Intervention de Daniel Raoul

Réunion du 7 juillet 2008 à 15h00
Modernisation de l'économie — Article 21

Photo de Daniel RaoulDaniel Raoul :

Cet article s’inscrit dans la continuité des réformes entreprises depuis 2003 et ayant pour objet, étape après étape, d’aboutir à la négociabilité totale des conditions générales de vente. Il vise à libéraliser complètement et à individualiser les relations commerciales entre distributeurs et fournisseurs.

Autrement dit, en faisant jouer la concurrence – que vous pratiquez comme un dogme –, en pouvant négocier librement des conditions particulières de vente, sans obligation de communication, les grands distributeurs pourront mettre en concurrence les fournisseurs entre eux. Ils tenteront d’obtenir des uns ce que les autres leur auront prétendument consenti. Puisqu’il n’y a pas de communication, le pourra exister dans ce domaine, comme au poker, et il sera possible de faire chanter des petits fournisseurs au détriment des autres.

Cette réforme était réclamée par la grande distribution. D’ailleurs, certains, au lieu de parler de loi « LME » ont parlé de loi « MEL », ou encore de loi « M et L ». En effet, le P-DG de Carrefour ne disait pas autre chose : « Si je pouvais demander une chose au gouvernement Fillon, c’est : laissez-moi faire mon métier de commerçant, négocier avec mes fournisseurs et fixer ma politique de prix ». La grande distribution aura donc été exaucée et, avec cet article, nous allons passer des conditions générales de vente aux conditions générales d’achat, c’est-à-dire des conditions imposées par les distributeurs aux fournisseurs, notamment aux petits fournisseurs.

D’ailleurs, le rapport de la commission spéciale ne dit pas autre chose. En effet, il précise : « L’obligation que les conditions particulières de vente soient justifiées par la spécificité des services rendus disparaît, ce qui est en réalité le point central de l’article 21, puisque désormais il n’y a plus à justifier de l’établissement de conditions particulières de vente. On pourrait alors s’interroger sur la nécessité juridique de maintenir le dispositif de conditions générales de vente. En effet, une interdiction a peu de sens s’il est possible d’y déroger librement et sans justification. »

La seule justification avancée pour le maintien des conditions générales de vente est que celles-ci constitueraient encore « le socle de la négociation commerciale ». Or je prétends, au contraire, qu’avec cette réforme les conditions générales de vente ne peuvent plus demeurer le socle de la négociation commerciale. Ce projet de loi se traduit en effet par la substitution des conditions générales d’achat aux conditions générales de vente. Face à cette libéralisation qui fait sauter les derniers verrous de la loi Galland, le socle de la négociation commerciale ne peut que s’effriter progressivement.

Quelles sont donc les justifications d’une telle politique, qui vise, au final, à renforcer le poids des plus forts ?

En réalité, la loi Galland est devenue, depuis quelques années, un véritable bouc émissaire. Elle est accusée d’être « la loi qui empêche la baisse des prix », et ce d’autant plus que le Gouvernement affichait sa volonté de baisser les prix, prétendant ainsi augmenter le pouvoir d’achat des ménages. Cela reste l’un des objectifs du Gouvernement, au cas où vous l’auriez oublié, monsieur le secrétaire d’État.

S’en remettre à la concurrence, pour faire baisser les prix, c’est le choix du laisser-faire : laisser faire les « lois naturelles » du marché à la place d’une véritable politique de revenus. Ainsi, comme le soulignait le rapporteur à l’Assemblée nationale sur ce projet de loi, « Il n’existe pas de meilleur modèle économique que celui de la concurrence libre et loyale pour servir une société de progrès pour l’homme ». Même Walras, le plus grand théoricien du marché, n’aurait pas osé dire cela. On est là dans la pensée magique.

Que signifie la « concurrence libre et loyale » dans le secteur commercial où dominent cinq, six ou peut-être même sept grosses centrales d’achat, si ce n’est la loi du plus fort ? Ces grands de la distribution ont en face d’eux, certes, quelques gros fournisseurs d’articles prévendus, comme l’a dit notre collègue Gérard Longuet, mais surtout des milliers de petites entreprises. L’accroissement de la concurrence va se faire sentir chez les petits fournisseurs, qui seront pressurés plus encore qu’aujourd’hui !

C’est cela même la libre négociabilité des conditions générales de vente et des prix, monsieur le secrétaire d’État ! Je suis convaincu qu’une telle politique est des plus dangereuses pour notre société.

Cela sert le consommateur, me direz-vous. Où ? À quelle étape de la distribution ? Mais avant d’être consommateur, il faut être producteur de biens ou de services, avoir une activité qui génère des revenus. Or une politique de baisse des prix tous azimuts n’est certainement pas favorable aux salariés, car elle tire l’ensemble des coûts vers le bas. Par ailleurs, sur le plan macroéconomique, comme l’a démontré un rapport, cela peut être désastreux en termes d’emplois.

Prenant l’exemple du grand distributeur mondial Wal-Mart, l’économiste américain Robert Reich, qui fut aussi ancien secrétaire d’État à l’emploi sous la présidence de Bill Clinton, explique ce que signifie la libre négociabilité :

« En sa qualité de plus grande entreprise du monde, Wal-Mart jouit d’un immense pouvoir de négociation » – il n’y a aucun doute sur ce point.

« Nous comptons sur nos fournisseurs pour éliminer les coûts de la chaîne d’approvisionnement », a dit un porte-parole de Wal-Mart. Traduction : nous exigeons de nos fournisseurs qu’ils compriment les salaires et les avantages des millions de personnes qui travaillent pour eux aux États-Unis et à l’étranger. Faute de quoi, nous achèterons nos produits à ceux de leurs concurrents qui le feront. »

Une telle politique de baisse des prix ne remplacera certainement pas une véritable politique de revenus, seule capable d’accroître le pouvoir d’achat des Français.

Le rapport du groupe de travail sur les mécanismes de réduction des prix qui vous a été remis en mars 2008 ne dit pas autre chose : « Réfléchir aux moyens de baisser les prix – ou de contenir leur augmentation – ne doit pas occulter le fait que, sur la longue période, seule l’augmentation des revenus peut conduire à celle du pouvoir d’achat [...]. Cette question de l’augmentation des revenus nous renvoie à la fois à la problématique de la relance de la croissance » – vous connaissez les chiffres du premier semestre 2008 – « et à celle de la répartition des revenus ».

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez là aussi fait un choix : celui du paquet fiscal qui accroît les inégalités – je n’y reviendrai pas, je sais que vous en êtes conscient. Il faut que vous l’assumiez.

Ce qui fait baisser le pouvoir d’achat des Français, ce sont surtout les dépenses contraintes comme le logement, l’énergie et les transports. Ce sont ces dépenses-là qui ont surtout augmenté et rongé le pouvoir d’achat sur fond de stagnation des salaires.

Je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit à attendre de ce côté-là dans les dispositions du titre II.

Quid de la baisse de la TVA sur les produits de première nécessité ?

Pour conclure, je m’appuierai de nouveau sur Robert Reich : « Il y a toujours une règle du jeu précisant ce que l’on a ou non le droit de faire et, dans le cas de l’économie, il appartient à l’État de la définir.

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