Je veux d'emblée souligner le plaisir que j'ai eu à travailler avec Isabelle Debré. La qualité de nos échanges, respectueux et constructifs, a beaucoup apporté à notre travail. La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées est un texte essentiel que nous avons souhaité examiner dans son ensemble. Les domaines couverts étant extrêmement larges, il a fallu d'emblée faire des choix. Aussi notre rapport, qui apporte des éléments de réflexion et d'analyse, doit-il être perçu comme un point de départ. Il demandera à être complété sur certains aspects importants : l'autisme, que la présidente Annie David a inclus dans notre programme de travail, et qui donnera lieu, à la fin de l'année, à un colloque sous l'égide de la commission des affaires sociales ; l'accompagnement des élèves handicapés par les assistants de vie scolaire (AVS), qui fait l'objet d'un groupe de travail national ; le chantier de l'accessibilité, dont il est nécessaire de dresser l'état d'avancement d'ici 2015.
Aboutissement de trois années de réflexion partagée entre les gouvernements successifs, le Parlement et les associations, la loi du 11 février 2005 a profondément modifié la politique en faveur des personnes handicapées, trente ans après la loi fondatrice de 1975. Elle définit le handicap, en intégrant pour la première fois toutes les formes de déficience (physique, sensorielle, mentale, cognitive, psychique), au-delà de l'approche strictement médicale, et en soulignant le rôle de l'environnement. Elle instaure également un droit à la compensation des conséquences du handicap, reposant sur le projet de vie de la personne handicapée. Elle ouvre ensuite l'accès des personnes handicapées à tous les droits fondamentaux reconnus aux citoyens : à l'inadaptation de la cité, la loi répond par l'accès de tous à tout. Enfin, elle met en place une nouvelle gouvernance, associant étroitement les personnes handicapées et leurs représentants.
Très ambitieuse, la loi « Handicap » entend couvrir tous les aspects de la vie des personnes handicapées. Cette approche transversale constitue sa force, mais aussi sa faiblesse : elle exige un travail colossal de pilotage. Sept ans après son adoption, sa mise en oeuvre n'est pas encore achevée.
Le bilan réglementaire est positif puisque 99 % des textes d'application ont été publiés. En revanche, l'objectif d'une publication intégrale des mesures réglementaires dans les six mois suivant la promulgation de la loi, n'a pu être tenu en raison des expertises juridiques nécessaires et des concertations menées.
Tout n'a pas été mis en oeuvre pour faire prendre conscience de l'importance et de la nécessité d'une large mobilisation et de l'engagement de chacun.
Compte tenu du champ très vaste de la loi, nous avons décidé de nous concentrer sur ses quatre axes principaux : la compensation du handicap et les maisons départementales des personnes handicapées, la scolarisation des enfants handicapées, la formation et l'emploi des personnes handicapées, l'accessibilité à la cité.
Nous avons procédé à de nombreuses auditions et effectué cinq déplacements : les deux premiers dans nos départements respectifs (les Hauts-de-Seine et l'Essonne), les deux suivants dans des départements présidés par deux collègues de la commission des affaires sociales, l'Aisne et la Marne - je tiens à remercier René-Paul Savary et Yves Daudigny, présidents de ces conseils généraux, pour leur accueil, leur présence à nos côtés et des échanges qu'ils nous ont permis d'entretenir avec les maisons départementales, les services départementaux et les associations ; enfin, nous nous sommes rendues en Belgique pour y étudier la scolarisation des enfants handicapés, en particulier des enfants autistes.
Pour mettre fin au traditionnel parcours du combattant des personnes handicapées et de leurs familles, la loi a créé des guichets uniques, les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), appelées à devenir les lieux d'accueil, d'information, d'orientation et d'évaluation de leurs besoins.
Opérationnelles depuis 2007, les MDPH constituent une innovation majeure dans l'architecture institutionnelle de la politique du handicap. Même si de nombreuses difficultés de fonctionnement persistent, elles ont apporté un réel progrès en termes de service public, en permettant l'accès à un interlocuteur unique de proximité, une simplification des démarches administratives, une certaine humanisation de l'instruction des dossiers et une forte implication des associations.
Six ans après leur création, les MDPH font face à une inflation d'activités préjudiciable à la qualité du service rendu : les délais de traitement sont encore trop longs, l'approche globale des situations individuelles est mise à mal, le suivi des décisions n'est pas toujours assuré. Il en résulte un profond sentiment de mécontentement et de déception chez grand nombre d'usagers. C'est le principal constat de notre blog, lequel a connu un vif succès, plus de 800 internautes ayant répondu au questionnaire en ligne.
