locatif social conduit à orienter mécaniquement les ménages les plus pauvres vers les parcs sociaux les plus paupérisés, souvent dans les zones urbaines sensibles, où le parc social accessible est surreprésenté. Le second acte de la rénovation urbaine doit être l'occasion d'infléchir enfin cette tendance. Les orientations formulées par le comité d'évaluation et de suivi de l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) nous semblent aller dans le bon sens. Il s'agit en particulier d'adapter l'échelle d'intervention pour privilégier l'intercommunalité et non plus l'échelon communal, d'accroître le nombre de logements sociaux ou encore de limiter les attributions effectuées au titre du DALO dans les zones en rénovation urbaine.

Nous pensons surtout que les volets social et urbain des opérations de rénovation urbaine doivent mieux être conciliés. La rénovation urbaine doit s'inscrire au coeur d'un projet de cohésion sociale qui mobilise les politiques publiques : éducation, transport, emploi, logement, dont les liens ne sont plus à démontrer.

Cinq ans après son adoption, le droit au logement opposable ne donne donc pas toute satisfaction. Trouvant à s'appliquer sur la grande majorité du territoire, sa mise en oeuvre pose paradoxalement le plus de difficultés dans les régions qui auraient le plus besoin de voir honorée l'obligation de résultat. Il appartiendra à notre assemblée de contribuer à ce que les conditions de réussite de la loi DALO puissent enfin être réunies à l'avenir. Car, pour l'heure, je suis tenté de dire que le droit au logement opposable fonctionne bien là où l'on n'en a pas besoin, mal où l'on en a besoin.

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