Intervention de Jean-René Lecerf

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 4 juillet 2012 : 1ère réunion
Application de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 — Examen du rapport d'information

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf, co-rapporteur :

Ce revenu minimum, nous l'estimions à environ 40 euros mensuels et non au niveau du RMI ou du RSA.

Il aurait plusieurs avantages ; le premier serait de faire entrer les services sociaux départementaux dans les établissements pénitentiaires. Cela me paraît important, ne serait-ce que pour assurer un certain suivi et pouvoir mettre immédiatement en place l'ensemble des aides sociales minimales. En effet, il existe généralement, entre la sortie du détenu et la mise en place de ces aides, une période intermédiaire, qui est la plus dangereuse en fonction du risque de récidive.

Nous n'étions pas parvenus à mettre ce revenu minimum carcéral en place du fait de l'article 40 et de l'irrecevabilité financière. Nous avions donc prévu -et ceci avait été accepté sans que l'on sache vraiment pourquoi- que certaines aides pourraient être accordées en numéraire et non en nature, ce qui revenait à la même chose, les sommes étant peu importantes. Martin Hirsch avait évalué un revenu minimum carcéral plus important que celui que je suggérais -8 millions d'euros sur les 10 milliards que cela représente aujourd'hui.

Le législateur a voulu instituer un salaire horaire minimal et cela pose un vrai problème. En effet, 50 % des personnes incarcérées sont illettrées ou analphabètes. Enormément de personnes n'ont jamais travaillé et souffrent de troubles mentaux. Leur rapidité au travail est donc extrêmement limitée. Lorsqu'elles sont payées à la pièce, elles touchent des salaires de l'ordre de 15 à 20 euros par mois !

L'idée était d'imposer ce salaire horaire minimal mais on nous a mis en garde contre le fait que les concessionnaires risquaient de ne plus vouloir de ces personnes qui, dès lors, n'auraient pu travailler ! C'est pourquoi nous avons voulu compenser cette situation par l'octroi d'un revenu minimal, qui existe plus ou moins aujourd'hui mais qui dépend de la générosité publique -Croix-Rouge, Secours Populaire, etc. Tout cela n'est pas acceptable dans des structures qui relèvent du pouvoir régalien de l'Etat !

J'en viens à présent au problème de la libération conditionnelle des détenus âgés de plus de 70 ans, prévue par la loi. Le projet de loi prévoyait qu'à compter de 75 ans, le juge pouvait apprécier s'il était opportun ou non d'accorder la libération conditionnelle. Lors du vote la loi, nous avions ramené ce seuil de 75 à 70 ans, la prison accélérant le vieillissement des personnes. C'est un constat que j'ai pu établir à de multiples reprises...

Il ne s'agit pas d'obliger à la libération conditionnelle mais de ne pas s'embarrasser, pour des personnes d'un certain âge, du respect obligatoire de la période de sûreté. Les conditions sont fixées par la loi : le trouble à l'ordre public -sur laquelle on pourrait s'interroger- faisait ainsi référence au procès Papon. Il aurait en effet été difficile, dans ce cas, de faire jouer la libération conditionnelle rapide...

Notre collègue Détraigne a attiré notre attention sur le fait que la population n'a pas la même vision du problème carcéral que le législateur. C'est à la fois vrai et faux. Je suis élu du Nord : j'ai constaté à ce sujet, après l'affaire d'Outreau, une mobilisation de la population qui a découvert que l'on pouvait être à la fois innocent et incarcéré. Le sort des personnes détenues leur est dès lors apparu plus proche.

Nous avons sur ce point une lourde responsabilité. La population ne sait pas, aujourd'hui, ce qui ce que passe à l'intérieur des établissements pénitentiaires, l'administration pénitentiaire interdisant la présence de la presse dans ses établissements ! Elle ne montre ce faisant que ce qu'elle veut bien montrer ! Si les journalistes pouvaient entrer dans les établissements pénitentiaires, ils décriraient ce qui s'y passe et cela dissiperait le phantasme des prisons quatre étoiles ! Les aumôniers nationaux passent plus de temps à accompagner les personnes détenues aux douches et à les raccompagner ensuite en cellule pour éviter qu'ils ne se fassent frapper ou violer qu'à leur parler de religion ! La réalité de l'établissement reste encore largement celle-là, surtout lorsqu'on est à quatre dans des cellules de 9 mètres carrés !

Nous qui visitons les établissements recueillons souvent les confidences des personnes détenues qui ne vont plus aux douches parce qu'elles s'y font violer. L'administration le reconnaît mais déclare qu'une enquête est en cours, sous-entendant ainsi qu'il n'y a pas de problèmes ! La réalité est particulièrement dure. On juge une société à l'état de ses prisons : je souhaiterais, pour la France, qu'on nous laisse encore un petit délai !

Quant à la consultation des personnes détenues, celle-ci est prévue par la loi. Pour une fois, l'Assemblée nationale était même allée plus loin que le Sénat ! La loi a prévu l'obligation de consulter les personnes détenues sur les activités qui leur sont proposées. Il faudrait la mettre en pratique ! Bien des directeurs de prison vont plus loin et consultent les personnes détenues sur les éléments quotidiens de la détention. La participation des personnes détenues entraîne une certaine baisse de la tension dans l'établissement pénitentiaire et une plus grande sérénité pour les personnels.

Je relève d'ailleurs que, s'agissant des points sur lesquels nous étions en désaccord, l'Assemblée nationale, en commission mixte paritaire, s'est ralliée à 99,9 % aux positions du Sénat, y compris sur le principe de l'encellulement individuel !

Concernant les suicides, nous ne disposons pas de statistiques fiables et sûres, si ce n'est le nombre de suicides comptabilisés par l'administration pénitentiaire -109 en 2010, 93 en 2007. Celui qui se suicide chez lui lors d'une permission de visite n'est pas comptabilisé. Celui qui meurt à l'hôpital des suites de sa tentative de suicide non plus... Le nombre exact est donc certainement plus important.

Pendant quelque temps, l'administration pénitentiaire avait mis en place un contrôle incessant des personnes les plus fragiles, y compris la nuit. Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure façon de dissuader quelqu'un de se suicider. Le problème n'est pas d'empêcher le suicide des personnes détenues mais de leur donner une raison de vivre. Le kit anti-suicide n'a pas toujours été efficace !

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