Selon la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), les demandes de prestation de compensation du handicap (PCH) ont augmenté de 43 % en 2009, de 30 % en 2010, et de 24 % au premier semestre 2011. Cependant, de très fortes disparités dans les pratiques des MDPH menacent l'équité de traitement des personnes handicapées sur le territoire : le taux d'accord moyen, pour la PCH, varie de 33 % à 84 % selon les départements. Les efforts déployés par la CNSA n'ont pas permis, jusqu'ici, de résorber les écarts entre départements ; il faut donc aller beaucoup plus loin dans l'harmonisation des pratiques.
La raréfaction des ressources publiques suscite l'inquiétude : comment garantir aux MDPH des moyens pérennes pour assumer leurs missions ? La signature de conventions pluriannuelles d'objectifs et de moyens entre les MDPH, la CNSA, les conseils généraux et l'Etat, prévue par l'article 4 de la loi « Blanc » du 28 juillet 2011, devrait fixer clairement la participation de chaque financeur et offrir une certaine stabilité, au-delà de la stricte annualité budgétaire. Nous devons toutefois être vigilants sur les textes d'application de cet article. La dernière rédaction proposée par les services ministériels, en supprimant la référence au montant des concours des membres du groupement d'intérêt public, laisse en effet craindre une non-avancée, voire un recul par rapport à la situation actuelle. Je rappelle, à ce sujet, que la participation financière des principaux contributeurs se répartit comme suit : 39 % pour les conseils généraux, 35 % pour l'Etat, 21 % pour la CNSA, dont la contribution n'augmente plus depuis trois ans.
Au-delà de leur avenir financier, les MDPH s'interrogent sur le sens même de leur mission : resteront-elles cantonnées à des tâches opérationnelles ou pourront-elles mettre à profit leur connaissance des publics et de leurs besoins à des fins plus stratégiques ? De réelles perspectives d'évolution se dessinent dans ce nouveau service public, comme l'émergence d'une fonction d'observation et d'analyse des besoins territoriaux. La MDPH de l'Aisne a ainsi créé, en interne, un observatoire du handicap.
Afin d'améliorer le fonctionnement des MDPH, nous proposons notamment le transfert des compétences de notification et de fabrication de la carte européenne de stationnement aux directions départementales de la cohésion sociale ; la simplification des démarches administratives pour les demandes de renouvellement ; l'intensification des actions de la CNSA en faveur de l'harmonisation des pratiques des MDPH, afin de garantir l'équité de traitement sur le territoire.
La reconnaissance d'un droit à la compensation des conséquences du handicap par la solidarité nationale est l'avancée majeure de la loi de 2005. La prise en charge des surcoûts de toute nature liés au handicap est assurée par la PCH.
Prestation cousue main, la PCH offre une réponse individualisée aux besoins des personnes handicapées, qui passe par l'élaboration de plans personnalisés de compensation, ayant permis d'améliorer le montant et la diversité des aides attribuées. Après un démarrage assez lent, le nombre d'allocataires ne cesse d'augmenter ; il est passé de 8 900 en 2006 à 160 000 en 2010.
La PCH demeure cependant incomplète au regard des objectifs initiaux : son périmètre ne prend pas suffisamment en compte les aides humaines ; la suppression des barrières d'âge n'a pas été réalisée ; la prestation accordée aux enfants se révèle inadaptée à leurs besoins. Sachant que les dépenses de PCH pèsent déjà pour 1,4 milliard d'euros dans les budgets des conseils généraux et que le taux de concours de la CNSA ne cesse de se dégrader (de 60% en 2009 à 37% en 2011), ces mesures se heurtent inévitablement à un obstacle financier.
Je rappelle, par ailleurs, que la réforme de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), entrée en vigueur l'année dernière, a entraîné l'éviction d'anciens bénéficiaires, du fait de conditions d'éligibilité plus restrictives.
Les mesures que nous proposons s'attachent à mieux répondre aux besoins des personnes handicapées tout en ne sous-estimant pas la contrainte financière qui est la nôtre aujourd'hui : la suppression de la limite d'âge actuelle de soixante-quinze ans pour demander la PCH, pour les personnes qui étaient éligibles avant soixante ans ; la pérennisation des fonds départementaux de compensation, dont l'action est indispensable pour diminuer les restes à charges des personnes handicapées et de leurs familles. En 2010, 38% de l'apport de ces fonds provenaient des caisses primaires d'assurance maladie et 35% des conseils généraux. Leur pérennité n'est, à terme, pas assurée en raison du rythme incertain des abondements, en particulier venant de l'Etat.